34- Remise en liberté

Karmen saisit d'un geste sec une pomme dans la corbeille de fruits que Lina venait de déposer. Elle la fixa d'un air rageur, mordit dedans de toutes ses forces, comme pour évacuer toute la tension qui l'habitait en ce moment même.

Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Il avait accepté son étreinte, s'y était même investi ! Mais soudainement, il l'avait repoussée, et s'était enfui sans explications.

-Qu'est-ce que je lui ai fait bon sang ?! S'écria-t-elle.

Tourmentée, elle repensa à la manière dont elle avait renvoyée la pauvre petite Lina, en lui claquant la porte au nez.

-Dégage ! Avait-elle crié.

Elle avait bien vu dans les yeux de l'enfant qu'elle ne comprenait pas son changement de comportement, mais sur le moment elle avait eu besoin d'être seule. La petite s'était reculé juste à temps pour ne pas recevoir la porte en pleine tête.

Agitée, elle continua de marcher de long en large en grignotant sa pomme. Elle balança le trognon de toutes ses forces contre le mur, contre lequel une tâche sombre s'imprima.

-Merde, qu'es-ce que je fais...

Fébrile, elle essuya avec sa manche le jus contre la tapisserie, en espérant qu'aucune trace ne subsiste. A présent démoralisée, elle se laissa choir sur le divan.

« Bon dieu qu'est-ce que tu me fais faire » avait-il dit.

La jeune femme médita longuement sur le sens de cette phrase : était-il proie aux mêmes sentiments qu'elle ? Mais alors pourquoi les repousserai-t-il ?

Ou alors il avait pitié, et s'en voulait de céder pour la réconforter, alors qu'il s'en fichait...Elle ne savait plus quoi penser, sa fuite soudaine compliquait tout ! Absolument tout !

Éreintée par toutes ses émotions, Karmen s'endormit soudainement avant même de voir le sommeil venir.

Point de vue de Coyle :

-J'ai fait une bêtise mon ami...gémit Coyle.

Il se prit la tête entre les mains et se balança d'avant en arrière. A côté de lui, Logan veillait, attentif.

-Pourquoi en serait-ce forcément une ?

Coyle vrilla sur lui un regard interrogateur, le visage fermé.

-Tu sais parfaitement ce qu'il en est, ne fait pas l'innocent. Si tu crois que je n'ai pas vu comment tu la regardes! Répondit Logan à sa question muette.

Coyle grogna et repoussa cette explication d'un geste de la main.

-Je ne suis pas obnubilé par elle.

Oh bien sûr que si...lui souffla sa conscience.

-Tu n'as pas été dans un tel état depuis...

Coyle leva la main pour l'interrompre.

-Non arrête toi tout de suite. Ne t'aventures pas sur ce terrain.

-Mais tu peux franchir toutes ces barrières que tu t'imposes toi même ! Tenta Logan.

-Non, c'est impossible.Je....

Il leva les yeux vers la fenêtre, et chercha les mots justes, ceux qu'il n'arrivait pas à admettre lui même...

-Je dois mettre un terme à tout ça. Déclara-t-il enfin.

Il claqua sa main contre sa cuisse comme pour appuyer ses dires et se leva brusquement. Il croisa le regard désolé que jetait Logan sur lui, mais ne s'y attarda pas, il savait que cela ne l'aiderait pas...

-Je vais réfléchir à comment, mais je dois cesser de la croiser.

-Mais tu ne peux pas faire...

-Non s'il-te-plaît, ne va pas contre moi, pas cette fois. Soit mon ami.

Logan respira bruyamment, comme pour retenir une phrase agressive, déchiré entre deux partis : celui de ce que « semblait vouloir son ami » et celui de ce qui « semblait être bon pour lui ».

-Tu as le droit au bonheur, comme tout le monde. (devant l'absence de réaction de son ami il poursuivit) Que crois-tu que fuir t'apportera ? Laisse toi une chance !

-Impossible...grommela Coyle en fixant ses bottes.

Logan garda le silence en cherchant d'autres arguments susceptibles d'éveiller l'attention de son ami déprimé.

-Tu sais quoi ?! Déclara-t-il enfin en haussant le ton.

Coyle leva vers lui un regard étonné et tourmenté.

