"Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité." Antoine de Saint-Exupéry

Marinne

Je baille la bouche grande ouverte. Il est près de 3 heure du matin mais je ne me décide pas à lâcher mon téléphone. Cela fait près de deux mois que le site anonymechat me garde éveillée de longues heures. Deux mois que je parle avec un mystérieux inconnu sur ce site. Deux mois depuis que ce dernier a remarqué mon poème posté sur ce même site. 

Avant, anonymechat ne m'intéressait pas vraiment. Je m'en servait pour tenter de faire des rencontres mais, malgré tous mes efforts, j'avais l'impression de tromper Gabriel en discutant avec d'autres hommes. J'avais donc songé à tout arrêter. Sauf que, un soir d'octobre je suis rentrée chez moi tard le soir, à moitié bourrée après l'anniversaire de Dave. J'étais vraiment très pompette et je me suis mise à écrire un poème. Vous me direz sûrement qu'il y a pire que d'écrire un poème lorsqu'on est alcoolisée. J'aurai pu embrasser un inconnu dans la rue, me faire écraser par une voiture ou bien crier tous mes secrets par la fenêtre de ma chambre. Non, moi j'ai écrit un poème. En pensant à Gabriel évidemment. J'y ai mis tout ce que je ressentais, alors même que j'ignorais être capable d'écrire de la poésie. Je me suis livrée entièrement. 

Lorsque je suis revenue sur le site, un lundi soir, j'ai reçu une notification.

De : Utilisateur8899456

À : UneFilleDuLundi

Bonjour !

Je t'ai contactée car j'ai lu ton poème. Moi aussi je vis la situation que tu décris. Je la vis depuis des mois et ça fait mal. Très mal. Malgré mes efforts je n'arrive pas à oublier cette fille qui me hante.

Je me dis que ça m'aiderait peut-être de discuter avec quelqu'un dans la même situation que moi. Si ça te dis évidemment. 

J'espère que nous aurons l'occasion de nous reparler

Bonne soirée, 

Utilisateur8899456

Je me souviens en être restée bouche bée. J'ai relu le message pour être sûre de ne pas m'être trompée dans ma lecture et puis j'ai cliqué immédiatement sur "Vos annonces". J'ai repéré mon poème et je me suis précipitée pour le supprimer. J'ai tout de suite pensé : "Quelle conne ! Mais sérieux quelle conne ! Pourquoi je n'ai pas effacé ce truc ?" Car oui, je l'avais laissé sur le site durant près de trois jours. Des centaines de personnes avaient pu tomber dessus. Je me sentais vraiment humiliée que tout le monde ait pu voir ce texte. Puis, j'ai réfléchi un moment et constaté que même s'il dévoilait mes sentiments cela restait anonyme. Et puis, personne ne prendrait le temps de lire un poème après tout. Personne. Personne sauf l'utilisateur 8899456 apparemment. J'ai continué de cogiter quelques minutes et j'ai pris une décision : j'allais renvoyé un mail à cet utilisateur pour lui dire que c'était une erreur et que je ne recherchais pas de personnes avec qui partager mes désillusions amoureuses. Encore moins un inconnu. 

Pourtant, je ne sais pas ce qui m'a pris mais lorsque j'ai cliqué sur "Envoyer un message", j'ai hésité. J'ai hésité pendant plusieurs minutes avant de répondre :

Bonjour !

Peut-être en effet que nous pourrions discuter. Je crois que j'ai besoin de quelqu'un avec qui partager tout ça. 

Bonne journée, 

UneFilleDuLundi 

PS : Pouvons nous nous tutoyer ?

PS-S : Pourrais tu changer ton nom d'utilisateur ? ça me fait bizarre de parler avec quelqu'un qui s'appelle Utilisateur8899456

Et j'ai envoyé. Puis, je me suis donné une claque mentale. Pourquoi avais je répondu ? Et pourquoi avais je répondu comme ça ? Le ton était froid et désagréable, voire même hautain. J'avais oublié la majuscule sur le "ç" et en plus, je lui ordonnais carrément de changer de nom d'utilisateur. Je relis mon message une seconde fois, remarquant que je lui avais demandé de se tutoyer alors qu'il m'avait déjà tutoyée dans son premier message. Mais quelle débile ! Aargh ! J'étais incapable de relire un message avant de l'envoyer ou quoi ? Il allait me prendre pour une fille désagréable et particulièrement bizarre. 

