69- Si loin, si proche (1)
Dans un état second, la jeune femme hésita plusieurs fois devant les portes, ne se souvenant pas très bien d'où certaines menaient. Mais elle finit par sortir de l'enceinte de pierre, pour enfin rejoindre l'extérieur. La première chose qu'elle vit fut la lune ; haute dans le ciel, entière, elle illuminait tout le monde sous ses pieds.
Avant ce n'était qu'un élément dans le ciel, mais aujourd'hui cela symbolisait la liberté nouvelle de la jeune femme. Émue, elle sentit une larme couler sur sa joue, pour aller lentement s'écraser au sol. Libre. Elle était à nouveau dans le noir. Elle avait passé plus de temps aux côtés de Coyle qu'en prison, mais elle avait l'impression inverse.
Elle resta immobile devant l'enceinte du palais, les yeux levés vers le ciel. Autour d'elle, pas un bruit, tout était calme et silencieux. Aucun vent ne faisait frémir les arbres, et aucun oiseau ne chantait. Le monde dans ses souvenirs était plus bruyant que ça. Elle avait besoin de bruit. Besoin de sentir que d'autres gens se trouvaient à côté d'elle. Et elle savait maintenant pertinemment où aller.
Karmen serra les pans de sa chemise en lambeaux contre sa poitrine, et se dirigea vers la ville. Elle ne pouvait pas se montrer ainsi dans un lieu public, il lui fallait des vêtements. Elle repéra une corde à linge tendue entre deux chaumières, où séchaient encore des habits. S'approchant à pas feutrés, elle étudia les différentes tailles et décrocha une robe kaki sobre, usée par le temps. Si avant elle aurait eu des remords de voler ainsi, aujourd'hui elle n'en avait plus rien à faire.
Elle tourna la tête de droite à gauche pour vérifier que personne ne la voyait, et enfila rapidement le vêtement. Fort heureusement, les pans allaient jusqu'à ses pieds, même si la robe restait un peu grande... La jeune femme replaça ses cheveux dans son dos, maudissant les nœuds qui se coinçaient entre ses doigts. Bon sang, elle ne supportait plus toute cette longueur !
Elle était encore en train de défaire des nœuds en marchant vers le centre ville lorsqu'elle passa devant l'étalage d'une armurerie. Son regard se porta sur une lame rouillée abandonnée sur le comptoir en bois, certainement trop usée pour être revendue. Une idée folle lui vint, qu'elle repoussa aussi tôt. Pour y repenser l'instant d'après : après tout, pourquoi pas ?
Les mèches de cheveux tombèrent les unes après les autres sur le sol, formant un nuage brun à ses pieds. Elle eut des difficultés à couper derrière sa nuque, étant donné que les cicatrices dans son dos étaient encore parfois douloureuses si elle forçait trop... Mais elle arriva enfin au résultat souhaité : les pointes de ses cheveux chatouillaient maintenant ses épaules.
Elle reposa la lame sur le comptoir, et après avoir secoué sa tête dans tous les sens pour se débarrasser des dernières mèches qui ne seraient pas encore tombées, elle repartit d'un pas léger en direction du cœur de la ville. Le tapage nocturne se fit bientôt entendre, et elle arriva dans une ruelle bondée.
Des hommes ivres dansaient en cercle avec des femmes tout aussi éméchées, pendant que des serveuses réapprovisionnaient toutes les pintes vides. Les auberges donnant sur la rue étaient animées elles aussi, plusieurs musiques se mélangeaient même dans l'air frais de la nuit. Souriant comme une enfant, Karmen se mêla à la masse et fendit la foule en regardant autour d'elle comme une enfant. Des gens. Il y avait ici plein de gens.
Elle se sentait entourée, elle n'était plus seule. C'était l'unique chose dont elle avait besoin maintenant. Elle s'approcha d'une table sortie dans la rue pour l'occasion, et tendit l'oreille pour écouter la discussion qui se déroulait entre 4 hommes.
-Tu devrais y aller demain ! Ils recrutent en ce moment ! S'exclama l'un.
-Je ne sais pas Hect...Depuis le scandale de tous ces soldats virés et condamnés il faut être blanc comme neige pour accéder aux tests d'entrée...
Son comparse de gauche fit glisser une feuille sous son nez en frappant dessus du poing ;
-Tant que tu n'as pas essayé tu ne peux pas savoir !
-Et puis tu n'as jamais rien fait de grave. Ajouta un autre.
-Ils ne traquaient surtout que des violeurs au début, les voleurs ils étaient beaucoup plus cléments. Et tu n'as jamais été embarqué dans une grosse bagarre donc...
-Vous avancez tous plus d'arguments que lorsque vous aviez besoin de convaincre votre mère de vous donner de l'argent pour aller chercher le pain, alors qu'en réalité vous faisiez la tournée des bars ! S'esclaffa le jeune qui hésitait l'instant d'avant.
-Oh ne commence pas !
-Les sujets qui fâchent...
-Tout est-il que tu n'as plus de soucis à te faire maintenant qu'ils ont viré tous les salauds de l'armée. Fonce mon vieux.
Karmen fronça les sourcils : les propos qu'elle venait d'entendre prenaient petit à petit forme dans son esprit. Des soldats virés et condamnés pour viol ? Quand cela avait-il eu lieu ? Coyle était en guerre depuis ces derniers mois, non ? Elle était sûre que cela n'avait pas eu lieu avant qu'elle ne soit jetée dans cette cellule lugubre...
