Chapitre 23




Galvanisée par une sensation écrasante, Sienna descendit les marches qui menaient vers ce jardin magnifique et captivant. Les vasques dans lesquelles jaillissaient des flammes illuminaient les allées d'une couleur flamboyante.

Les odeurs des fleurs et des plantations dans cette nuit étrangement fraîche l'apaisaient. Alors elle descendit le reste de l'escalier et se laissa tenter par le chemin à sa droite.

Seulement une main ferme et chaude s'enroula autour de son bras et elle fut tirée en arrière. Elle rencontra un bloc dur sur lequel elle posa sa main pour le repousser puis une odeur de mâle qui ne lui était pas méconnu l'obligea à se ressaisir.

- Doucement, c'est moi.

Sienna dévisagea le sultan en essayant de reprendre son air bloqué dans sa poitrine. Il avait surgi de nulle part et elle avait pris peur.

Il desserra sa prise sur son bras mais ne le lâcha pas.

Son cœur s'accéléra inévitablement et elle tenta de déchiffrer cette implacable dureté affichée sur son visage.

- Qu'est-ce que vous faites ? J'ai eu peur, dit-elle dans un souffle en l'accusant du regard.

- Je vous prie de m'excuser, je ne voulais pas vous faire peur. Je peux savoir ce que vous faites ?

Il n'avait toujours pas lâché son bras, au contraire sa prise devenait peu à peu plus ferme.

- Je suis sous surveillance ? Lui demanda-t-elle sur un ton nerveux et sec.

Le sultan se rembrunit brutalement.

- Non, mais si vous le souhaitez je peux vous mettre sous surveillance.

Il ne plaisantait pas et sa voix sombre et menaçante en fut la preuve.

- Je voulais me promener tout simplement, dit-elle dans la précipitation. Et vous ? Pourquoi vous me suivez ?

Il lâcha enfin son bras, mais il semblait l'avoir fait à contrecœur.

- Vous avez l'impression que je vous suis ? Dit-il d'une voix de gorge qui lui envoya un courant de frissons dans le dos.

- Eh bien cette réception est pour vous, répondit-elle en jetant un bref regard vers les balcons remplis d'invités. Je peine à comprendre ce que vous faites ici au lieu d'accueillir vos invités.

- Ces personnes n'ont pas besoin de moi, ils ont l'habitude de venir au palais en revanche ce n'est pas votre cas.

- Je ne suis pas perdue, dit-elle en fronçant des sourcils, interloquée par son ton froid et accusateur.

- Pas encore, précisa-t-il en dardant sur elle un regard qui lui envoya une onde de chaleur dans le bas-ventre.

Sienna prenait au sérieux les nombreux signaux d'alerte que son corps lui envoyait depuis qu'elle était enceinte. Une tempête d'hormones qui jusqu'ici l'avait épargné.

- Les jardins sont un véritable labyrinthe, et il est facile de s'y perdre. Surtout la nuit.

- Oh...

Les traits ciselés de son visage devinrent plus doux sans doute parce qu'il devait se moquer d'elle intérieurement.

- Alors je ferais mieux de rentrer.

- Je peux vous servir de guide, proposa-t-il en plaçant sa main dans son dos.

Sienna n'eut guère le choix quand il la détourna du palais pour emprunter le chemin.

- Pourquoi proposer quelque chose que vous avez déjà décidé ? Est-ce qu'il vous arrive parfois d'attendre une réponse ou votre autorité est sans limite ?

- À quoi bon attendre la réponse alors que vous aviez l'intention d'y aller seule ?

Sienna serra les dents et lui semblait se satisfaire d'avoir encore eu le dernier mot.

Pourquoi la suivait-il partout ?

Était-ce un espoir ? Était-il sans le savoir attiré par elle parce qu'ils avaient vécu quelque chose d'inoubliable par le passé ?

Était-ce son esprit qui lui envoyait des signes ou était-ce un simple hasard ?

- Cette réception a été organisée pour trouver cette femme alors pourquoi ne pas y aller ? Lança-t-elle sans réfléchir et en s'arrêtant brusquement.

Le visage du sultan n'avait jamais été aussi dur qu'à cet instant.

- Parce que je n'ai plus envie de chercher et parce que je pense qu'elle n'a jamais existé.

La douleur qui lui serra la poitrine était si pénible qu'elle ne put empêcher l'expression de désespoir qui commençait à naître sur son visage.

