Chapitre 29



Étrangement, le bruit de la pluie qui tombait depuis des heures lui procurait une sensation de bien-être. Allongée sur le canapé, elle referma le livre et s'étira en savourant les petits mouvements dans son ventre qui chaque jour lui rappelaient qu'elle allait bientôt devenir mère. Elle se leva en essayant de porter tout son poids sur sa jambe en bonne santé et se dirigea vers la cuisine pour se préparer à manger.

Aujourd'hui n'était pas un jour comme les autres parce qu'elle savait qu'à l'autre bout du globe quelque chose de très important se préparait. En effet, selon certains magazines américains, le sultan Al-Rayar était sur le point d'épouser cette femme.

Ce mariage scellait en quelque sorte sa fin. À partir d'aujourd'hui, plus rien ne serait comme avant.

Son cœur se serra si violemment qu'elle s'appuya sur le plan de travail pour tenter de faire passer la douleur. Ce mariage signifiait qu'il n'avait pas retrouvé la mémoire et qu'il l'avait définitivement oublié à jamais. Bien qu'elle s'était préparée à cette issue finale, Sienna souffrait en silence.

C'est vrai, dans un coin de sa tête elle n'avait pas pu s'empêcher d'espérer qu'il se souvienne d'elle.

Et ensuite quoi ?

Sienna demeurait toujours la fille du yacht désormais enceinte et portant un enfant issu d'une aventure hors mariage.

Quand la douleur devenait insupportable elle se confortait avec cette pensée. Elle avait pris la bonne décision pour se protéger. Une partie d'elle était en colère et terrifiée tandis qu'une autre se sentait écrasée par la tristesse d'être encore une fois privé d'un bonheur, même d'un bonheur imparfait.

Elle en voulait à cet homme de lui avoir fait croire qu'il était spécial et qu'avec lui elle se sentirait toujours en sécurité. Elle lui en voulait de l'avoir bercé de promesses qu'il n'avait pas tenues.

En revanche, elle ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir voulu protéger son île mystérieuse au péril de sa propre vie.

Avec un soupir tremblant alors que ce silence constant la rendait nerveuse, elle marcha jusqu'au frigidaire et l'ouvrit.

Elle regrettait presque d'avoir poussé son frère à vivre un peu sa vie et d'arrêter de s'inquiéter sans cesse pour elle. Il se trouvait à Los Angeles avec Lara pour un voyage d'affaires important et leur retour était prévu demain.

Sienna sortit de quoi se faire un sandwich rapide quand soudain elle entendit cogné à la porte.

Son cœur s'emballa aussitôt parce que personne hormis son frère et Lara venaient lui rendre visite. Au bout de sa folie, elle secoua la tête en se souvenant de sa commande passée dans la semaine.

- Tu vas finir par devenir complètement folle, souffla-t-elle en allant ouvrir.

Sienna dont le regard était baissé aperçut d'abord une paire de chaussures noires en cuir et remonta lentement les yeux sur le pantalon noir de son visiteur.

Une petite brise d'air frais lui envoya un parfum qui ne lui était pas méconnu et aussitôt ce parfum l'immobilisa. Elle se savait folle par moment, paranoïaque à force d'être recluse dans cette maison, mais quand son regard atteignit le haut du corps de son visiteur, Sienna cessa de respirer.

Sans attendre plus longtemps et releva complément les yeux alors que l'imposante stature de l'homme projetaient des ombres effrayantes sur elle. Cette aura hors du commun, cette gorge puissante, ce teint hâlé et enfin...cette balafre.

Sienna se retint à la poignée de porte parce qu'elle vacillait déjà et ce fut pire quand elle atteignit ses yeux gris sévères et pénétrants.

Tout son être se figea dans une profonde léthargie alors que cet homme qui allait et venait dans sa vie comme une tempête de sable la dévisageait avec un regard puissant et différent.

Elle ne savait pas quoi faire, et sa gorge était tellement serrée qu'aucun son ne parvenait à remonter.

Puis soudain, un mouvement précieux dans son ventre l'obligea à sortir de son état second.

Dans un élan poussé par son instinct, elle s'empressa de refermer la porte mais une main puissante l'en empêcha.

Sienna rouvrit la porte brutalement et comprit trop tard qu'elle n'aurait jamais dû le faire.

