Chapitre 10



Agacé, la main fermée en poing, Mohamed prit la direction du pont supérieur et agrippa violemment la balustrade en fixant d'un regard assassin l'horizon sombre.

Tout en se concentrant sur le bruit des vagues, le sultan poussa un juron en inspirant profondément et se concentra à nouveau sur l'horizon en se demandant combien de temps il tiendrait sans que cette chose en lui se réveille et prenne la place de celui qu'il essayait d'être.

En vain...

Faire craquer sa nuque ne l'aidait en rien à dissiper cette dangerosité qui jusqu'ici murmurait en lui, mais ne grondait pas encore.

Combien de temps tiendrait-il ?

Mohamed se posait cette question depuis qu'il l'avait monté à bord de son bateau et le comportement qu'avait eu la jeune femme plus tôt dans la soirée aiguisait un peu plus cette question.

Seulement le sultan n'eut guère le temps de prolonger sa torpeur car un bruit derrière lui attira son attention.

Ce n'était pas la jeune femme. Il le savait parce qu'il avait étudié ses pas différents et parfois hésitants à cause de sa blessure.

Ne laissant rien paraître, il se redressa en fermant sur la balustrade ses mains qui tremblaient de puissance.

Sans crier gare, il se retourna pour achever son adversaire, mais s'arrêta à une seconde avant de le toucher au visage.

Même s'il savait qui se tenait devant lui, Mohamed n'abaissa pas son poing immédiatement tandis que l'italien leva les mains en l'air en faisant mine d'être en état d'arrestation.

- Bon sang ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Comment tu m'as trouvé ?

- Bonsoir Mohamed, c'est un plaisir de te revoir, commença-t-il en prenant une voix faussement enjouée. Oh Massimo ! Ce plaisir est partagé ! Termina-t-il en faisant mine de l'imiter

Il baissa son poing sous le rire graveleux de son ami qu'il n'avait pas vu depuis plus d'un an.

- Je suis un peu tendu et je ne m'attendais pas à te voir ici.

- Moi non plus je ne m'attendais pas à me voir ici, jusqu'à ce que mes hommes m'informent de ta présence en Sicile, répondit Massimo en esquissant une moue blessée. J'aurais pensé que tu serais passé me voir et comme tu ne l'as pas fait et que tu as quitté les côtes assez rapidement je me suis dit que quelque chose se passait.

Mohamed resta de marbre devant le sourire machiavélique de l'italien.

- Comment es-tu arrivé jusqu'ici ? En scooter des mers ?

- Mieux que ça ! Mais je ne te dirais pas sinon je vais gâcher l'effet de surprise pour la prochaine fois.

Mohamed ne laissa rien paraître sur son visage, mais cet homme qui se tenait devant lui avait une part dans son histoire et sans doute la plus importante.

Après que la guerre ait été déclarée et après sa blessure au visage, Mohamed avait pris la fuite loin de son île en croyant d'abord que sa place n'était plus là-bas et qu'il ne serait pas en mesure de regagner le trône.

C'est en Sicile qu'il s'était caché pour panser ses plaies physiques et psychologiques. Et c'est au détour d'une ruelle qu'il avait fait la connaissance de cet homme au cœur froid et insensible.

Un maître régnant sur la Sicile et c'est grâce à lui que Mohamed s'était enfin trouvé.

- Je vais bien, si c'est cela que tu es venu découvrir.

- Oui selon la presse ta majestueuse île se porte très bien mais qu'en est-il du souverain ? Est-ce qu'il va bien ?

- Il se porte à merveille, marmonna-t-il en s'éloignant sans le regarder.

Ce n'était pas le cas et c'est exactement pour cette raison que le mafieux se trouvait à bord de son yacht.

- Apparemment tu t'entraînes pour devenir un homme civilisé avec des manières occidentales, quelle tristesse ! Lança-t-il derrière lui en prenant un ton faussement désespéré.

Le sultan fit mine de l'ignorer et entra dans le salon.

- Je m'essaye à cet exercice en effet.

- Et je suppose que cette belle blonde fait partie du test ?

Cette fois-ci Mohamed fit volte-face pour le foudroyer du regard.

- Que sais-tu d'elle ? S'enquit-il sombrement. Ne la mêle pas à ça Massimo.

- Mais moi je n'ai rien fait, contrairement à toi mon ami. C'est toi qui l'a emmené ici sur ce bateau sous prétexte que tu veux l'aider à garder ce que tu as pour projet de démolir.

- Amar ! Dit-il entre ses dents serrées.

- Ne lui en veut pas, dit-il en allant jusqu'au bar. Ce vieux sage est inquiet pour...la fille et non pour toi.

Mohamed serra les mâchoires.

