Chapitre 3
Automatiquement le coeur de Sienna s'emballa à une vitesse folle. Avec une lenteur délibérée elle prit le temps de se retourner parce qu'elle refusait de croire que cet homme qui allait détruire cet endroit ait pu franchir les portes de la librairie.
Poutant, lorsqu'elle se retourna totalement, Sienna découvrit le sultan Al-Rayar près de la porte, immobile, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon noir. Dans la salle, depuis l'estrade elle l'avait trouvé imposant, mais de près cela dépassait tout ce qu'elle avait pu s'imaginer. Sa carrure était si conséquente qu'elle avait rapidement eu l'impression que la librairie avait rapetissé.
Cette paire d'yeux qu'elle avait cru noir était en réalité parsemée d'éclats gris, mais le reste de son visage qu'elle avait détaillé dans la salle restait inchangé, mais plus impressionnant.
La bouche sèche, elle essaya de se ressaisir alors que l'homme dardait sur elle un regard inquisiteur et autoritaire.
Elle devait l'admettre, il était difficile de se concentrer devant un tel homme, mais l'idée qu'il soit l'auteur de la destruction de sa vie l'aida à contourner le comptoir.
Elle marcha ensuite jusqu'à la porte en évitant au mieux de lui montrer qu'elle boitait et retourna la pancarte.
- Maintenant elle indique que c'est fermé.
En faisant demi-tour elle huma involontairement une odeur musquée aux effluves épicés qui la troubla un instant.
- Vous m'avez interrompu de manière très impolie, déclara-t-il sur un ton étrangement calme.
Une fois et seulement une fois après être repassée derrière le comptoir, Sienna releva les yeux sur lui et dévisagea les traits altiers du sultan et son regard aiguisé par d'épais sourcils noirs. Ses cheveux d'ébènes n'étaient pas très courts et la coupe faisait qu'ils caressaient dangereusement sa nuque.
Sienna détourna les yeux en peinant à contenir la rougeur qui montait sur ses joues.
- Je n'ai rien interrompu du tout, j'ai tout simplement quitté cette réunion stupide et qui ne mènera à rien, finit-elle par dire sèchement.
- Peu m'importe comment cela c'est produit, vous m'avez coupé la parole, riposta le sultan sur un ton sombre.
- Et vous, vous êtes sur le point de détruire ma vie, répliqua-t-elle en redressant la tête tout essayant d'ignorer les battements désordonnés de son cœur.
Ses lèvres prirent un pli encore plus dur et ses mâchoires tressautèrent. Son regard était si pénétrant qu'elle avait l'impression qu'il était en train de fouiller son âme.
- À qui ai-je l'honneur de parler ?
- Une habitante de ce quartier qui n'a pas envie de partir.
À l'évidence, il n'avait pas pour habitude qu'on lui tienne tête, constata Sienna en décelant dans ses yeux une lueur orageuse.
Il s'approcha et sa grandeur menaçante la troubla, si bien qu'elle recula alors que c'était inutile puisque le comptoir les séparait.
- Soyez certaine que ce n'est pas une affaire personnelle mademoiselle ?
- Eh bien moi j'en fait une affaire personnelle car il s'agit de ma vie monsieur. Vous allez détruire ma vie et je m'y refuse.
- Vous serez dédommagé.
- Il ne s'agit pas d'argent, répliqua Sienna en peinant à respirer sous le poids de son regard qui la scrutait avec intensité. Il s'agit d'une vie, de ma vie et aucune somme d'argent ne pourra me faire oublier que c'est cette vie que vous allez faire disparaître.
Sienna baissa les yeux et toucha machinalement le carnet de ses parents en ravalant l'émotion qui menaçait de poindre devant cet homme et le silence qui s'ensuivit était loin d'être rassurant.
- Vous êtes la seule à vous battre contre une chose qui va tôt ou tard se produire, tous les autres habitants ont donné leur accord.
- À contrecœur ! S'écria-t-elle sidérée en relevant la tête. Pensez-vous qu'ils avaient le choix ? Aucun ! Où vivez-vous monsieur ?
- À Rhafar, répondit-il d'une voix pondérée.
- Dans un palais je suppose ?
- Effectivement, confirma-t-il sur le même ton.
- Aimeriez-vous monsieur le voir disparaître à coup de bulldozer ?
