77- Sacrifice

-Si tu cherches tes amis, je peux t'aider...

Karmen sentit ses muscles se raidirent d'un seul coup. Ce n'était pas prévu, mais alors pas du tout. Elle voulait juste retrouver ses amis avant cet enfoiré, et voilà qu'elle se retrouvait elle-même prise au piège.

Elle ne répondit pas, et détailla longuement l'homme face à elle : âgé, il gardait une posture arrogante et avait croisé ses mains dans son dos, lui montrant clairement qu'il ne se sentait nullement en danger. Ses yeux gris bleus lui rappelaient affreusement ceux de Coyle, et la perturbaient grandement.... Mais ce n'était pas lui, elle devait se sortir cette idée de la tête.

Ses traits marqués par le temps étaient effrayants, on aurait pu croire qu'il allait lui sauter dessus l'instant d'après. Son visage anguleux était délimité par une barbe taillée en pointe, lui conférant un aspect encore plus effrayant. Malgré elle, la jeune femme sentit un frisson lui parcourir l'échine. Elle avait beau avoir vécu des moments difficiles et inquiétants dans sa vie, elle ne s'était jamais senti autant en danger qu'aujourd'hui.

Mais elle était seule : malgré son désir de vengeance, elle devait fuir. Il ne pouvait pas savoir qui elle était vraiment. Il lui suffisait de détourner son attention, et....

-Je pense que vous devez confondre, affirma-t-elle d'un air sur. Je ne cherche personne. Je passais là car il paraît qu'on y trouve des plantes médicinales.

-Vous êtes décidément bien mal informée, grinça le vieil homme. Ici, ne poussent que des orties.

Karmen se mordit l'intérieur de la joue devant l'inefficacité de son mensonge : comment s'en tirer sans attirer son attention ? Si elle partait en courant, dans son état, il aurait vite fait de la rattraper, même s'il était bien plus âgé. Elle voyait clairement à ses muscles saillants et secs qu'il avait une forme physique plus élevée que la moyenne. Elle ne tirerait rien de ce côté là.

-Je n'ai qu'à aller un peu plus loin alors, répondit-elle d'une voix faussement douce.

-Oh je vois... (il haussa les sourcils ) Donc si j'ordonne à mes hommes un peu plus loin de tuer les hommes qu'ils ont attrapés ici il y a peu, cela ne te pose aucun problème j'imagine ?

Le fils de pute. Karmen serra les dents de toutes ses forces. Réagir ? Elle abandonnerait alors toute chance de fuite. Partir ? Elle condamnerait ses amis à une mort certaine. Cet homme n'était pas de ceux avec qui on plaisante impunément.

Elle était seule, avec pour seule arme un poignard minable caché dans sa botte. Personne ne pouvait lui venir en aide.

-Quels hommes ? Tenta-t-elle.

-Oh je ne me souviens plus bien... fit mine de réfléchir Archibald. Ils avaient l'air très amis, et posaient plein de questions partout ces petits filous. Je me suis retrouvé bien embêté vois-tu....

Ils posaient des questions partout. Il devait certainement tenir Maxime, Pit ainsi que Oliver et Joan. Mais dans ce cas là, cela voulait aussi dire que Iris et Émile n'étaient pas avec eux. Il restait donc peut-être une chance....

-Je ne suis pas sûre de bien comprendre ? S'enquit Karmen toujours avec un air hypocrite parfaitement maîtrisé.

Elle devait gagner du temps. Un maximum de temps. Peut-être qu'une solution se profilerait pour elle ainsi...

-Si ça peut t'aider à comprendre, je n'ai qu'à lancer mon signal et attendre sagement avec toi.

-Attendre quoi ?

-Qu'on me ramène la tête d'un premier. Ce sera la loterie du coup pardonne moi, je ne pourrais pas choisir à distance. (il plaqua la main sur sa bouche d'un air faussement choqué) Oh je suis désolé ! Tu avais une préférence peut-être ?

Karmen eut du mal à maîtriser son expression, tellement elle était choquée par les paroles de cruauté qu'il débitait sans aucune gêne. Affreux. Ce type était affreux, une abomination. Chaque passage du vieux journal de Coyle le concernant lui remontaient en mémoire, et elle eut envie de vomir.

Elle comprenait à présent à quel point elle ne savait pas. Elle pensait qu'aux travers des mots couchés sur la papier elle avait tout saisi de l'enfance de Coyle. De son lien avec son père. Mais maintenant qu'elle était face à lui, elle ne pouvait que mesurer à quel point cela dépassait son imagination. Il avait dû vivre un enfer. Pendant des années.