- Il a dit et je cite " Sa Majesté est partie en pleine mer avec une jeune femme et je m'inquiète pour elle "

- Tu penses que j'ai pour projet de la tuer ?

- Non, s'empressa de répondre gravement le mafieux. Je sais ce dont tu es capable, et tuer les femmes ne fait pas partie de tes capacités.

Ensuite, Massimo esquissa un lent sourire machiavélique.

- En revanche, je sais que tu es capable de la kidnapper.

Impassible, le sultan tourna le regard un instant.

- Depuis qu'elle est partie en claquant la porte, je n'arrive pas à l'effacer de mon esprit.

- Depuis qu'elle a claqué la porte ? Répéta-t-il en levant un sourcil. Eh bien il t'en faut peu pour être troublé mon ami.

- Elle me trouble en effet, et c'est pour ça que je l'ai emmené ici.

- Et ensuite ? Tu vas la ramener à New York ou tu vas trouver d'autres excuses pour la garder sur ton yacht ?

Mohamed l'interrogea du regard en plissant les yeux.

- D'autres excuses ?

Massimo fit mine de réfléchir.

- Le coup de lui dire " Tant que vous me direz pas ce qu'il s'est passé nous allons rester ici " c'était plutôt bien joué de ta part. Mais nous savons l'un comme l'autre qu'il te suffit d'un claquement de doigt pour savoir ce qu'elle te cache. Arrête d'être un autre homme Mohamed car tôt ou tard, ta véritable personnalité va ressurgir et ce jour-là tu vas regretter ce que tu essayes de faire avec elle peu importe si elle est de passage dans ta vie ou non.

Mohamed voulut balayer ses conseils d'un revers de la main, mais il savait que c'était la vérité.

- Tu es peut-être un sultan, un souverain, mais tu n'en demeure pas moins un guerrier et ton petit passage dans la mafia tu l'as prouvé n'est-ce pas ?

Massimo n'attendit pas qu'il réponde et s'effaça tout simplement en laissant derrière lui un vent de satisfaction qui irrita Mohamed.

Désormais seul, il se passa une main sur le visage et se tourna vers la baie vitrée.

Il ressentait une écrasante envie de foncer droit vers sa chambre et plus il résistait plus ce que lui avait dit le mafieux s'intensifiait dangereusement en lui.

Pris dans un élan incontrôlable, il s'élança hors du salon et se dirigea vers sa chambre.

En pénétrant dans celle-ci il ne s'attendait pas à la voir en peignoir de soie rouge, les cheveux cascadants sur ses épaules.

Le trouble augmenta, et bien qu'il serrait les mâchoires, rien ne réduisait ce profond et impitoyable trouble.

- Avez-vous réfléchi ?

Elle sursauta en faisant volte-face et son visage blanchâtre se mit a rosir.

Inévitablement elle se mit à respirer plus lourdement en reculant d'un pas en arrière.

D'une beauté redoutable, la jeune femme le regardait avec un mélange de craintes et de d'envies qui le troubla un peu plus.

- J'ai réfléchi en effet, lui dit-elle en resserrant la ceinture du peignoir de soie. Je veux rentrer à New York.

- Si c'est votre souhait, il se réalisera quand je saurai la vérité.

Un éclat de peur passa dans ses yeux verts.

- Pourquoi vous tenez tant à le savoir ? S'emporta-t-elle.

- Parce que je n'aime pas quand on me cache quelque chose et je n'aime pas non plus l'indifférence avec laquelle vous avez accueilli l'accord passé entre moi et Jacob Marsh, répondit-il sur un ton glacial tout s'approchant.

Elle recula tel une biche déjà prise dans les filets et Mohamed réprima un sourire de satisfaction.

Sans effort, il la bloqua contre le mur et posa ses mains de chaque côté du mur.

- Je n'étais pas indifférente, seulement...seulement un peu bouleversée, bredouilla-t-elle en relevant les yeux.

- Et pour quelle raison étiez-vous bouleversée ?

Elle exhala un long soupir et la vérité semblait lui brûler les lèvres.

Des lèvres que Mohamed pouvait difficilement ignorer.

- David Marshall a reçu votre mail qui disait que vous mettiez le projet en attente, avoua-t-elle enfin et à contrecœur. Il m'a dit que si par ma faute ce projet n'aboutissait pas, il se chargerait lui-même de la maison. Voilà ! Vous êtes satisfait ?

Elle voulut s'échapper mais il baissa ses mains sur le mur de chaque côté de sa taille.

- Que voulez-vous savoir de plus ? Lui dit-elle en avisant sa main posée sur le mur. J'ai été soumise à un terrible chantage et ce soir j'avais le choix entre le pire et le pire.

- Et vous n'avez pas jugé bon de m'en parler ?