Et puis, j'ai fermé le clavier de l'ordinateur, me disant que s'il ne répondait pas, cela m'éviterait d'avoir à converser avec lui. Mon problème me paraissait résolu. 

Sauf qu'il ne s'est pas résolu... Il s'est transformé en échappatoire...

3 mois plus tard... 

Gabriel 

Il est aux alentours de 3H du matin quand j'envoie un message à UneFilleDuLundi pour lui annoncer que nous devrions dormir.

De : SamFeuilleRouge

À : UneFilleDuLundi

Hey !

Bon, je pense qu'on devrai dormir, hein ?

A demain !

Sam

Au lieu d'éteindre mon téléphone, je reste face à l'écran encore quelques minutes. Mes yeux vagabondent sur l'écran et s'arrêtent sur mon nouveau nom d'utilisateur. À la demande de UneFilleDuLundi, j'ai changé Utilisateur8899456 pour SamFeuilleRouge. Ce nom ne me parait pas particulièrement stylé mais j'ai choisi ce qui me passait par la tête à ce moment là. Mon cousin s'appelle Sam et j'adore le Canada. Je ne suis pas parti chercher très loin. 

Marinne 

Je reçois une nouvelle notification. Je clique dessus lit le message qui m'est envoyé. SamFeuilleRouge, mon mystérieux inconnu. Il m'incite à aller me coucher et, en voyant l'heure, je me dis que ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Surtout que, demain, nous avons une réunions de marketing importante. Tous les membres de la boite seront là et je ne veux pas me faire remarquer en ayant l'air d'un zombie. 

J'éteins donc ma lampe de chevet, pose mon téléphone et sombre dans un profond sommeil. 

»»---------------------►

Le lendemain, en me réveillant, j'aperçois deux nouvelles notifications de anonymechat. La première vient d'un homme avec qui je parlait il y a environ trois mois. Je lui ait clairement annoncé que je n'étais plus intéressée mais il insiste, me bombardant de messages. Alors, excédée je lui réponds :

De : UneFilleDuLundi

À : JohnMcRunMuscles

Ecoute coco, NON c'est NON. C'est pas oui. C'est pas peut-être. C'est NON. Donc tu me lâches, compris ?

PS : J'aime bien ton pseudo. Il est aussi ridicule que toi. 

J'espère qu'il va comprendre cette fois. En tout cas, j'espère pour lui car j'en ai ras-le-bol de son attitude et je ne vais pas prendre de pincettes. La prochaine fois mon message sera deux fois plus salé. 

C'est sur ces charmantes pensées que j'ouvre le second message. 

De : SamFeuilleRouge

À : UneFilleDuLundi

Hey ! 

Souhaite moi bonne chance ! Je vais tenter de lui parler aujourd'hui...

J'espère que tout se passera bien et que j'arriverai à lui parler sans me ridiculiser. Mais, tu m'as dit de tenter ma chance mais j'hésite... 

Je sais que tu m'a dit que beaucoup de filles avaient des photos de leur meilleur pote sur leur bureau et que ça signifiait qu'elle était peut-être libre mais... je ne sais pas... Je n'ose pas vraiment faire le premier pas...

Sam

PS : pourquoi les filles ne feraient pas le premier pas de temps en temps ? Parce que moi, là, je n'en peut plus. Je me rends presque malade de stress à cause de ça

Après avoir lu son message je reste pensive. Au lieu de lui répondre immédiatement je réfléchis à ses derniers mots : "Pourquoi les filles ne feraient pas le premier pas ?". Et si, cela pouvait aussi s'appliquer à moi ? Et si, Gabriel n'attendait qu'un signe de ma part ?

