Chapitre 15

Une semaine était passée depuis que Charlie s'était rendu en Australie. Une semaine et cela lui semblait être une éternité.

Une fois que les parents d'Hermione étaient revenu à eux et qu'ils avaient pu constater qu'en effet, ils avaient récupéré tous leurs souvenirs, Charlie ne s'était pas attardé. Prétextant du travail qui l'attendait à la Réserve, il avait poliment, mais fermement, rejeté l'invitation à manger. Bien que l'idée fût monstrueusement tentante, son estomac criant encore famine.

Dans le regard d'Hermione, il avait lu de l'incompréhension, mais c'était mieux ainsi. Il lui avait promis qu'il l'aiderait, pas qu'il resterait pour un souper familial. Si le prétexte de la Réserve était tout à fait bancal vu l'heure tardive, les arguments qu'il n'avait pas osé dire tout haut, eux, l'étaient beaucoup moins.

Tout d'abord, bien qu'il n'en montrât rien, il était fatigué. Le rythme effréné qu'imposait le fait de travailler avec des dragons favorisait les perturbations de sommeil. Se lever tôt, se coucher tard. Et avec le décalage horaire, sa journée n'avait été que plus longue encore. Vraiment, il était sur les genoux.

Ensuite, il y avait Hermione. Hermione et ses grands yeux chocolat tellement expressifs. Hermione et ses beaux sourires timides. Hermione et ses joues rouges de gêne. Hermione et son odeur de vanille. Les lèvres d'Hermione... Il n'avait pas passé vingt-quatre heures avec elle que Charlie se sentait totalement perdu. Il n'avait jamais ressentit ce besoin si fort de se trouver auprès d'une personne. Et, tout à fait entre nous, encore moins auprès d'une femme ! Non pas qu'il était machiste, du tout même, mais... Honnêtement, il était généralement bien trop mal à l'aise en leur présence pour pouvoir y éprouver du plaisir.

Alors certes, de temps en temps, il sortait avec ses collègues et ramenait une jolie demoiselle pour la nuit. Mais cela n'allait jamais plus loin. Il se faisait d'ailleurs un point d'honneur à toujours bien les prévenir : « Tu viens, on passe la nuit ensemble, tu pars. » Pas très galant, peut-être un peu trop franc, mais il préférait ne prendre aucun risque. Il aimait sa petite vie de célibataire, il aimait son travail qui lui prenait tout son temps. Alors il n'avait jamais souhaité s'encombrer d'une femme.

Aujourd'hui cependant, il se demandait si cela était une bonne chose. Dès la première heure, le lendemain de cette journée passée auprès d'Hermione, il avait enfourché son balai et était monté jusqu'au-dessus des nuages pour réfléchir à tout ça. À toutes ces sensations nouvelles qu'il avait pu ressentir auprès d'elle.

Déjà, à aucun moment, il ne s'était ennuyé pendant leurs conversations. Il avait pu lui parler de ses dragons et elle s'était passionnée pour ses récits. Si elle avait posé mille et une questions, elles n'en avaient pas été moins pertinentes pour autant. Elle était réellement intéressée et cela se voyait. Elle avait ensuite respecté ses moments de silence, ne l'inondant pas de paroles insensées. Et de manière générale, au cours de leurs discussions, ils étaient passés d'un sujet à l'autre sans problème. Hermione était assez cultivée sur le monde sorcier pour pouvoir débattre sur bien des choses et, s'il n'avait pas déjà été au courant de ses origines, Charlie aurait très bien pu ignorer le fait qu'elle soit née-moldue. Pas que cela ait une quelconque importance à ses yeux, mais le fait de pouvoir discuter de tout avec elle, pour lui qui, en toute modestie, n'était pas le plus idiot de sa fratrie, était enrichissant. Il aimait cela.

Ce qu'il aimait également, mais qui le terrifiait tout à la fois, c'était cette étrange sensation qu'il éprouvait à la tenir fort contre lui lorsqu'elle pleurait, ce besoin qu'il avait ressenti à plusieurs reprises de lui attraper la main pour lui rappeler qu'il était là, à ses côtés. Il n'avait jamais eu autant envie que pendant cette journée de protéger quelqu'un d'autre que les membres de sa famille. Et ce, même pendant la guerre. Certes, il avait défendu toute personne en mauvaise posture, mais hormis pour ses frères, sa sœur ou ses parents, il ne s'était pas mis en danger plus que nécessaire.

Aujourd'hui cependant, il pouvait affirmer qu'il serait prêt à beaucoup pour le bonheur d'Hermione. Et honnêtement, c'est ce qui le terrifiait le plus. Par Merlin, cette fille avait été l'amie puis la fiancée de son frère ! Jamais il n'aurait dû avoir ce genre de pensées, jamais il n'aurait même dû la regarder autrement qu'une fille parmi tant d'autres. Jamais, et pourtant...

Pourtant après une semaine sans nouvelles de sa part, il se sentait déjà comme un drogué en manque. Tous les matins, il retardait au maximum son départ avec l'espoir que sa cheminée s'activerait pour la laisser passer. Et tous les soirs, il se mettait au lit le plus tard possible pour les mêmes raisons.

