Tome 2-ch7-Damien


Qui d'entre nous n'a jamais observé les passants dans la rue, se demandant ce qui leur était arrivé pour qu'ils aient l'air aussi ravagés, ou de mauvaise humeur ?

Avant, je m'en foutais de tout ça. Je vivais pour moi, pensais où est-ce que j'allais passer la soirée ou à quand allait tomber la prochaine mission. Mais dorénavant, tout me semble différent. J'en ai vu des gamins souriants, malgré le fait qu'ils aient vu leurs parents se faire tuer. J'en ai observé des mamans en larmes, anéanties par la mort de leur mari, d'un de leurs gosses. Et quand nous voyons cela, accompagné de la misère qu'il existe autour de nous, tu te sens réellement pathétique de te plaindre de ta propre existence.

Je me souviens de mon premier jour de « liberté », celui où, blessé, rafistolé, je me suis promené dans un village de Gahdamèse. Il faisait chaud, j'étais accompagné de Mohammed, armé jusqu'aux dents au cas où, je me dirigerais vers l'océan dans l'espoir de prendre la fuite. Nous avions croisé un groupe de personnes, composé d'hommes, de femmes, et d'enfants. Tous chuchotaient, les femmes semblaient paniquées à l'idée que leurs mioches m'approchent d'un peu trop près.

J'étais l'américain.

Celui qui allait les abattre pour conserver sa propre vie, celui qui allait aider les djihadistes en leur donnant le plus de tactiques militaires, dans l'unique but de vivre. Ces regards apeurés, je ne les oublierais jamais. Ils ont calciné le peu de fierté qu'il me restait, ont achevé de tuer l'homme que j'étais, parce que dans le fond, ils avaient raison : j'allais les tuer.

Je suis à l'affût du moindre bruit, prêt à démarrer si je sens quelque-chose de louche se passer. Enfermé dans la voiture que j'ai empruntée à ma mère, je ressasse. Comme un vieux con qui s'en veut mais qui en même temps, sait qu'il n'avait pas le choix d'agir ainsi. Je ferme les paupières, la revois parfaitement, comme elle était ce matin : belle, avec ses longs cheveux bruns attachés en queue de cheval, l'air peu sûre d'elle. Ou encore quand ses yeux bleus me dévoraient du regard. Au début, j'étais en colère qu'elle soit là, qu'elle voie les balafres de mon torse, sur mes jambes. Mais elle n'a rien dit, ne s'est même pas attardée dessus. J'aurais dû lui dire que je suis mort de trouille, parce que chaque nuit mes cauchemars me rendent violent, que le stress me ronge et me fout dans un état second, que je ne suis plus moi-même. Mais je n'ai pas envie de parler de ça, ni avec elle, ni avec qui que ce soit. Comment les autres me percevraient, après ? Comme un gars complètement taré, comme un homme bien trop dangereux.
Je soupire, encore. Comment revenir et me faire aimer après tout cela ? Comment assumer un rôle de père quand la seule chose que je sais faire est de tuer ? Elisa était là, prête à parler, à me soutenir, et je lui ai demandé de s'en aller... Elle doit me détester. Il faut qu'elle me déteste, c'est pour son bien, et le mien aussi. Je ne mérite pas qu'elle se soucie de mon sort, encore moins d'avoir sa pitié. Elle devrait plutôt se trouver un mec en qui elle pourra avoir une entière confiance, sans avoir peur. Et puis... Que suis-je capable de lui faire, lorsque ça ne va pas ?

Je sursaute lorsqu'une main s'écrase contre la vitre de la voiture, me tirant de mes pensées. Connor se marre de l'autre côté tandis que mon cœur bat à tout rompre. Quel con ! Je sors de la voiture en grognant, mais son rire est communicatif.

—Déso, mais t'avais l'air si concentré que je n'ai pas pu m'en empêcher.
—Concentré ? répété-je en riant. Si tu le dis.
La rue grouille de passants. Faut dire que le beau temps est de rigueur et qu'en habitant au cœur de New-York, je n'échapperais pas à ce genre de regroupement de foule. Très vite, mes poumons s'oppressent, me coupant le souffle. Merde, pas ici.
Connor se fraie un chemin, avant de se retourner et de me regarder.
—Tu viens ?

Je hoche la tête et le suis, fixant le bout de mes pompes et m'oblige à me calmer.

Merde, Dam, ce ne sont que des gens banals. Zen, mec.

—Sinon, demande Connor, comment s'est passée ta première nuit chez toi ?

Je grogne, encore.
—Ce n'est pas vraiment chez moi, déjà. Mais ça s'est bien passé.

Bien évidemment, je mens. Je n'ai pas envie de lui expliquer que ma mère m'a retrouvé à poil, sur le sol, hurlant comme une mauviette.