Gabriel 

Je pousse la porte de la salle de réunion et m'assoie sur une chaise vide. Je fouille dans mon sac, à la recherche de mon habituel bloc-notes, quand soudain une voix m'interpelle :

- "Salut ! Est-ce que je peux me mettre là ?" 

Marinne. Elle veut se mettre à côté de moi. Maintenant. Je bafouille un petit oui et elle s'installe sur la chaise voisine de la mienne. 

Elle commence à me parler, de tout et de rien. Après un petit moment de gêne, nous bavardons comme si nous étions de vieux amis, alors que nous ne nous sommes presque jamais adressés la parole en trois ans. C'est étrange, quand je suis avec elle, je me sens bien. Tout mes préoccupations me paraissent soudain futiles et inintéressantes en comparaison. J'ai comme l'impression que tout l'univers tourne autour de Marinne. Tout mon univers en tout cas. Ça à toujours été le cas mais jamais plus qu'en cet instant. 

»»---------------------►

La réunion commence, et je suis un peu déconcerté de me retrouver si proche de Marinne, de discuter avec elle aussi librement. Elle parle de tout et de rien, et au fur et à mesure de notre conversation, la gêne s'efface. Je commence à me détendre. C'est un peu comme si nous nous connaissions depuis toujours, alors qu'en réalité, nous n'avions jamais vraiment eu l'occasion de discuter. 

- "Alors, Gabriel, qu'est-ce que tu penses de ce projet de marketing ?" me questionne-t-elle

Je sursaute un peu, pris de court par sa question, et j'éclate de rire, un peu gêné.

- "Franchement, je n'ai rien suivi, je t'avoue." réponds-je en plaisantant.

Elle me regarde, surprise, avant de rire franchement. 

Je sens mon cœur s'emballer en entendant son rire. C'est stupide, mais j'adore son rire. C'est un détail qui me frappe à chaque fois, et aujourd'hui ne fait pas exception.

Marinne

Après la réunion, nous continuons de discuter. À chaque fois que Gabriel me parle, j'ai la sensation étrange de le connaître intimement, alors que nos discussions ont été rares et peu nombreuses au fil des ans. 

J'avais peur de me rendre compte que Gabriel était inintéressant ou désagréable en apprenant à le connaitre mieux. J'étais effrayée par l'idée d'être tombée amoureuse d'un imbécile et de l'être restée durant trois ans. Ces peurs étaient ridicules : Gabriel est parfait et j'ai l'étrange sensation de le connaitre parfaitement. Une connexion s'installe entre nous. Le même genre de connexion qui s'est déjà installée entre SamFeuilleRouge et moi. 

»»---------------------►

Je trouve que ces derniers temps, chaque instant passé à discuter avec lui, même des broutilles, est une sorte de bulle enchantée. Pourtant, je me retiens, je ne veux pas qu'il sache ce que je ressens. Pas encore. Je dois d'abord être sûre de ce qu'il ressent, sinon, tout pourrait devenir trop compliqué. Et puis, je suis aussi consciente que tout cela pourrait bien être qu'une illusion, un espoir vain. 

Gabriel

Plus le temps passe, et plus ma relation avec Marinne s'accentue. Nos discussions deviennent plus profondes et on passe parfois du temps l'un chez l'autre après le boulot. Ainsi, j'apprends que UneFilleDuLundi avait raison, le grand type blond est le meilleur ami de Marinne. Alors je reprends espoir... 

Marinne

Il est tard, je suis assise sur mon canapé, en pyjama, un bol de chips -parfum ultra spicy- posé devant moi. C'est mon pêché mignon du lundi, mon petit réconfort hebdomadaire. 

Mes doigts glissent sur l'écran de mon téléphone. C'est devenu une habitude. Sur anonymechat, SamFeuilleRouge et moi continuons nos discussions tous les soirs. Je lui parle de ma relation qui avance avec Gabriel -sans le nommer- et il m'avoue que cette fille qui lui plait l'a abordé et qu'il a l'impression qu'une amitié nait entre eux.