-Espèce de sadique...grommela-t-elle entre ses dents.

-Je vous demande pardon ?

Karmen perdit complètement son calme, et se mit à hurler à s'en déchirer les cordes vocales.

-Non mais vous êtes malade ?! Menacez la vie d'un homme de cette manière là ?! Je vous ai dit que je ne cherchais personne !

Elle se reprit juste à temps pour éviter la catastrophe. Il ne savait pas qui elle était. Du moins il croyait le savoir, mais il ne fallait pas qu'elle lui donne les clés pour compléter le tableau en entier.

Tout ce qu'il savait jusqu'à présent, c'était que ses amis posaient des questions sur lui et ses « enfants ». Il semblait être au courant de leur lien avec elle, mais Karmen ne lui en donnerait pas la confirmation. Ce serait trop facile. Elle devait gagner du temps, elle....

-Non !

Le cri lui échappa lorsqu'il porta deux doigts à ses lèvres dans le but évident de siffler. Son fameux signal. Elle se pinça les lèvres fort, consciente de son erreur. Mais le mal était fait. Déboussolée, elle se mit à réfléchir à toute allure à une idée pour s'en sortir avec ses amis en vie, lorsqu'une voix fatiguée bien connue résonna derrière elle :

-Toujours aussi fasciné par la mise en scène théâtrale à ce que je vois....

Émile arriva derrière elle, tandis que Iris apparaissait également à quelques mètres d'eux. Karmen le regarda d'un air perdu, sans comprendre pourquoi ils s'étaient montrés.

-Ma petite je suis heureux de te voir sur pieds, se contenta-t-il de lui dire.

Il reporta son attention sur Archibald, qui attendait en face d'eux, les yeux plissés. Son attitude n'était plus aussi exubérante, et sa posture était bien plus sérieuse qu'auparavant.

-Tiens, mais qui voilà...susurra-t-il dans un souffle.

-Archibald.

-Je te pensais déjà de l'autre côté vieux fou ! Et que me vaut ce plaisir ? Cracha l'ancien roi.

-Plaisir non partagé. Laisse ces hommes que tu maintiens prisonniers repartir et ça ne fera pas d'histoire. Assena Émile en penchant la tête d'un air menaçant.

Figée, Karmen fut surprise de voir à quel point il était imposant, même ainsi. Il avait l'apparence d'un vieillard, mais dans ses yeux et sa posture brillait une flamme d'une intensité foudroyante.

-Et qu'est-ce qui pourrait bien pencher en ta faveur ? Je peux peut-être demander à ta sœur, qu'en dis-tu ? Iris, ma chère Iris, pourquoi devrais-je m'inquiéter de vous ?

-Archibald, cesse ton jeu. Tu es seul, et nous sommes trois. Il n'y a rien d'autre à dire...lança Iris de là où elle était.

-Seul ? Oh mes chers vieux amis, je crois que vous vous méprenez... Je suis loin d'être seul.

Il leva un bras en l'air, et l'instant d'après, deux personnes sortaient des sous bois, en face d'eux. La première était une jeune femme, tenant un arc dont la corde était tirée jusqu'à sa joue. Son regard meurtrier donna des frissons à Karmen. Une orpheline. La deuxième personne était un homme, plutôt jeune, qui se tenait juste derrière sa comparse, un air farouche peint sur son visage. Lui aussi était armé, mais de poignards.

-Peut-être pouvons-nous reconsidérer votre avantage numéraire à présent ? S'enquit Archibald en avançant d'un pas.

Un sourire narquois sur les lèvres, il fit un signe de la main aux deux personnes derrière lui. La jeune femme se positionna à sa gauche, tandis que la jeune homme faisait un pas de côté pour se retrouver sur sa droite.

-Pardonnez mon impolitesse, je n'ai pas fait les présentations (il tendit la main sur sa droite sans regarder) Voici Veronica. (Il étendit son autre bras) Et de ce côté-ci nous avons Jude. Ça ne se voit pas mais ils sont ravis de vous rencontrer.

-Eh le vieux sénile ! Hurla Karmen. Tu n'as pas fini ton discours ? Non, c'est parce que je m'ennuie là !

Les poings serrés contre ses cuisses, la jeune femme était fatiguée de retenir tout ce qu'elle ressentait. Elle était à fleur de peau, et avoir sous la main le meurtrier de ses parents sans rien pouvoir faire la faisait enrager. C'était insupportable.