Le sultan entra et referma la porte derrière lui. La respiration affolée, Sienna ne savait pas comment réagir jusqu'à ce qu'il fasse tomber sa paire d'yeux sur son ventre.

- Qu'est-ce que vous me voulez ? Que faites-vous ici ? Parvint-elle à dire en battant des cils.

- Je suis venu jusqu'ici pour te ramener avec moi, répondit-il de sa voix graveleuse.

Le cœur de Sienna s'arrêta presque. Un bourdonnement sourd gronda dans ses oreilles alors qu'il la scrutait avec une puissance déroutante.

Elle plissa les yeux, cherchant à déceler si elle avait affaire au sultan amnésique ou au sultan qui l'avait laissé devant la librairie.

Pourtant la réponse était devant elle depuis qu'elle avait ouvert la porte et qu'il la regardait avec cet air possessif et impitoyable comme si rien ni personne ne pourrait aller contre sa volonté suprême.

- Sienna...

Elle recula d'un bond.

- Qu'est-ce que...

- Tout ce qui s'est passé est de ma faute, commença-t-il en s'avançant prudemment et en continuant de descendre et de remonter ses yeux sur elle. Il faut que l'on parle. Nous devons parler.

Sa voix pénétrante et puissante ne mit pas longtemps à lui faire battre le cœur follement. Ensuite, tout, absolument tout remonta à la surface. La tristesse, la douleur, les espoirs et le désespoir, la sensation d'être seule et abandonnée ou bien l'idée terrifiante qu'il puisse l'enfermer quelque part pour que cette grossesse ne soit jamais révélée.

- Je n'ai rien à te dire, lâcha-t-elle d'un souffle en s'éloignant.

Elle posa ses mains sur son ventre rond en marchant avec hâte dans la direction opposée à la recherche d'une issue de secours.

- Je t'en prie ne fais pas ça Sienna, dit-il en la rattrapant par le bras.

Elle tenta de se dégager en affrontant son regard qui voguait entre la colère et le désespoir.

- J'ai retrouvé la mémoire et à l'instant précis où mes souvenirs sont revenus j'ai sauté dans mon jet pour être ici afin de réparer tout ce que je t'ai fait.

- Et par quel miracle tu as retrouvé la mémoire ?

- L'ange de la mort m'a rendu visite.

Elle poussa un rire amer en lui tournant à nouveau le dos.

- J'aurais dû le réaliser plus tôt, j'aurais dû comprendre les signes, mais j'étais trop occupé à me torturer l'esprit qu'à voir ce qui était devant moi.

Sienna contourna le plan de travail pour se réfugier, les mains tremblantes.

- Comment tu m'as retrouvé ? Demanda-t-elle en pliant tout ce qui lui passait entre les mains.

- Est-ce vraiment important ?

Pour lui non, mais pour elle ça l'était, même si elle connaissait la réponse à sa question. Elle avait peur de le regarder dans les yeux et de se savoir incapable de résister.

- Sienna regarde-moi.

Elle résista à sa voix impérieuse aux intonations graves en se mit à plier un tas de serviettes inutiles.

- Tu aurais dû essayer de me le dire.

Comme si elle avait reçu un choc en plein visage, elle redressa la tête pour planter son regard dans le sien.

- Essayes-tu d'insinuer que je suis la fautive ?

- Non, mais tu aurais dû essayer de me le dire.

Estomaquée, elle le fusilla du regard.

- Comment tu peux imaginer une seule seconde que je n'ai pas essayé et comment peux-tu penser une seule seconde que j'aurais pu être assez stupide pour prendre un risque aussi élevé ?

- Mes lois ne te concernent pas Sienna, articula-t-il en posant son poing fermé sur le plan de travail.

- Oh et selon toi j'aurais dû le deviner toute seule ? Je ne sais pas qui tu es Mohamed, je ne sais rien de toi.

Ses lèvres se mirent à frémir alors qu'il ressemblait à un animal sauvage qui se retenait de sauter sur sa proie.

- Je ne sais pas réellement qui tu es et tu n'as pas le droit de débarquer ici et me dire que j'aurai dû essayer quoique ce soit. Tu m'as attiré sur ton bateau sur lequel j'ai cru absolument tout ce que tu me disais et quelques jours plus tard tu m'as laissé devant la librairie sans aucun moyen de te joindre. Tu m'as seulement dit de t'attendre ce que j'ai fait !

