Octobre - Mon nom est Pumpkin

Nouvelle dans le cadre du défi mensuel de godplumplum
Angleterre, fin d'Octobre 1916

Le matin se levait, comme à chaque jour, et les rayons du soleil réchauffaient la cour. Quelques uns pénétraient la petite fenêtre d'une petite chambre à la porte ouverte; son occupant levé malgré l'heure matinale était déjà parti pour vivre la routine, un petit garçon roux au surnom pas banal puisqu'il insistait pour qu'on l'appelle Pumpkin.

Huit heures, et tous étaient conviés au réfectoire, "dans le calme et dans l'ordre", criaient les surveillants. Après la prière ils pouvaient manger et boire, mais pas plus qu'un verre d'eau, et un peu de pain blanc. Il était obsessif, ainsi dans son assiette ne pouvait-il jamais s'empêcher de compter le nombre très exact de ses petites miettes, cette folie des nombres qu'il ne pouvait dompter.
Il retrouvait Ariane, une fillette fine, la tête dans les nuages que formaient ses cheveux, la seule qui donnait un peu à Pumpkin l'impression d'être un brin moins nerveux dans les journées sans fin de ce pensionnat. La gamine était mince, comme tout le monde ici, nourrie à la purée, ainsi qu'au pain rassis, car la guerre, n'importe où, ne pardonne pas.

Malgré sa peau d'une pâleur mortuaire, la fillette gardait toujours le sourire; elle était dans l'ombre de Pumpkin la lumière qui lui faisait croire qu'il pouvait s'en sortir. Mais bon, la petite Ariane, elle était louche, la rumeur racontait que pendant ses journées elle mettait au point de nombreux pièges à mouches pour nourrir son sombre élevage d'araignées.
Il faut dire que la fille s'extasiait devant elles, ne pouvant s'empêcher de capturer chacune de ces créatures qu'elle trouvait si belles, cela la faisait un peu sortir de sa lune.
Certains garçons tentaient, pour prouver leur courage, d'écraser ces bestioles en face d'autres filles. Ariane pleurait alors, de colère et de rage, face à la cruauté de ces pauvres débiles.

Ça y est, Pumpkin était, comme à son habitude, perdu dans ses pensées en admirant Ariane. Le petit vivait dans une dure solitude que seule faisait fuir cette drôlesse insane. Peut-être l'aimait-il ? Il n'en savait trop rien; parce que pour lui, l'amour, du haut de ses sept ans, était comme souvent un sujet pour les grands; il a le temps de grandir pour le connaître bien.

Sous la brise mourait le noble mois d'octobre, emportant avec lui les ramages dorés. La nuit s'étendait, la Toussaint s'approchait, et la petite Ariane avait sorti sa robe aux doux velours noirs et aux dentelles blanches. Elle était à genoux, fouillant entre les branches, à la recherche d'une quelconque tégénaire, quand Pumpkin eut la force de cesser de se taire.

« Bonjour, commença-t-il, sans doute un bon début.
Cela fit sursauter la distraite gamine, laissant tomber sa prise sur le sol herbu; une épeire fasciée aux rayures sublimes.
Il va sans dire qu'elle fut fort en colère, une pointe de rouge teintait sa peau pâle.
- Non mais ce n'est pas vrai, elle est tombée par terre ! Regarde c'que t'as fais, espèce d'animal !! »

Puis elle se calma, en retrouvant la trace du splendide arachnide qu'elle voulait admirer. Sur son épaule monta la cible de sa chasse, puis vint un regard dur vers le cœur déchiré par ses acerbes mots.
- Que me veux-tu ? dit-elle, tout en scrutant Pumpkin de ses yeux noirs profonds.
Es-tu de ceux qui viennent pour t'en prendre à elles, leur arracher les pattes comme un bout de chiffon ?

- Non, mais je suis seul, et comme toi aussi...

- Ah ! Tu peux t'en aller, je n'ai pas besoin d'amis.

- Toi peut-être que non, il se trouve que moi si. Souffrirais-tu subir mon humble compagnie ?

