Chapitre 38
Un courant d'air assez glacial courut dans sa nuque alors qu'elle passait la porte de l'hôtel. Il y avait tellement de gardes partout qu'elle se sentait à la fois en sécurité et oppressée. Cependant c'est ce qu'elle avait voulu, c'était les conditions qu'elle avait accepté pour le suivre ici, à New York.
Une protection pour son bébé qui était précieusement en sécurité avec Rania dans la chambre d'hôtel.
Sienna ouvrit son parapluie et tourna à gauche. Son cœur s'accéléra inévitablement quand elle aperçut cette haute silhouette massive qui l'attendait à l'autre bout du trottoir. Son visage était masqué par le parapluie, offrant un charme mystérieux à cet homme qui chaque jour lui donnait des raisons de l'aimer un peu plus.
Incapable de maîtriser son trouble comme si elle voyait cet homme pour la première fois, Sienna inspira profondément, presque nerveuse de le retrouver.
Vêtu d'un long manteau noir qui soulignait sa carrure impitoyable, il redressa le parapluie et elle crut s'évanouir devant sa beauté mâle alors que des fines gouttes de pluie perlaient sur son visage.
- Viens, dit-il en tendant sa main.
Subjuguée, Sienna prit sa main tendue et le suivit sur trottoir au milieu des passants.
- Où allons-nous ?
Il ouvrit la portière pour qu'elle se glisse sur le siège passager.
- À ton ancienne école de danse, comme prévu, répondit l'homme une fois au volant de la voiture.
Dans le timbre de sa voix elle décela de la colère étouffée.
- Tu m'en veux encore ?
- Je ne te veux pas habibti, je suis simplement sur mes gardes et te savoir ici ne me plaît pas. J'ai accédé à ta demande uniquement parce que tu as peur qu'il se passe quelque chose si nous sommes séparés.
- Exactement, j'ai peur et je me sens bien plus en sécurité ici avec toi que seule à m'imaginer des tas de scénarios.
Il démarra et quitta la rue animée. Sienna examina son profil dur et impitoyable qui laissait entendre qu'il n'était pas prêt à s'adoucir.
Pouvait-elle lui en vouloir alors qu'elle-même était angoissée par cette histoire dont elle ne comprenait pas le sens ?
Elle prit une profonde inspiration en regardant par la vitre alors que la pluie s'intensifiait.
- Tu es mis une armée de gardes du corps et bien que je me sente en sécurité, une question me taraude l'esprit, lança-t-elle en tournant la tête vers lui.
- Laquelle ? S'enquit-il en tournant furtivement la tête vers elle.
- Est-ce que tu fais ça seulement pour ma sécurité ou parce que tu as peur d'autre chose ?
Un silence s'ensuivit et dans lequel elle remarqua qu'il serrait convulsivement le volant.
- Pour quelle autre raison je l'aurai fait ? Dit-il enfin, le regard soudain fermé.
- Non...ne me dis pas que tu as peur que je te quitte, dit-elle dans un souffle. Tu me surveilles ? Tu as peur que je prenne le bébé et que je parte ? C'est ça n'est-ce pas ?
Il serra le volant, tendu contre le siège, le visage métamorphosé en de la pierre incassable.
- Les vieilles angoisses sont tenaces, tu dois savoir de quoi je parle.
- Sauf que dans mes souvenirs, je ne t'ai pas quitté, lui rappela-t-elle un peu sèchement.
- Je sais, murmura-t-il sombrement en tournant à droite. Je suis seulement...un peu nerveux.
- Un peu nerveux ? Répéta-t-elle en scrutant les phalanges de sa main. Mohamed tu donnes l'impression que tu vas tuer quelqu'un dans la seconde.
- Un pervers possède des photos de toi Sienna ! Ai-je l'air d'un homme qui va me contenter de le conduire au commissariat ? S'emporta-t-il en s'arrêtant devant son ancienne école de danse.
Elle se pinça la lèvre en dévisageant son profil d'acier.
- Je vais plutôt lui arracher la tête, mais avant ça je vais prendre le temps de le torturer, ajouta-t-il en détachant sa ceinture.
- Cela n'explique pas pourquoi tu ne me fais pas confiance.
- Ce n'est pas une question de confiance, répondit-il en la regardant droit dans les yeux. J'ai perdu des mois à cause de cette amnésie, et je ne peux pas m'empêcher de penser que j'aurai pu....
Il serra les dents en poussant un juron.
- Je ne peux pas m'empêcher de me dire que si Massimo ne m'avait pas aidé à me souvenir, tu aurais pu être en grand danger. J'ai failli à ma promesse et je ne le supporte pas.
Il souffrait et sa balafre était sans doute la partie la plus parlante de son visage pour exprimer cette souffrance qu'il essayait de garder enfoui en lui.