-Quoi ?

-Puisque tu crois tout savoir, pourquoi me parler de tout ça ?! Mon avis ne semble pas beaucoup influencer ta décision, alors je m'en vais. Débrouille toi, rend toi malheureux s'il le faut !

Furieux, il quitta la pièce sans même lui laisser le temps de répondre. Stupéfait de cette soudaine marque d'agressivité à son égard, Coyle resta interdit. Le temps qu'il réalise ce qu'il venait de se passer, Logan était certainement déjà à l'autre bout du palais.

-Tant pis pour lui, s'il veut bouder grand bien lui fasse, je n'ai pas besoin de lui !

Mais aussitôt ses paroles pleines de rancœur prononcées qu'il regretta ses mots. Bien sûr que si il avait besoin de lui ! C'était son unique ami, présent à ses côtés envers et contre tout, le seul qui ne l'avait jamais déçu.

Désireux de s'excuser et de repartir sur de bonnes bases, il se leva pour aller le chercher. Mais avant d'avoir atteint la porte, son pied glissa sur quelques feuilles éparpillées au sol.

-Mais qu'est-ce que...

Il se baissa et tressaillit : c'était les documents qu'il avait rapportés de la chambre il a quelques heures. D'ailleurs maintenant il faisait nuit noire...

Demande de transfert de prisonniers de la prison...Il a été accordé a daté d'aujourd'hui, que les 4 prisonnier suivants....

Coyle s'interrompit en réalisant qu'il lisait l'autorisation de sortie de prison des amis de Karmen : et dire qu'il n'avait même pas pu lui annoncer...Le devait-il ? Il crispa sa prise sur le papier et son sang se glaça dans ses veines.

Il venait de prendre la résolution de briser tout contact avec la jeune femme, mais ce simple petit bout de papier venait de tout remettre en cause : que donnerait-il pour revoir cette lueur de joie dans les yeux de la jeune femme ? Tout. Absolument tout.

-Je dois lui dire...

Ce soir, il était venu pour la voir en vérité. Il pensait qu'elle serait endormie et qu'elle n'en saurait rien...Il aimait tant cette mine reposée qu'elle avait dans son sommeil, ses petits poings serrés contre le drap...

Combien de fois lui avait-il caressé le dos alors qu'elle faisait des cauchemars ? Combien de fois avait-il hésité à la rejoindre et l'entourer de ses bras jusqu'au petit matin ?

Ce soir, lorsqu'il avait croisé son regard en rentrant dans la pièce, il s'était senti désarmé, mis à nu ; comment un simple regard qu'il n'avait pas vu de la semaine pouvait-il lui faire ça ?

Il avait prétexté une recherche de documents, après avoir réfléchi ce qui lui semblait une éternité. Silencieuse, elle avait acquiescé et ne l'avait pas quitté des yeux ; il avait senti ce regard brûlant se visser entre ses omoplates tout du long de sa traversée de la chambre. Mais il s'était interdit d'y répondre.

Devant son bureau, il aurait pu prendre la première feuille qui se présentait et repartir en vitesse. Mais il ne l'avait pas fait. Il avait prolongé en faignant de ne pas trouver, et dès qu'il avait aperçu Karmen se retourner du coin de l'œil, il l'avait observée à la dérobée en continuant de farfouiller dans les documents.

Ses courbes harmonieuses se détachaient clairement devant la vitre éclairée par le halo de la lune, et elle semblait abattue. Sentir qu'il était à l'origine de cet état lui avait vrillé le cœur mais il n'avait pu se résoudre à esquisser le moindre geste envers elle.

Mais elle...elle l'avait fait. Elle avait accourue alors qu'il s'enfuyait de la chambre comme un voleur et l'avait enlacé avec une douceur qu'il pensait ne plus jamais connaître.

Trop instable pour résister, il s'était laissé aller et l'avait enlacée à son tour. Ses mains frêles avaient caressé son dos, son bassin s'était collé au sien, et Coyle avait senti le désir apparaître. Si le dossier n'était pas tombé au sol...Il se serait certainement laissé aller bien plus loin que ça.

Mais lorsqu'il avait pris conscience de son acte, la peur l'avait envahi et il l'avait repoussée. Il avait repoussée celle qui le mettait dans tous ses états. Et il ne savait plus quoi faire...