Ariane le jugea d'un regard méfiant.
- D'accord, lâcha-t-elle, mais je te préviens: pour une seule tuée, je t'en fais bouffer cent. »
Dans ses yeux brillaient, et il le voyait bien, la vraiment violente et vive étincelle, qui, sans le moindre doute, ne pouvait être celle, hésitante et honteuse, de quelqu'un qui ment.

Pumpkin s'assit alors aux côtés d'Ariane, qui semblait bien loin de s'en préoccuper; car préférant chercher, à l'ombre du platane, une de ces bestioles qu'elle prenait pour poupée. Elle se rendit compte qu'elle n'était pas courtoise; et même un peu vilaine d'agir de la sorte. Aussi, ne voulant pas chercher plus de noise se força-t-elle à dire une petite anecdote.
Pointant son familier:
« Savais-tu que pour elle, le mâle est si petit que face à la femelle elle a l'air d'un titan au centre de sa toile ? »
La lune était tombée, on voyait les étoiles.

« Ça, c'est une épeire, fasciée, tu peux le voir, c'est à dire zébrée de jaune et puis de noir. Toutes les épeires tissent une toile par jour, car faire et défaire c'est travailler toujours. Sa cousine, diadème, est beaucoup plus petite, et reste sur sa toile à attendre ses proies; quand on parle beauté c'est elle qui fait loi, dans les jardins de tous cette merveille habite. »

Ariane parlait seule, Pumpkin était muet mais bel et bien content de se trouver avec elle. En fait, elle aussi, ne voulant pas l'avouer, aimait pour ses histoires avoir des oreilles. Elle bondit soudain, sa belle bouche béante, et posa sur Pumpkin une main rassurante. De l'autre, une attaque, précise et puissante, captura sur son bras une tégénaire géante.
La bête était massive, de la taille d'une main, elle semblait ravir cette bien étrange fille qui reposa le monstre au sol d'où il vient, et il s'y enfuit, sous un tas de brindilles.

Son cœur se remettant de la mésaventure, Pumpkin reprit son souffle et posa la question :
« En fait, pourquoi aimes-tu autant ces créatures ? Un peu, je peux comprendre, mais c'est une obsession...

Sur son visage pâle elle prit un air sombre, et hésita un temps avant de lui répondre.
« Ma marâtre disait, en parlant d'araignées, qu'elles ne prennent joie qu'au moment de tuer.
Donc, quand je pense à elle, à la place d'une blême, j'imagine qu'une fois, dans toute son existence, elle fit plaisir à quelqu'un d'autre qu'elle-même, ne serait-ce qu'à l'instant où elle céda au silence.
Depuis lors, tous les jours, je recherche celle qui d'une piqûre m'avait ravi ma mère. Pour la remercier de son acte sincère, peut-être un peu aussi pour qu'elle m'emmène à elle... Parce qu'en dépit du fait qu'elle ne cessait de boire, et qu'à cause de ça était vraiment méchante, malgré les cauchemars où elle me violente, je pense avoir besoin, en mon fond, de la voir.»

Pumpkin en fut bouche bée. Les douleurs de la fille dépassaient, et de loin, ses histoires de famille: sa mère était partie en le faisant venir, et puis les affres de cette maudite guerre avaient, dans la France que les tranchées déchirent, emporté ses oncles, ses frères et son père.
Mais c'était le cas pour beaucoup au pensionnat; des millions de victimes au nom d'une triple-Entente, cela laissait un nombre de sombres orphelinats à pâlir de honte les têtes dirigeantes.

Une épeire diadème illumina les yeux à deux doigts de pleurer de la pauvre orpheline, et alors que les larmes examinaient ses lignes, Pumpkin enlaça cet esprit curieux. Ariane se laissa faire, en laissant tomber une pluie bienfaisante contenant sa tristesse. Ses peines et ses douleurs, sous le coup des caresses, se transformaient en pleurs devant ses araignées.


Et, des années plus tard, peu avant la Toussaint, se tinrent en Angleterre des noces peu communes. Sous la lueur d'opale glacée de la Lune, deux jeunes amoureux se tenaient la main; la mordue d'araignée allait être l'épouse d'un drôle de rouquin qui comptait tout par douze.

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