Chapitre 14- Échec Et Mat - Éden

Cela pouvait paraître un peu cliché pour un cerveau tel que lui, mais Éden s'était toujours plu face à un jeu d'échecs. Allier stratégie, et observation lui était tout autant utile pour résoudre un grand meurtre que faire ploitre un roi sur le plateau. C'est pourquoi, nombre d'enquêtes se traduisaient dans sa tête comme une partie.

Là, il était presque certain d'avoir avancé une tour face à un pion. Une pièce droite et forte.

— Donc c'est vous qui avez écrit cette lettre ?

La jeune brune devant lui ouvrit grand ses yeux face à l'accusation, et commença à lire avec attention la lettre que l'inspecteur lui tendit. Une  lettre de suicide. Fausse donc.

— Je ne m'en souviens pas, mais ce n'est pas mon genre d'écrire ça. Je pense que vous faites erreur.

La langue d'Eden claqua contre son palais. Ce ton, et l'enquête qui n'avançait pas, l'agacaient. En même temps, à quoi pouvait-il s'attendre ? Si tout le monde avait perdu la mémoire, elle n'allait pas subitement revenir parce qu'un nouvel indice pointait le bout de son nez. Personne n'aurait pu avouer quoi que ce soit, même s'il se sentait coupable. D'un autre côté, si aucun invité n'avait de sang sur les manches —et la victime s'en était pourtant bien vidée— et que l'arme du Crime avait été minutieusement cachée, comment le criminel aurait-il pu agir  sous l'effet de stupéfiants ou d'alcool ?

Non, pour Éden, le coupable reconnaissait son crime mais il jouait la comédie et il s'immiscait dans son rôle avec brio.

— C'est pourtant votre écriture ?

Elle leva un sourcil, perplexe, puis fit une moue dubitative.

— Pas vraiment, non, osa-t-elle, sans complexe. Mes i sont plus arrondis, regardez ! Ah et je termine jamais mes phrases par un point d'exclamation, ça fait trop théâtral à mon goût.

La reine veillait alors sur son pion.

Une ou deux autres lettres differaient mais de tous les invités, Éden n'en doutait pas, cette Maïa Willow détenait l'écriture la plus ressemblante. Il avait opéré cette technique plusieurs fois, et était rodé.

— Vous connaissiez la victime ? embraya-t-il.

Un simple pion en avant, le temps de préparer sa riposte.

Elle secoua la tête.
— Je ne me souviens même pas de qui elle est.

La phrase magique...

— Pourquoi écrire une fausse lettre, signée d'un prénom ? C'est le sien ?

— Puisque je vous dis que je n'ai pas écrit cette lettre ! répondit-elle agacée.

Derrière quelques invités lui lançaient des œillades inquiètes ou bien interrogatrices. Avait-elle des complices ? Il tâcha de se souvenir d'un visage, parmi les autres qui se révélerait un peu trop insistant. Si seulement ses collègues pouvaient s'impliquer autant que lui. Il retint un baillement, sans prêter attention à la grande horloge qui s'était encore décalée d'une heure.

— Que faisiez-vous entre vingt-deux heures et minuit ?

Le cavalier prit le relai, plus sinueux.

— Vous m'avez déjà posé cette question lors du premier interrogatoire, s'étonna Maïa, en s'entortillant les doigts sous la table.

— Et je vous la repose !

— Je... ne m'en souviens plus.

Évidemment...

— Et avant ? enchaîna-t-il, un masque sans émotions sur le visage.

— Avant, je profitais de la fête comme les autres invités.

Il leva le regard sur elle, elle tréssaillit, preuve que derrière ses airs indemontables, une faille résidait. Une trahison de meurtre peut-être.

La reine ne pourra pas protéger son roi éternellement. Il suffirait juste de faire tomber d'autres pions.

— Alors, vous pouvez m'en dire un peu plus sur l'hôte de la soirée ?

Elle n'hésita pas une seconde.

— Je ne l'ai pas vu.

Fou ennemi à terre.

— Il s'est pourtant présenté à ses invités aux alentours de vingt et une heure. Dans notre premier interrogatoire, vous aviez avoué avoir perdu la mémoire aux alentours de vingt deux heures, il me semble.

Maïa cligna des yeux. Revisait-elle ses aveux ?

— Je suis certaine de ne pas l'avoir vu. Il était sûrement dans une autre pièce du manoir. Les invités vous ont menti.

Bien joué.

— Il était pourtant là. Lorsque je l'ai interrogé, il m'a dit qu'il avait salué tout le monde, dansé un peu, bu beaucoup puis, tout comme vous, a  oublié le reste de sa soirée.

Se jettera-t-elle dans la gueule du loup ?

— Vous mentez ! lâcha-t-elle du bout des lèvres.

Échec ?

— Pourquoi dites-vous cela ?

Le doute sembla la gagner. Elle posa ses mains sur la table. Éden y vit un essai désespéré de sauver son triste jeu. Un fou, un cavalier ou bien la reine, l'un des trois s'avança. Prêt à se faire dévorer tout cru.

— C'est impossible. Le comte n'était pas parmi les interrogés. Il n'a rien pu vous dire.

L'ombre d'un sourire orna les lèvres de l'inspecteur.

— Comment pourriez-vous le savoir si vous ne l'aviez pas vu ? Et ne me dites pas que vous le connaissiez avant. Je vous ai déjà posé cette question, comme à tous les invités, personne ne l'avait jamais vu.

À croire que le comte Lewis-Nowey n'existait pas. Des serveurs avaient tout de même attesté qu'il ne s'était pas rendu à son propre bal, sans en connaître la raison.

— Je...

— J'ai la nette impression que vos souvenirs sont intacts. Vous êtes en état d'arrestation pour meurtre, mademoiselle Willow.

La encore, il avait joué un coup de bluff, mais le moyen idéal de la faire avouer —ou de faire ressurgir le noms de ses potentiels complices. Pas très honnête mais diablement efficace.

Bientôt le roi tomberait et il clamerait : Échec et mat.



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