Chapitre 3 - La Belle Et La Bête - Rebecca
Il faisait froid.
Malgré les dernières chandelles irradiant la piste de danse, elle grelottait, peut être pas seulement à cause de la température de décembre, sa cape d'un vert sombre serré à ses épaules. Elle avait le cœur lacéré, les mains couvertes de sang, et une nausée montante.
Son cerveau s'échauffa. Le tueur était encore dans les parages, peut-être à ses côtés. Une dizaine d'invités se murèrent dans un troublant silence, leurs pas hésitants comme seule agitation.
Le tueur approchait, elle le sentait. Encore un peu et elle le trouverait. Elle retint son souffle puis se remémora les indices. Cette fois ci, elle ne le laisserait pas filer. Un homme passa. C'était lui, elle récupèra son flingue et...
— Rebecca! Éteins cette console, on va manger !
Zut, grogna-t-elle.
Le jeu mis en pause, Rebecca s'exécuta. Elle connaissait bien sa mère : au bout du troisième appel, elle pouvait dire adieu à sa jolie console ou à la télévision dans sa chambre. En bas, la table était mise, parfaitement dressée comme toujours. Une délicieuse tortilla cuisait encore dans la poêle, et la jeune fille inspira son fumet délicat avec un sourire.
Trois couverts reposèrent, seulement trois depuis le divorce de ses parents. Sa mère, un torchon suspendu à son épaule, éteignit le feu.
— Mi amor, tu peux aller chercher ta sœur ? lui demanda-t-elle, calmement.
En remontant l'étage, Rebecca perçut de la musique classique, un ballet, la seule mélodie encore capable de calmer son aînée. Elle poussa délicatement la porte, et trouva sans grande surprise sa soeur renversée : les pieds sur le lit, la tête pendant au sol. Elle claquait des doigts, frénétiquement, et sans rythme.
— Maria ? l'appela-t-elle doucement. Tu viens, mama a fait des tortillas.
Voyant qu'elle ne répondit pas, la jeune espagnole s'agenouilla près d'elle.
— C'est ton plat préféré, insista-t-elle.
Elle tenta même de la secouer mais sa grande sœur s'écarta en gromelant.
— La princesse ne peut pas manger. Pas ce soir. Pas maintenant.
Elle attrapa ensuite la télécommande et augmenta le volume de sa musique pour couvrir les mots de Rebecca, qui décida finalement d'abandonner.
Chaque jour depuis le début du mois de décembre, c'était le même cirque : mademoiselle divaguait, mangeait à peine et refusait de quitter sa grotte. Mama y papa, par téléphone, avaient bien essayé de faire quelque chose mais Maria était toujours restée stoïque, amorphe, comme vidée de son âme. Un psychiatre venait la voir de temps en temps, mais n'avait encore rien trouvé pour la guérir.
Rebecca, dans son imagination débordante, croyait dur comme fer à un mauvais sort. Celui d'une sorcière qui se serait introduite chez elle. Une fée noire, jalouse de ses talents d'enquêtrice, l'aurait sans doute confondue avec Maria. Car oui, malgré leurs trois années de différences, les deux sœurs se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. À une paire de lunettes près.
La sorcière aurait également pu envier les talents de danse classique de Maria. Ou plutôt ses anciens dons, puisqu'à présent, la belle au bois dormant demeurait trop épuisée pour dessiner sur le parquet le moindre pas.
Quelque part, cela lui faisait de la peine, la métisse préférerait la voir plus solaire, un brin prétentieuse mais douée d'enthousiasme dans tout ce qu'elle entreprenait. Comme avant.
En ramassant des chaussons de danse abandonnés, lacés et déchirés, son regard croisa une curieuse enveloppe. Elle se retourna, Maria ne semblait plus prêter attention à elle. Alors, elle l'ouvrit sans hésitation.
Chère Maria Florez,
Vous êtes conviée au bal du comte Lewis-Nowey.
Un costume vous sera livré, très bientôt.
En effet au pied du lit une étoffe rose dépassait : elle paraissait si luxueuse que Rebecca n'osa l'effleurer. De toute façon, avant qu'elle ne fasse un geste , sa sœur lui lança un regard noir. Rageux et meurtrier. Rebecca manqua de trébucher : depuis le début du mois, sa sœur n'avait jamais exprimé autant d'émotions, ou d'intérêt pour quelque chose !
— Va t-en ! Tout de suite ! grogna-t-elle.
Et Rebecca obéit. Plus par faim que par intimidation. Si, si, claro. Néanmoins, ses doigts attrapèrent l'invitation et la glissèrent dans la poche arrière de son jeans. Elle avait reçu un indice, un oubli de cette vilaine sorcière, et ne le laisserait lui échapper pour rien au monde.
Le repas achevé, elle s'écroula sur son lit, tenant à bout de bras le morceau de papier légèrement froissé par ses va et vient de la cuisinière à sa chaise pour se reservir.
Manoir
25 décembre
Bal de Noël
Comte L. N.
Tous ces mots résonnèrent dans sa tête. Si le manoir avait déjà été mentionné dans les journaux ou sur les réseaux, jamais elle n'avait entendu parler d'une telle fête. Maria ne pouvait rien lui cacher d'habitude, tant ses pensées modelaient son visage de danseuse. Même ses sorties chez son charmant petit ami Alfoso du cours de danse, n'étaient pas passées inaperçues, bien qu'elle s'était efforçé de ne pas les trahir. D'ailleurs ce dernier avait été d'un soutien remarquable dans le nouvel état de sa copine. Il souffrait pourtant, Rebecca le voyait bien.
Les doigts pianotant sur son ordinateur, elle lança une recherche. Ses lunettes manquèrent de tomber de son nez quand la première page s'ouvrit. Le prestigieux manoir Nowey. Elle cliqua sur chaque page en quête de photos mais mise à part l' extérieur, jonché de roses et de lierre—ou un banal concours sur les réseaux sociaux qui sentait l'anarque à plein nez —rien n'apparaîssait. Même les informations les plus basiques, comme le nom de son propriétaire, restaient floues. En clair, cette demeure suscitait plus l'interrogation que l'information.
Étrange. Rebecca se pencha à nouveau sur le carton d'invitation, et une idée germa dans son esprit. Et si elle s'y rendait pour en avoir le cœur net ?
Elle n'aurait qu'à se faire passer pour la talentueuse Maria Florez. De toute façon, elle doutait que sa sœur soit en état. Et si cette petite fête lui permettait de la comprendre un peu ?
Il ne restait plus qu'à trouver une excuse pour s'éclipser le soir de Navidad, et ce n'était pas gagné.
Pourtant, elle était décidée : demain, la belle se rendra dans le château cerclé de roses.
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