Novembre - Déchue
Le soleil se couchait, disparaissant doucement à l'horizon.
L'astre aussi rouge que le sang s'éteignit, plongeant les limbes dans de profondes ténèbres.
Il faisait maintenant noir. Un noir visqueux, poisseux, collant à a peau.
Un noir aussi sombre que ses ailes.
C'était la nuit qu'on pouvait les voir : ces êtres squelettiques, errant dans les Enfers en quête de souvenirs ou de quelconques traces d'une vie passée ; ces âmes perdues depuis bien longtemps.
Mais c'était aussi la nuit qu'elles pouvaient les voir, eux, les Déchus.
Alors, ils avaient intérêt à ne pas traîner seuls dans des endroits peu fréquentables comme celui où se trouvait Aliyah.
L'Ange -en principe, elle n'en était plus une, mais elle ne pouvait se résoudre à abandonner ce titre- se leva, et s'étira.
Quelques-une de ses articulations craquèrent dans ses ailes, lui causant d'atroces souffrances, auxquelles elle s'était pourtant habituée au fil du temps.
C'était le prix à payer lorsqu'on était éxilé.
Elle avait eu le choix, comme tous les autres avant elle.
Les Déchus devaient abandonner leurs ailes, ou alors celles-ci étaient salies, noircies, et devenaient douloureuses au moindre mouvement.
Aliyah n'avait pas hésité longtemps, l'idée d'abandonner ses ailes étant tout bonnement impossible à supporter.
Et puis, elle avait ses convictions.
De toute l'Histoire des Anges, la jeune femme avait bien été la seule à choisir cette option. Pour le reste de la société, c'était dégradant, humiliant d'être noirci, comme certains disaient.
Un spectre passa devant elle, l'enveloppant d'une aura glacée, mais ne s'intéressa pas elle.
- Eh, toi ! lança l'Ange.
Aucune réaction, comme elle s'y attendait. Il n'y avait jamais aucune réaction. Pourtant, elle savait pertinemment ce qui aurait dû se passer. Elle avait vue la scène assez de fois pour savoir exactement comment aurait du réagir ce fantôme.
Se tourner vers elle, planter son regard sans vie dans le sien, et aspirer son âme et tous ses souvenirs.
Mais non. Monsieur le roi des Enfers avait décidé qu'il en serait autrement, qu'elle ne pourrait courir aucun danger dans son royaume.
Et pour bien rappeler à la jeune femme qu'elle passerait toute l'éternité ici-bas, il lui envoyait sans cesse des messagers de ce type.
- Répond-moi ! s'énerva-t-elle.
Mais le spectre continua son chemin, en quête d'un autre Déchu à dépouiller de son âme. Rageuse, Aliyah s'approcha du mort, qui détourna les yeux. Elle tenta de l'arrêter mais sa main passa au travers de l'étrange fumée verdâtre qui le composait.
Elle pesta.
- Milady, vous savez bien que je ne peux rien vous faire, articula-t-il difficilement de sa voix caverneuse. Il ne le permet pas.
Elle roula des yeux.
- Arrêtez de prononcer ce mot comme s'il était votre sauveur, par pitié.
- Mais Il est le maître de ces lieux, Il nous assure prospérité et...
- Oui, je sais, le coupa Aliyah, agacée. Prospérité et tout le blabla qui va avec. Parce que vous, vous trouvez que ces conditions de vie sont acceptables.
Le fantôme parut choqué et baissa d'un ton.
- Ne dites pas cela, Milady. Il nous écoute en permanence. Il vous assure la sécurité. Vous devriez vous montrer reconnaissante.
Elle ricana. Reconnaissante. Mais bien sûr. Elle se tourna vers le ciel et ouvrit grand les bras, et haussa encore d'un ton.
- Tu entends ça, Hadès ? Je devrais t'être reconnaissante !
Le fantôme secoua la tête et se remit en route en pressant le pas, marmonnant des prières destinées à implorer le pardon de son Maître, et apaiser sa colère.
Aliyah grimaça un sourire amère, puis se mit à marcher d'un pas nonchalant dans la direction inverse à celle empruntée par le mort. Elle allait lui parler, encore. Elle lui dirait qu'il est égoïste, encore.
Et il lui répondrait encore que c'était pour son bien, et celui de Perséphone.
Elle prit de l'élan et déploya ses immenses ailes pour s'envoler.
Elle adorait cette sensation de liberté, le vent qui faisait danser ses cheveux noirs et surtout la vue qu'elle avait des Enfers.
De là-haut, elle pouvait tout voir.
Mais au fond d'elle, elle savait très bien qu'il y avait une autre raison.
Plus elle volait haut, plus elle avait l'impression d'être proche du mont Olympe, proche de là où elle avait passés à vie et d'où elle avait été injustement bannie. Elle se rappela sa condition d'Ange, jadis : libre comme le vent, elle allait et venait entre les différents royaumes en compagnie d'Hermès et d'autres Anges. Ils avaient un travail très simple de messagers, mais cela lui suffisait amplement. Elle était même heureuse, à cette époque.
Ses yeux étant habitués à voir dans le noir, elle repéra sans difficulté le palais d'Hadès et quelques minutes plus tard, elle se posait devant les grandes marches de pierre qui donnaient sur de grandes portes en or massif.
Sans toquer ou même se faire annoncer, elle entra, suscitant des mimiques désapprobatrices sur les visages de ceux qui se trouvaient là. Néanmoins, aucun d'eux n'osa rien lui reprocher, bien trop intimidés par son statut.
Aliyah parcourut le dédale de couloirs décorés en rouge, noir et or et arriva finalement devant la salle du trône, où Hadès et Perséphone devaient très certainement à cette heure recevoir des audiences. Sans vergogne, elle poussa la porte et entra dans la pièce.
Des dizaines de paires d'yeux se tournèrent vers elle, et elle afficha un grand sourire rebelle.
D'un geste fatigué de la main, Hadès signe à ses sujets qu'ils pouvaient disposer.
- Que veux-tu encore, Aliyah ?
- Je veux que tu retires ma punition, qui était totalement injuste.
Perséphone soupira et Hadès grogna.
- Je ne te permet pas de contester mes décisions, jeune fille.
- Tu es égoïste. Tu ne m'as ramenée ici que par pur égoïsme, inventant un prétexte pour me faire exiler.
- Tu veux une énième dispute, c'est ça ? Je t'ai ramenée ici parce que c'est ta place.
L'Ange soupira. Elle détestait ces disputes, et elle détestait cet air supérieur que prenait Hadès.
- Très bien. Dans ce cas je reviendrai demain, et tous les jours qui suivront jusqu'à ce que tu cèdes.
Elle mima une petite courbette.
- Père, mère, au revoir.
Aliyah tourna les talons et sortit de la pièce d'un pas rageur.
Perséphone et Hadès échangèrent un regard entendu, se demandant ce qu'ils avaient bien pu rater dans l'éducation de leur fille unique.
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