Tome 2-Ch 36- Damien
S'il y a bien une chose à laquelle je n'avais jamais pensée, c'était bien celle-ci. Que ce connard s'en prenne à moi, ok. Qu'il foute ses paparazzis à notre cul pour se donner bonne conscience et faire pleurer dans les chaumières, ok. Qu'il bousille ma caisse, ok. Qu'il vienne foutre le souk dans notre appart' m'avait déjà demandé pas mal de self-control, mais là... Putain mais là...
Jamais je n'aurais pensé qu'il aurait une arme et nous aurait suivis jusque dans les Hamptons. Le goût amer que son acte me laisse dans la gorge m'assure que je lui ferais payer. Comment je ne sais pas, mais je ne peux pas laisser passer ça...
Putain... Il a osé. Il a osé touché à ce qui m'est le plus cher... Et il va le payer.
J'arpente les couloirs de cet étage, de cet hôpital, les poings serrés, les mâchoires douloureuses tant elles sont crispées. J'ai le cœur en vrac, bousillé et je sais que d'une seconde à l'autre, je vais craquer. Je n'ai jamais autant eu peur de ma vie... Jamais. Et là... Putain, elle est là, et je ne sais pas, elle est là et je dois attendre. De mes yeux humides, je fixe les arbres dénués de leur feuillage, sans même les voir.
J'ai froid. Et tellement chaud en même temps. Le temps semble s'être arrêté.
Une seconde paraît durer une minute, et les minutes sont tellement lentes à défiler qu'elles deviennent éternité. Quand ai-je loupé le principal ? Quand ai-je omis qu'il était dingue et que j'en ai baissé ma garde ? Quand ai-je commencé à croire que ça y est, nous étions enfin tranquilles ?
Plus rien ne se passait, et donc, j'avais cru bêtement qu'il avait accepté, qu'il avait décidé que le moment était venu de nous foutre la paix. Mais il préparait son coup, c'est tout.
Mais quel con...
— Damien, s'approche doucement Connor, tu veux quelque-chose ?
Je secoue la tête par la négative, perdu dans mes pensées quand il pose sa main sur mon épaule dans un geste réconfortant.
Perdu parce que je n'étais pas présent, perdu parce que je ne sais pas comment réagir face à tout ça, et... Et Eden... Il a besoin d'elle, il a besoin de sa mère autant que j'ai besoin de ma femme. Et comment vais-je faire sans elle dans ma vie ? Non, je ne peux pas m'imaginer ça... Penser ainsi, c'est la laisser partir, et non, je ne peux pas, je ne peux pas...
Le front collé à la vitre froide, je clos les yeux. Je n'arrive plus à retenir mes larmes, encore moins les angoisses que je ressens.
Du sang... Son sang.
C'est pire que le mien encore, pire que celui d'un étranger, pire que celui que j'ai déversé par litres.
Mes mains tremblent et je les enfonce dans mes poches, évitant que tout le monde remarque à quel point je me sens mal. C'est de ma faute. J'aurais dû rester là, ou mettre l'alarme, ou... Bref, je n'aurais pas dû filer en les laissant seules.
En arrivant, en voyant l'ambulance et Mélanie en pleurs, j'ai arrêté de penser, arrêter de respirer et ai hurlé en voyant ma femme sur le brancard, entourée de deux ambulanciers et d'un médecin. Elle était plus que pâle, comme la mort. Elle était pleine de sang, comme la mort. Elle était inconsciente, comme si elle était morte.
— Tu ne peux pas mourir...
« Ça va aller, m'sieur, ça va aller ».
Sauf que c'est faux. Parce que mon Elisa est dans un putain de bloc opératoire et que je ne sais pas, je ne sais pas ce qu'il se passe, ni comment elle va, ni si elle a un poumon perforé ou encore une artère touchée. Je ne sais absolument rien et ça me rend malade.
J'attends, espérant que chaque pas cliquetant sur le lino soit ceux d'un médecin.
Les minutes passent, lentement, me narguant méchamment.
Il s'est barré, Damien...Il a pris la fuite comme un putain de lâche.
Et moi je suis là, coincé dans le couloir séparant la vie de la mort, à attendre des nouvelles, perdu et anéanti par ce qu'il vient de se dérouler.
Ce jour devait être un nouveau départ. Le nouveau départ de notre nouvelle vie. Cette vie dans laquelle nous devions rire, aimer et baiser jusqu'à plus soif.
Il a tout gâché.
J'ai fait foirer sa vie, il enterre la mienne.
Je me laisse glisser au sol, le dos contre la baie vitrée, et joins mes mains devant mon visage.
Je sens le regard de mes amis, mais je ne veux pas leur rendre. Parce que mes larmes resteront secrètes, se déversant entre mes doigts et mourant dans mes paumes, parce que mes sanglots resteront muets, logés dans ma gorge et broyant mon être.
—Je vous en supplie, Seigneur, elle doit s'en sortir... On a un bébé...
Je n'ai jamais prié, parce que je n'ai jamais cru en Dieu, qui semblait m'avoir oublié durant de longues années. Mais elle, mon Elisa prie, je le sais, puisqu'elle me l'a dit plusieurs fois. Elle a tant de fois émise ses prières pour moi, quand je n'étais plus là... Est-ce pour ça, que je suis revenu ?