- Je sais, mais maintenant je suis ta femme, nous avons une fille et tu m'as retrouvé. Cette histoire est juste...
- Un rappel douloureux de ce qui aurait pu être ta vie si je ne t'avais pas retrouvé à temps, conclut-il fermement en plongeant son regard gris dans le sien.
Ensuite il quitta la voiture en lui jetant un dernier regard sombre et hanté.
Sienna dut garder ses émotions pour elle et à vrai dire il ne lui avait pas laissé le choix.
Elle quitta le véhicule à son tour et prit sa main.
Mohamed était enfermé dans une prison de remords qui l'empêchait d'avancer et d'oublier. Ces photos n'arrangeaient rien, au contraire, c'était pire et depuis des jours il devenait de plus en plus fermé et possessif au point d'imaginer qu'elle puisse partir avec leur bébé.
La pluie avait cessé et lorsqu'elle entra dans l'école, une vague de souvenirs remonta avant de disparaître pour être remplacée par les sentiments qu'elle éprouvait pour lui.
- C'est notre dernière chance de trouver qui est derrière tout ça, annonça-t-il en poussant la porte battante. J'espère que mes réponses se trouvent ici.
- Et si tu ne trouves pas de réponses ? Lui demanda-t-elle inquiète.
- Alors j'irais en Sicile pour les obtenir, conclut-il sur un ton énigmatique.
Elle frémit instantanément en fixant la ligne féroce de sa mâchoire.
Bien sûr il parlait de la mafia et à cette pensée elle en eut la chair de poule.
Elle tenta de se ressaisir lorsqu'ils passèrent dans le couloir principal. Un flot de souvenirs s'empara d'elle quand son regard se porta sur la première salle de danse.
Une sorte de mélancolie la gagna en regardant ces jeunes femmes danser comme elle autrefois.
- Sienna ? Sienna Kendrick ? Oh c'est pas vrai !
Elle reconnut cette voix féminine qui appartenait à Catherine Heighton, son ancienne professeure de danse.
- Madame Heigthon, murmura-t-elle émue.
- Ma chérie, oh mon dieu je suis si heureuse de te revoir.
Sienna essaya de contenir son émotion quand elle la prit dans ses bras.
- Tu es si belle, tu as l'air en forme.
Catherine remonta lentement son regard sur le colosse à ses côtés et pâlit légèrement.
- Qui est-ce ?
- Je suis son mari, c'est un plaisir de vous connaître madame.
En apparence il intimidait, mais il avait le pouvoir de charmer grâce à sa voix hypnotique.
Catherine en resta déconcertée un bref instant avant de se ressaisir.
- C'est un plaisir partagé monsieur ?
- Mohamed Al-Rayar.
Heureuse de ce moment, Sienna en oublia presque la raison pour laquelle ils étaient venus.
- Que fais-tu ici ? C'est une telle surprise de te voir.
- Je voulais me replonger un peu dans mes souvenirs et montrer à mon mari l'endroit où je dansais.
Catherine esquissa un grand sourire.
- Elle était merveilleuse, une ballerine extraordinaire.
Une émotion pénible lui serra la gorge.
- Je n'en doute pas un seul instant, dit-il en arborant un léger sourire.
Catherine les guida tout au long du couloir et raconta quelques histoires amusantes à son sujet.
- Tous les anciens élèves sont partis de l'école ? Finit-elle par demander pour faire avancer les recherches.
- Oui, la plupart sont partis, certains ont refait une année supplémentaire et d'autres ont décidé de devenir professeurs, expliqua Catherine en les conduisant dans son bureau.
Sienna jeta un coup d'œil vers le sultan qui regardait partout comme s'il cherchait à scanner chaque détail.
- Karl Jonhson est toujours ici ?
Le sourire de Catherine s'estompa.
- Non hélas il est parti il y a très longtemps. C'est dommage, nous avons regretté son départ.
- Et vous savez où il est parti ? S'enquit Mohamed en fronçant les sourcils.
- Je sais qu'il a travaillé à Juilliard pendant quelques mois, mais rien de plus. Il n'est jamais revenu ici. C'était un très bon professeur.
- Vous n'avez pas l'air convaincu de vos propres dires, remarqua-t-il sombrement.
Sienna fronça des sourcils à son tour en peinant à comprendre le doute du sultan.
- Eh bien disons que nous n'étions pas si proches que ça en tant que collègues, mais les élèves semblaient l'apprécier.
- Sienna ? L'interrogea-t-il aussitôt en baissant les yeux sur elle. Tu confirmes ?
- Oui, lui dit-elle en se retenant de lui sourire alors qu'il agissait comme un enquêteur.
- Il se passe quelque chose ? Lança Catherine depuis son bureau.
- Oh non, ne vous inquiétez pas, tout va bien.
