19- Entêtement
-Appuie plus franchement sur ta jambe gauche ! Elle ne va pas céder tu sais !
Karmen grogna : bientôt deux semaines que Coyle s'occupait personnellement de sa rééducation à chaque fois qu'il rentrait le soir : il était intraitable !
-Mais j'ai mal ! Protesta-t-elle.
-Et ça ne va pas s'arranger si tu ne t'appuies pas plus franchement dessus.
-D'accord d'accord j'ai compris, capitula-t-elle.
Inspirant profondément, elle retenta la traversée de la chambre en s'appuyant plus franchement sur sa jambe blessée. Chaque pas la rendait plus confiante, mais quelques mètres avant d'atteindre le divan où était allongé Coyle, elle trébucha.
-Merde ! S'écria-t-elle en s'écrasant la tête la première par terre.
Le rire franc de Coyle lui fit relever la tête : il pouffait en la lorgnant du coin de l'œil, en même temps qu'il lisait une liasse de documents :
-Je te dérange pas trop ? Lança-t-elle en le foudroyant du regard.
-Non j'apprécie la vue.
Karmen fronça les sourcils : qui voulait-il.... Ses jupons ! Ils s'étaient relevés dans sa chute ! Piquant un fard, la jeune femme les remit précipitamment à leur place et se releva sans un mot.
-Vous feriez mieux de retourner à vos rapports, grinça-t-elle.
-Tiens on repasse au vouvoiement ?
Karmen s'arrêta pour se retourner :
-Il faut croire oui.
Au fur et à mesure des semaines, depuis l'épisode de l'assiette, la crainte de la jeune femme vis-à-vis de son sauveur s'était estompée, laissant place à une complicité étrange : ils se bouffaient le nez toute la journée !
Coyle restait toujours aussi froid et moqueur, tandis que Karmen révélait petit à petit son vrai caractère rebelle, enfoui au fond d'elle depuis si longtemps... Autant dire que l'opposition de ces deux caractères créait des étincelles !
Lentement, le tutoiement avait pris le dessus, plus par provocation que pour la forme.
-Quelle déception, railla Coyle, qui, clairement s'en moquait.
Karmen continua de marcher pour s'éloigner le plus possible de lui, sans répondre. Mais au bout d'un moment surprise qu'il ne renchérisse pas, elle tourna discrètement la tête : il la fixait sans s'en cacher, un sourire faux et railleur sur le visage.
-Quoi encore ? Lança la jeune femme avec impatience.
-Tu as traversé la chambre sans souci...juste pour ne pas perdre la face, c'est très amusant.
La jeune femme piqua un fard devant cette remarque ; en effet elle avait réussi à traverser cette foutue chambre qui lui posait problème depuis des semaines...Juste par fierté. Hallucinant.
Mais soucieuse de ne pas aggraver son cas, elle préféra s'enfouir sous les couvertures pour bouder.
-Pas très sportif tout ça, lança nonchalamment Coyle de l'autre bout de la pièce.
Incapable de se contenir, la jeune femme sortit la tête de sous les couvertures et répliqua du tac au tac :
-Parlons un peu de vous avec votre divan sinon !
Coyle pouffa sans même la regarder et marmonna quelque chose. Mais Karmen ne l'entendait pas de cette oreille...
-Voilà, donc merci de nous laisser en paix, moi et mes amies les couvertures.
Et sans attendre de réponse elle replongea se cacher dessous. Curieusement, elle ne craignait pas Coyle, son caractère froid et moqueur lui donnait plus envie de lui en faire voir de toutes les couleurs qu'autre chose.
Elle ne pensait jamais au fait qu'elle lui devait la vie, et qu'il pouvait la renvoyer d'où elle venait quand bon lui semblait. A coup sûr ça lui plomberait le moral...
Soudain les couvertures qui la recouvraient lui furent arrachées ! Par réflexe la jeune femme cria et se roula en boule :
-Non mais ça va pas de me faire une peur pareille !
Au dessus d'elle, Coyle tenait les couvertures à bout de bras, hilare :
-Levez vous ! Et bonne journée sans vos amies.
-Que...
Karmen n'eut pas le temps de finir sa phrase que Coyle était déjà en train de franchir la porte...Les couvertures sous le bras.
-Super...souffla-t-elle.
