Chapitre 31




Il ne lui avait pas laissé le choix et elle avait fini par monter à l'étage. Mohamed était à l'affût du moindre bruit qui provenait d'en haut. Il faisait froid, la maison était presque stérile, la décoration très pâle comme si cette maison avait été choisie dans la précipitation.

Il se maudissait jusque dans ses entrailles de l'avoir abandonné et c'était une terrible torture de devoir attendre pour la ramener avec lui.

Il devait mettre tout en œuvre pour se faire pardonner, mais ce n'était pas un homme patient, c'était un homme déterminé. Alors chaque minute passée dans cette maison froide le rendait complètement fou.

Après avoir passé quelques coups de fil extrêmement importants, Mohamed prit l'assiette qu'il avait préparée et monta à l'étage qu'il découvrait pour la première fois. Étrangement, cette partie de la maison était bien plus chaleureuse et la lumière froide de l'automne apportait un peu plus de clarté contrairement au rez-de-chaussée.

Il choisit une porte au hasard et découvrit une chambre immaculée. Une chambre dans laquelle se trouvait la jeune femme, allongée sur le lit, profondément endormie et tournée vers le petit berceau qui trônait près d'une alcôve.

Une terrible colère l'envahit et il fit au mieux pour la contrôler. Cette colère était contre lui et lui seul.

Tout son corps se crispa dans une terrible douleur alors qu'il fixait ce berceau qui signifiait qu'elle se tenait prête à accueillir cet enfant toute seule.

Que se serait-il passé s'il n'avait pas retrouvé ses souvenirs ?

Il l'imagina alors seule avec l'enfant dans cette chambre, assise sur le fauteuil à bascule, berçant le bébé en lui murmurant tout son amour alors que lui aurait continué de gérer son royaume sans se douter un seul instant de son existence.

Il ferma les yeux en expirant tout l'air bloqué dans son corps et qui l'aidait à maîtriser cette terrible rage.

Il posa l'assiette sur la commode et avança doucement vers le lit. Elle semblait épuisée et sa peau était si pâle qu'il décela sur sa joue un sillon qui indiquait qu'elle avait pleuré.

Le poids de la culpabilité était si fort, qu'il sentit ses deux poings trembler.

Il résistait encore et encore, comme une lutte sans fin alors que le guerrier impitoyable brûlait de la soulever du lit et de l'enlever encore une fois.

Hélas il se savait dans une position qui ne lui permettait pas de le faire.

Si jamais il faisait cela, il donnait raison à son frère qui lui avait interdit de l'approcher. La jeune femme ne méritait pas de vivre ça. Il ne pouvait pas l'arracher à son frère qui était sa seule famille.

Il n'avait pas affaire à une femme cupide, avide de pouvoir. Il ne pouvait rien lui reprocher, pas même d'avoir eu peur de lui avouer la vérité. Elle n'avait rien fait de mal. Elle avait juste accepté ses promesses avec l'espoir qu'elles soient réelles et lui, l'avait oublié.

Chaque seconde de chaque minute il se souvenait de chaque instant passé avec elle alors que son corps tout entier avait tenté de lui dire à sa façon qu'elle était à lui.

Mohamed s'approcha du lit en direction du côté vide et s'installa sur le rebord du matelas. La jeune femme eut un léger soubresaut. Elle se frotta les yeux et se mit sur le dos. Il s'attendait à ce qu'elle sursaute et qu'elle se redresse à la hâte pour s'éloigner de lui.

Rien.

Elle resta immobile et leva simplement son regard vers lui. Mohamed avait conscience qu'il la regardait avec une expression rembruni, mais ne parvenait pas à réprimer ses émotions sombres et gorgées de culpabilité.

Sa paume de main brûlait de la toucher, sa bouche creusée en un rictus résistait à l'envie incontrôlable de l'embrasser.

Elle se pinça les lèvres en baissant les yeux. Il pouvait voir sa poitrine se soulever et il n'avait pas besoin de sentir son pouls contre la naissance de son pouce pour deviner les battements précipités de son cœur.

Prudemment il se pencha en s'appuyant sur son coude. À ce mouvement elle releva les yeux, lui exposant les lueurs craintives qui les habitaient.

- Je ne vais pas te faire de mal.

- Je sais, murmura-t-elle d'une voix presque inaudible. Je n'arrive plus à suivre ce qui m'arrive. Un coup je suis seule, un coup tu apparais dans ma vie et je n'ai aucune certitude que ce n'est pas temporaire.