- Non ! Parce que ça ne vous regarde en rien ! Si j'en suis là c'est entièrement de votre faute ! Jeta-t-elle en soutenant son regard qu'il savait noir. Je vous demande seulement de ne rien dire jusqu'à ce que...

Mohamed fit claquer sa langue contre son palais en secouant doucement la tête.

- Si vous m'aviez dit la vérité, j'aurais demandé à mes hommes de garder votre maison en sécurité.

Elle ouvrit la bouche, l'air estomaqué.

- Vous êtes le responsable et vous...

La jeune femme expira un rire furtif et nerveux.

- Je viens de vous révéler ce qui n'allait pas, maintenant c'est à votre tour de me révéler...

- Quand je veux quelque chose, je l'obtiens, la coupa-t-il en articulant.

Sienna frémit en se demandant ce qui avait bien pu se passer pour qu'il change brusquement.

Un éclat froid dansait dans ses yeux gris et ses narines frémissaient. Le cœur battant la chamade, Sienna déglutit en peinant à respirer parce que les effluves de son parfum épicé flottaient autour d'elle comme une lourde et intense caresse.

- Je vous voulais à bord de ce bateau et vous êtes là, ajouta-t-il en se baissant lentement afin que son visage imposant soit en face du sien.

- Donc tout ceci n'était qu'une mascarade ? J'avais bel et bien raison.

Un fugace sourire releva la commissure de ses lèvres.

- Je pouvais gagner cet accord n'importe où, en effet...

Sienna cessa de respirer alors qu'une chaleur incongrue lui monta au visage.

- Qu'est-ce que vous voulez de moi ? S'entendit-elle murmurer.

- Apprendre à vous connaître, et j'avais espéré être en capacité d'agir comme un gentleman, mais à quoi bon jouer un rôle ?

Il la libéra de son emprise, et s'écarta le poing serré.

Apprendre à la connaître ?

- Vous avez une drôle de façon de...

Elle s'interrompit parce qu'il avait déjà fait demi-tour pour sortir de sa chambre.

Sienna le suivit en peinant à le rattraper.

- Je vais partir dès maintenant ! Annonça-t-elle en guettant les lumières sur l'île.

Il se retourna avec un léger sourire aux lèvres.

- En peignoir ? Vous n'avez pas envie de partir mademoiselle Kendrick.

Le cœur battant contre ses tempes elle le vit s'approcher dans la pénombre.

- Le bateau est à quai depuis plus de deux heures et vous n'avez rien tenté pour passer cette passerelle.

Livide, elle cilla tout en tournant la tête vers les lumières.

- Qu'attendez-vous mademoiselle Kendrick ?

Il la défiait et elle savait que ce défi comportait des risques.

Pourtant, pour lui prouver qu'elle était capable de partir, Sienna le contourna et marcha plus vite dans le but d'atteindre la passerelle.

Une main se ferma autour de son bras au moment de la franchir.

Le regard orageux du sultan lui glaça le sang et ce fut pire quand il l'attira à lui d'un coup sec.

- Assez ! Dit-il entre ses dents.

- Quoi ? Ce n'est pas ce que vous vouliez ? Ce n'est pas...qu'est-ce que vous faites ?

Il la jeta sur son épaule comme si elle ne pesait rien et marcha à contre-sens de la passerelle.

Sienna s'accrocha à sa chemise pour se redresser en luttant contre le frisson qui courait dans sa nuque au contact de ses doigts sur sa jambe blessée.

En une fraction de seconde elle se retrouva debout dans une grande cabine et il ferma la porte.

- Vous êtes en train de me kidnapper c'est ça ? Lui lança-t-elle quand il toucha les commandes de bord pour que le bateau s'éloigne des côtes.

Prise de panique, elle essaya d'atteindre les manettes, mais sa main puissante accrocha son poignet.

- Doucement, vous allez finir par vous blesser.

La respiration erratique, elle affronta son regard menaçant tout en réprimant avec difficulté la fièvre méconnue qu'il faisait naître en elle.

- Je vous expliquerai tout quand nous serons éloignés des côtes.

- Je vais hurler, le prévint-elle.

- Je vous en prie, je voudrais voir ça, chuchota-t-il en la défiant du regard tout en lâchant son poignet.

Les lèvres pincées, Sienna attendit qu'il lui libère le poignet pour quitter la cabine mais en essayant de l'ouvrir elle se heurta à une porte verrouillée.

Elle se retourna violemment et le sultan lui, avait les yeux rivés sur l'horizon à peine éclairé.

- Vous sauterez par-dessus bord demain si vous le voulez, lança-t-il d'une voix profonde avec une note amusée.

Il vrilla son regard dans le sien et contre son gré, Sienna se perdit dedans.

- Je brûle déjà de vous repêcher...

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