- Et ensuite, le destin nous a réunis une seconde fois, poursuivit-il avec force. Le destin à choisi de te remettre sur ma route et cela fait des heures que je me remémore ce moment et de ce que j'ai ressenti en te voyant ce jour-là. J'ai insisté auprès d'Arif pour qu'il t'ordonne de venir travailler au palais. Au fond de moi je savais que c'était toi.

C'était une torture de ne pas pouvoir l'approcher. Mohamed subissait la pire punition de toute sa vie et n'arrivait pas à l'accepter.

Elle était là, devant lui, plus belle que jamais, les joues plus pleines. Il résistait de toutes ses forces pour ne pas la soulever dans ses bras et l'emmener avec lui qu'elle le veuille ou non.

- Une part de moi était conscient que c'était toi, reprit-il en s'interdisant d'approcher plus. Tu aurais dû insister dans la tente Sienna. Tu avais des arguments à ton avantage.

- Pas suffisamment pour convaincre un homme aussi impitoyable que toi. Je n'avais aucune garantie que tu allais me croire. Rien absolument rien n'était en ma faveur et tu le sais. Tu ne peux pas venir jusqu'ici et me reprocher de ne pas avoir essayé alors que j'ai fait le voyage jusqu'à Rhafar parce que je voulais comprendre pourquoi tu m'avais regardé comme une inconnu. Je ne remets pas en cause ton engagement envers ton peuple et encore moins l'accident qui t'a privé de ta mémoire, mais tu ne peux pas comprendre.

Les yeux larmoyants elle baissa la tête.

- Je ne sais pas qui tu es, répéta-t-elle en secouant la tête. L'homme que j'ai vu à Rhafar était complètement différent de celui que j'ai connu à New York.

- Tu as connu l'homme et le souverain, ils ne sont pas différents l'un de l'autre, ils se complètent.

Sienna serra les lèvres tout en essayant d'oxygéner son cœur qui battait de plus en plus vite.

- Tu as eu peur de mes lois, reprit-il d'une voix plus calme en contournant le plan de travail.

- En effet, j'ai eu peur de tes lois parce que tes lois sont tout simplement effrayantes.

- Elles ne te concernent pas, déclara-t-il en peinant à déguiser sa colère. Cependant tu ne pouvais pas le savoir parce que j'aurais dû m'y prendre autrement.

Sa grande main se posa sur la sienne afin qu'elle s'arrête de plier les serviettes.

- Viens t'asseoir, que je puisse t'expliquer.

Sa proximité la rendait nerveuse, la sensation de sa main rugueuse sur la sienne lui envoya des frissons dans la nuque.

Elle s'écarta doucement en essayant d'ignorer les effluves de son parfum qui lui piquaient le nez et se dirigea jusqu'au petit salon pour s'installer sur le canapé.

- Quand je suis parti, quand je t'ai laissé, je suis rentré en urgence à Rhafar parce qu'un homme qui a tenté de renverser Rhafar avec mon oncle voulait s'en prendre aux villages les plus reculés de l'île pour se venger. Avant d'apprendre ses intentions, j'avais prévu de t'emmener avec moi, mais je ne pouvais pas prendre ce risque. C'était trop dangereux. Je suis parvenu à l'arrêter, mais je n'avais pas prédit cette explosion. Quand j'ai repris connaissance j'avais perdu la mémoire. Quelques jours plus tard, je suis rentré au palais et je suis tombé sur ces papiers que j'avais signé en avance. Ces papiers sont la première étape d'un mariage royal. En signant ces papiers hautement importants je faisais de moi un homme à demi marié. La dernière étape c'était toi. Mon erreur c'est de ne pas avoir inscrit ton nom et ton prénom sur ces papiers. J'ai perdu un temps considérable que je dois désormais rattraper.

Sienna déglutit péniblement alors qu'il n'arrêtait pas de baisser son regard sur son ventre.

- Tu m'as pratiquement jeté hors de ton pays.

- Parce qu'à ce moment-là je craignais que mes agissements m'obligent à prendre de graves décisions. Je t'ai emmené dans cette tente, j'ai pratiquement avoué que c'était un enlèvement et en prouvant ma bonne foi en te laissant partir, je voulais éviter un scandale. J'aurai dû écouter mon instinct et te laisser rester au palais.