De ce fait, Charlie était, à la fin de cette semaine, épuisée plus que jamais et d'une telle mauvaise humeur que personne n'osait l'approcher. Le seul pouvant prétendre à un peu de sa patience et de sa sympathie, était Phil, qui n'avait toujours pas quitté l'infirmerie. Son état devenait d'ailleurs doucement inquiétant. Habituellement, il aurait dû être sur pied depuis plusieurs jours déjà, mais ses brûlures, plutôt que de guérir, s'étaient infectées. Pour Charlie, s'il n'y avait pas d'amélioration dans les prochaines quarante-huit heures, il faudrait appeler un médicomage.

À ce propos, il avait eu une nouvelle discussion avec Raphaël, son chef, mais celui-ci campait sur ses positions : ils n'avaient pas les moyens d'en engager un à plein temps.

Cette fois encore, le rouquin était sorti du bureau en claquant la porte et avait volé jusqu'au-dessus des nuages...

Pour en revenir aux raisons qui avaient fait qu'il n'était pas resté plus longtemps auprès des Granger, bien que celles déjà évoquées étaient pour lui plus que suffisantes, il y avait Fred.

Si aider Hermione à retrouver ses parents avait apporté à Charlie un certain sentiment d'utilité, et d'envie de protection à son égard, cela avait également fait remonter chez lui des émotions qu'il aurait aimé garder enfouies pour toujours. Ce vide dans la poitrine, cette tristesse intense qui l'empêchait de respirer correctement. Il aurait très bien pu finir ses jours sans ne plus jamais avoir à les ressentir.

Son frère lui manquait, c'était atroce. Son frère et tout ce qu'il représentait aussi. Avec lui, c'est le sourire constant sur les lèvres de leur mère qui avait disparu, ainsi que ses crises d'hystérie lorsqu'elle tombait dans un des pièges que lui tendaient les jumeaux, tandis que le reste de la maisonnée riait aux éclats. Avec sa mort, c'est toute la dynamique de la famille qui avait changé. Fini l'organisation des repas familiaux, finies les vacances familiales, fini de se laisser aller au fou rire à tout bout de champs. Tout n'était plus que retenue, on ne s'étendait plus dans ses sentiments, on ne les exprimait même plus. La famille Weasley était devenue morne et ennuyeuse. Elle était, en quelque sorte, perdue.

C'est cela qu'il aurait répondu à Hermione, s'il avait voulu le faire, lorsqu'elle lui avait demandé pourquoi il ne rentrait pas plus souvent chez lui vu que les cheminées permettaient des trajets internationaux. Il n'avait plus envie de croiser le regard mélancolique de sa mère, ni celui un peu éteint de son père, lorsque, exceptionnellement, n'était pas au Ministère. Il rebutait à rentrer au bercail parce que Bill et sa femme, Fleur, se sentait toujours obligée de combler les moments de silence en évoquant les derniers progrès de leur petite Victoire. Pas qu'il n'aimait pas sa nièce, bien au contraire, mais il se fichait pas mal de savoir que la veille, elle avait mangé de la compote de pommes et ne supportait pas les brocolis. Personne n'aime les brocolis de toute façon.

Mais par-dessus tout, il détestait se trouver au Terrier lorsque George était présent également. Il abhorrait l'entendre se lever au milieu de la nuit, pour ne remonter que quelques minutes avant le petit-déjeuner, faisant ainsi semblant qu'il venait de se réveiller. Il répugnait à le voir s'isoler par moment et laisser se perdre son regard dans le vide.

En mourant, Fred avait emporté une partie de leur famille avec lui. Oh, certes, avec les années cela devenait moins dur, mais c'était toujours là. Et comme il l'avait dit à Hermione, il aurait tout donné pour revoir ne serait-ce qu'une seule fois son frère. Tout.

Aussi, lorsque, témoin des retrouvailles des Granger, il avait senti poindre une vague de jalousie, il avait préféré partir. Bien trop forte pour qu'il puisse la contrôler, il l'avait senti s'insinuer dans ses veines au fil des minutes qui s'écoulaient. Et il se sentait honteux pour cela. Honteux et dégoûté de lui-même. Quel être immonde était-il pour éprouver l'envie d'échanger sa place avec Hermione. Qui était-il pour estimer que son frère aurait dû survivre et qu'il était injuste que les parents de la jeune femme vivent et pas Fred ? Choqué par ses propres pensées, il n'en avait pas fermé l'œil de la nuit.

Quelqu'un d'extérieur à la situation l'aurait rassuré et lui aurait expliqué que cela était normal de ressentir ces choses, qu'il ne devait pas se fustiger à ce point, mais personne n'était là. Il vivait donc avec cette impression d'être une mauvaise personne depuis une semaine.

Entre ça et le fait qu'il voulait plus que tout revoir l'ex de son plus jeune frère, il ne parvenait plus à se regarder en face et encore moins à dormir.

