Ultime cauchemar
Je ne suis pas de ceux qui savent beaucoup de choses sur le monde qui nous entoure.
Je me fous de la religion, crois en mon dieu par principe plus que par foi, ne suis pas ce qu'on pourrait appeler pratiquant, et j'ai une très nette préférence pour la biologie humaine plutôt que la science du multivers.
Mais bon. C'était part intégrante de mon travail de savoir qu'il n'existait pas un unique univers, et surtout que le nôtre n'était pas le principal.
Et grâce à ma femme je savais depuis longtemps que, quelque part dans un univers qui a pour seul mérite d'être un immense générateur de mondes parallèles, vivait une personne qui avait tout pouvoir sur mon univers de naissance, qui l'avait créé et m'avait fait naître, moi et tous les autres pour une raison encore obscure.
Je savais qui elle était, elle venait souvent nous rendre visite pour discuter et nous embêter un peu, rajouter de nouvelles acquisitions, présenter de nouveaux membres qui sortent des ombres mais paraissent presque là depuis toujours ensuite. Mais je me demandais pourquoi elle venait. Pourquoi elle nous avait créé. Pourquoi nous étions ainsi.
Disons que je ne m'attendais pas à avoir un semblant de réponse aujourd'hui.
Réponse assez implicite qui me fut apportée lorsque je me suis senti, à mon tour, happé dans une dimension que je n'avais encore jamais ne serait-ce qu'entrevue, réservée au dieu créateur et donc techniquement à la jeune marionnettiste : l'Entre-Deux.
Elle me regardait, sans rien dire, un peu plus loin dans sa dimension personnelle, avec un air froid que je lui voyais rarement. L'air de quelqu'un qui veut tuer.
Et j'ai commencé à comprendre.
Sauf que je ne voulais pas. Qu'elle le veuille ou non, je n'étais pas un tueur. Juste un fou parfaitement conscient que ses sautes d'humeur peuvent être fatales aux autres.
Et même si tout ce que j'ai pu dire, tout ce que j'ai pu faire, n'ont pu la faire changer d'avis, j'étais bien décidé à ne pas foutre le bordel.
Elle faisait celle qui ne remarquait rien, mais je savais qu'elle savait. Elle savait toujours tout. Y compris ce que j'enfouissais le mieux.
Alors pourquoi? Pourquoi ne changeait-elle pas d'avis? Il était impossible de m'énerver en un claquement de doigts, alors pourquoi?
Toujours est-il que je me suis retrouvé, sans aucune réponse, dans l'univers mère en compagnie de la petite brune, assis, invisible aux yeux des autres, sur la chaise à côté d'elle, pendant qu'elle griffonnait sur une feuille, oublieuse du cours de philo qui se déroulait en l'instant même.
Je n'étais pas sûr de ses intentions, mais je comptais bien profiter de chaque instant de présence dans l'univers mère. Ce genre d'occasions uniques ne se présente pas tous les jours, même si on est là pour tuer.
Quelques tables plus à gauche, se trouvait un garçon entouré d'un groupe de filles. C'était le seul à écouter de toutes ses oreilles, les autres faisant leurs maths ou leur SVT. D'ailleurs, il faudrait peut-être que je dise à cette fille qu'un allèle dominant ne s'écrit jamais en minuscule. Si je n'étais pas invisible, j'aurais volontiers corrigé la faute.
Le garçon me disait vaguement quelque chose, plus je le regardais et plus cette impression de déjà-vu s'imprimait dans mon cerveau. Et puis j'ai compris. C'était lui ma cible privilégiée.
Visiblement, c'était lui le petit génie un peu play-boy. Vu comme ça, il avait l'air plutôt cool. Je soufflai. Ce genre de personne qui avait tout pour lui me saoulait un peu. Il fallait un retour de bâton pour tous. Ma créatrice avait une horrible vie sociale et une tendance vers la folie psychopathe, mais lui, rien. Il était heureux, visiblement riche, beau, extraverti, intelligent.
