4- Passage à tabac
Karmen se réveilla en sursaut, hagarde. Elle tâta son matelas pour s'assurer qu'elle était bien dans sa chambre non pas dans la ruelle sombre de son cauchemar. Cela faisait maintenant des semaines que ça durait.
Elle rêvait de la confrontation, mais son cauchemar poursuivait le scénario avant sa fuite. En sueur, désorientée au réveil, elle perdait beaucoup l'appétit et le sommeil, des vilains cernes noirs assombrissaient son regard d'habitude si clair... un soir elle s'était même mise à courir seule dans la ville, persuadée qu'on la poursuivait. Elle devenait paranoïaque.
Mais elle n'avait pas le choix et continuait tous les matins, tous les jours, chaque semaine, d'aller à pied à l'école, même si pour cela il lui fallait traverser la moitié de la ville à pied, développant considérablement ses chances de tomber sur Bastien...
Mais jusqu'à maintenant elle ne l'avait revu ni à la taverne ni ailleurs, ce qui n'était pas forcément bon signe ; ce genre de brute ne lâchait jamais avant d'être satisfait, sauf que dans le cas présent, il devait être fou furieux et désireux de se venger...
Pour ne rien arranger, une épidémie de peste ravageait les contrées voisines et menaçait de abattre sur Thornorel, la capitale... Si jamais Karmen la contractait elle était fichue, elle n'avait absolument pas les moyens de se payer des soins...
Aujourd'hui était le seul jour où elle n'avait pas à aller à l'école, bon dieu ce qu'elle bénissait le dimanche...Mais il lui restait à assurer son service à l'auberge, et ce soir risquait d'être agité, étant donné que les ouvriers inauguraient une nouvelle voie le lendemain, récompense de durs mois de labeur. Ils seraient donc tous présents dans les tavernes aux quatre coins de la ville, prêts à se saouler comme des cochons et abuser des prostituées...
Repoussant le vieux drap dans lequel elle s'était entortillée durant ses cauchemars, elle s'assit et saisit le travail de couture qu'elle avait commencé depuis le jour de son anniversaire, voilà maintenant bientôt deux mois... La robe dont elle rêvait prenait de plus en plus forme, avec un beau décolleté et des manches serrées aux poignets, et des bordures qu'elle avait tissées de fils d'argent. On aurait dit qu'elle allait prendre vie une fois portée.
Ignorant le temps pluvieux et maussade visible depuis son fenêtrons ,elle entreprit de repasser l'aiguille entre les couches de tissus, encore et encore, au rythme des gouttes qui s'écrasaient bruyamment sur le toit. Elle ne s'arrêta que lorsque la bobine de fil fut terminée. « Il faudra que je pense à en demander une à Marcus » songea-t-elle distraitement.
Depuis sa dernière rencontre avec le vieillard mystérieux le soir de son agression, elle ne l'avait pas revu, et cela la tourmentait, elle avait tellement de questions à lui poser... Elle avait discrètement posé quelques questions à droite à gauche lors des marchés, mais personne ne sembler le connaître. C'était un fantôme que je suis la seule à avoir rencontré...
En début de soirée elle se changea et descendit commencer à servir les clients, mais dans l'escalier des bruits étranges lui parvinrent, et à son entrée dans la salle, elle tomba face à une énorme bagarre, dans laquelle il lui était impossible de distinguer les assaillis des assaillants. Des hommes hurlaient et se jetaient les uns sur les autres, distribuant à la volée des coups de poings magistraux, faisant voler quelques dents ici et là.
Figée sur place devant ce spectacle ahurissant, elle remarqua soudain Silas dans la mêlée, distribuant des ordres à tour de bras en hurlant.
-Trouvez le moi ! Je veux lui éclater sa face de rat jusqu'à ce qu'il en crève ce chien !!
Plusieurs hommes réagirent immédiatement à cette injonction, entreprenant de fouiller l'auberge à la recherche du fameux malfrat qui avait réussit, de toute évidence, à énerver Silas bien au-delà de ses capacités de tolérance...Ils revinrent peu de temps plus tard, traînant derrière eux un homme qui se débattait furieusement. Quand il releva la tête pour effacer d'un geste rageur le sang qui coulait sur son visage, Karmen tressaillit, retenant à grand peine un cri : C'était Marcus !
Bon dieu qu'avait-il fait ?
Il la repéra immédiatement et lui ordonna de rester où elle se trouvait d'un mouvement ferme du menton. Hochant à grand peine la tête pour acquiescer, la jeune fille ravala un sanglot qui montait dans sa gorge ; il était dur de voir souffrir le seul ami qu'elle avait, seul contre tous. Comme elle se trouvait dans l'angle de l'escalier, seul Marcus pouvait la voir.