Son silence se mêla à une lueur menaçante qui traversa ses yeux gris.
- C'est bien ce qui me semblait, donc je vais rester ici et me battre pour ma maison et ma librairie. Si vous voulez abattre ces murs, il faudra le faire avec moi à l'intérieur.
Son cœur se mit à battre dans ses tempes, et un frisson glacé courut dans son échine.
- Dites-moi votre nom.
Il s'agissait d'un ordre qui avait claqué dans l'air comme un coup de fouet.
Tout en serrant les lèvres, Sienna se retourna pour faire mine d'être occupée.
- Vous ne voulez pas me le dire ? Savez-vous qu'il me faudra moins de cinq minutes pour l'obtenir ?
- Je ne vois pas en quoi ça vous avancera de connaître mon nom et mon prénom. Et je n'ai pas envie de le donner.
Le sultan lâcha une phrase en arabe qu'elle ne comprit pas, mais la manière avec laquelle il l'avait prononcé suffit à la faire frémir.
- Vous n'avez aucune idée de qui je suis n'est-ce pas ? Ou alors vous ne mesurez pas la dangerosité à laquelle vous, vous exposez en me parlant ainsi.
Sa voix doucereuse la poussa à lui faire face et elle ne put réprimer un hoquet en constatant qu'il s'était subtilement rapproché du comptoir.
- En effet je l'ignore, murmura-t-elle d'une voix absente en peinant à soutenir son regard gris foncé.
- Intéressant...
Sienna plissa le front en essayant de comprendre quel intérêt avait-il à venir ici alors qu'il n'avait pas l'intention de revenir sur sa décision.
Tout comme elle.
- Je vais me battre, même si ça s'annonce extrêmement compliqué, lui annonça-t-elle sans réfléchir avant de partir dans l'arrière boutique pour s'y cacher ou plutôt pour attendre qu'il décide de partir.
Les doigts agrippés à l'étagère, elle ferma les yeux en espérant entendre le son de la clochette dans les prochaines secondes.
Ce son qu'elle voulait entendre n'arriva pas aussi vite qu'elle l'avait espéré et elle dut rester assise dans le fond de la pièce dix bonnes minutes avant d'entendre la clochette retentir.
Enfin.
Sienna exhala un soupir tremblant et décida de sortir de sa cachette cinq minutes après son départ. Dehors régnait un calme trompeur et elle décida de sortir pour rejoindre son frère qui était au téléphone. Sans s'arrêter de parler avec son interlocuteur, il écarta son bras pour qu'elle se glisse contre lui.
Ce réconfort bienvenu ne dura pas longtemps mais il fut suffisant pour lui faire oublier à quel point cette matinée avait été éprouvante.
- Reste ici, je reviens, lui ordonna son frère en s'éloignant.
Armée de son chiffon qu'elle tortillait dans ses mains, Sienna suivit des yeux son frère quelques secondes puis décida de rentrer à l'intérieur.
Parce qu'elle avait l'impression d'être observée.
Ethan traversa sa route en ne quittant pas des yeux sa cible dont il connaissait le nom. Cet homme dangereux était donc le mystérieux homme d'affaires qui était sur le point de détruire ce quartier.
Mais pour lui ce n'était pas le pire.
Ce qui était le pire à ses yeux c'est cette façon avec laquelle il regardait Sienna depuis plus de cinq minutes.
Contre toute attente le sultan Al-Rayar réputé pour sa facilité à tuer sans compter s'approcha de lui et combla les derniers mètres qui les séparaient.
- Veuillez cessé de la regarder comme vous le faites, lança Ethan avant même qu'ils soient face à face.
- À l'évidence vous me connaissez.
- Effectivement, j'ai entendu parler de vous et on ne peut pas dire que ces informations étaient flatteuses à votre égard.
Le sultan resta impassible, un sourire frémissant sur les lèvres.
- Il ne faut pas toujours écouter les rumeurs qui courent monsieur ?
- Ethan Kendrick, et j'aimerais maintenant que vous arrêtiez de la regarder comme vous le faites.
Ethan n'avait pas l'intention de faiblir devant cet homme puissant. Peu lui importait de perdre son travail ou sa vie, il avait l'intention de le confronter, et de lui faire savoir qu'il n'était pas le bienvenu ici.
