68- Sors et ne reviens jamais

Coyle lutta pour garder les paupières ouvertes. Cela faisait de longues heures qu'il veillait sur Karmen, dont l'état de changeait pas d'un iota. Elle avait toujours autant de fièvre, et était proie à des hallucinations. La nuit était tombée depuis bien longtemps maintenant, Mona ne devait pas tarder à revenir.

Le souverain refit tremper le carré de linge dans la bassine d'eau froide – plus si froide que ça – et épongea à nouveau le front de la jeune femme inconsciente. Au contact du tissu, elle bougea la tête, comme si elle cherchait à s'en approcher. Elle voulait ce contact. Attentif, Coyle accentua la pression contre son front, et accueillit son soupir de satisfaction incontrôlé avec soulagement. Elle luttait pour survivre, où que son esprit se trouve en ce moment même. Il n'avait pas complètement tord, Karmen était une battante. Et il fallait à tout prix qu'elle s'accroche à la vie comme elle venait de le faire.

A ce même moment, la porte de la cellule s'ouvrit sur Mona. Silencieuse, cette dernière s'approcha de sa patiente alors que Coyle s'écartait pour ne pas la gêner. Elle inspecta les plaies à la lumière des bougies défaillantes qui se consumaient depuis la tombée de la nuit, et pinça les lèvres.

-Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta Coyle d'une voix blanche.

-Les tissus sont encore bien enflammés, et les plaies suintent encore beaucoup...

-Ce qui veut dire ?

Mona leva un regard perçant à son encontre avant de répondre, pour être sûre qu'il comprenne bien la teneur de ce qu'elle s'apprêtait à lui annoncer.

-Elle risque de ne pas passer la nuit. Tu dois te préparer à cette éventualité.

Le souffle coupé, Nicholas eut l'impression que le sol de la cellule s'approchait de son visage à toute vitesse pour s'en éloigner tout aussi vite l'instant d'après. Les vertiges durèrent quelques secondes, pendant lesquelles il fut incapable d'articuler le moindre mot.

Tout aussi bouleversée que lui, Mona retourna la tête vers son amie et laissa couler quelques larmes silencieuses. Elle en voulait à mort à l'homme à ses côtés, qui était à ses yeux, responsable de ce désastre. Mais il était là, contre toute attente. Et la douleur qu'elle lisait à présent dans ces yeux était rare en ce monde.

-Je peux rester ici si tu veux monter... proposa-t-elle sur un ton plus doux.

-Non. Trancha-t-il aussi sec. Je reste auprès d'elle. Monte rejoindre Logan, je crois savoir que vous avez beaucoup à discuter.

-Ça peut attendre (elle désigna son amie) Elle ne peut pas.

Nicholas baissa les yeux, et acquiesça en silence. Il n'était plus personne ici pour donner des ordres à qui que ce soit. Il retourna auprès de la femme qu'il aimait, et passa lentement ses doigts dans ses cheveux bruns. Le regard perdu dans le vague, il dénoua chaque nœud qui passa sous ses doigts.

-Elle te connaissait par cœur. Finit par dire l'infirmière.

-Qu'est-ce que tu entends par là ?

-Chaque attitude que tu avais par exemple. Quand tu passais ta main dans tes cheveux, elle savait que tu étais tracassé.

-Je n'avais jamais fait attention...

-Et puis sur tes peurs, tes doutes aussi. Elle savait combien il était dur pour toi de faire confiance. Et d'accepter le fait qu'elle t'aimait en retour. Elle avait peur qu'un jour tu rentres en lui disant que tout était fini. Elle a vécu avec cette crainte pendant des mois sans jamais t'en parler, et tu ne l'as jamais soupçonné.

Nicholas déglutit péniblement. Sa petite bulle d'illusions se perçait chaque fois un peu plus. Et c'était douloureux.

-Mais tu sais ce que je pense ? Reprit Mona sur un ton plus agressif.

Elle ne lui laissa pas le loisir de répondre et enchaîna :

-Je pense que tu ne lui as jamais dit que tu étais roi à cause de ton incapacité à l'accepter déjà toi-même. Tu répugnes ce rôle, ça se voit dans toutes tes actions : tu sèches les conseils d'après Logan, et tu fuies tes responsabilités.

