Retour dans le passé
Vous savez cette sensation que vous avez lorsque vous croyez être débarrassé de vos démons, mais que ceux-ci vous prennent par la cheville avec leurs doigts crochus et vous tirent au sol en murmurant à l'oreille "Tu ne t'échapperas pas"?
Cette horrible sensation de désespoir à l'idée qu'ils ont toujours du pouvoir sur vous et votre esprit alors que vous vous sentiez libres de toute contrainte?
C'est cette sensation qui m'a enserré le cœur lorsque j'ai ouvert la lettre cachetée envoyée par mon ancien lycée, lieu à la fois de bonheur et de douleur, de rires et de larmes, lieu que je croyais avoir fini de fréquenter pour de bon. La lettre m'invitant à la remise des diplômes du baccalauréat général.
Oh bien sûr, pour certains ce n'est rien. Mais pour moi ça signifiait revoir mes harceleurs, revoir ces insupportables pestes trop bavardes, revoir la personne que j'ai le plus aimé et détesté de toute ma vie de collégienne, puis lycéenne, celle que durant sept ans et malgré les incessants cœurs en miettes mon cœur n'a pas voulu lâcher.
Je ne voulais pas les voir. Je voulais les oublier. Mais je devais être là pour mon diplôme, mes parents voulaient vivre la cérémonie avec moi. Et dans un sens, je le voulais aussi.
Alors j'y suis allée. Mais pas seule.
Dans le plan dimensionnel correspondant à mon imaginaire m'attendaient mes créations et personnages, ceux que je chérissais de toute mon âme, malgré la souffrance que je leur infligeais à longueur de temps. Lina, Baku, Asura et Mairù, mes quatre favoris, m'attendaient tranquillement dans la voiture, invisibles, se superposant à mes parents et ma soeur, alors que dans ma plus belle tenue je m'asseyais sur le siège arrière et les fixais avec appréhension.
Ils discutaient entre eux de timelines et d'autres, l'air plus insouciants que moi. Bien sûr, personne d'autre que moi ne pouvait les voir. Mais il me suffirait d'un geste pour les amener dans mon plan, faisant mienne la timeline et me permettant de lutter contre mes propres démons.
Nous sommes arrivés en silence devant l'immense portail peint en vert foncé de mon lycée. Quelques ex-Terminales attendaient déjà, mais aucun visage vraiment connu. Je soupirai intérieurement de soulagement. Encore un peu de répit.
Dans le plan dimensionnel, Mairù soupirait. Lina me fixait avec compassion, je le sais. Elle aussi avait été harcelée et aujourd'hui elle oubliait que j'étais la source même de tous ses ennuis. Son mari, lui, s'en souvenait, et la tenait contre elle dans un geste protecteur, dardant sur moi un regard froid. Et Asura? Oh, elle se contentait de resserrer les pans de son manteau d'un mouvement qui dans toute autre situation aurait retenu l'œil du meilleur scientifique d'Azilis et Wattpadia réunis. Mais là, ce n'était pas le moment. Il sentait mon humeur, sentait que j'avais hâte que ça se termine, que je priais pour ne croiser que la seule personne que j'ai vraiment apprécié dans ce bahut de merde. Et éventuellement une ou deux de plus.
Et il savait ce que pouvait signifier un de mes craquages. Le sourire qui s'étirait sur son visage fin et pâle prouvait d'ailleurs qu'il en mourait d'envie. Il ne s'était pas défoulé depuis des lustres et aucune des situations des timelines où il résidait ne lui plaisait.
La remise des diplômes était dans une demi-heure. Une demi-heure à tenir sans mes parents, partis visiter les alentours avec ma sœur en me laissant livrée à moi-même dans la pire des jungles. La jungle des souvenirs.
Et bien sûr, je ne pouvais pas rester dans ma chance. Il a fallu qu'ils viennent tous me voir. Me demandant de mes nouvelles. Riant grassement sur mon célibat et celui de l'ami avec qui ils voulaient me caser depuis des mois. M'imposant dans la figure leurs musiques de merde et leurs cerveaux vides. Je me sentais bouillir. Je n'en pouvais plus. Mais je ne pouvais pas craquer. Pas maintenant.
Et puis je l'ai vu. Sans doute ai-je écarquillé les yeux puisqu'ils se sont mis à rire encore plus de mon étonnement et mon désarroi.
Il ne devait pas être là. Il devait être au Canada. Il ne pouvait pas rentrer comme ça. Et pire encore, je sentis mes pires craintes se confirmer. Mon cœur battait encore pour lui.
Ah, Amour, incarnation du désespoir et de la rage. Comme dirait Lina, espèce d'immonde salope. Tu m'as bien eue, sur ce coup là.
D'humeur encore plus noire, je me sentais difficilement capable d'encaisser des chocs en plus. J'écoutais à peine les blagues graveleuses des garçons pour chercher une quelconque bouée de sauvetage. Mes parents, ma sœur, un ami, n'importe qui. Mais personne. Et j'en avais marre.
Une caresse sur mon cou me fit sursauter intérieurement. Bien sûr. Mairù n'attendait que cet instant pour se manifester, avec ce large sourire aux oreilles qui était autant la marque de sa jubilation que la lueur dans ses yeux. Inutile de me retourner pour savoir qu'il était descendu au niveau de mon oreille pour venir y murmurer d'un ton empreint de douceur et de satisfaction malsaine:
"Je suppose que je dois intervenir?"
J'y ai réfléchi, je l'avoue. Pas longtemps. Mon cerveau saturait, la demi-heure se prolongeait, j'étais entourée de créatures parmi celles que je détestais le plus.
