Chapitre 19




La peur grandissait à mesure que l'avion descendait sur la piste d'atterrissage. Comme redouté, son frère avait tenté de l'empêcher de partir. Pire. Il était devenu fou en apprenant sa grossesse. Pas parce qu'elle était enceinte, mais parce qu'il n'y avait pas de père ou plutôt elle lui avait menti au sujet du père de cet enfant.

Sienna ne mentait jamais et n'avait jamais menti de toute sa vie et elle comprenait mieux pourquoi.

Se perdre dans les mensonges était épuisant et terrifiant.

Mentir à son frère était pour elle le plus terrible et le plus insupportable, mais dans un sens elle le faisait pour le protéger.

Elle connaissait suffisamment Ethan pour être certaine qu'il serait capable de n'importe quelle folie pour elle.

Lui dire qu'elle avait été sur ce yacht avec cet homme qui avait voulu détruire sa maison et la librairie et que ce même homme était le père de cet enfant était la dernière chose qu'elle souhaitait.

Agitée, en proie au doute, il était malheureusement trop tard pour reculer dans sa décision.

Aujourd'hui elle s'apprêtait à revoir cet homme et après une longue réflexion, Sienna se sentait prête à ce sacrifice pour son bébé.

Le salaire était bel et bien conséquent et elle avait besoin de cet argent pour l'avenir de son enfant.

Après tout, il s'agissait seulement d'un travail d'une durée de trois mois.

Trois petits mois.

- Tu es capable de le faire, se murmura-t-elle à elle-même en fermant les yeux quand l'avion se posa.

Quel risque prenait-elle ?

De souffrir ?

C'était déjà le cas.

Avec un peu de chance elle n'allait pas le croiser souvent, pensa-t-elle pour se rassurer.

Quelques fois Sienna se demandait si elle n'avait pas accepté cette offre uniquement pour comprendre et le confronter.

Non...

Mauvaise idée, se dit-elle intérieurement en se rappelant les lois rédigées par le sultan et qui la mettaient en danger.

Sienna quitta l'avion en prenant garde de ne pas tomber tant ses jambes tremblaient.

Le vent était chaud et l'air marin agréable. Le paysage était somptueux, spectaculaire.

L'île Rhafar était bel et bien un mystère qui immédiatement lui rappela le sultan.

Captivée par ce paysage idyllique Sienna s'aperçut après coup qu'une voiture l'attendait.

Timidement, elle souleva sa valise et s'approcha du véhicule sans savoir ce qui l'attendait.

Le ventre noué elle monta dans la voiture et se laissa conduire en vérifiant qu'elle avait bien son téléphone avec elle.

Avait-elle pris la bonne décision ?

Pour le moment elle l'ignorait, mais plus la voiture progressait dans une grande partie du désert, plus elle l'angoisse montait.

C'était un désert aride et à la fois captivant et brut. Les dunes se ressemblaient et sur le sommet, du sable s'échappait comme si un vent silencieux soufflait sans cesse sur celles-ci.

Le cœur battant la chamade, elle tourna la tête de l'autre côté et suivit des yeux la mer bleue qui étrangement frappait les rocheuses de façon spectaculaire.

Soudain la voiture se mit à ralentir et elle tourna aussitôt la tête en direction du pare-brise.

Une immense grille de plus de quatre mètres de haut s'ouvrit et la voiture s'engouffra dans une allée pourvue de plantations méconnues et magnifiques.

La panique grandissait à mesure que la voiture montait cette allée.

Ensuite, une immense bâtisse couleur sable se présenta à elle.

Le palais...

Il était splendide et hors du temps moderne. Un immense palais composé d'imposants balcons et de fenêtres cintrées.

À la pensée même que cet homme possède un tel trésor, une telle splendeur lui donna une raison supplémentaire de ne rien dire et d'accepter cet argent sans remords.

Et pourtant, malgré toutes ces belles paroles qu'elle se murmurait intérieurement, Sienna était pétrifiée à l'idée de le revoir.

Pourquoi avait-elle accepté ?

Était-ce pour comprendre pourquoi il lui avait fait croire tant de belles choses pour ensuite les lui reprendre ?