Cependant, le sultan ne semblait pas affecté par l'accueil qui lui était réservé. Il en fallait plus à un homme de sa hauteur pour plier ne serait-ce qu'un genou.
L'avantage qu'il possédait à ce moment-là, c'est son un mètre quatre-vingt-onze qui semblait égal à la taille du sultan qui le défiait silencieusement.
- Cette jeune femme fait obstacle à mon projet.
- N'essayez pas de me faire croire que vous allez suspendre ce projet parce qu'une seule personne vous fait obstacle.
- En général j'aime quand mes projets sont approuvés à l'unanimité.
Ethan souleva un sourcil étonné.
- Dans ce cas, vous feriez mieux de l'annuler car elle n'a pas l'intention de céder.
Malgré que ses yeux étaient sans cesse traversé par une lueur menaçante, le sultan accueillit cette information sans sourciller.
- Je suis pas ici pour causer du tort à qui que ce soit, commença-t-il sur un ton étrangement calme. Si le projet avait été rejeté en bloc je l'aurai annulé, mais il se trouve que les habitants de ce quartier ne l'ont pas rejeté.
- Parce qu'ils n'ont pas eu le choix, répliqua Ethan. Le maire ne leur a pas laissé le choix. Ce projet a été imposé et à juger votre expression je dirais que Roy Marshall vous a délibérément menti.
L'homme crispa légèrement ses mâchoires.
- En arrivant ici vous ne vous attendiez pas à ça, ce qui me laisse fortement penser que Roy Marshall vous a fait croire que le projet avait été adopté par l'enssemble des habitants, mais ce n'est pas le cas.
- Je vais régler cette affaire, dit-il avec une note menaçante dans la voix. En attendant, il est temps pour cette jeune femme d'accepter ce qui se fera dans quelques semaines. Elle sera dédommagée et elle pourra s'offrir une nouvelle maison et une nouvelle librairie.
Ethan émit un rire bref et rempli d'amertume.
- Aucune nouvelle maison ne pourra la satisfaire, prévint Ethan en le regardant droit dans les yeux. Pour vous ce n'est qu'une maison, une vulgaire librairie sans importance, mais pour cette jeune femme c'est bien plus que ça. Pour cette jeune femme, cet endroit est cher à son cœur.
Ayant peine à contenir sa colère, Ethan serra les lèvres avant de poursuivre sèchement.
- Un endroit où elle a passé toute son enfance, un endroit où elle construit son rêve de devenir danseuse et d'entrer à Juilliard avant que ce rêve disparaîsse à jamais un soir de février lorsqu'un chauffeur routier ivre mort a décidé de se mettre au volant de son camion et de percuter une voiture dans laquelle ses parents ont perdu la vie et dans laquelle cette jeune femme a miraculeusement survécue mais dont la jambe a été tellement broyée lors de l'accident que les médecins ont dû l'opérer une bonne dizaine de fois pour éviter l'amputation.
Les terribles souvenirs de cette époque étaient si pénibles qu'il serra les dents pour étouffer l'immense colère qui grimpait.
- Deux longues années de combat et neuf longs mois de rééducations, reprit-il en soutenant son regard froid. Et au moment où elle recommence à vivre, à marcher sans que la douleur la paralyse, au moment où elle retrouve un semblant de vie, on lui annonce que la maison de ses parents et tout ce qu'elle contient est vouée à disparaître à jamais parce qu'un milliardaire en a décidé ainsi. Voilà ce que ces murs représentent pour cette jeune femme monsieur Al-Rayar.
Un silence pesant s'ensuivit et dans lequel les deux hommes continuèrent à s'affronter du regard.
Ethan n'attendait rien de lui et encore moins qu'il se laisse attendrir par cette tragique histoire. Bien qu'il crut pendant une seconde voir dans ses yeux apparaître une furtive lueur de compassion.
- Cette jeune femme a énormément de chance d'avoir un fiancé comme vous, finit-il par dire simplement.
Ethan étouffa un rire.
- Pire que ça. Elle a énormément de chance d'avoir un frère extrêmement protecteur.
Sur cette dernière note sèche, Ethan tourna les talons pour rejoindre sa petite sœur qu'il devait maintenant convaincre de quitter cet endroit avant qu'il disparaisse à jamais...
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