La discussion se prolongea sur divers sujets et une heure plus tard, Catherine lui proposa de se rendre dans l'une des salles de danse.
Mohamed l'observa partir, souhaitant qu'elle prolonge ce moment pour qu'il puisse mener ses recherches seul.
Il s'en alla en direction de la grande salle principale où les élèves se retrouvaient pour bavarder.
À son approche, ils cessèrent de discuter et plusieurs élèves tournèrent la tête dans sa direction. Mohamed mesurait l'impact qu'il possédait sur les autres et à vrai dire il aimait ça. Intimidés, certains d'entre eux tentèrent de fuir son regard.
En silence, il fit le tour de la grande salle et emprunta un couloir qui menait vers un escalier.
En montant à l'étage supérieur il tomba sur une rangée de portes.
- Vous connaissez Sienna ? Lança une voix derrière lui.
Mohamed se retourna pour détailler le jeune homme qui venait de l'interpeller. La silhouette fuselé, digne d'un danseur avec plusieurs années d'expérience, il comprit qu'il avait affaire à un ancien élève devenu professeur.
- C'est ma femme, dit-il en guettant sa réaction.
- Est-ce qu'elle va bien ? Elle a l'air d'aller bien.
Une tristesse était visible dans ses yeux. Comme si les souvenirs d'une époque révolue étaient en train de l'assaillir.
- Elle va bien. Vous la connaissiez ? Qui êtes-vous ?
- Je suis Peter Devero. Nous avions les mêmes cours de danse, et c'était agréable de danser avec elle.
Aiguillonné par un fort sentiment de jalousie il fit au mieux pour demeurer impénétrable.
- Est-ce qu'elle était en bonne santé à cette époque ? Pas de problème particulier ? Elle ne paraissait pas tracasser par quelque chose de précis. Est-ce que vous connaissez Karl Jonhson ?
- Karl Jonhson ? Répéta-t-il avec un rire sans saveur. C'était notre professeur de danse.
- Tu n'as pas l'air de le porter dans ton coeur, lui fit remarquer Mohamed en le tutoyant pour créer un lien de confiance.
Il hésita un court instant avant de lui répondre.
- Disons que pour moi, ce n'était pas un prof de danse mais plutôt un gourou dirigeant une secte.
Mohamed parcourut alors la courte distance qui les séparait.
- Une secte ? C'est-à-dire ?
Il enfonça ses mains dans les poches de son long manteau noir, essayant de ne pas montrer ses poings déjà serrés alors que ce jeune homme était en possession d'informations que Sienna lui avait peut-être caché.
- Il avait une méthode d'apprentissage qui n'était pas comme les autres et si au début j'ai apprécié, à la fin j'ai compris que ce n'était pas normal. Il était très proche des corps de ses élèves, je veux dire il était beaucoup centré sur des trucs de méditations assez étranges. Les filles avaient tellement peur de ne pas réussir qu'elles buvaient chacun de ses mots pour viser l'excellence.
- Sienna également ?
- Elle était son étoile montante, à l'époque il se murmurait dans les couloirs qu'il disait qu'elle était sa muse.
Le sultan serra les mâchoires, gardant son masque impassible alors qu'à l'intérieur ses entrailles bouillonnaient.
C'était peut-être l'homme qu'il cherchait, pensa-t-il en encourageant Peter Devero à poursuivre son récit.
- Certains sont partis de son cours prétextant un désir d'étudier d'autres disciplines, mais je savais que c'était faux. Il avait une sorte d'emprise sur ses élèves. Il était très strict et parfois il pouvait se montrer très charmant. Il imposait des régimes aux filles et si elles n'étaient pas capable de passer entre les barres qui laissaient un espace de seulement quinze centimètres, il les accablaient de reproches.
Tout ce qu'il s'était fait de l'image de la danse prenait tout son sens, pensa-t-il en contractant un peu plus les mâchoires.
- Sienna était-elle maigre ? Sous pression de cet homme ?
- Elle était très maigre et sous pression, mais comme les autres elle pensait que c'était normal. Que c'était des sacrifices nécessaires pour viser l'excellence.
- Catherine a dit qu'il était parti il y a longtemps.
- Quelques semaines après l'accident de Sienna.
Une sombre et épaisse fumée se mit à envelopper son regard à tel point qu'il avait l'impression que ses yeux avaient viré au rouge sang.
- Tu es bien sûr de ce que tu avances ? Il est parti quelques semaines après son accident ?
Le jeune homme acquiesça.
- Sans doute qu'il s'est dit que comme il avait perdu son étoile montante, il n'y avait plus aucune raison de continuer, supposa Peter sans savoir que ce départ était un détail crucial et peut-être la confirmation que cet l'homme était l'homme qu'il traquait sans relâche depuis des semaines...
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