- C'est définitif, dit-il avec force. Je reste, à jamais.

Il prit le temps d'observer sa réaction qui oscillait entre le croire et rester prudente.

- Laisse-moi une chance de te le prouver.

- Je ne sais pas qui tu es et ça me terrifie, murmura-t-elle en le dévisageant. Tu es l'homme le plus mystérieux, le plus indéchiffrable que je connaisse.

- Pourtant, je n'ai de cesse de t'exprimer ce que je ressens. Je me suis ouvert à toi et je ne t'ai jamais caché mes intentions de faire de toi ma femme.

- Et pourquoi ? Qu'est-ce qui te pousse à croire que...

- Dès l'instant où tu es partie de la salle où je donnais ma conférence devant les habitants, je l'ai compris. Te rejoindre dans la librairie me l'a confirmé.

Incapable de tenir plus longtemps sans la toucher, il leva sa main vers son visage et caressa sa joue. Elle exhala un soupir glacé en fermant brièvement les yeux.

Il caressa les boucles souples de ses cheveux puis passa son pouce sur sa joue.

Il se contenterait de ça, songea-t-il en passant son bras sous sa nuque pour la ramener contre lui. Ce n'était pas grand chose, mais pour lui c'était le début d'une ouverture sur le chemin du pardon.

Elle roula sur le côté, lui exposant son dos fin et fragile. L'épuisement qu'il avait lu sur son visage l'invita à rester silencieux pour qu'elle se rendorme. Sienna garda les yeux ouverts une fois tourné vers l'alcôve. En vain, elle essayait de contrôler ses respirations alors qu'il la tenait presque dans ses bras.

Dans sa nuque elle sentait son souffle chaud et lourd indiquant tout simplement qu'il se retenait de toutes ses forces pour ne pas la serrer dans ses bras.

Son cœur palpitait follement alors qu'une larme roula sur sa joue sans qu'elle puisse l'arrêter. C'était un tumulte d'émotions et il ne s'arrêtait pas. Elle était partagée entre l'espoir et la crainte. Il était là, proclamant avec force qu'il ne partirait pas sans elle, pas sans sa femme. Le sultan Al-Rayar était tout aussi impénétrable que déterminé à asseoir sa volonté et pourtant, une partie d'elle n'arrivait tout simplement pas à oublier qu'un jour cet homme lui avait donné une raison d'espérer.

Perdue dans un tourbillon de questions, Sienna fixa le berceau et au même instant elle sentit sous l'épaisse couverture sa main virile. Incapable de lui arracher ce droit, elle le laissa glisser sa main jusqu'à son ventre. Tout s'arrêta brusquement. Une autre larme roula sur sa joue, une larme d'émotion indescriptible tant elle ne s'attendait pas à ce qu'il creuse ses doigts sur son ventre comme s'il voulait graver ce moment à jamais.

Sans bouger, elle le laissa faire, incapable de le priver de ce moment alors que le bébé remuait dans son ventre.

Les yeux fermés elle essaya de deviner l'expression qu'il pouvait porter sur son visage balafré tout en essayant de ne pas bouger afin qu'il ne devine pas qu'elle ne dormait pas.

Quelques minutes après, bercée par ce moment figé dans le temps, Sienna s'endormit.

Plus tard, un bruit l'extirpa de son sommeil. Aussitôt elle remarqua que sa main n'était plus posée sur son ventre et que le matelas avait l'air plus léger.

Le cœur battant, elle se leva et attrapa le gilet posé sur le fauteuil pour descendre en bas.

À mesure qu'elle descendait l'escalier elle entendait des bruits provenant de la cuisine. En entrant dans celle-ci elle le découvrit derrière le plan de travail alors qu'une folle odeur délicieuse qui se dégageait de la cuisinière lui donna l'eau à la bouche.

Sienna avait remarqué la valise dans le salon et il s'était changé, troquant sa chemise pour un pull noir qui épousait parfaitement le relief de ses muscles.

- Installe-toi, c'est bientôt prêt, déclara-t-il sans se retourner, comme s'il avait senti sa présence avant même qu'elle pénètre dans la cuisine.

Elle posa une main sur son ventre en ayant l'impression de sentir encore la sienne sur celui-ci.

Elle s'installa à la table les sourcils froncés. Au début, elle avait pensé que cette chaleur intense et agréable provenait du four, avant de sentir derrière son dos un petit vent chaud.

- Il fait chaud.