Blessé que son meilleur ami parle de lui dans son dos, le souverain se força néanmoins à la mettre en veilleuse.

-Et si tu commençais par en voir les avantages ? Et si tu changeais les choses ? Bouge-toi merde ! Tu ne peux pas vivre dans le déni ainsi, tu n'es plus un enfant ! Tu as tellement peur que tu sabotes tout autour de toi, que ce soit l'amour que Karmen t'offrait ou encore les possibilités de changement que tu ne voies même plus.

-Je n'ai pas tout saboté seul.

-Ah oui ? Vraiment ?

-Elle a dit s'être servi de moi durant tout ce temps, avec une telle conviction que sur le moment je l'ai crue sans preuve. Elle a poussé ses propos à l'extrême, je ne sais aujourd'hui encore rien de ses motivations à ce moment là. Voulait-elle partir ? Fuir ?

Une gifle retentissante le coupa dans sa phrase. Choqué, il tourna les yeux vers Mona qui avait toujours la main en l'air.

-Sombre crétin ! Tu n'as donc pas parlé à Logan ?! Lui aussi aura le droit à sa claque.

-Je ne comprends rien, que veux-tu...

-Tu crois vraiment que Karmen aurait été capable d'une telle chose pendant aussi longtemps ? Elle est bien trop innocente pour ne serait-ce que jouer avec quelqu'un.

-Elle a pourtant affirmé l'avoir fait...

Une seconde gifle lui coupa à nouveau la parole. Nicholas ferma les yeux pour surmonter le sentiment de honte qui montait en lui. Le pire était qu'il savait que Mona avait raison. Ce que Karmen avait dit ce jour là n'avait aucun sens. Mais si elle avait menti, l'avait-elle fait dans l'intention de s'éloigner de lui ? Quel était son but ce jour là ?

-Je vais aller chercher un bouillon aux cuisines pour Karmen, siffla la jeune infirmière. Essaie de penser correctement pour une fois pendant que je ne suis pas là.

Nicholas ne répondit rien, et garda les yeux rivés sur Karmen. Sa joue lui cuisait mais la vision de la jeune femme étendue éclipsait tout le reste. La porte de la cellule se referma sur l'ombre de Mona, et le silence revint entre les murs de pierre. Angoissé, l'homme leva les yeux vers le plafond qui semblait s'étirer vers l'infini : comme Karmen avait-elle pu tenir dans cette endroit exigu ? Comment avait-elle fait pour accepter de ne pas voir le soleil le jour ?

Il se trouvait ici depuis quelques heures et il se sentait mal à en vomir. Bien sur, la situation de Karmen était à l'origine de ce mal-être, mais l'environnement n'aidait pas non plus...

Parmi les bougies disposées autour de Karmen, deux d'entre elles s'éteignirent soudainement. Et la dernière, toujours vaillante, n'allait apparemment pas tarder à les rejoindre. Le souverain se releva et partit dans le couloir décrocher une torche du mur. Il la ramena dans la cellule, où il la fixa au mur près de l'entrée. La luminosité n'était pas formidable, mais ça donnerait de quoi tenir jusqu'au matin sans avoir à quitter le chevet de la jeune femme.

Lorsque Mona revint dans la cellule, elle avait un bol fumant à la main. Elle parut hésiter, puis le tendit à Nicholas.

-Incline légèrement sa tête vers l'avant, et ouvre sa mâchoire en appuyant doucement au niveau de l'articulation. Au début ça risque de couler à côté c'est normal. Au bout d'un moment son corps va prendre le relais et la faire déglutir par automatisme.

-D'accord.

Nicholas s'empara du bol qu'elle lui tendait et appliqua ses indications à la lettre. Comme annoncé, le bouillon coula de la bouche de la jeune femme la première fois qu'il pencha le bol. Puis d'un coup, comme par miracle, elle déglutit. Le cœur battant à toute allure, Nicholas réitéra son geste et pinça les lèvres lorsqu'elle déglutit à nouveau. Il n'aurait pas su dire si elle était consciente, mais il était quasiment certain d'avoir vu ses paupière tressaillir.

Lentement et avec d'infimes précautions, il vida le contenu du bol. Lorsqu'il rendit la soucoupe à Mona, il vit qu'elle était aussi bouleversée que lui. A ce moment précis, Karmen semblait s'accrocher à la vie plus que jamais.