-Excusez-moi, fit-elle en se penchant vers eux. De quand date cette réforme ?
-De quand elle date ? Mais vous vivez dans un trou depuis ces dernières semaines mademoiselle ?
-En quelque sorte...grogna Karmen. Donc, de quand date-t-elle ?
-Les procès ont encore lieu, mais ils ont débuté il y a de cela 2 semaines maintenant.
-D'accord je vois remercie.
La jeune femme s'éloigna de leur table, et déambula dans les rues bruyantes. Dans son cerveau, des milliers de pensées tournaient à toute vitesse : Coyle avait donc lancé des enquêtes à l'intérieur même de son armée, et en avait débusqué les salauds. Pas mal pour un roi qui cherchait à chaque fois à éviter les conseils, songea-t-elle avec amertume.
A l'époque, elle se souvenait de le pousser à y aller, sans même savoir qu'il était roi. A présent, tant de choses prenaient leur sens... Elle n'avait aucun souvenir de ce qui s'était passé dans la cellule à partir du moment où Coyle était venu pour passer du baume sur ses plaies. En y repensant, elle mourrait d'envie d'aller lui crier que ce n'était pas là où se trouvaient ses plaies les plus douloureuses. Elles étaient dans son cœur, dans son amour réduit en pièces mais pourtant toujours présent.
Après ce moment de soin, elle n'avait que des brides de souvenirs. Et elle aurait été bien incapable de dire s'ils étaient réels ou non. Mais il y en avait un particulièrement, auquel elle s'accrochait. Elle avait beau se dire qu'il n'était pas réel, elle sentait encore autour d'elle l'empreinte des bras de celui qu'elle voyait dedans, en train de la supplier de s'accrocher à la vie. Coyle était-il venu la voir dans cette période d'inconscience dont elle s'était réveillée des jours plus tard ?
Avait-elle fait le bon choix en quittant le palais ? Elle leva les yeux vers l'immense bâtisse qu'on voyait de loin, briller dans le noir. Elle savait qu'il était là-bas.
A la fois si proche et si loin d'elle.
Devait-elle partir de cette ville et tout recommencer ailleurs ? La chance qui lui était offerte aujourd'hui serait-elle la seule ?
Ou alors devait-elle retourner voir cet homme qui ne lui avait pas révélé sa véritable identité ? Qui lui avait menti ? Pour au final l'enfermer dans le même cachot lugubre dont il l'avait tirée au départ ? Elle avait fait plein de petits pas en avant en le rencontrant pour finalement sauter dans le vide une fois accolée au bord de la falaise.
Mais à présent, que devait-elle faire ?
Point de vue de Coyle :
1 an plus tard.
Nicholas guetta pour la énième fois de la journée le mécanisme du passage secret menant à sa chambre. Mais ce dernier ne bougea pas, ne produisit pas le moindre déclic. Il soupira, et tourna la tête vers le balcon, illuminé par la lune.
Il sortit prendre l'air comme chaque soir, déçu. Cela faisait aujourd'hui très exactement un an. Un an que Karmen ne s'était pas montrée. Il avait beau lui avoir laissé le choix, il espérait au fond de lui qu'elle viendrait. Les premiers jours, il avait juste pensé qu'elle était encore dans sa cellule, ou qu'elle hésitait.
Il s'était refusé à y aller. Puis il avait craqué au bout de 6 jours, et avait demandé à Logan de le faire pour lui. Son ami était revenu la mine fermée, en secouant la tête. Elle n'était plus là. Ivre de rage et de déception, il avait cassé beaucoup d'objets sans regarder ce soir là.
Puis il avait fini par se reprendre. Il était resté sur sa lancée, et avait travaillé dur pour offrir à ce royaume la vie qui lui revenait de droit. De plus, il avait dû gérer l'ancien royaume du roi Étienne, annexé au sien depuis sa victoire. Il s'était ainsi enfermé dans le travail pendant des jours, des semaines, des mois.
Et chaque soir, il vérifiait le mécanisme du passage. Mais rien ne bougeait. Même si c'était un espoir vain, il continuait de le faire chaque jour, car c'était sa motivation pour mener sa journée à bien : travailler dur, et ensuite aller vérifier le passage.
Le souverain chassa ces vieux souvenirs, et rentra au chaud à l'intérieur. Il détacha son ceinturon et son épée, puis les posa sur le coffre au pied de son lit. Seulement, lorsqu'il se retourna pour aller fermer la fenêtre, il se figea.
Le rideau blanc transparent flottait devant la fenêtre ouverte, et derrière ce dernier se dessinait très clairement une silhouette. Une silhouette humaine coiffée d'un chapeau. Il crispa sa main autour du pommeau de son épée, et se raidit.
La personne repoussa le rideau de la main, et entra dans la chambre. Avec l'intensité de la lumière projetée par la lune, impossible de voir autre chose qu'une ombre. Et Coyle se savait exposé dans sa position. Il abordait un visage fermé, prêt à se battre s'il le fallait.
-Bonsoir Coyle, ça faisait longtemps...
L'inconnu enleva son chapeau d'une main, et releva la tête en le regardant. Il lâcha brutalement son épée, qui alla s'écraser dans un bruit mat au sol.
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