7- Exécution
Le lendemain, au réveil, Karmen ne réussit même pas à lever la tête. C'était comme si on l'avait ensevelie sous plusieurs caissons de briques ! Lorsqu'elle souleva une paupière, elle crut que son crâne allait exploser. Était-ce possible de souffrir à ce point ?
Se remémorant les événements récents, elle s'assit brusquement en ignorant la douleur, effrayée à l'idée qu'on ait pu la trouver: mais rien. Même les oiseaux semblaient absents. Risquant un coup d'œil en dessous de son abri elle comprit qu'il en était de même pour les passants. La ville semblait comme...vidée de sa vie. Abandonnée.
Jugeant cela anormal, Karmen se força à bouger en vitesse. Elle se laissa tomber sur la porche et manqua de s'écrouler au sol dans son élan. Ses muscles semblaient avoir décidé de l'abandonner !
Elle était une battante, elle serra les dents et ne laissa entrevoir qu'une minuscule grimace de douleur. Elle défroissa ses jupons rapidement et partit d'un pas rapide vers le centre de la ville, où, elle l'espérait, elle pourrait se fondre dans la foule pour échapper à Silas.
Une année déjà, une serveuse s'était enfuie avec son soupirant, sans accord de leur employeur ; ce dernier les avait fait chercher dans tout le pays sans répit jusqu'à leur mettre la main dessus, et arracher la langue à la pauvre malheureuse, châtiment d'ordinaire réservé aux déserteurs. Cet homme ne plaisantait jamais avec les engagements, c'était à se demander comment il avait réussi à convaincre 5 femmes à l'épouser, quoi qu'on en était aujourd'hui sans nouvelles...
Au détour d'une rue adjacente au centre de la place du marché, Karmen entendit des clameurs monter en force, et aperçut rapidement ce qui les causait ; une estrade immense, tout en bois, montée sur les pavés en pierre ; avec dessus, exactement 5 piliers plus haut que deux charrues, auxquels étaient attachés 5 personnes, cagoule sur la tête.
Une exécution. Événement rare mais obligatoire pour tous, ordonné par le souverain de temps à autres. Cela expliquait le calme dans le reste du village, et Karmen avait dû manquer l'information dans sa fuite.
Elle n'avait cependant jamais été friande de ces exécutions sommaires, par pendaison ou décapitation ; elle n'en avait pas peur, mais cette violence ainsi exposée aux yeux de tous la révulsait ; comment un être humain pouvait-il faire cela à un autre ? Quelle conscience avait-il ? Karmen se demanda si le roi avait le choix ou si cela faisait partie de son devoir et qu'il n'avait pas le choix...
Soucieuse de ne pas se faire remarquer par les gardes impériaux, elle baissa la tête et se mit dans une file de spectateurs bruyants.
-Mort au traîtres ! Ciraient-ils.
-Ils n'ont que ce qu'ils méritent ! Renchérissaient d'autres un peu plus loin...
Et ainsi continuaient les insultes envers les condamnés, immobiles sur l'estrade. Lorsque le garde en charge des opérations leva sa main, la foule se tut immédiatement. Son visage est envahi par sa barbe mais rien que son regard inspirait la pitié et la crainte. Il lui rappelait un peu Bastien en un sens...
Derrière l'estrade, Karmen remarqua une chaise à porteur, dont les fenêtres étaient voilés par des draps soyeux pourpres. Une escorte entière se tenait à ses côtés. Tout portait à croire que c'était le roi qui y siégeait... Répugnait-il ces spectacles autant que moi ?
« Aujourd'hui est un jour particulier pour la capitale. Sur ordre de notre souverain bien aimé, 5 criminels ont été extrais des prisons du château pour recevoir leurs châtiments pour donner un exemple de ce qui arrive aux traîtres. » clama le garde sur l'estrade d'un coup.
Karmen reporta son attention sur lui.
« Que quiconque désobéisse aux règles appliquées et ils s'exposera au même châtiment. Ainsi l'a décrété notre roi. »
Sur ces paroles, il fit un signe au garde posté près du premier condamné. Celui ci lui retira sa cagoule, exposant son visage à la lumière aveuglante de midi.
« Americ Kolo. Vous le connaissez tous pour ses nombreux assassinats revendiqués aux quatre coins de la ville par son nom signés avec le sang de ses victimes. »
Il passa au second prisonnier.
« Geoffrey Nimon. Coupable de haute trahison envers la couronne, qui aurait pu coûter a vie à notre roi. »
Il avança encore d'un pas pour s'arrêter auprès de la 3e personne.
« Hiamond Fols. Escroc de la pire espèce, commerce de prostitués et des produits illicites et dangereux. »
La cagoule du 4e condamné lui fut retirée.
« Joris Dera. Prisonnier de guerre avec à son actif 24 tentatives d'évasions infructueuses. »
Il passa enfin à la cinquième silhouette. Mais lorsqu'il lui retira sa cagoule, Karmen hoqueta de stupeur, comme le reste de la foule : c'était une femme ! Âgée d'au moins 50 ans ! Mais qui ne se laissa pas démonter et cracha avec une grimace de dégoût sur son bourreau.