-Elle va s'en sortir. Souffla-t-il.

-Il y a intérêt. Grogna la jeune femme en retour. Ou je t'étripe.

-Ce serait bête de retourner...en prison...pour ça.

Tout d'abord, Coyle et Mona se regardèrent fixement, sans comprendre d'où venait la voix. Puis Mona avisa des yeux entrouverts de son amie et se jeta littéralement à son chevet.

-Karmen ! Tu m'as entendue ! Tu m'as entendue et tu m'as parlé ! Je n'ai pas rêvé ! S'écria-t-elle.

Les yeux vitreux, la blessée entrouvrit la bouche pour répondre, mais fut coupée par un hoquet. Ses yeux se révulsèrent soudainement, et elle se mit à convulser. Son corps filiforme se tordait dans tous les sens sans aucune logique. Consciente l'instant d'avant, elle paraissait maintenant aux portes de la mort. Un hurlement de Mona déchira le silence, pendant qu'elle posait ses mains sur le corps de son amie sans trop savoir faire.

-Mais fait quelque chose ! Lui hurla Coyle.

-Je ne sais pas ! Je ne comprends pas pourquoi elle fait ça !

Sur le point d'exploser, Nicholas prit le corps de la jeune femme dans ses bras et la serra fort contre lui. Les soubresauts étaient si puissants qu'ils agitèrent son corps à lui aussi, mais il ne la lâcha pas.

-Ne me laisse pas...murmura-t-il contre son oreille.

Il la berça lentement comme un bébé, ses propres larmes gouttant sur sa peau. Au bout de quelques instants, le corps inerte se détendit dans ses bras, et la jeune femme se remit à respirer plus normalement. Il la contempla comme s'il s'agissait de la première fois, et déglutit péniblement.

-Je ne te demande que de survivre...

Il ferma les yeux, et garda son corps entre ses bras. Dans son dos, Mona se retira discrètement. Karmen risquait peut-être de se remettre à convulser, elle reviendrait donc à ce moment là. Pour l'instant, Nicholas avait besoin d'intimité.

-Je t'en supplie...

Il massa doucement sa nuque contre laquelle il avait posé sa main, et raffermit sa prise autour de sa taille. Il n'avait jamais été aussi proche d'elle physiquement en 5 mois, et aujourd'hui plus que jamais, il s'en voulait à mort d'avoir enchaîné les mauvais choix. Il la ramena contre lui avec douceur.

Lorsqu'il ré-ouvrit les yeux, il fut transpercé par un regard vert. A peine consciente, Karmen mobilisa toutes ses forces et ouvrit la bouche pour laisser parler son cœur.

-Tu n'imagines pas... A quel point je voulais que...que ce soit toi lorsque j'ou...j'ouvrirai les yeux. Souffla-t-elle.

Coyle ne la lâcha pas des yeux, et ne trouva pas quoi répondre. Mais le temps qu'il trouve, elle était déjà retombée dans l'inconscience. Il enfouit son visage dans son cou et souffla :

- Je n'avais besoin que de toi. Je suis désolé.

***

A l'aube, ce fut Logan qui rentra dans la cellule cette fois. Coyle le salua silencieusement, pour ne pas réveiller Mona qui s'était assoupie de l'autre côté du lit de fortune de Karmen. Quant à lui, il n'avait pas fermé l'œil de la nuit, veillant sur la jeune femme inconsciente. Au petit matin, elle était toujours étendue entre ses bras : Logan haussa un sourcil mais ne fit aucun commentaire.

Il s'accroupit auprès de sa compagne, et caressa tendrement sa joue. Mona se réveilla doucement, et s'étira tel un chat.

-J'ai dormi longtemps ? demanda-t-elle à Coyle.

-Une ou deux heures je pense.

-Comment elle va ?

-Mieux je dirais. Elle n'a plus de fièvre.

-Bien...C'est bien. Son corps récupère.

Logan lui tendit la main et l'aida à se remettre sur ses pieds. Mona lui souffla qu'elle l'attendrait dehors avec un regard entendu. Logan hocha la tête, et attendit qu'elle soit sortie pour s'adresser à Nicholas.