- Je pense que j'en ai eu assez de chercher une femme capable de correspondre à mes attentes et que j'ai signé ces papiers par dépit. Ce qui signifie que j'ai opté pour l'option numéro deux qui est celle d'épouser Farah.

- Comment pouvez-vous en être certain ?

Il fronça des sourcils en la fixant d'un air énigmatique.

- Il n'y a aucune autre explication.

Sienna se mordit la lèvre pour se retenir de rétorquer n'importe quoi qui puisse le faire changer d'avis.

- Vous n'avez pas l'air de cet avis ?

- En effet je ne le suis pas, répondit-elle si vite qu'elle le regretta aussitôt.

Il l'étudia avec son regard gris qui dans la pénombre était encore plus pénétrant et elle sut alors qu'elle aurait dû se taire.

- Veuillez développer, je serais très intéressé de connaître votre opinion sur le sujet.

- Vraiment ? Pourtant ce n'est pas ce que vous m'avez dit le premier jour et je me rends maintenant compte que j'aurai dû me mêler de mes affaires.

Elle voulut le dépasser mais il lui barra le passage et posa ses doigts sur son coude.

- Vous avez signé un contrat, lui rappela-t-il posément. Vous êtes libre de parler à celui qui vous l'a fait signer et j'aimerai bien connaître votre avis.

Le ventre noué, la gorge sèche, Sienna se pinça les lèvres.

- Vous avez la conviction qu'il y a une femme et ce depuis le début. Vous avez peut-être perdu la mémoire, mais votre instinct, lui, ne semble pas vous faire défaut. Vous...vous avez l'air d'un homme qui sait ce qu'il veut et qui suit son instinct. Peut-être que...peut-etre que cette femme a tout simplement peur de se manifester ou peut-être que vous êtes parti sans lui laisser un moyen de vous contacter.

Sienna avait parlé si vite qu'elle dut inspirer brutalement pour reprendre son air.

" Quelle idiote ! " se cria-t-elle intérieurement.

Dans un silence pesant et presque effrayant, Sienna leva les yeux vers lui. Impassible, l'homme la dévisagea longuement sans un mot.

- Oubliez ce que je viens de vous dire, c'est complètement ridicule.

- Non bien au contraire, c'est une théorie qui se tient.

Soulevée par un fol espoir, elle examina avec attention les lueurs dans ses yeux sans parvenir à les déchiffrer.

- Vraiment ?

- Oui, dit-il simplement en lui prenant le bras pour la guider plus loin dans le jardin.

Ce qu'elle venait de dire était la triste vérité.

Le sultan avait été poussé par son instinct. Ensuite il était parti sans lui donner aucun moyen de le contacter.

- Alors que comptez-vous faire ?

- Pour l'instant j'ai décidé de ne rien faire, répondit-il en l'invitant à s'asseoir sur un banc. Je ne veux plus pousser ma mémoire à se souvenir, je veux arrêter de chercher. Plus je cherche à fouiller dans les profondeurs de ma mémoire, plus je deviens fou. Cependant vous m'avez aidé à prendre une décision ce soir.

- Ah oui ?

Les mains moites, elle cessa de respirer.

- Je me laisse un mois avant de prendre ma décision. Si au terme de ces trente jours ma mémoire ne m'a donné aucune réponse alors tout sera terminé. Je ne peux plus me permettre d'attendre mademoiselle Kendrick.

- Attendre ?

- Je veux une épouse, je veux des enfants, je veux tout ce que je n'ai pas pu avoir avant la guerre et après.

Contre toute attente, son visage sévère se mua en une émotion qu'il dut combattre en serrant les mâchoires.

- J'ai peut-être perdu quelques semaines de souvenirs, mais je n'ai pas oublié ce que la guerre m'a arraché et ce qu'elle m'a révélé.

Sienna ne pouvait échapper aux souvenirs de sa peau acérée de cicatrices...des cicatrices qu'elle avait touché du bout des doigts.

Impuissante, elle baissa la tête en inspirant profondément.

- Il se passe quelque chose que je n'explique pas, lâcha-t-il soudain.

Comme suspendue dans le vide, paralysée, Sienna redressa lentement de la tête.

- Que voulez-vous dire ?

Il s'approcha du banc, des ombres projetées sur son visage.

- Il se passe quelque chose quand je suis proche de vous et j'ignore ce que c'est.

Le cœur battant la chamade, Sienna se leva brusquement du banc et vacilla légèrement.

- Est-ce que je me trompe ? Insista-t-il en comblant les derniers centimètres qui les séparaient.

- Eh bien...

