Tome 2-Ch4 _Elisa


Deux jours. Deux jours que son « je » empli de larmes résonne dans ma tête. Deux jours qu'il m'a appelé et qu'il n'a rien dit, alors que j'attendais ça depuis si longtemps. J'ai hâte qu'il rentre. Je me réjouis de le prendre dans mes bras, de le serrer de toutes mes forces et de lui dire à quel point il m'a manqué. J'ai tellement envie de revoir son doux visage pour réaliser que, oui, tout cela est bien réel. Parce que là, j'ai toujours cette impression d'être en plein brouillard.
Faire le deuil d'une personne chère, puis apprendre que non, elle n'est pas morte est vraiment surréaliste, c'est un rêve que chaque personne perdant un proche voudrait vivre. Son retour a été annoncé de manière officielle et est prévu pour aujourd'hui. Je l'ai appris par Danielle et ensuite, les médias en ont parlé. Sa photo sur l'écran plat m'a retournée le ventre, alors qu'elle date d'avant son départ.
J'ai hâte, mais j'ai peur. Peur que tout soit différent, peur que tout ait changé entre nous et qu'il flippe en voyant Eden. Puis en y pensant, je ris. Un mec comme Dam ne peut pas être impressionné par un bébé de six kilos.
Un sourire fend mon visage et je berce alors Eden qui dort pourtant déjà dans mes bras. Comment est-ce qu'on va s'en sortir ? Je n'en sais strictement rien, mais on va faire pour que ça aille.

Je suis nerveuse. Je suis là, sans savoir si j'y ai ma place. Je suis dans cette grande salle peu personnelle de l'aéroport que nous a réservée l'armée et j'attends. Pas seule, évidemment. Des tas de militaires sont présents, réunis autour de grandes tables au bois brut, à rire comme si de rien n'était. Danielle est assise sur une chaise, dans un des quatre coins de la pièce, à se ronger les ongles. Moi ? Je suis une boule de nerfs, incapable de rester assise, à me triturer les doigts de manière impulsive. Il est exactement dix-huit heures, et mon ventre se tord un peu plus. D'une minute à l'autre, il va atterrir. D'une minute à l'autre je vais le voir et je ne sais même pas comment dois-je réagir. Quand un homme en uniforme vient chercher Danielle, je ne respire plus. Je dois attendre ici, parce que je n'ai pas été conviée à rejoindre la piste. Je la regarde se lever, maintenue par le grand type. Son regard est brouillé de larmes, tout comme le mien, et je me laisse tomber sur la chaise qu'elle occupait.


L'attente est longue. Les minutes ne passent pas, semblent durer une éternité. Je suis tellement à bout que trois fois, on est venu me demander si je voulais boire quelque-chose ou si j'allais bien. Je dois être beaucoup trop pâle, et mon mascara a sûrement zebré mes joues de noir.

Je tente de calmer ma respiration erratique, me lève, tourne en rond. Je vais vomir si l'attente se fait encore longue. C'est trop de stress, trop de questions, trop de tout pour un seul être. Je finis par m'adosser contre un mur aux lambris de bois foncés et ferme les yeux, pour tenter de me raisonner. Je l'imagine sortir de l'avion, le sourire aux lèvres, les larmes aux yeux. Je l'imagine ouvrir ses bras, lâchant son sac bariolé pour enlacer sa mère qui courrait vers son fils.

Un tonnerre d'applaudissements retentit dans la salle, mon sang s'échauffe avant de déserter mon corps. Des cris, des sanglots se mêlent au bruit ambiant et mon cœur rate un battement avant d'imploser dans ma poitrine. J'ouvre les paupières, retiens mon souffle en le voyant près de l'entrée, dans les bras de ses frères d'armes.

Je n'ose pas bouger, d'ailleurs, j'en suis incapable. Mais mes yeux, eux ne le quittent pas, même si ma vue se trouble. Il est là. Ses cheveux noirs sont rasés, son regard marqué de cernes est las malgré son énorme sourire qui lui fend le visage lorsqu'il serre dans ses bras ses proches. Je pourrais encore le regarder, sans remuer de ma place, juste pour enregistrer ses traits que j'avais cru avoir oubliés. Je n'arrive plus à savoir si je suis réellement présente, ou si je suis en train de vivre une hallucination.

Puis... Un regard.

Un sourire qui disparait et un sac lâché au sol. Il m'a vue. Ses iris me transpercent l'âme tandis que mon cœur tambourine à tout rompre. Aucun de nous deux n'ose avancer, ni dire quoi que ce soit. Nous restons là, à nous observer plus que de raison, à se remémorer ce que nous sommes, ce que nous avons vécu, aussi. Parce que oui, un an, c'est long. Quoi que l'on en pense. On a un peu oublié ce que c'est de se voir, de se toucher, de s'aimer. Je ne me rappelle même plus de son odeur, celle que pourtant, j'aimais particulièrement.

Ses yeux descendent sur mes mains nouées, avant de remonter vers mon visage et même si les personnes qui l'entourent lui parlent, il ne semble pas les écouter. J'avance, d'un pas, d'un seul puisqu'il ne me laisse pas le temps d'en faire plus, comme il se jette sur moi. Son corps lourd, doux et réconfortant heurte le mien, ses bras m'enlacent bien trop fort mais, je suis incapable de dire quelque-chose, tant ma gorge est nouée de sanglots. J'écrase mon visage contre son torse, respire.