-Que vas-tu faire Nicholas ?

L'emploi de son prénom montra à son ami à quel point il était sérieux. Pensif, Coyle prit le soin de bien choisir ses mots.

-Si jamais elle souhaite s'en aller à son réveil, je lui montrerai le chemin. Toutefois, s'il s'avérait qu'elle veuille encore qu'on s'explique...

-Tu penses vraiment qu'elle va vouloir des explications ? L'interrompit son ami.

-Non. Je pense que non. Mais si mon seul moyen de réparer le lot d'erreurs que j'ai commises est de la laisser partir loin...Je le ferai.

-Cette partie de réponse me va. Qu'en est-il si jamais elle souhaite te parler ? Renchérit durement Logan.

Coyle sentit qu'il avait eu une discussion sérieuse avec Mona. Et tout deux avaient bien raison de le bousculer pour qu'il sorte de ses illusions mensongères.

-Si elle souhaite me parler...(il baissa les yeux sur le visage endormi de la jeune femme entre ses bras) Je pense que ce sera dur pour nous deux. On s'est fait du mal, mais moi bien plus qu'elle.

-Et ?

-Log, je pourrais remettre le monde en question pour elle. Quoi qu'il se passe si jamais on parle, je serais incapable de faire autre chose que ce qu'elle me demandera.

-Que veux-tu...

-Je croirai tout ce qu'elle dit. Le coupa le souverain d'une voix plus ferme. Je l'aime tellement que même ses pires mensonges je les avalerai. Elle est la chose la plus précieuse qu'ait contenu ma vie depuis des années.

Logan ne répondit pas. Il ressortit de la cellule rejoindre Mona sans avoir prononcé un seul mot. Resté seul avec Karmen, Nicholas passa tendrement ses doigts entre ses cheveux, pendant un long moment. Les questions que venait de lui poser Logan l'avait replongé dans ses pensées. Il pensait chaque mot qu'il venait de dire, mais il savait que ce serait compliqué de laisser partir Karmen.

Cette dernière remua faiblement contre lui, et agrippa son bras pour le ramener contre elle. Il la laissa faire, et laissa même échapper un sourire attendri. Vu de l'extérieur, personne n'aurait pu imaginer tout ce qu'il venait de se passer. Mais comme tout bon moment, celui-ci prit fin dans la soirée, lorsque Logan revint le chercher.

-Je sais que tu vas râler et pester, mais épargne moi ce chapitre : un conseil t'attend. Annonça-t-il d'emblée en entrant dans le cachot.

-Qui va veiller sur elle ?

-Moi pour le moment puis Mona. Il faut savoir reculer lorsqu'il est temps Nick, vient.

Résigné, l'homme se releva doucement en prenant soin de bien installer Karmen au préalable. Il passa devant son ami, qui abordait toujours le même masque crispé que le matin même. Il ne savait pas la raison de sa froideur, mais il voulait d'abord lui laisser l'occasion de se calmer avant d'aller lui demander des explications.

Malheureusement, durant les jours qui suivirent, ses responsabilités l'accablèrent de sorte qu'il ne put même pas rendre visite à Karmen. Il ne croisa pas non plus Logan, ni Mona. Cette attente était une torture, mais le pays avait besoin de lui.

De plus, la conversation qu'il avait eu avec Mona dans le cachot avait réveillé quelque chose en lui : un besoin de tout changer, de tout remettre en ordre. Ses rêves d'enfant rebelle refaisaient surface, et cette fois-ci, aucun père tyrannique pour les arrêter. S'il voulait que Karmen lui accorde une chance, il devait aussi montrer qu'il était capable de changer. Cette pensée le motivait de sorte que chaque matin, il se levait en acceptant le fait de ne pas la voir, pour travailler dur à la place. Lorsqu'elle sortirait, le monde autour d'elle serait différent quelque soit son choix.

Il porta d'abord son dévolu sur les soldats de ses garnisons, ainsi que ceux en fonction au palais. Des enquêtes furent menées, des témoins interrogés, et on retrouva plus d'une trentaines de cas d'agressions que l'armée avait couvert seule pour protéger ses membres : les viols, les vols ainsi que les violences commises sous le seau de l'état s'éternisaient depuis trop longtemps. Il était temps que cela cesse.