Sa main virile et calleuse se posa sur son menton et il le tenait si fermement qu'elle n'eut d'autre choix que de le regarder droit dans les yeux.

- Est-ce qu'il y a quelque chose que je devrais savoir mademoiselle Kendrick ? Insista-t-il d'une voix impérieuse.

Tout se passa si vite qu'elle en eut le vertige. Un bruit sur le chemin obligea le sultan à retirer sa main avec hâte et elle recula instinctivement.

- Mohamed ?

Cette voix cristalline acheva de la faire reculer totalement. Elle se tourna vers cette voix féminine et découvrit qu'elle appartenait à la fameuse Farah.

Sur le côté elle pouvait sentir le poids du regard du guerrier qui ignorait totalement la présence de Farah.

La situation était si gênante qu'elle aurait voulu disparaître dans un tourbillon de sable.

- Arif te cherche partout, dit-elle avec un sourire langoureux.

Sienna força un sourire dans la direction de cette femme qui lui répondit par un regard torve.

Devait-elle se satisfaire de constituer une menace pour cette femme qui était proche du trône ?

- J'arrive immédiatement, dit-il d'une voix rêche.

La puissance de son regard posé sur elle était si intense et dangereuse qu'elle se déplaça vers Farah puis décida de lui faire face.

Il ne la quittait pas des yeux, et son regard était noyé dans une noirceur telle qu'elle frémit.

- Veuillez m'excuser de vous avoir retenu avec toutes mes questions, déclara-t-elle en forçant un sourire.

Elle s'effaça dans le chemin et s'empressa de rejoindre le palais. Elle traversa la salle du trône avec empressement et rejoignit le hall sans se retourner.

Livide elle entra dans la chambre et fonça dans la salle de bains pour s'y enfermer. La respiration erratique, elle se colla à la porte en fermant les yeux.

Que venait-il de se passer ? Qu'avait-elle fait ou dit ?

Elle pouvait entendre la voix de son frère lui hurler qu'elle aurait dû l'écouter même s'il la pensait à Paris.

Essoufflée et trouva la force d'atteindre les vasques du lavabo et se passa un peu d'eau sur le visage.

Dans un tourbillon d'incertitudes, elle quitta la salle de bains et ne s'attendait pas à trouver Arif à l'entrée de sa chambre.

Ça y est...Sienna avait l'impression d'être happée par les ténèbres.

Le bras droit du sultan ne se contentait pas de la regarder, il l'étudiait avec minutie, le regard sérieux et inquiet.

- Que se passe-t-il monsieur ? Demanda-t-elle d'une voix qu'elle voulait calme.

- Je vous informe que vous devez vous tenir prête demain matin pour partir en excursion.

- Qu...quoi ? Quelle excursion ?

- Sa Majesté prévoit un voyage dans le désert, plusieurs personnes sont conviées et vous en faites partie.

- Je regrette mais j'ai du travail, dit-elle le cœur battant.

- Demain nous sommes samedi, vous ne travaillez pas alors cela ne posera aucun problème.

Son cœur battait de plus en plus vite et elle n'aimait pas du tout la façon avec laquelle Arif la regardait. Il y avait dans ses yeux un mélange d'inquiétudes, d'espoirs et de méfiance.

- Pour être honnête avec vous mademoiselle Kendrick, c'est une exigence du sultan, alors tenez-vous prête à l'aube. Rania vous aidera à vous vêtir pour le voyage.

Sienna cessa de respirer, de bouger, interdite alors qu'il avait déjà quitté la chambre en prenant soin de refermer la porte.

Ce n'était pas un hasard, elle le savait. Elle était partie, elle s'était presque enfuie dans le jardin et lui était désormais persuadé qu'elle savait quelque chose.

Elle n'avait pas essayé de l'en dissuader. Elle n'avait rien fait pour le détourner de sa certitude qu'elle savait quelque chose.

Sienna s'installa sur le rebord du lit en scrutant sa valise.

Devait-elle s'enfuir ?

Devait-elle continuer à espérer ?

Cette excursion dans le désert ressemblait à un piège et le fait qu'il ordonne sa présence ne laissait aucune place au doute.

Le lendemain, à l'aube, Sienna reçut la confirmation qu'elle avait redouté toute la nuit lorsque Rania s'était présentée dans la chambre pour l'aider à se préparer.

La femme si douce et bienveillante ne la regardait plus comme une simple employé du palais.

Elle la regardait avec méfiance et il ne faisait aucun doute qu'à ses yeux, elle était devenue une femme parmis toutes celles qui avaient tenté de piéger le sultan...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top