J'ouvre l'application et clique sur l'onglet "Notifications". 

De : SamFeuilleRouge

À : UneFilleDuLundi

Hey ! J'aimerai de demander un truc. Pourquoi as-tu choisi "UneFilleDuLundi" comme nom de profil. Ça m'intrigue.

Je souris en voyant la question. Ma haine du lundi m'a poursuivie jusque dans le choix de mon nom de profil. Je tape une réponse. 

De : UneFilleDuLundi

À : SamFeuilleRouge

C'est une longue histoire... :)

J'ai toujours détesté les lundis. Le pire jour de la semaine. Horrible. Affreux. Bref, je déteste les lundis. Ce qui fait que (malgré mes NOMBREUX efforts) je suis toujours en retard au boulot le lundi. C'est devenu une blague récurrente au travail par la suite. 

Gabriel

Je suis assis là, le téléphone dans les mains, regardant les mots s'afficher sur mon écran. UneFilleDuLundi... C'était elle tout ce temps. La fille qui me faisait sourire à chaque message. Je comprends enfin. Tout est clair.

Je tape, un peu nerveusement, sans vraiment réfléchir :

De : SamFeuilleRouge

À : UneFilleDuLundi

Marinne... C'est moi... Gabriel.

Je me mords la lèvre, un sourire nerveux sur les lèvres. Je suis à la fois terrifié et excité, mais je n'ai pas le temps de réfléchir plus longtemps. Je veux la voir. Je veux lui parler en face à face. Et je sais que, même si cela me terrifie, c'est maintenant ou jamais.

Marinne

Je lis le message de SamFeuilleRouge et mon cœur s'arrête. Gabriel... C'est Gabriel. Je fixe l'écran pendant quelques secondes, comme si le temps s'était arrêté. C'est lui, l'homme avec qui je parle tous les soirs.. Je sens un frisson parcourir ma peau.

Gabriel

Je rafraichis la page, attendant une réponse. Rien. Alors, je me lève et fonce vers la porte, attrapant mon manteau au passage. 

Ça fait plus de trois ans que j'attends, maintenant il est temps d'agir. 

Marinne

Je n'hésite plus. Je prends ma veste, enfilant mes bottes sans réfléchir. Mon cœur bat à toute vitesse. Il faut que je le voie. Gabriel. Je vais chez lui, tout de suite.

Je me précipite hors de l'appartement sans même réfléchir. Le vent fouette mon visage, mais je ne recule pas et court vers le quartier de Gabriel. 

Je n'ai plus de temps à perdre. Je veux le voir. Lui. Gabriel. Je veux que tout cela devienne réel.

Soudain, je le vois. Il est là. Il marche dans ma direction, les mains dans les poches, un regard fixe, déterminé. Je m'arrête en plein milieu de la rue, le cœur battant. Tout autour de nous semble s'effacer, comme si le monde était suspendu. 

Gabriel

Elle arrive. Mes jambes sont lourdes mais je continue de m'avancer, mes yeux fixés sur elle, l'espace autour de nous devenant de plus en plus flou. C'est un moment irréel. Elle est devant moi, à quelques mètres, et je me rends compte que je n'ai jamais été aussi nerveux de ma vie.

Tout se passe si vite. Je la vois sourire, une lueur de doute dans ses yeux, et tout à coup, une certitude s'impose à moi. Peu importe ce qui se passe, je dois lui dire. Tout ce que je ressens depuis si longtemps. 

Je la vois s'avancer et j'en fais de même. Nos visages s'approchent l'un de l'autre et je sens mes lèvres rencontrer les siennes. Et tout disparait autour de moi... 

Marinne

Je ferme les yeux, tandis que tout s'efface autour de moi. Mes pensées s'emmêlent et s'entrechoquent. Une seule parvient à se frayer un chemin parmi mon brouillard mental : Je suis en train d'embrasser Gabriel. J'embrasse Gabriel. Tout est parfait. Tout est parfait et nous sommes lundi.