L'invisibilité sonne la différence

Fermez les yeux.

Imaginez un monde que personne ne saurait décrire ; un monde où mes mots sont vains, où ces lettres que je colle précipitamment entre elles et qui glissent devant vos yeux ne sont qu'un pauvre mirage. C'est un monde qui voit, un monde qui observe et qui soupire ; un monde qui entend, un monde qui sourit et qui rit.

L'esprit où grouillent et fourmillent des pensées interdites, des joies et des peines dont parfois même vous ne cernez pas le sens. Mon rôle unique est de traduire ces pulsions, ces rêves, en petits amas de mots dépourvus de toute âme. Comme j'aimerai leur en donner une ! Comme j'aimerai que l'on sache me lire sans que ce livre soit habité de mots, que l'on tourne mes pages avec un sourire ému. Ces pages que je m'entête à arracher, à découper, à coller dans d'autres livres plus robustes, moins explicites. Je masque la vérité.

Là, de nouveau, je m'égare. Je ne peux écrire sans thème ni but précis sans déraper sur le sentier pour m'enfoncer au cœur de la forêt. Humer les délicates senteurs de pins, et la litière qui craque sous mes pieds. Le soleil danse entre les branches tandis que les arbres s'élancent vers le ciel pour l'acclamer. Quelques fois, un sourire grimpe sur mes lèvres et je me plais à m'imaginer dans le ciel moi aussi, applaudie par toutes ces feuilles qui se tendent vainement dans ma direction. Or, ces songes idylliques se muent toujours rapidement pour me révéler la vérité ; là perchée sur notre grande étoile, j'observe un désert de vie. Ils se sont détournés de moi, ou l'on les a chassés, je ne sais pas.

Je cherche alors une trace de vie, une trace d'espoir dans un cœur ; mais là, ce que j'aperçois avec horreur n'est qu'une farandole d'autres étoiles sur lesquelles je distingue d'autres silhouettes. A leurs pieds sont pendues des centaines de feuilles, avides d'atteindre leurs idoles. Et malgré mes cris, mes hurlements, et ma voix qui s'égosille pour les héler, les supplier de m'écouter, rien ne parvient à leurs oreilles. Bientôt, l'étoile me brûle les paumes ; l'altitude me joue des tours et je suis prise de vertiges ; alors je chute, lentement, secouée par les brusques brises glaciales qui me mordent la peau. Le sol calciné me rattrape, et l'air s'échappe de mes poumons comprimés.

Quand la mort s'est enfin décidée, elle se détourne de moi et m'oblige à me redresser ; alors elle m'inflige ce supplice de serpenter entre les arbres de la forêt, de voir ces cœurs qui ne battent que pour s'élever vers cet idole auquel je ne ressemblerai jamais. Il y en a tant. Tant d'étoiles, tant de lumières, que la mienne s'éteint aussi aisément que lorsque je souffle sur une bougie. Est-ce l'ampoule qui l'a remplacée, ou bien est-ce que je conserve le peu de cire qu'il me reste ? Je ne sais pas. Mais personne ne peut dire à ma place, je le crains.

Ainsi, malgré ces mots qui sourient sous vos yeux, et mon cri qui se fait vain, on n'y verra que quelques phrases. En vérité, je ne vois que des phrases, partout où je pose les yeux. Où sont mes paradoxes favoris, qui caractérisent la vie ? On les a chassé, car désormais, l'on préfère le coeur, le rêve, l'illusion, que la complexité.

Et mes phrases, qui montrent fièrement leur âme, mais qui aux yeux des feuilles en sont dépourvues. En dépit de mes efforts pour leur montrer. L'invisibilité me guette et m'enveloppe. Là où est la place, désormais, des phrases à ce point différentes.

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