Peut-être...

Elle inspira profondément au moment où la voiture s'arrêta devant de grandes marches imposantes et interminables.

Elle craignait de ne pas pouvoir les monter et resta de longues secondes immobile dans la voiture avant que la présence d'Arif Bakir l'oblige à sortir de la voiture.

- Bonjour mademoiselle Kendrick, c'est un plaisir de vous revoir.

Sienna s'efforça de sourire tout en contrôlant la nausée qui menaçait de poindre.

Le plus angoissant c'était de ne pas savoir où se trouvait le sultan.

Elle craignait qu'il débarque de nulle part et qu'elle soit dans l'incapacité de réprimer ses émotions.

- Quand dois-je commencer ? Demanda-t-elle en grimpant les marches en essayant de ne pas lui montrer que sa jambe souffrait.

- Bientôt, mais avant ça, son altesse va prendre le temps de vous recevoir.

Ses tempes se mirent à bourdonner et elle se tourna aussitôt vers lui.

- Pour quelle raison ?

Arif Bakir fronça des sourcils en l'étudiant avec attention.

- Parce que son altesse doit vous expliquer certaines choses.

Sienna déglutit péniblement en oubliant presque de savourer l'architecture incroyable du palais.

Incapable de tenir plus longtemps dans l'incertitude et l'incompréhension, Sienna lança sans réfléchir.

- L'une de mes amies m'a dit avoir déjà rencontré le sultan dans sa ville, et elle était surprise de vous voir.

Arif Bakir plissa le front en l'interrogeant du regard.

- Enfin je veux dire qu'elle m'a parlé d'un homme qui à ce moment-là accompagnait le sultan, un certain Amar El-Hadid.

Il se ferma aussitôt et une lueur triste gagna son regard bienveillant.

Il hésita longuement et prit même le temps de la guider dans le hall comme s'il voulait gagner de précieuses secondes.

- Puisque vous êtes là et pour une durée de trois mois, vous êtes en droit de savoir deux ou trois détails importants.

Sienna garda le silence par crainte de l'arrêter dans son élan.

- Amar El-Hadid nous a quitté, commença-t-il tristement. Il est mort.

Un frisson glacé la parcourut.

- Je suis sincèrement désolée.

Arif s'arrêta à mi-chemin dans l'immense hall.

- Alors que nous pensions que la guerre était terminée, l'ancien commandant de l'oncle du sultan a essayé de combattre une dernière fois sans doute poussé par son égo. Le sultan est revenu en urgence pour le combattre et protéger les villages reculés.

Il marqua une pause, le regard baissé et hanté par des souvenirs qui semblaient douloureux.

- Son Altesse est parvenue à le tuer, mais en sortant du village, un engin a explosé à proximité du convoi qui transportait l'unité. Le sultan était à cheval au moment où l'engin a explosé. Amar se trouvait dans l'une des voitures et il n'a pas survécu.

Sienna porta la naissance de ses doigts à ses lèvres et sa tête se mit à tourner.

- Mon dieu, murmura-t-elle en dévisageant le sol.

- Son altesse a été blessée, et pendant de lourdes et pénibles secondes, nous pensions tous qu'il était mort, mais cet homme est redoutable et tenace.

Un sourire de soulagement gagna les lèvres de cet homme d'une soixantaine d'années.

Peu à peu Sienna commençait à rassembler les pièces du puzzle et craignait d'entendre la suite.

- Son altesse a perdu la mémoire, acheva-t-il en recouvrant son sérieux. Il a oublié trois mois de sa vie à compter du jour de l'accident. Il n'a aucun souvenir de cette période. C'est comme si le choc reçu à la tête lui avait arraché un petit morceau de souvenirs.

Sienna vacilla, et tout devint sombre autour d'elle.

- Mademoiselle est-ce que tout va bien ? Vous voulez vous asseoir ?

Elle agita sa tête négativement en clignant des yeux rapidement.

Il l'avait oublié, mais ce n'était pas volontaire.

Est-ce que c'était pour autant moins douloureux ?

Non.

C'était pire.

- Je vais bien...je...vous remercie, balbutia-t-elle en soulevant le regard péniblement. Le voyage m'a un peu épuisé.