Le souverain assista à chaque procès, chaque témoignage. A travers chaque histoire, il entrevoyait un peu plus le quotidien qui était celui de son peuple, et plus particulièrement celui des femmes. Karmen l'avait une fois accusé de n'avoir aucun idée de ce qui se passait sous ses pieds ; encore une fois elle avait raison.

Les textes réglementaires de l'entrée dans l'armée furent modifiés, les coupables punis, les prochains arrivants avertis. Aucun homme, armé ou non, ne pouvait se laisser à des actes hors-la-loi sous prétexte qu'ils abordaient un grade supérieur. En une semaine, la moitié de la vie au palais fut révolutionnée.

La semaine suivante, Nicholas poursuivit son effort. Il s'attaqua cette fois -ci au budget alloué aux fêtes royales : pendant des années, il avait laissé le soin d'organiser ces événements à des dignitaires du palais, qui avaient fini par dilapider une somme folle. Tout ça pour qu'il ne s'y rende pas lui même. A présent, cet argent allait aller dans des programmes caritatifs, visant à offrir à manger au peuple qui avait faim.

Nicholas avait lui-même enfilé une vieille tenue pour se fondre dans la foule et aller rencontrer des habitants dans le besoin. Il n'était pas paru en public depuis des années, ce qui lui conférait un certain anonymat. De cette manière, il avait pu se rendre compte par lui-même de ce qu'il avait laissé passer sous son nez pendant toutes ces années.

Il s'était caché tout ce temps, derrière de fausses excuses et des prétextes. Il s'était laissé convaincre qu'il était roi par contrainte et avait oublié tout le reste. Sauf qu'il s'était laissé entourer par ses peurs, jusqu'à en devenir une ermite. Assistant de loin à la métamorphose de son ami, Logan veillait au grain. Il passait voir Karmen plusieurs fois par jour, mais n'en parlait pas à Nicholas. D'ailleurs, les deux amis ne se côtoyaient pas tant que ça, étant donné que le roi passait ses journées dans la paperasse ou en conseil.

C'est ainsi qu'au bout de trois semaines, le royaume changea du tout au tout. Il n'avait changé que quelques grandes directives, mais en contraste de tout ce qu'il avait fait depuis ces dernières années, cela lui semblait énorme. Les émeutes dans la capitale diminuèrent de moitié, les rapports de vols et d'accidents se divisèrent par quatre. Embarqué corps et âme dans ce grand projet, Nicholas gardait toujours à l'esprit qu'il avait ouvert les yeux à l'aide de plusieurs personnes, mais d'une en particulière.

Et c'était cette personne qu'il s'apprêtait à aller retrouver aujourd'hui, alors qu'il descendait les escaliers en direction du cachot. Il n'avait aucune nouvelle de Karmen depuis des semaines, et n'en avait pas demandé. C'était sa ligne de mire lors de cette période de changement pour le royaume. Changer les choses, pour ensuite retourner la voir.

Qu'avait-elle pensé durant ces trois semaines qui venaient de s'écouler ? Elle devait avoir bien entamé sa guérison depuis... Allait-elle accepter ce qu'il s'apprêtait à lui proposer ? Comment allait-elle réagir ?

A la fois déterminé et anxieux, le souverain se força à adopter une attitude neutre en tournant dans le dernier couloir qui le séparait de la jeune femme. Plus que quelques mètres et il y était... Le garde s'écarta sur son passage, Coyle le salua d'un signe de tête en récupérant la clé. Il s'empara d'une torche et introduisit la clé dans la serrure : un déclic se fit entendre, et le lourd panneau de fer s'écarta. Il inspira profondément, et entra.

Il distingua la silhouette menue de la jeune femme, adossée contre le mur à l'opposé de la cellule. De nouveau enchaînée au niveau des poignets et des chevilles, elle leva les yeux vers lui et cligna plusieurs fois des yeux pour s'adapter à la lumière vive diffusée dans l'intégralité de la cellule. Il savait que de là où elle était, elle ne pouvait pas encor voir son visage, à cause de la torche.

Il prit quelques secondes pour la regarder, et fut soulagé de voir qu'elle semblait avoir repris des forces. Son visage était toujours creusé, ses traits marqués, mais son regard était aussi vif qu'auparavant. Il s'avança enfin, et posa un genou au sol, face à elle, en même temps qu'il abaissait sa torche.