-Excuse-moi, je ne crois pas te connaître toi. Ricana Archibald en souriant.

-Tout ce que tu as besoin de savoir, c'est que je suis celle qui va te tuer.

Aussitôt, la-dite Veronica leva son arc en position de tir et braqua sa flèche droit sur Karmen. Vive malgré la fatigue des derniers jours, cette dernière réagit tout aussi tôt en dégageant son poignard de sa botte.

-Ronnie. Voyons.

La voix doucereuse du roi déchu s'éleva et stoppa la jeune guerrière dans son élan. L'arme au poing, Karmen attendit, sur ses gardes.

-Cette jeune femme n'a pas encore exposé ses motifs, je te la laisse si ils ne me conviennent pas. Compléta Archibald en levant le menton d'un air suffisant.

Karmen expira longuement, et jeta un œil à celle qui voulait lui décocher sa flèche. Immobile, elle attendait.

-Anna. Rodric. Tout deux du nom de Nagilo. Cela évoque-t-il quelque chose pour vous ? Assena-t-elle en faisant un pas en avant.

Cette fois-ci, ce fut Jude qui leva un de ses poignards, montrant clairement qu'elle n'avait pas intérêt à faire un pas de plus. Mais c'était bien le cadet des soucis de la jeune femme. Parce que le regard du vieux tyran venait de changer brutalement. Il savait de quoi elle parlait.

-Vos yeux répondent pour vous. Enchaîna Karmen. Maintenant, si je vous dis que mon nom est Oligan, êtes vous encore assez perspicace pour comprendre ou votre vieillesse va-t-elle vous obliger à poser une question ?

-Ainsi les rumeurs étaient vraies... siffla Archibald en dégainant un poignard à son tour. Ces deux enfoirés ont bien eu un rejeton.

-Ne parlez pas d'eux ainsi ! Hurla Karmen. C'étaient des gens droits et honnêtes, qui ont dû fuir toute leur vie. Ils...(elle déglutit péniblement) Ils ont été tués sous mes yeux, et je compte bien vous rendre la monnaie de votre pièce.

-Je me félicite que leur mort ait été synonyme d'autant de ressentiment, cela veut dire que mes hommes ont bien fait leur travail. La provoqua-t-il. Bien que j'aurais été ravi de voir tes aptitudes au combat, tu m'ennuies. (Il tourna la tête sur le côté) Ronnie si tu veux bien....

Loin d'avoir décroché de ce qui se passait devant elle, la jeune femme blonde tendit à nouveau son arc à l'extrême, droit sur Karmen. Cette dernière fléchit les genoux, prête à esquiver dès que la flèche serait partie. Elle était très proche et avait peu de chances d'y arriver, mais c'était son seul choix.

Seulement, elle n'eut pas le loisir d'essayer lorsqu'une masse sombre se jeta devant elle, si vite qu'elle vit flou un court instant. Au même moment, une seconde personne faisait irruption sur la scène de discorde, à l'opposé de sa position. Karmen sentit l'odeur de lavande au même moment qu'elle reconnut Logan à plusieurs mètres.

Il ne l'avait pas écouté. Il l'avait suivi.

Fermement campé devant elle, Coyle paraissait sur le point de bondir. Logan, armé lui aussi d'un arc, visait Jude, à quelques mètres de lui.

-Bien que je rêve de t'arracher les deux yeux pour ce que tu as fait au mien, lança-t-il à l'intention de Veronica qui s'était figée, je pense qu'embrocher ton copain te ferait bien plus d'effet. (Il lâcha un sourire goguenard) Oui j'ai bien compris la dernière fois que vous étiez bien plus que de simples compagnons d'armes, ne te fatigues pas à nier.

-Si tu décoches cette flèche, il meurt. Simplifia Coyle d'une voix rauque.

Sous le choc, Karmen était incapable de décider quoi faire. Toute la situation dans son ensemble était en train de lui échapper. Il y avait trop de monde, trop de morts potentiels autour d'elle... Coyle ne l'avait pas encore regardée, mais elle se sentait tout d'un coup beaucoup moins forte en le sachant à ses côtés : s'il mourrait, elle ne serait plus rien.

-Je comprends mieux pourquoi tes chers amis posaient des questions à tord et à travers maintenant. Constata Archibald toujours avec le même calme. Nicholas. Ton arrivée est des plus inattendue.

-Cesse donc !

La voix du souverain claqua comme un coup de fouet. Karmen le vit resserrer sa prise autour du manche du poignard, et si mit à craindre le pire : il se trouvait entre elle et cette flèche prête à être décochée. Aussi simplement que ça.

