Un pas léger°

La douceur du vent frais d'automne caressait avec une délicatesse toute particulière la peau de la petite créature qui s'avançait en douceur sur le rebord de la falaise. Quelques feuilles provenant des arbres les plus proches voltigeaient, tournoyaient autour d'elle et leur mouvement s'harmonisait en douceur avec celui des longues mèches de cheveux noirs du seul être vivant à des kilomètres à la ronde.

Il y avait bien longtemps désormais qu'elle était seule. Une apparence d'enfant de huit ans cachait une sagesse millénaire que seuls ses yeux reflétaient. Durant des milliers d'années, son peuple avait vécu sur la falaise, oublié des humains, pour accomplir un seul est unique but, l'œuvre de toute une vie.

Elle s'avança toujours plus, ses pieds nus frôlant la mousse, semblant à peine l'effleurer. Elle semblait flotter au bord de la falaise, minuscule petit être qui bougeait au gré des vents. Un mince sourire se glissa sur son visage à mesure qu'elle se remémorait toutes les épreuves, tout les aléas qui avaient vaincu les siens. Ils avaient tout sacrifié, tout abandonné pour l'œuvre de leur vie.

Et ils étaient tous tombés. Tombés, comme la feuille d'arbre à l'automne, comme ce bout de rocher qui se détachait à cause de l'érosion. N'était resté qu'elle.

Depuis des millénaires, elle vivait oubliée de tous, oubliée de son peuple, oubliée des humains, oubliée de ceux qui les avaient abandonnés. À travailler, à monter, pièce par pièce, la contribution à leur grand projet.

Sans doute paraissait-elle jeune, mais elle vivait depuis l'aube des temps. Depuis qu'elle et son peuple avaient été déchus, depuis que de créature céleste elle était passée à pauvre être de la Terre, aux pieds collés au sol comme par une malédiction. Elle n'était pas née sur Terre, comme beaucoup des jeunes impatients qui d'une façon ou d'une autre l'avaient quittée. Elle avait ouvert les yeux sur un nuage et son enfance était rythmée par les vents du Ciel. Ces vents qui lui manquaient ardemment.

Elle avait, comme tout les autres, perdu son droit de cité sur les nuages. Perdu ce qui faisait d'elle ce qu'elle était, ce qui lui permettait de ressentir jusqu'au au plus profond d'elle-même le souffle des vents, de faire la course avec les nuages, de ne plus peser qu'une plume et de voltiger comme telle au gré des envies du Ciel. Des années, des millénaires durant, son peuple avait cherché un substitut à cet indispensable trait d'eux-mêmes. Mais tous avaient échoué, trop impatients, trop rapides, trop pressés. Et ils étaient tombés, tombés, tombés.

Leur corps alourdissait désormais le sol de l'océan au bord du quel elle vivait. D'une centaine, ils étaient devenus une seule entité. Elle le savait. Elle portait en elle, en ce dernier essai, les espoirs de tout un peuple déchu, la volonté de ces cent personnes qui lui avait permis de survivre pendant des millénaires sur ce monde abject qu'était la Terre.

Une dernière fois, elle regarda ce qu'il restait de son foyer. De la ville de fortune construite par ses camarades, ne restait que des ruines alourdies par la végétation. Des squelettes de bois côtoyaient les restes d'édifices de pierre de ce monde désormais décédé. Elle savait qu'elle n'y reviendrait plus jamais, que quel que soit son destin ces pierres étaient désormais rendues à elle-même. Et cette pensée élargit son sourire.

Alors, une fois arrivée au bord de la falaise, elle déploya les ailes que ses années de purgatoire sur Terre lui avaient rendues, plume par plume. Elle savoura un instant la douceur du vent qui caressait ses rémiges, qu'elle ressentait plus clairement que jamais, bien plus qu'avec les engins artificiels que son peuple s'était tué à fabriquer, dans sa hâte et son impatience. Puis, elle ferma les yeux et accomplit le dernier pas qui la retenait à cette terre.

Et la dernière ange déchue encore en vie se laissa porter jusqu'à sa dernière demeure, savourant la fraîcheur du vent qui la transportait, et la rendait légère, si légère...

_______________________________________

Texte pour le concours de PtiteRenarde.

Un avis avant que je ne le soumette?
On est plus que trois, alors j'aimerais un maximum de critiques et de conseils.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top