Puisqu'elle ne pouvait pas passer sa journée au lit, ni sortir de la chambre, elle n'avait qu'à s'occuper avec ce qu'elle avait. A savoir des livres, des livres et encore des livres.
-Je vais finir par les savoir par cœur.
En effet depuis son arrivée elle avait littéralement descendue cette bibliothèque en quelques semaines. Surpris, son sauveur lui rapportait de nouveaux livres de temps à autre, mais aujourd'hui elle allait devoir se débrouiller avec ceux qu'elle avait depuis le début.
Elle passa sa journée entière à dévorer les livres les uns après les autres, assise au bord de la fenêtre, profitant de la vue sur les jardins, qu'elle espérait visiter un jour...
Quand le soleil commença à décliner devant elle, elle venait juste de finir un autre livre, elle alla s'en chercher un autre. Je n'aurai qu'à le mettre dans ma table de chevet si je n'ai pas fini...
Elle promena ses doigts fins sur les reliures des livres et opta pour un petit carnet rugueux sous ses doigts : relié à la main, il semblait ancien et elle ne se rappelait pas l'avoir déjà vu.
Il ne portait pas de titre, mais sur la première page il était inscrit « Ceci est la propriété privée de... » mais le nom était effacé par une trace, d'eau certainement.
Si ça avait été à Coyle il ne l'aurai pas laissé ici. Songea la jeune femme en le rapportant sur son lit. Elle feuilleta les pages sans lire et constata rapidement qu'il était bien rempli : elle n'aurait qu'à le lire plus tard. Elle le glissa sous son oreiller et s'allongea un moment pour se reposer.
***
-Allez debout !
Karmen entrouvrit un œil : Coyle était à côté de son lit, essoufflé et le visage rouge. Il tenait dans ses bras une énième liasse de papiers, et de l'autre main l'épée qu'il avait dégainé.
-Quel ennemi attaque-t-on ? Railla la jeune femme encore à moitié endormie.
Coyle paru interpellé par sa question à en juger par son froncement de sourcils, mais il se ressaisit bien vite en rengainant son arme d'un air suffisant.
-Notre repas. Allez debout, répéta-t-il.
Sans attendre de réponse il se détourna et déposa ses papiers au passage sur son bureau. Karmen ouvrit complètement les yeux et se leva en grognant : les courbatures de la rééducation étaient présentes...
Le temps qu'elle atteigne le divan, Coyle avait disposé des plats sortis de nulle part sur la table basse. Il l'invita à le rejoindre sans même la regarder, ce qui eut le don d'énerver prodigieusement la jeune femme : il était si froid !
-Merci, marmonna-t-elle en s'asseyant.
L'homme marmonna une réponse inaudible, et se mit à manger voracement. Ses cheveux encore en bataille et mouillés laissaient supposer qu'il avait fait un effort physique intense juste auparavant : Karmen ignorait que les fonctionnaires du palais avaient ce genre de loisirs...
Sur la table il avait disposé de multiples plats plus tout appétissants les uns que les autres : jamais de sa vie entière elle n'avait mangé autant de bonnes choses ! En passant par des fruits, de la viande et des légumes tout y était !
-Vous avez tellement de chance, murmura-t-elle, plus pour elle même que pour lui.
-Pardon ?
-Je...non rien excusez moi.
Coyle la regarda d'un drôle d'air, puis se remit à manger après un haussement d'épaule interrogateur. Karmen ne se donna pas la peine de répondre ; comment les gens de cette classe là, ces nobles du château, pouvaient-ils comprendre que dans leur ville des gens mourraient de faim alors qu'ils s'empiffraient ?
Automatiquement, la jeune femme pensa à toutes les personnes qu'elle côtoyait avant : ses élèves, leurs parents, les marchands...Mona !
Karmen laissa tomber sa cuisse de poulet au sol : pas une seule fois depuis qu'elle s'était remise elle n'avait pensé à son amie ! Aussitôt la culpabilité l'envahit, exterminant tout autre sentiment. Le regard fixe perdu dans le vide, la jeune femme imaginait déjà tous les scénarios qu'avait pu penser Mona au moment de se disparition.
-Eh ça ne va pas ? L'interpella Coyle en ramassant sa cuisse de viande.
Karmen l'ignora : et si son amie lui en voulait à mort Et Maxime et toute sa bande ? Qu'avaient-ils pensé ?!