Celui ci la gifla à la volée, si fort que Karmen crut que sa tête frêle allait se décrocher de ses épaules.
« Et Iris Mondegat. Sorcière responsable des malheurs de plus d'hommes que l'on ne peut en compter sur un champs de bataille. »
-Le seul crime que j'ai commis vieux fou c'est d'avoir aidé des pauvres gens malades sans défense ! Hurla-t-elle courageusement.
Karmen crispa ses muscles quand le soldat frappa une nouvelle fois. Elle était ébahie par le courage de la vieille dame, seule parmi 4 hommes dangereux, et seule à oser s'exprimer. C'était invraisemblable.
La vieille releva la tête, un filet de sang coulant sur son menton. Son regard balaya la foule, et croisa celui de Karmen : c'était un regard de battant, pas de vaincu : Karmen fut émerveillée sans savoir pourquoi. Mais cet acier métallique...C'était le même que celui dans le regard du vieil homme devant l'école, qui l'avait mise en garde !
Karmen sentit son cœur sauter un battement. Il fallait qu'elle parle à cette femme ! Mais elle s'apprêtait à être exécutée ! C'était bien sa chance... Iris ne la quittait plus du regard. C'était très étrange.
Réfléchissant à toute vitesse, Karmen ne lâcha pas la doyenne des yeux. Celle ci articula silencieusement un seul et unique mot.. Karmen fronça les sourcils : que pouvait-elle bien demander ?
La vieille condamnée répéta sa mimique.
Couteau.
Karmen écarquilla les yeux ; elle était folle ! Mais quelque chose dans le regard qui la fixait lui souffla d'obtempérer. Fébrile, elle arracha le coutelas de son étui, et le saisit par la lame.
Un grand bruit retentit : la trappe sous le premier prisonnier venait de céder il pendant maintenant au bout d'un corde, sans vie.
Karmen arma on bras et lança sans une hésitation l'arme. La doyenne l'attrapa habilement pour son âge, et Karmen remarque le filet de cordes déchirées sur ses poignets ; elle les avait arrachées !
Aussitôt la foule se mit en mouvement, dans un vacarme épouvantable. Karmen recula, certaine que parmi tous les gens rassemblés aucun ne savait que le couteau venait d'elle.
Elle garda un œil attentif sur sa protégée, qui assommait les gardes un à un avec une souplesse et une force déconcertante. Karmen espérait avoir fait le bon choix.
Suivant le tumulte des bourgeois affolés, Karmen fit signe à l'ex condamnée.
« Sur la colline ! » articula-t-elle à son intention.
La doyenne hocha la tête e continua sa danse de la mort entre les gardes démunis. Karmen se détourna et entreprit de sortir du village pour aller attendre sur la colline. Elle fit attention à ne pas être suivie, après ce qu'elle avait fait, elle courait un grave danger.
Elle pourrait facilement se retrouver en prison, et y rester à vie...Et dès lors plus rien n'empêcherait Bastien de la retrouver... Karmen n'avait beau plus rien à perdre, elle gardait la volonté de vivre envers et contre tout.
Arrivée au sommet de la colline, elle essaya d'apercevoir comment avait évolué l'agitation en ville, mais elle ne put déceler qu'une foule sombre et dense se masser dans les rues. Impossible de savoir si la vieille dame avait réussi à s'échapper...
Toujours sur le qui-vive, elle décida de se cacher dans l'arbre par prudence, histoire de ne pas faire de mauvaise rencontre par hasard.
Elle agrippa avec agilité la première branche, se hissa jusqu'à la deuxième sans difficulté, et commença à escalader l'immense tronc, comme dans sa jeunesse.Ses mains trouvaient les prises sans hésitation, et ses jambes semblaient danser un balai vertigineux, maintenant à 20 pied au dessus du sol.
A ce moment précis, elle n'était plus Karmen, ancienne maîtresse virée de son poste, en fuite de son job de nuit, elle n'était pas celle qui avait perdu son meilleur ami, qui avait assisté à sa lapidation. Elle était une petite enfant de 10 ans qui volait de branches en branches tel un écureuil.
A ce moment, elle était libre.
Arrivée au sommet, elle laissa son regard se perdre au loin, vers la ligne d'horizon où le soleil commençait déjà à descendre... Qu'est ce que la ville était belle vue d'ici, c'était une capital pleine de merveilles sous certains aspects...
Karmen ferma les yeux et cala son dos contre le tronc. Le vent vint alors lui caresser le visage, avec douceur. S'ajoutèrent à lui d'autres senteurs, parmi elles quelques unes de fruits, d'autres de plantes épicées, avec une forte odeur d'écorce.
Le soleil était à présent à la ligne séparant le jour de la nuit, et Karmen n'avait toujours aperçu aucun signe de celle qu'elle avait secourue. Elle décida d'attendre jusqu'à l'apparition des étoiles, mais si là personne ne venait, elle retournerait se chercher un autre abri pour la nuit.
Malheureusement personne ne vint. Profondément déçue, Karmen descendit de son perchoir et entama sa descente vers la ville, à la recherche d'un abri pour une nouvelle nuit en solitaire.
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