Silas s'approcha de son barman à la manière d'un loup qui s'approche de sa proie, ce qui donna des frissons à la jeune femme : l'observant d'un air intrigué, il lui décrocha un, puis deux, puis une rafale de coups de pied. A chacun d'entre eux, Marcus se pliant en deux dans un grognement sourd que Karmen avait l'impression d'être la seule à entendre, mais sans faire le plaisir à son bourreau de crier. Il trouva cependant la force de se redresser sur ses genoux, défiant son agresseur du regard.
Fou de rage de cette marque de défi, Silas congédia ses hommes d'un geste de la main et gifla Marcus à la volée, qui tituba mais sans s'effondrer. Il riva son regard à celui de la jeune fille, un regard plein de chaleur qui creva le cœur de cette dernière, impuissante...
Aveuglé par sa fureur, Silas ne remarqua pas l'œillade qu'échangea Marcus avec sa protégée et recommença à le rouer de coups, de plus en plus fort. Incapable de retenir ses larmes plus longtemps, Karmen les laissa couler en silence, prête à intervenir dès que Silas s'en serait allé.
Marcus de pliait toujours pas, et Silas frappait de plus en plus fort, faisant couler le sang du pauvre malheureux sur ses vêtements et son visage.
-Tu ne me feras pas plier avec tes coups de fillette, s'écria soudain le barman, se redressant de toute sa hauteur. Je refuse d'aller la frapper pour la forcer à faire ce que tu veux. Je pensais chaque mot de ce que je t'ai dit ; tu es un chien sans cervelle qui ne mérite guère plus que de crever : la vie n'a aucune valeur à tes yeux car tu as pris l'habitude de contrôler celle de tout le monde ! Tu...
Un énième coup de Silas coupa le souffle à Marcus, qui pose un bras à terre pour s'empêcher de tomber. Avec un sourire carnassier victorieux, Silas joua des pieds et des mains de toutes ses forces pour l'étendre à terre complètement, tandis que Karmen sentait l'air lui manquer devant tant de violence, ses larmes traçant des sillons dans ses joues. Marcus sembla abandonner la lutte, baissant la tête.
-Karmen restera une femme libre ! jeta-t-il à la face de son tortionnaire avant de perdre conscience et de s'écrouler à ses pieds, le nez et les pommettes en sang.
Plaquant ses mains contre sa bouche pour s'empêcher de crier, Karmen arrondit les yeux de terreur : Marcus s'était mis en danger pour elle ! Dieu seul savait ce que Silas lui avait ordonné de faire, mais c'était en rapport avec elle, et Marcus l'avait défendue jusque là... La jeune femme se retint de justesse d'accourir auprès de son ami pour l'aider, consciente que contre Silas enragé comme il était elle ne valait rien.
Ce dernier s'acharna encore quelques instants contre son barman pour décharger sa colère, puis semblant prendre conscience qu'il n'était plus conscient, se recula, puis tourna les talons et sortit de l'auberge sans un mot.
Aussitôt Karmen se précipita auprès de son ami, le retourna doucement sur le dos : il avait deux gros coquards qui lui fermaient les yeux, et son visage semblait avoir doublé de volume. Ses lèvres étaient fendues à plusieurs endroits, et son arcade était ouverte.
Voir tant de sang ne terrifia pas Karmen comme elle s'y attendait, mais bien au contraire la stimula : parfaitement sûre d'elle, elle déchira des bandes dans la chemise de son ami et stoppa l'hémorragie des plaies les plus importantes.
Puis elle entreprit de le monter dans sa chambre, elle ne pouvait pas le soigner là, et si jamais quelqu'un les trouvait ils étaient fichus tout les deux. Gravir les marches avec l'imposant barman ne fut pas aisé mais elle finit par réussir à l'amener dans sa chambre et à l'étendre sur son lit. Avec des gestes assurés et précis qu'elle ne se connaissait pas, elle entreprit d'ouvrir ses vêtements pour nettoyer les plaies avant que les sang ne coagule et favorise les infections.
Une fois ce pénible travail achevé, elle fit tremper un torchon dans la bassine d'eau qu'elle avait heureusement changé le matin même, et épongea délicatement le front déjà brûlant de fièvre de son ami. Complètement assommé, celui-ci ne réagit à aucun moment. « Ce qui était mieux, songea son amie. Sinon il aurait mal supporté la douleur causée par ses blessures. »
La lune était déjà haut dans le ciel quand elle eut fini de le soigner. Elle ne songea même pas au fait qu'elle avait loupé son service du soir, toute son attention passant pour Marcus. Au diable les problèmes et les répercussions que cela aurait, elle était de toute manière bien trop en colère contre son patron pour descendre. Et puis les derniers mots de Marcus avant de perdre conscience n'étaient pas des plus rassurants pour elle...
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