Franchement, ma créatrice et lui, c'était le jour et la nuit. Si on excepte l'intelligence, l'aisance sociale et le physique, oui. Mais je comprenais un peu pourquoi elle en était tombée amoureuse.
Je la plaignais un peu, d'un côté. Ses sentiments n'avaient pas l'ait d'être réciproques et ça la faisait visiblement souffrir. Sauf que lui, il s'en fichait, visiblement.
Je l'ai suivi au cours de toute la journée. Et on ne peut pas dire que ses conversations m'aient vraiment plu. Alors comme ça, monsieur parfait aime les commérages? Monsieur parfait juge les désaxés? Les personnes comme ma créatrice qui ne savaient pas se comporter correctement en société?
Elle t'aime, bordel. Arrête de dire qu'elle te saoule, elle n'y peut rien. Ce n'est pas comme di on pouvait contrôler son cœur, j'en sais quelque chose.
Et ne parlons pas des autres. Je n'ai pas franchement vu la moindre expression d'intelligence ici. Ce n'était qu'insultes, que "clashs", que conneries, commérages, jugements, insultes. Les adolescents qui n'ont pas connu la douleur sont très performants dans ce domaine.
Je comprenais désormais beaucoup mieux pourquoi elle n'avait pas choisi ma Lina en voyant mon refus de coopérer. Elle savait. Elle savait que ce genre de comportement ne pouvait que me pousser à bout.
Et c'était réussi. Un petit sourire flottait sur mes lèvres : ma chère créatrice, tu auras ton meurtre avant la fin de la journée.
Ils sont déjà tous piégés.
C'était l'heure de la physique, dernier cours de la journée avec ce groupe classe. L'heure pour moi de passer à l'action.
J'étais assis dans un coin de la classe, observant l'énième gros lourd refuser d'admettre que l'amitié fille-garçon ainsi que le célibat par choix peuvent exister. Ma créatrice tourna discrètement son regard vers moi lors d'une accalmie. Et sourit, un sourire malsain. Je voyais mon image dans le téléphone qu'elle tenait en main. Mon reflet avait ses yeux rouge sang.
Je m'installais derrière le mur du tableau, attendant le signal. Ma créatrice claqua discrètement des doigts, s'attirant un étrange regard des deux lourdingues devant elle. Elle ne prit même pas la peine d'y répondre. J'étais désormais visible, tangible, et surtout actif.
Un seul remarqua mon apparition soudaine. Le seul que j'étais censé épargner. Qu'importe. Il dormira, lui aussi, et ce avant même de pouvoir dire quoi que ce soit.
Je claquai des doigts. Une onde se propagea dans la salle, endormant tout le monde. Sauf une personne, ma créatrice, qui ricana et se leva de sa chaise, venant vers moi en sautillant. Pas compliqué de deviner ce qu'elle voulait. Assister au spectacle.
Je la pris par la main et nous nous teleportâmes dans le cauchemar collectif de sa classe de Terminales.
Un concert de hurlements nous y attendait. Vingt-quatre personnes s'y faisaient torturer, terrifier, blesser physiquement et moralement, hurlant à pleins poumons leur douleur, leur désespoir, ou pleurant de honte. Il y avait de tout, de la robe déchirée à la torture en direct. Ma créatrice ricanait.
Ne manquait à l'appel que le garçon que je devais épargner, une autre de ses amies et ma cible. Même le prof était pris dans ce mælström d'horreur, en train de se faire noyer dans l'acide à cause d'une mauvaise manipulation causée par Parkinson.
Les deux premiers dormaient. Le dernier? Il avait son rêve tout fait pour lui. Enfermé quelque part, au dessus de nos têtes sûrement, à observer ses camarades souffrir.