—Cool, répond-il. Bon, ce magasin-ci est pas mal.
Je regarde l'enseigne que je ne connais point et Connor m'explique alors qu'ils sont nouveaux dans le quartier et qu'il y a pas mal de fringues top. J'entre avec lui et découvre qu'il n'a pas tort. Leur collection est dans le style classique, simple et a l'air confortable. J'opte pour trois pantalons, deux bermudas et des tee-shirts, en masse. Je n'essaie pas, je n'en ai pas besoin. J'ai minci, mais je sais que rien ne sert de prendre une taille en-dessous de celle que je mettais auparavant. Je me connais assez pour savoir que je serais remplumé rapidement. Surtout si je vis encore longtemps avec ma mère. Rien que cette idée me mine un peu plus le moral. J'ai envie de récupérer mon loft, mon bordel et ce qui m'appartenait. J'avais fait de putains de travaux dedans, j'avais investi pour me sentir bien une fois que je serais en permission et au final, je me retrouve sans rien, mis à part ce que ma mère a décidé de garder. Bon, je sais qu'Elisa doit avoir quelques vêtements, mais honnêtement, j'appréhende. Parce que qui dit passer prendre mes affaires, signifie passer du temps avec elle et le bébé.
Putain, ressaisis-toi, Damien !


Je regarde la porte en bois devant moi. Il faut que j'y aille, plus vite ce sera fait, mieux ce sera. Cette impression de devoir la fuir m'est bizarre, parce que quelque-part, j'ai envie de la voir, de la contempler, de me remémorer le pourquoi nous sommes faits pour être ensemble. J'ai été fou de cette femme, je le suis encore mais la peur que...
Je frappe à la porte. Mon cœur bat tellement vite que je suis certain qu'on l'entend à des dizaines de kilomètres à la ronde. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvre sur Elisa. Elle semble étonnée de ma venue, et moi-même je le suis d'être venu aussi tôt.
—Damien ? Oh... Euh... Entre...

Elle ouvre la porte en grand et de son autre main, elle repousse une mèche de ses cheveux. J'entre et l'odeur des produits pour bébé chatouille mes narines.

Je regarde autour de moi, analyse la pièce qui a beaucoup changé par rapport à mes souvenirs et soupire. Forcément que ça a changé, elle a eu un bébé, et donc les affaires de ce dernier envahissent les moindres recoins.

—Ça va ?

—Oui, réponds-je, et toi ?

Elle acquiesce et file dans le coin cuisine.

—Je te sers quelque-chose à boire ?
Je m'appuie dans l'embrassure de la porte, l'observe ouvrir tous les placards pour saisir des tasses, comme si elle ne savait plus où celles-ci étaient rangées.
—Ne sois pas si nerveuse, je ne vais pas te manger.
Même si la vue de ses jambes nues me donne envie de le faire. Elisa pose les tasses sur le plan de travail, prend la bouilloire et la remplit d'eau.
—Je suis désolée, souffle-t-elle en évitant de regarder dans ma direction.
Et moi donc. Avant, tout était plus facile. On se parlait, on riait, on baisait, on faisait tout, sans réfléchir.
—Un café soluble ? Je n'ai pas eu le temps de faire les courses et euh...
Elle soupire et pose la bouilloire sur le feu.
—Oui, c'est nickel.
—D'accord.
Elle s'appuie contre le meuble et me regarde, enfin. L'intensité de ses iris bleues me transperce. Je sais qu'elle attend beaucoup de moi, je voudrais la retrouver aussi, pourtant, je ne me sens pas prêt. Et tout ceci, parce qu'il y a un petit être qui pionce dans une cage en bois, à quelques mètres de moi.

—En fait... Je suis venu reprendre mes affaires. J'en ai besoin, même si Connor m'a traîné dans les boutiques.

Elle rit, mais les larmes qu'elle retenait coulent le long de ses joues. Je suis mal à l'aise, c'est de ma faute si elle se met dans cet état-là, mais que puis-je dire ou faire qui nous irait à tous les deux ? Comment lui expliquer que j'ai tué une femme enceinte en la voyant elle ? Je déglutis, regarde le sol avant de remonter mon regard sur son corps. Elle paraît plus mince que dans mes souvenirs, mais elle est toujours aussi belle. Ses cheveux bruns attachés dans un chignon déstructuré mettent en valeur le bleu lagon de ses yeux.

—Je vais aller te les prendre, finit-elle par dire en essuyant ses joues.
Je recule pour la laisser passer, puis, je la suis à travers les pièces. L'idée de rester avec ce bébé me panique, même si dans le fond, je sais qu'il s'agit du mien.
Dans la chambre, elle ouvre la penderie, se hisse sur la pointe des pieds et saisis une pile de vêtements bien pliés.

—Ce sont des sweats surtout, dit-elle en les posant sur le lit.

Je m'approche, regarde ce qui a été sauvé et plisse les yeux quand elle sort de l'armoire ma veste blanche.

Elisa la sert contre elle, comme si cette veste avait une quelconque valeur et me la tend.

Je la prends, frissonne en apercevant les tâches de goudron, les boutons dorés déformés et brûlés.

—Garde-la, ça va, murmuré-je.
—Oh ?