Il se retourna, coulant sur elle un regard dont lui seul avait le secret.

- J'ai réparé le chauffage, annonça-t-il simplement en déposant une assiette devant elle. Pendant que tu dormais.

- Oh...merci, bredouilla-t-elle en baissant les yeux.

- La poussette est arrivée.

Sienna releva les yeux sur lui tandis qu'il s'installait à la table. Son regard fermé lui serra la gorge, l'empêchant de déglutir.

- Si tu tiens à la garder, tu pourras l'emporter à Rhafar ainsi que le berceau, ajouta le sultan sur un ton catégorique.

Que dire ?

Sienna déchira un bout de pain en silence parce qu'elle ne savait pas quoi répondre à cela et n'avait pas la moindre envie de rentrer en conflit avec lui.

Elle attaqua le plat en sachant que son silence lui donnait l'avantage. Sans jamais relever le regard, Sienna savait que son regard de prédateur était sur elle, la fixant comme jamais aucun homme ne l'avait fait.

À la fin du repas et après avoir échangé des banalités sans importance, il se leva pour aller chercher un document laissé sur la console à l'entrée de la cuisine. Ensuite il revint s'asseoir et glissa le document dans sa direction.

Sienna l'affronta, gardant ses yeux fixés dans les siens alors qu'il portait le visage d'un homme déterminé et impitoyable.

- Signe s'il te plaît.

- Mohamed...

- Tu sais tout comme moi comment ça va se terminer alors signe Sienna.

- Pourquoi tant d'impatience ?

- Pourquoi tant d'hésitations ? Alors qu'il suffit de déchiffrer les lueurs dans tes yeux pour savoir tout ce qu'il y a à savoir sur tes sentiments à mon égard.

- C'est un peu présomptueux.

- C'est une réalité tout comme ce qu'il s'est passé dans la chambre tout à l'heure.

Elle fronça des sourcils.

- Tu m'as laissé toucher ton ventre, tu ne dormais pas, parce que j'ai peut-être perdu la mémoire, mais maintenant que je l'ai retrouvé, les souvenirs sont si précis que je peux te confirmer avec certitude que j'ai passé des heures à te regarder dormir sur le yacht, après t'avoir fait l'amour et je connais avec précision ta respiration quand tu dors.

Sienna ne put empêcher le rouge de lui monter aux joues.

- Pourquoi tu m'as laissé faire ?

- Parce que c'est ton enfant aussi ! Je ne suis pas un monstre.

- Mais moi j'en suis un ?

- En tout cas, tu en as l'apparence et tu n'as de cesse de le dire. Je crois même que tu aimes savoir que tu en es un.

Il demeura impassible, les mâchoires tendues.

- En effet j'aime savoir que j'en suis un, cela aide mes ennemis à se rétracter à temps.

Elle frémit sous le timbre sombre du sultan dont les yeux avaient pris des teintes menaçantes.

- Signe ce papier, ensuite je te demanderai de me...

- ...faire confiance ? Termina-t-elle à sa place.

Ses lèvres dures tréssautèrent de colère.

- Oui, je veux que tu me fasses confiance,

Il se leva pour la rejoindre et prit son menton dans sa main puissante.

- Tu veux signer ce papier, mais c'est la peur qui t'en empêche. Dans le fond tu veux être avec moi Sienna, et je te demande de me faire confiance une dernière fois.

Sans lui laisser le temps de réagir il captura sa bouche, écrasant son empreinte comme s'il désespérait de la marquer de son sceau une nouvelle fois.

Il plaqua ses mains sur ses joues dévorant ses lèvres avec une faim qu'elle ne lui connaissait pas.

Ensuite il s'écarta de sa bouche, murmurant des mots en arabe qu'elle ne pouvait pas comprendre, mais ils semblaient aussi forts que sa volonté de la faire sienne par ce papier.

- Je signerai ses papiers quand tu auras vu mon frère, et je suis certaine que tu peux comprendre à quel point je suis essentiel à sa vie, tout comme il est essentiel à la mienne.

Il grogna doucement, profondément irrité qu'elle n'ait pas cédé.

Puis soudain, il se caressa ses pommettes avec ses pouces en la dévisageant avec un regard énigmatique.

- Dans ce cas, commence à préparer tes affaires, car il ne me faudra pas longtemps pour le convaincre que ta place est à mes côtés.

Il posa un baiser sur son front et ajouta :

- Si tu es essentiel à sa vie, il comprendra que tu es essentiel à la mienne.

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