- Venez, suivez-moi.

Au prix d'un effort surhumain, elle le suivit en se frottant les paupières pour tenter d'effacer le voile devant ses yeux.

- Bien que nous ayons de cesse de lui dire que ces trois mois ne sont pas importants et qu'il n'a pas de raison de vouloir s'en souvenir, cette perte de mémoire a affecté le sultan. Il est encore plus austère qu'il l'était avant l'accident et davantage enveloppé de noirceur. C'est un homme qui aime contrôler et le fait que cet accident lui ait arraché un bout de souvenirs lui est insupportable tout comme la disparition d'Amar.

- Je suis profondément désolée pour lui.

- C'était mon demi-frère, lui confia-t-il en la guidant vers l'immense escalier.

Le visage engourdi, Sienna garda le silence.

Mohamed l'avait oublié et si pour Arif Bakir ces trois mois n'avaient aucune incidence sur la vie du sultan et qu'il n'était pas nécessaire de s'en souvenir, Sienna avait l'impression qu'on lui avait également arraché un morceau de vie.

Elle faisait partie de ces trois mois, elle était l'un des souvenirs oubliés mais ne pouvait rien dire.

Sienna était piégée et la situation se présentait bien pire que la précédente.

Si elle disait la vérité, le sultan penserait sans doute qu'elle essaye de profiter de son état amnésique par intérêt.

- Depuis que le royaume sait pour cette perte de mémoire, un nombre incalculable de femmes s'est présenté à lui pour lui faire croire à des liaisons qui n'ont jamais existé, poursuivit-il avec une note de colère dans la voix.

Alors qu'elle venait juste de le redouter, Arif Bakir le lui confirma.

Sienna inspira profondément en atteignant la dernière marche du premier étage et n'était pas certaine de pouvoir en gravir une autre.

Elle avait envie de partir, de s'enfuir loin. Une montée de larmes commençait à la menacer et ce fut pire lorsqu'une porte au bout du couloir s'ouvrit brutalement.

Son cœur tressauta alors qu'il se dirigeait vers elle avec un regard impassible et sans émotion. Austère ?

Cela semblait pire que ça.

Pourquoi personne n'était au courant de son escapade sur ce yacht ?

Pourquoi Amar El-Hadid avait été le seul à être informé de ce voyage.

Le revoir lui fit battre le cœur plus que de raison.

Il était vêtu différemment comme s'il venait de fouler le désert comme un guerrier épris de rage.

- Bonjour mademoiselle Kendrick, j'espère que vous avez fait bon voyage ?

Il s'efforçait d'être pétri dans une politesse qui malgré lui se fondait dans une dureté implacable.

- Ou...oui je vous remercie, parvint-elle à dire difficilement.

Sienna regrettait d'avoir accepté et voulait partir.

Elle ne pouvait rien faire d'autre que d'endurer son regard impénétrable alors que ce même regard...essayait de fouiller son âme.

Il y avait un mélange d'agressions et d'interrogation dans ses yeux gris et Sienna baissa les yeux.

- Veuillez me suivre, nous devons parler du travail que vous aurez à faire dès demain.

Sienna se plia à l'ordre tout en se retenant pour ne pas pleurer.

Elle le suivit à contrecœur et posa une main sur son ventre comme pour protéger son enfant de ce cauchemar bien réel.

Le plus douloureux c'est qu'elle ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir eu cet accident et d'avoir voulu protéger son peuple.

En passant devant lui, son odeur musquée lui donna un vertige tandis que des souvenirs de lui et de ses lèvres sur son corps lui arracha un soupir tremblant.

- Veuillez vous asseoir, ordonna-t-il plus doucement.

Au prix d'un effort surhumain, elle s'installa dans le fauteuil en face du sien.

En levant son regard, Sienna pensait recevoir de sa part un regard glaçant, mais ce fut tout le contraire.

Il dardait son regard sur elle avec un puissance inquiétante.

Avec une concentration troublante, il l'étudia sans vergogne, et pendant une seconde...une courte seconde, Sienna crut qu'il l'avait reconnu...

Hélas, ce n'était qu'une illusion...

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