—T'es venue...
Je pleure et je ris aussi.
Bien entendu que je suis venue, je ne pouvais pas, ne pas venir. Mon corps tremble, mes larmes ruissèlent. Je me déteste d'autant pleurer et de ne pas pouvoir parler. Mais je n'y arrive pas. La seule chose dont je suis encore capable de faire, c'est de prendre son visage entre mes paumes, et de le regarder plus attentivement. Ses yeux verts sont toujours aussi incroyables, même s'ils sont cernés de noir. Ils pourraient me faire vivre mille et un voyages, seulement en les contemplant. Sa peau hâlée est griffée, à de nombreux endroits, et je remarque tout de suite les points de suture qu'il a dû avoir à l'arcade sourcilière. Du bout des doigts, je caresse tendrement ses joues râpeuses, sa bouche.

—Tu m'as manqué, soufflé-je.

—Tu m'as manqué aussi, répond-il d'une voix rauque.
Le sourire que je lui envoie reflète le sien, j'en suis certaine. Et avant que je ne l'embrasse, avant que nous prononcions un mot de plus, il se détache de moi.





Damien n'a pas voulu monter avec sa mère, ni moi en l'occurrence, puisque nous sommes venues ensemble. Après avoir répondu aux questions de quelques journalistes, il a suivi Connor, et j'avoue que je suis un peu perdue. Du temps, me raille ma conscience, voilà ce qu'il lui faut. Du temps pour se retrouver, et puis seulement après il reviendra vers moi. J'avais imaginé nos retrouvailles différemment, pas comme ça, pas entre toutes ces paires d'yeux qui scrutaient nos moindres faits et gestes. J'aurais voulu que ce soit plus intime, que nous puissions nous parler, nous embrasser... Mais l'émotion a été plus forte que les mots qui refusaient de sortir. Je joins mes mains, les cale entre mes cuisses et regarde le paysage de gratte-ciel défiler. Danielle ne cesse de renifler, tant elle est encore émue d'avoir retrouvé son fils.

—Tu te rends compte, même pas présent pour le retour de son fils.
Un soupir, c'est tout ce dont je suis capable de répondre face à l'amertume de ses mots. Oui, c'est honteux, mais entre Paul et Damien, ça fait bien longtemps que rien ne se passe comme cela est censé être entre un père et un fils. Je crois d'ailleurs que Dam aurait fait une drôle de tête si son père avait été présent.

—Tu reviens pour le dîner ? Tu veux que je t'attende en bas de l'immeuble ?

—Non, ça ira. Je prendrais la poussette et comme il fait beau, ça ne peut que me faire du bien de prendre l'air.
—Parfait, acquiesce Danielle. Je terminerais vite le repas et je pourrais profiter de mon fils avant qu'il ne voie le sien.
Je déglutis et tente un sourire qui au final, est médiocre. Je ne compte pas revenir à la soirée, parce que je suis fatiguée, et que Damien a le droit de profiter de sa première nuit ici, sans se poser vingt-mille questions sur Eden. Lorsqu'elle s'arrête en bas de l'immeuble, je l'embrasse et sors de la voiture le plus rapidement possible.



Le calme règne dans l'appartement. Je dépose mes clés sur le comptoir de la cuisine et découvre Mélanie dans le fauteuil, avec Eden endormi dans ses bras.
—Ouf, à voir ta tête, on dirait que ça ne s'est pas déroulé comme prévu.
J'enlève mon imper, le jette sur le dossier du canapé avant de m'y avachir en grimaçant. Effectivement, je n'avais pas prévu de telles retrouvailles.

—Si, enfin, ça aurait pu être mieux, mais ça va.
—Raconte.
Je fixe le plafond, pour ne pas pleurer, encore. Raconter quoi ? Il n'y a rien à dire...
—On a pleuré, on s'est enlacé et voilà.
—Pas de baiser enflammé ? s'écrie-t-elle, comme si c'était une chose inconcevable.
Eden sursaute mais le bercement des bras de mon amie, le rendort automatiquement. Je secoue doucement la tête, et me force à sourire. Non, même pas un baiser.
—Mais pourquoi ? chuchote Mélanie, qui paraît horrifiée.
Dans un geste désinvolte, je hausse les épaules et me redresse.
— Il a sûrement besoin de temps. Je ne sais pas, j'essaie de me dire que c'est normal. Puis peut-être qu'il était gêné de m'embrasser devant le monde qu'il y avait. T'aurais dû voir ça, la salle était pleine à craquer.

Je fais couler de l'eau dans la bouilloire et la chauffe, en re-visualisant la scène. Est-ce que je lui cherche des excuses ? Peut-être, pour me réconforter. Mais... Lui, son sourire et ses larmes. Il était là, devant moi. J'ai touché sa peau, j'ai contemplé ses yeux et surtout, je l'ai respiré. Quand est-ce que j'aurais cru vivre cela un jour ? Jamais. Parce que je ne pensais jamais le revoir, encore moins le toucher. Je pourrais lui en vouloir d'avoir fait de ce moment quelque-chose de plat, de plus ou moins froid, sans me dire ces mots que je crève d'envie d'entendre. Je pourrais. Sauf que je n'y arrive pas. Il me manque plus que tout. Et cette minute durant laquelle je l'ai retrouvé, était beaucoup trop courte. 

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