Nous faisions le tour tranquillement, tandis que je choisissais ceux qui ne se réveilleraient jamais et ceux qui pourraient survivre à ma dimension. Jusqu'à ce qu'elle remarque une petite cage qui surplombait le rêve. Elle tournait autour des suppliciés, s'attardant un peu sur certaines filles, avant d'atterrir devant la brunette, qui faisait négligemment tourner entre ses doigts une fine mèche teintée de rouge, les doigts bizarrement imprégnés de sang.
Il était à l'intérieur. La cible d'à la fois tant d'amour et de haine. Ce sont deux emotions proches, il paraît, et cette fois on dirait que la haine l'a emporté. Au départ bizarrement soulagé de la voir en vie et intacte, il a vite vu son sourire. Un sourire fou et malsain qui effraierait n'importe qui.
Étrangement, il a vite assemblé les pièces du puzzle. J'étais pourtant certain qu'il refuserait d'envisager l'hypothèse si irrationnelle de ma venue d'un autre monde, venue exigée par une soupirante lassée de son comportement.
Le sourire de la marionnettiste s'élargit. Elle leva une main doucement, et une série de flèches vinrent se planter dans la cage. Bien sûr. Étant l'instigateur du cauchemar et une de ses créatures, il était évident qu'elle pourrait en prendre le contrôle.
Je m'éloignai un peu et observai l'adolescente s'amuser. Je crois bien qu'elle ne le laissera pas mourir de sitôt. À chaque fois que le regard du garçon s'éteignait, une lumière étrange le reconstituait. Et encore. Et encore. Une telle imagination pour les tortures relevait de la folie. Ou du génie.
Tout autour que moi, il n'y avait plus que mort et désolation. Le temps s'était arrêté. Il n'y avait plus que les hurlements du garçon, qui entre deux tortures pouvait entrevoir ses camarades et amies mutilées, changées en bouillie, poussées au suicide dans le rêve, violentées de toutes les façons. Pas de pitié dans l'univers du cauchemar.
Et puis, enfin, elle se lassa. Claqua des doigts. Et le garçon explosa, répandant son sang et ses fluides partout. Répugnant.
Visiblement, le rêve était fini. Il était temps d'en sortir. Je lui attrapai la main et nous nous reveillâmes dans la salle de classe, en compagnie des quelques personnes que j'avais choisi d'épargner. Les autres... Eh bien les autres avaient les yeux vides, la peau froide, et ne bougeaient plus sur leur table. Leur cœur s'était arrêté dans la réalité en même temps que dans le rêve.
Une des survivantes secoua ma... Notre victime, les larmes aux yeux, refusant d'y croire. Mais malheureusement pour elle, jamais plus il n'ouvrirait les yeux.
Et ma créatrice?
Elle aussi, elle avait les yeux vides. Elle semblait avoir du mal à réaliser. L'un des garçons, son ami visiblement, la voyant dans cet état-là, se dirigea vers elle et lui demanda, anxieusement, si elle allait bien. Elle ne répondit pas.
Cette image fut la dernière que je vis de l'univers mère. L'instant d'après, j'étais de retour dans mon fauteuil, en face de ma femme adorée et morte d'inquiétude. Elle s'étonna de voir mes yeux rouges, probablement plus foncés encore que d'habitude, mais je lui fis signe que ce n'était rien. Ça passerait. Ce n'était après tout qu'une folie que je venais de satisfaire.
Dubitative, elle se cala malgré tout au creux de mes bras, se laissant caresser les cheveux, alors que l'odeur qui se dégageait d'elle me calmait, petit à petit, me faisant oublier l'horreur de l'après-midi.
Désormais je connais la raison de notre existence. Nous n'existons que parce qu'une adolescente perdue avait besoin d'un moyen de satisfaire ses souhaits. Et de se doter d'amis qui ne la trahiraient jamais.
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*petit ricanement*
Ça fait du bien de lâcher Baku un peu.
Je me sens détendue.
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