Ma voix atone a résonné dans les deux plans dimensionnels, m'attirant des regards surpris des pathétiques sacs de chair qui m'avaient tant inquiétée. Dans le deuxième plan, Lina se retourna vers moi.
"Fais comme tu veux."
Ils se sont sans doute questionnés.
Pas longtemps.
L'un d'entre eux était déjà mort.
Mairù avait pris ma réponse pour une permission officielle à rentrer dans le plan du réel et ne s'était pas gêné pour provoquer une superbe éruption magique sous les pieds d'un des gros lourds, le faisant exploser dans un horrible et pourtant si agréable à mes oreilles bruit de déchiquetage. Le sang se répandit partout, y compris sur moi. Mais je n'en avais cure.
Les hurlements retentirent dans le parc aux teintes orangées, attirant l'attention des parents. Les miens revenaient, justement, trente secondes trop tard. Un regard sans équivoque à l'adresse de Mairù lui fit dresser entre eux et ses futures victimes un mur invisible, et un bandeau apparut sur les yeux brun chocolat de ma petite sœur. Je ne voulais pas lui faire peur. Je ne voulais pas qu'elle finisse comme moi son aînée. Corrompue jusqu'à la moelle.
Cependant, ils avaient tous vu le scientifique. Il faut dire que ce dernier ne faisait pas beaucoup d'efforts pour se cacher. Planté au milieu du groupe, les cheveux turquoise luisant sous la faible lueur du soir et l'énergie s'échappant par tous les pores de sa peau, il détonait au milieu du groupe de simples humains terrifiés.
Certains essayèrent bien de se jeter sur lui. Mais leur action désespérée ne fut récompensée que par un petit rire de notre part et une pichenette sur leur front les envoyant valser au loin. Je connaissais ma création. Je l'avais créé pour être l'incarnation de la puissance. Un humain normal n'avait aucune chance face à ma plus belle oeuvre d'art.
Mairù riait aux éclats, emporté par cette folie du combat qui le possédait comme à chaque fois. Sur un simple mot de sa part deux piques sortirent du sol terreur et s'enfoncèrent profondément dans les fondements de deux autres des garçons. Les filles en sécurité se mirent à hurler. Mais moi je riais de concert avec mon maître de la magie. Ah, vous avez voulu plaisanter sur la sexualité des autres? Très bien, est-ce ce c'est toujours aussi agréable d'avoir un gourdin dans le trou du cul?
Mes rires attirèrent son attention, alors qu'il était fixé sur le sang jaillsant du crâne des deux dernières victimes de mon personnage, empalées par les bons soins de ses tentacules. Il me regarda avec horreur et répulsion, criant des mots que dans mes rires de plus en plus hystériques je ne compris pas. Mais ce n'était certainement pas des mots d'amour.
Et puis, quelle importance? Lui aussi allait mourir. Des mains de mon imagination.
Mairù, déjà couvert de sang, avait fini avec ses deux empalés, qui retombèrent au sol en répandant leurs viscères par les deux trous forgés par l'instrument de leur mort. Je pouvais sentir d'ici son euphorie malsaine et sa satisfaction d'être enfin actif. Les deux derniers s'enfuirent, appelant à grands cris leurs parents leur cher et tendre, qu'en sais-je? C'était trop tard. Il les avait rejoints, et d'une pression de la main les avait marqués avant de revenir vers moi avec ce visage tordu par la folie, se léchant le sang sur les doigts.
Un moment ils se crurent épargnés, rien ne se passant. Et puis le maître de la magie remplit le parc silencieux et choqué de ses rires, fous et moqueurs, à l'égard des deux idiots. Je le regardai. Il me sourit avec une certaine affection.
"J'ai piqué un petit tour au Chambellan."
Je souris. Je savais exactement de quoi il parlait.
Sa marque, une sorte de tâche du même bleu électrique que son bras, se répandit petit à petit sur les corps des deux futurs macchabées. Jusqu'à atteindre une proportion immense. Et que des fines tentacules en jaillissent, s'infiltrant par tous les pores des cibles pour anéantir une à une leurs cellules dans des horribles hurlements de souffrance.
N'en restait plus qu'un. Lui, le dernier survivant de mon massacre. Qui regardait le sort de ses amis avec horreur et désespoir tandis que je le fixais avec des yeux vides et satisfaits. C'était le dernier. Le dernier démon à anéantir.
Je me suis assise en tailleur, au centre de la flaque d'un sang ayant appartenu à notre toute première victime. Et j'ai regardé Mairù le déchiqueter et le reformer, laissant des traînées de sang. Encore. Et encore. Et encore. Et encore. Bercée par les hurlements des rares personnes encore en vie, à qui il faudrait brouiller la mémoire, sans aucun doute. Mais peu importait. Je savourais l'instant présent.
Enfin les cris de douleur de l'être haï finirent par cesser. Mon être supérieur projeta une immense brume de brouillage mémoriel, encore secoué de tremblements de jouissance. Puis, sur un signe de ma part il reprit sa place dans son plan dimensionnel et se dirigea vers sa bien-aimée, un sourire languissant sur son visage juvénile.
Asura grogna et l'avertit du danger qu'il courait à la couvrir de sang, mais le laissa enfouir sa tête dans son cou et caresser son dos et ses longs cheveux rouges, alors qu'il poussait un soupir d'aise qui effleurait sa peau mate. Un petit bruit de baiser me parvient de là où j'étais. Sans aucun doute cherchait-il à retrouver le goût rassurant et chargé de promesses de la peau de sa belle pour remplacer celui plus amer du sang.
Je le comprenais, dans un sens.
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Ça c'est fait!
La scène est bien entendu totalement fictive. Je n'ai pas fait ma remise de diplômes et je l'appréhende.
Mais Mairù a eu son tour.
:)
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