-Pour commencer il faut que je lui dise pour ses amis...

Décidé, il sortit de la pièce en trombe et partit régler les dernières formalités de leur sortie de prison. Il passa sa nuit à peaufiner les derniers détails avec différents ducs et marquis responsables de la justice.

-Signez ici, lui indiqua le Duc De Vignot.

Après avoir apposé sa signature, il décida de suivre discrètement le cortège chargé de libérer les amis de Karmen. Soucieux qu'on ne le voit pas, il emprunta un des couloirs dérobés dans les murs creux.

Personne au palais ne connaissait leur existence ; les mécanismes ancrés dans le mur étaient si discrets qu'il fallait les chercher longuement avant d'y accéder. Coyle avait eu la chance de grandir dans le palais et de les avoir tellement empruntés qu'il les connaissait par cœur.

-Sortez. Déclara un garde de l'autre côté du mur.

Coyle colla son œil contre la fente du panneau en bois et observa la scène. Plusieurs gardes encadraient une porte, la lance calée sous le bras ; en face, quatre hommes débraillés sortaient de la cellule.

Dans leurs yeux, l'homme caché put lire beaucoup de souffrance mais aussi une grande détermination. L'homme à la tête de la file ressemblait beaucoup à la description de Karmen de son ami Maxime. Celui qui avait perdu sa sœur au palais. Il n'arrivait plus à se rappeler de son prénom...

-Qu'est-ce qui se passe ? Lança-t-il soudain.

Un autre homme derrière lui s'avança.

-Oui c'est vrai ça, on a déjà dit qu'on ne savait rien.

Coyle nota l'air étonné du garde chargé de la direction des opérations, qui semblait perdu.

-Ne pas savoir à propos de ?... demanda-t-il.

-La disparition de Karmen. Vous savez celle qui avait fait un malaise et qu'on a jamais revue. C'était notre amie, on ne lui aurait jamais fait de mal !

Coyle ressentit un pincement au cœur en entendant les paroles pleines d'affection de Maxime sur la jeune femme. Des paroles que tu n'es même pas capable de prononcer toi même...lui souffla sa conscience.

-Ce n'est pas à propos de ça que vous sortez aujourd'hui.

Maxime fronça les sourcils, mais ce fut Pit - selon la description de Karmen - qui répondit.

-Alors à propos de quoi d'autre ?

-Vous ordre de mise en liberté a été signé, vous êtes à présent libérés de toute charge, et avez aussi un emploi dans l'enceinte du palais à daté d'aujourd'hui.

Des cris fusèrent aussitôt, le pauvre garde ne sut plus où se donner la tête. Les quatre hommes face à lui débattaient de vive voix en se bousculant les uns les autres.

-Sortir ? Mais comment....

-On ne sait pas, l'ordre est venu d'en haut, signifia le garde.

-Et que doit-on faire aujourd'hui ? S'enquit un homme derrière les autres, que Coyle identifia comme Oliver.

Le soldat se gratta la barbe d'un air pensif en faisant un signe de tête au scribe à côté de lui de répondre. Ce dernier déroula un papier et déclara solennellement :

-Maxime Donovan, vous serez employé en tant que cuisinier dans les cuisines royales.

A ces mots, désintéressé, écarquilla les yeux et blêmit : la dernière fois qu'il avait cuisiné c'était pour sa sœur, se rappela Coyle.

-Pit Nickols, vous serez avec Oliver Ruth ans l'équipe des couturiers et des teinturiers royaux, au service de sa majesté.

Les deux hommes échangèrent une œillade complice à cette énonciation, heureux à en juger par leur sourire.

-Et enfin, Joan Linier, vous suivrez une formation d'écuyer, pour dans un avenir hypothétique rentrer dans l'armée.

A en juger par les visages stupéfaits - mais ravis - des quatre hommes, Coyle comprit que la jeune femme les avait bien cernés en peu de temps. Heureux et regonflé à bloc par cette scène, il ferma le passage secret derrière lui et retourna dans son bureau, en attendant d'aller annoncer la nouvelle à la jeune femme le lendemain matin.

J'attends vos réactions sur ce chapitre court de transition 😏

Xoxo😘

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