-Karmen ? Insista cependant Coyle.
La jeune femme sursauta : il ne l'avait encore jamais appelée par son prénom. En général il l'apostrophait et elle répondait sans l'appeler non plus. Ce changement d'attitude l'avais surprise et avait capté son attention.
-Que se passe-t-il ? Tu as mal ?
Mais pourquoi s'inquiéte-t-il autant ? Après tout je suis bientôt guérie, il va pouvoir se débarrasser de moi...A cette pensée, son cœur se serra : ses joutes quotidiennes avec lui allaient lui manquer, et retourner en prison...Quel cauchemars...
-Rien, lâcha-t-elle froidement.
A ses côtés, Coyle se raidit et fronça les sourcils, la cuisse de poulet toujours à la main. Après l'avoir posé dans un plat, il se tourna lentement pour faire face à la jeune femme en proie aux doutes.
Karmen continua de fixer droit devant elle sans même lui adresser un regard, alors qu'elle avait parfaitement senti qu'il s'était tourné vers elle.
-Je déteste les monologues, déclara-t-il
Toujours aucune réaction. Il grogna et se passa rageusement la main dans les cheveux.
-On mangeait tranquillement quand tu t'es renfermée comme une huître, je peux savoir pourquoi ?
Karmen le fixa froidement, toujours silencieuse.
-Écoute je ne vais pas chercher des années non plus, alors soit tu parles soit je m'en vais.
Karmen avait l'intention de garder le silence. Vraiment. Mais lorsqu'une image de Mona avant qu'elle ne parte un matin s'imprima dans son esprit, elle fondit en larmes. Les genoux repliés contre elle et la tête entre les bras croisés dessus, elle tressautait à chaque sanglot.
Soudain, elle sentit le bras de Coyle se passer derrière son dos, et l'attirer contre lui. Bien que surprise, elle était trop triste pour résister à un geste de réconfort. Elle resta un long moment ainsi, serrée dans ses bras massifs. Personne ne l'avait jamais pris contre lui de la sorte. Bouleversée, la jeune femme se sentait emporté dans un tourbillon d'émotions contradictoires.
D'un côté, elle était en colère contre elle même, d'être aussi faible. Ce n'était vraiment pas son genre. De l'autre, elle se sentait triste, et culpabilisait pour Mona et ses amis qu'elle avait quitté soudainement, mais il y avait encore Coyle qui se rajoutait à l'équation !
Toujours froid et distant avec elle, il ne lui parlait que pour se moquer ou l'embêter. Cette tendresse inédite et soudaine l'interrogeait : était-ce de la pitié ? En avait-il marre de la voir aussi lunatique ?
La jeune femme était perdue.
-Ça va mieux ? Demanda Coyle au bout d'un moment.
-Oui...murmura Karmen, toujours serrée contre lui.
Sans un mot, Coyle la souleva aussi facilement qu'une plume et la porta jusqu'à son lit. Il l'y coucha doucement, et plaça les oreillers. D'après son froncement de sourcils, la jeune femme compris qu'il réfléchissait à où il avait laissé les couvertures.
-Ça lit des montagnes de papiers mais ça ne sait pas se souvenir d'où il a posé quelque chose, plaisanta doucement la blessée.
Coyle se tourna vers elle avec un regard menaçant, démenti par son sourire franc, le premier jusque là d'ailleurs...
-J'hésite à aller les chercher après cette réflexion sur mes formidables capacités, répliqua-t-il.
Karmen pouffa, les yeux rieurs. Le mauvais moment était passé : ils en reparleraient certainement demain ou plus tard, mais là Coyle semblait avoir compris que ce n'était pas le bon moment.
-Ah.
-Je veux bien y concéder si tu t'excuses.
-Jamais !
La jeune femme se mordit les lèvres lorsqu'il commença à partit mais ne revint pas un instant sur sa décision.
Elle se sentit un peu moins fière lorsqu'il quitta la chambre, mais ne protesta pas : une nuit sans couvertures ce n'est pas si terrible après tout.
Le lendemain au réveil, elle remarqua immédiatement les fameuses couvertures...posées sur lui. Endormi sur le divan. Fichue tête de mule.
J'adore l'opposition de leur deux caractères olala! 😂😂
Alors des idées pour après?😏
Que pensez-vous de la mise en page? Des conseils?😎
Xoxo😚
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