Il se leva brusquement en se passant une main rageuse sur le visage.

- J'aurai dû écouter cette petite voix dans ma tête qui me disait sans cesse que tu n'étais pas là par hasard, ajouta-t-il en s'approchant du canapé.

Il s'installa sur la table basse et son visage était si proche du sien qu'elle avait l'impression de perdre sa capacité à réfléchir.

- Comment as-tu su ?

Son regard tomba sur son ventre et une expression indéchiffrable creusa son visage.

- On me l'a dit, je l'ignorais encore hier matin, répondit-il avec amertume.

- Tu es ici pour lui ou pour moi ?

- Pour vous deux, dit-il à la hâte en plantant son regard dans le sien. Je dois te ramener maintenant.

- Me ramener ? Parce que tu penses que je vais te suivre sans un mot ? Tu penses que j'ai suffisamment confiance en toi pour faire une folie pareille ?

- Oui, dit-il sur un ton impérial qui la fit frémir. J'ai perdu suffisamment de temps comme ça, cinq mois et trois semaines pour être précis. Je n'ai pas la moindre intention d'en perdre plus.

- Et moi ça fait cinq mois que je me démène pour t'oublier et reconstruire ma vie, cinq mois dans lesquels j'ai pris des risques, cinq mois où j'ai vécu dans la peur. Tu ne peux pas débarquer ici et exiger que je vienne avec toi. Je n'ai pas confiance et je ne sais pas qui tu es.

- Au contraire, tu sais exactement qui je suis et c'est pour ça que tu as si peur de me suivre Sienna. Quand je t'ai dit que tu es celle que j'attendais sur le yacht j'étais extrêmement sérieux et aujourd'hui c'est encore pire.

- Qui me dit que ce n'est pas un piège.

Un éclair d'orage courut dans ses yeux gris.

- Tu penses que je vais te ramener là-bas pour te piéger. Est-ce ainsi que tu me vois Sienna ?

Elle se leva d'un bond, mais il en fit de même, la dominant de sa superbe hauteur.

- Je ne sais pas qui tu es, mais je sais une chose, tu es dangereux et toutes les épreuves que j'ai dû affronter depuis que tu es rentré dans ma vie me font craindre que...

- Ces lois, ne te concernent pas, articula-t-il d'une voix méconnaissable. Tu es ma femme, tu vas devenir ma femme religieusement, donc je le répète ces lois ne te concernent pas.

Tentant au mieux de juguler sa panique, elle s'éloigna de lui et de son odeur de mâle qui l'empêchait de se concentrer.

- Tu m'appartiens, lâcha-t-il fermement. Toi et cet enfant, vous m'appartenez.

Elle se retourna violemment pour lui faire face.

- Tu parles comme un homme des cavernes j'espère que tu t'en rends compte.

- J'en suis un, je n'ai jamais prétexté le contraire et tu le savais en montant sur ce yacht avec moi. Je suis le coupable et chaque seconde de chaque minute ce que j'ai pu te faire endurer me ronge, mais si tu penses une seule seconde que je suis le genre d'homme qui accepte qu'on lui claque la porte au nez alors tu ne me connais pas effectivement.

Sienna sentit sa poitrine se comprimer dans un étau.

- Mon frère...

- Je sais, la coupa-t-il en fermant le poing. D'ailleurs où est ce papier qui m'interdit d'approcher ma femme ?

- Il veut me protéger.

- Ça tombe bien moi aussi. Je sais qu'il doit me haïr mais il ne m'empêchera pas de t'approcher. Le meilleur conseil que je peux donner à ton frère c'est de ne pas m'avoir comme ennemi.

- Et moi je te conseille de ne pas t'en prendre à Ethan qui est la seule personne au monde qui jusqu'ici ne m'a jamais abandonné.

Le sultan serra les mâchoires et accusa le coup en silence.

- Je ne ferais rien qui puisse te faire du mal, mais il n'est pas question que je parte sans toi. Alors je vais attendre patiemment que ton frère revienne de son voyage pour faire les choses convenablement, mais sois certaine Sienna que je ne partirais pas sans toi...

Ce n'était pas une menace, mais la promesse d'un homme chargé de remords...

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