Son visage apparut alors dans la lumière, et immédiatement Karmen se crispa et son expression se durcit. Se souvenait-elle de ce qu'elle lui avait dit dans la cellule ? Ou alors était-ce aussi une hallucination qu'il avait voulu prendre pour une réalité ?

Elle se repoussa contre le mur le plus possible, et le regarda droit dans les yeux sans sourciller. La rancœur se lisait dans son regard, et après ce par quoi elle venait de passer ce n'était pas étonnant. Coyle se fit violence pour ne pas flancher, et s'en tenu à ce qu'il avait décidé : lui laisser une occasion de persister dans ses mensonges pour s'enfuir.

-Je suis venu pour t'apporter deux choses. Deux opportunités.

Il tendit sa main devant lui, et déplia les doigts serrés convulsivement contre sa paume depuis qu'il était descendu. Deux clés s'y trouvaient. Deux portes de sorties différentes.

-La clé cuivrée est celle qui ouvre tes chaînes. Si tu es bien celle qui tu disais être...(il déglutit péniblement) Sors et ne reviens jamais. Personne ne tentera de t'arrêter.

Karmen tressaillit mais ne prononça pas un mot. Elle attendait la suite.

-La deuxième clé, celle en argent, est celle qui ouvre le passage au fond du couloir en sortant du cachot. Tu en as déjà vu un semblable auparavant... Celui-ci est juste scellé.

Il attrapa sa main frêle et y déposa les deux clés en effleurant à peine sa peau. Il referma ensuite ses doigts par dessus et retira sa main.

-Mais si jamais...Il s'avère que tu m'as menti. Ce passage te mènera où tu voudras dans ce palais. (il riva son regard au sien) Il te mènera à moi si tu le souhaites.

Ces mots lui coûtaient, mais il s'était juré de les dire. Il ne voulait plus la forcer à faire quoi que ce soit. Comme l'avait dit Mona, elle avait assez souffert par sa faute. Si le moment de dire au revoir était arrivé, il le ferait en faisant taire ses instincts qui le poussaient à faire l'inverse.

-Je t'attendrai. Je n'ai toujours attendu que toi, je l'ai seulement réalisé trop tard.

Karmen ne répondit pas, le visage toujours aussi fermé et inexpressif. Impossible de savoir ce qu'elle pensait. Nicholas se releva et se força à sortir de la cellule sans se retourner. Il laissa la porte ouverte derrière lui. Sans avoir la moindre idée du choix que ferait la jeune femme.

Point de vue de Karmen :

Son ancien amant était parti depuis bien longtemps lorsque la jeune femme baissa enfin les yeux sur les deux clés dans le creux de sa paume. Elle ne savait même pas comment elle se sentait tellement d'émotions différentes la traversaient de part en part.

Elle n'avait pas prévu de frôler la mort. Elle était morte de trouille à l'idée de mourir seule ici depuis des mois. Et voici qu'elle s'y trouvait précipitée, sans personne à ses côtés. Elle éprouvait beaucoup de rancœur, mais principalement contre elle-même, contre sa bêtise crédule et aveugle.

La journée passa, et elle continua de fixer les deux clés dans sa paume, indécise. Elle n'avait pas prévu l'action de Coyle aujourd'hui, qui l'avait prise au dépourvu. Que s'était-il passé pendant ces trois semaines pour qu'il vienne la voir ainsi, aussi calme et impossible à sonder ?

Ce ne fut que lorsque la lune monta dans le ciel qu'elle s'empara fermement de la clé de cuivre. Elle se débarrassa de ses chaînes en un tour de main, se releva en titubant et essaya de retrouver un semblant d'équilibre. Lorsqu'elle fut suffisamment stable sur ses pieds, elle s'élança vers la sortie et partit sans un regard en arrière.

Sur le sol de la cellule derrière elle, reposait la seconde clé, celle en argent.

Oupsi, il semblerait que tout ne se déroule pas comme prévu.

Que compte faire Karmen?

L'attitude de Nicholas, son envie de changer les choses?

La paire de claques de Mona? Son duo avec Logan?

Xoxo

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