-Tu vas payer pour tes crimes aujourd'hui, je n'aurais jamais dû t'accorder l'exil, car au final seule la mort t'attend. Il est temps de rattraper le temps perdu. Continua-t-il.

-Si tu crois que je n'aurais pas le courage de te tuer tu te trompes ; je n'aurais aucun scrupule. S'écria Archibald en reculant d'un pas. Mais nous sommes bien trop nombreux, il est temps de se débarrasser des témoins indésirables. Ronnie !

Il désigna du menton Iris restée en retrait, et l'arc changea aussitôt de direction. Karmen se dégagea de l'ombre de Coyle en un bond, mais la flèche était déjà partie.

-NON !!

Le temps se dilata, s'étira et se tordit quelques instants, et la flèche parut passer au ralenti. Personne n'était en mesure d'intervenir.

Elle percuta Iris en pleine poitrine, et seul un hoquet vint accueillir son plongeon funeste. Karmen hurla de nouveau, sans s'entendre. Elle accourut vers la vieille femme, écroulée par terre, les mains compressées autour de la flèche.

-Iris ! Iris ! Laisse-moi voir ! Lui ordonna-t-elle.

-Mon enfant, c'est inutile, tu sais bien...

-Non, ne dis pas ça ! Je te l'interdis ! Tu m'as tout donné, c'est déjà trop !

Karmen tenta de stopper l'hémorragie, mais il semblait y avait toujours plus de sang. Les paumes ensanglantées, Karmen comprit que celle qu'elle considérait comme sa deuxième mère était condamnée.

-Non !! Iris !!

Elle poussa un autre hurlement, suivi d'un autre, qui vinrent étouffer des sanglots. Les épaules secouées, Karmen prit la tête d'Iris entre ses bras et la berça doucement sur ses genoux.

-Iris, je ne peux pas....Je t'en prie...

Même consciente de ce qui l'attendait, la jeune femme refusait d'admettre la vérité. C'était impossible. Iris ne pouvait pas mourir. Pas maintenant.

-Ma chérie.. Je suis tellement fière de toi, et je t'aime tellement. Promets moi de rester en vie, tu dois...

-Arrête, ne dis pas ça, tu....

-Karmen promets moi. J'ai besoin de partir en ayant ta promesse.

Autour d'eux, plus rien ne paraissait bouger. Veronica avait de nouveau braqué son arc sur Karmen, tandis qu'Émile s'était précipité auprès de sa sœur, un quart de seconde après Karmen. Agenouillé auprès d'elle, il caressa ses cheveux d'un geste tendre, les yeux baignés de larmes.

-Émile... On en avait parlé, je t'ai déjà tout dit. N'oublie pas, c'était mon choix. Souffla Iris.

-Chut...Ne parle pas, tu vas souffrir encore plus sinon...chuchota son frère en prenant sa main contre la sienne.

Secouée de hoquets, Karmen se pencha sur Iris et lui glissa à l'oreille :

-Je t'aime Iris, merci pour tout ce que tu m'as donné. Je te promets de rester en vie jusqu'au bout. Il paiera. Je te promets.

-Karmen mon petit oiseau, tu es la plus beau cadeau que la vie m'ait donné...

Iris expira longuement, et du sang se mit à couler de sa bouche. Incapable de regarder plus longtemps, Karmen se blottit contre elle, et la serra de toutes ses forces alors que la vie la quittait peu à peu. Au bout d'un moment, sa poitrine cessa de se soulever, et le silence se fit écrasant.

Un grincement fit relever la tête à la jeune femme : Veronica paraissait sur le point de décocher une deuxième flèche sur elle. Du coin de l'œil, Karmen vit Coyle armer son bras pour lancer son poignard. Elle savait qu'il ne la manquerait pas. Vas-y. Tue la.

-Nicholas voyons, tu ne tuerais pas ta propre sœur ? Lança Archibald d'un coup.

***
J'ai fini mes bacs blancs et je suis plus proche de l'état de brocolis que d'être vivant. 😭

Mais.

J'ai fini le chapitre plus tôt hihi, alors le voici :)

Alors alors? Archibald?

Le retour de Ronnie? Jude? Logan? ( Pour ceux qui ne se rappellent pas je vous renvoie au chapitre où Loggy perd son oeil...)

COYYYYLE? Lié à Ronnie??

La mort de Iris, que cela va-t-il entrainer?

Xoxo

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