—Oui, oh. Je n'en ai pas besoin, et l'armée m'en rendra une neuve.
Elle écarquille les yeux, comme si je venais de balancer une grosse connerie et reprends la veste de mon uniforme avant de la fourrer dans la penderie.
—Tu comptes retravailler, alors ?

Sa question me surprend.

—Evidemment, faut bien que je vive et il hors de question que je reste ici à ne pas en branler une.

Elle referme l'armoire et s'adosse contre celle-ci, en me regardant. Ses lèvres pincées me disent que ça ne lui plaît pas, mais après tout, comment pourrais-je faire autrement ?

—Tu viens à peine de rentrer.
—Et je ne compte pas rester ici, les bras croisés, répété-je exaspéré.
—Tu n'es pas remis !

—Je ne suis pas mort ! Arrêtez tous de vouloir me mettre sous cloche, merde !

Elle clôt ses paupières, inspire bruyamment et je me passe une main dans les cheveux.
—Excuse-nous d'y avoir cru, Damien. Excuse-nous d'avoir peur pour toi. Tu ne peux pas te mettre à nos places, comme nous ne pourrions pas nous mettre à la tienne. Mais je crois que tu peux comprendre la peur que nous ressentons tous à l'idée que t'y retournes, non ?

Je souffle, saoulé. Ils flippent pour une simple phrase émise, alors que je sais que je ne recommencerais pas avant quelques semaines, si pas quelques mois. C'en est bête.

—Non.
Je ramasse la pile de linge posée sur le lit et ferme les yeux, écoutant le bruit de ses sanglots puis, je me retourne vers elle.

—Parce que nous ne savons pas de quoi demain sera fait, reprends-je. Je peux très bien crever en sortant de chez toi, choppé par une bagnole et que tu n'aurais rien vu venir. Le danger est partout, Elisa, pas seulement à l'autre bout du monde.
Ses yeux hagards recherchent dans les miens une once de douceur, ou un truc dans le genre, pourtant, il n'y a rien de tout ça que je puisse lui donner. N'empêche que, la pointe de culpabilité en moi refait surface et qu'elle me pousse à m'approcher d'elle. Je m'arrête, juste avant de faire une connerie, mais elle parcourt les pas qui nous séparent et se blottit contre mon torse, enroulant ses bras autour de ma taille. Je reste figé, mon cœur bat beaucoup trop vite, mon souffle s'emballe. Je n'arrive pas à refermer mes bras autour d'elle, pourtant, lorsque mon nez s'enfonce dans ses cheveux, que je respire son parfum bien à elle, sucré et vanillé, un sentiment de bien-être m'envahit. Je finis par poser ma main libre sur sa hanche, dépose un baiser appuyé sur sa tempe.

—Je suis désolé de ne plus être celui que t'as connu, lui soufflé-je.
Puis, sans rien ajouter d'autre, je m'écarte d'Elisa et sors de l'appartement, la gorge nouée.

En passant le seuil, ma mère me saute dessus, et l'air surpris, je lui demande ce qu'il lui prend.

Elle me répond d'une petite tape légère sur le torse.

—Je me suis faite du souci, Damien, quelle question !
Je la serre dans mes bras, et ricane :

—Ne sois pas si soucieuse, maman, je suis simplement allé chercher des fringues avec Connor, puis j'ai filé chez Elisa, histoire de récupérer mes affaires.
Elle se détache de moi, m'offre une grimace des plus agaçantes et pars vers la cuisine.

—Tu devrais parler avec elle, Dam. Elisa est beaucoup plus fragile que tu ne le penses.
—Justement, réponds-je, énervé.

—Justement quoi ?
Je m'installe au bar tandis qu'elle éteint le four et salive lorsqu'elle en sort un gâteau.

—Justement elle est bien trop fragile pour supporter d'entendre ce que j'ai à dire, trop fragile pour être avec moi.
—Mais elle t'aime.
Sa réplique me pique là où ça fait mal, mais je fais face.
—Elle est amoureuse de l'homme que je ne suis plus. C'est tout.
En déposant l'assiette avec le gâteau fumant dessus sur le bar, ma mère me lance un regard noir.
—Et Eden ?
Je soupire profondément. Ouais, et le p'tit ?
—On verra...
—On ne verra rien du tout, s'écrie-t-elle. Eden est ton fils, Damien. Elisa lui a chaque jour parlé de toi et a fait en sorte que tu existes pour ce bébé. Tu ne peux pas te comporter comme ces pères qui fuient qu'on voit fleurir de plus en plus. Si jamais, tu te comportes de la sorte, tu auras affaire à moi, mon fils, compris ?!
Ses prunelles identiques aux miennes me fixent, sans ciller. J'ai beau être un militaire de caractère, quand ma mère clame quelque-chose, je redeviens le gamin que j'étais et obtempère. Que veut-elle que je fasse ? Je ne sais pas m'occuper de gosse, d'ailleurs, les mioches, ça n'a jamais été mon truc. 

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