Ainsi, lorsqu'il s'était levé avec un mauvais pressentiment, au matin du huitième jour, il avait proposé à Élisa de la remplacer au chevet de Phil. Fatigué et nerveux, il avait cependant encore assez de bon sens pour se rendre compte qu'aujourd'hui, il valait mieux pour lui qu'il se tienne éloigné des dragons. Mêmes elles, ces magnifiques créatures qu'il affectionnait particulièrement, n'étaient pas arrivées à lui apporter un tant soit peu de paix cette semaine.

Après avoir avalé un rapide petit déjeuner, Charlie s'était servi une tasse de café à emporter, avait enfilé sa veste et avait prit doucement le chemin de l'infirmerie.

Arrivé la pièce où son ami se reposait, il constata que celui-ci dormait toujours. Il prépara donc tout le matériel nécessaire aux soins en faisant le moins de bruit possible. Une fois qu'il eut terminé, il s'installa devant une fenêtre pour siroter son café. Le silence n'était brisé que par la respiration de Phil. Celle-ci était d'ailleurs rapide, saccadée, et cela inquiéta Charlie.

Se rapprochant du lit, il se rendit compte que son ami était trempé de sueur et sujet à de violents frissons. Il sortit sa baguette magique, en posa le bout sur la poitrine de Phil et prononça quelques mots. Une lueur blanche s'échappa du bout de bois avant de devenir rouge vif, signe que la température corporelle de Phil dépassait les 38°C.

- Merde ! Jura Charlie avant de se précipiter sur le chariot de soin.

Avec les moyens du bord, il tenta de faire chuter la fièvre, mais deux heures plus tard, force était de constater que rien n'y faisait. Il fit alors apparaître un patronus et l'envoya prévenir Raphaël et Élisa.

Cette dernière s'empressa de contacter Sainte-Mangouste, seul hôpital du monde sorcier², mais une épidémie de Dragoncelle aiguë retenait tous les médicomages sur place, impossible donc de leur envoyer quelqu'un.

- Quand je te dis qu'il nous faut quelqu'un du métier dans l'équipe ! Cria Charlie à son chef

L'homme allait répliquer, mais sa fille s'interposa.

- Cha, on comprend que tu sois inquiet, nous le sommes également, mais ce n'est pas une raison pour t'en prendre à mon père. Nous n'avons pas les moyens d'engager une autre personne à temps plein, tu le sais très bien. Alors ou tu te calmes et tu nous aides à trouver une solution, ou je te demanderais de sortir de cette infirmerie.

Le ton était calme, mais ferme. Le dragonnier toisa les deux autres pendant quelques minutes avant de sortir du bâtiment à grands pas. Il avait besoin de respirer. Mais alors qu'il s'apprêtait à aller voler, une idée le frappa

- Mais quel idiot ! S'exclama-t-il avant de se précipiter jusqu'à son cabanon.

Chez lui, il activa sa cheminée, attrapa de la poudre et un instant plus tard, il avait disparu.

Avec le recul, Charlie se dira qu'il avait eu de la chance que la jeune femme n'ait pas rendu les clefs la chambre d'hôtel, parce qu'il aurait eu l'air malin de débarquer de la sorte et que quelqu'un d'autre s'y soit trouvé à sa place. Mais il avait de la chance.

L'après-midi touchait à sa fin à Sydney, et une pluie battante frappait les carreaux de la pièce depuis deux jours. C'était à la fois déprimant et reposant.

Installée confortablement dans le grand divan de sa chambre, Hermione Granger sursauta violemment. Concentrée dans sa lecture, elle n'avait pas entendu la cheminée s'activer.

Perchée dans sa nouvelle cage, Lizzie, se réveilla brutalement et émit un petit cri d'indignation. Par Archimède³, qui donc osait venir perturber son sommeil ?

- Mais qu'est-ce que... Charlie ? S'exclama Hermione. Tu ne t'es pas fait mal ?

Dans sa précipitation, le dragonnier s'était pris le tapis en sortant de la cheminée. Mort de honte, il se releva en grognant quand un lancement le prit dans la cheville.

- Ça va, merci, affirma-t-il tout en grimaçant

- Tu es sûr...?

- Oui. Hermione, c'est vraiment urgent, j'ai besoin de ton aide. Un de mes collègues a été blessé par une dragonne et...

- Je te suis.

Hermione enfila ses chaussures, attrapa sa veste et sa baguette puis se dirigea vers la cheminée. Elle se rendit alors compte que Charlie n'avait, lui, pas bougé d'un iota. Il n'avait même pas fini d'expliquer la situation et elle le suivait !

- Ben alors, tu viens, j'ai besoin de toi pour prononcer ton adresse imprononçable, tu te souviens ? Fit-elle en souriant.

Le dragonnier se secoua et la rejoint. Tandis qu'elle entrait dans l'antre, il attrapa le pot de poudre, en jeta une poignée à ses pieds et prononça le nom de la Réserve.

Hermione disparut alors et il prit sa place. Lorsqu'une vague de vanille le submergea et que son cœur manqua un battement, il soupira. « Je suis vraiment dans la merde... ».

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top