Alors moi aussi, je me surprends à implorer silencieusement n'importe quelle divinité, pour qu'elle m'aide. Pour qu'elle vienne en aide à celle qui y a toujours cru, à celle que j'aime. Elle doit s'en sortir, elle doit revenir auprès de moi... Elle ne peut pas me laisser.
— Monsieur Burn ?
Je me relève, le souffle coupé en attendant que le docteur devant moi développe. Mes oreilles bourdonnent, ma tête tourne méchamment et je suis prêt à m'écrouler au sol tant je suis mal.
— Votre fiancée est en salle de réveil.
— Elle va bien ? m'empressé-je de demander alors que Mélanie et Connor nous rejoignent.
— Seules les heures pourront nous le confirmer. Mademoiselle Writ avait une balle logée près de l'omoplate. Elle a eu beaucoup de chance que l'os ait fait barrage et qu'elle n'ait pas touché la colonne vertébrale ou un poumon.
— Elle va mourir ?
— Dam, me rassure Connor.
— Non, son pronostic vital n'est plus engagé, monsieur Burn. Concernant son état de récupération, je me réserve pour la suite.
Et je craque. Parce que tout ça, c'est trop pour moi, parce que... Parce que j'ai eu la peur de ma vie, et que j'ai cru la perdre pour de bon.
Et pourquoi ça nous arrive ce genre de trucs ? Et pourquoi le bonheur d'être ensemble ne dure jamais plus de quelques semaines ? À chaque fois que je pense enfin être au calme, une bombe nous saute à la gueule et nous enlève nos sourires, notre joie. Je fonds en larmes dans les bras de Mélanie, qui tremble contre moi. Elle aussi a eu la trouille et je ne sais pas comment ce petit bout de femme a réussi à ne pas s'évanouir devant autant de sang.
— Allez, pleure-t-elle, vas la retrouver, elle doit t'attendre.
Connor me donne une tape amicale sur l'épaule, comme à chaque fois qu'il se veut compatissant, réconfortant et rassurant.
Un couloir ne m'avait jamais paru aussi long. Je fixe les pointes de mes Nike alors que je suis le médecin, et je me retiens de le harceler de questions. J'ai tellement peur, peur de la voir mal, peur de la voir s'en aller...
De mon bras, j'essuie mes larmes et retiens mon souffle lorsque le docteur pousse une porte.
— Elle est toujours endormie, mais normalement, dans une bonne heure votre fiancée devrait revenir parmi nous.
J'acquiesce, incapable de répondre, le regard posé sur ma femme. Elle paraît minuscule dans ce grand lit blanc, avec sa blouse trop large de l'hôpital. Ses cheveux sont toujours retenus par une charlotte turquoise et son doigt relié à un électrocardiogramme. Je voudrais le lui arracher, juste pour ne plus entendre ce son si inquiétant. Je voudrais la prendre dans mes bras et la serrer contre moi, lui dire à quel point je l'aime, à quel point je suis désolé.
— N'hésitez pas à appeler dès son réveil.
— Ok...
Je m'approche, doucement. Parce que je me suis déjà retrouvé à cette place, parce que là, c'est elle qui est touchée et qu'elle n'aurait jamais dû se retrouver dans un lit d'hôpital.
Mes doigts tremblent lorsqu'ils frôlent le dos de sa main. Sa peau est froide et j'en frémis...
Je tire la chaise à côté du lit, enlève sa charlotte et libère ses cheveux. Je les caresse, me penche vers elle et pose un baiser sur son front.
— Ça va aller, bébé... Tu dois te réveiller, et je te promets que ça ira... Je suis là, je suis là et je ne compte plus jamais te laisser. Je suis désolé, je suis tellement navré...
Mes larmes tombent sur son visage, je les essuie, caresse tendrement sa joue et prends place sur la chaise, tenant ses doigts entre les miens.
∞
Quand est-ce que tout ceci finira ? Quand serions-nous enfin tranquilles ? Et... Putain et moi qui voulais repartir... Comment pourrais-je m'absenter en ayant peur qu'il lui arrive quelque-chose, à elle, ou à Eden ? Je ne peux pas faire ça, je ne peux pas partir des mois, sans les voir. Pas après tout ça.
— Je ne partirais pas, murmuré-je. Je trouverais une solution mais je ne te laisserais plus seule.
Evidement elle ne répond pas, mais j'ai besoin de le formuler à voix haute pour m'en convaincre, pour accepter ce que je redoutais. C'est décidé, je ne reviendrais pas dessus. L'amour que j'ai pour elle, pour la famille que nous formons avec Eden est bien plus fort que l'amour et la passion que j'ai pour l'armée et les missions.
La Navy n'est plus la constante de ma vie, non. Ma constante c'est eux, ma femme et mon fils.
Le bip incessant de la machine, et le tic-tac de l'horloge m'angoissent. Ils me prouvent pourtant que tout va bien, que la vie continue même si la mienne s'est mise en pause ces dernières heures. Je tiens ses doigts, sans oser les serrer de peur de lui faire mal. Ma jambe tremble nerveusement, et je grince des dents à chaque minute qui passe. Elle devrait bientôt se réveiller. J'ai hâte, mais je flippe en même temps. Parce que j'ai beau être grand et fort, je n'ai pas envie de la voir souffrir, ni de la voir pleurer. Je sais que les pleurs sont inévitables. Pour avoir déjà reçu les éclats d'une grenade dans la jambe, je peux même affirmer que la douleur est atroce. Alors une balle en plein dos, je n'ose imaginer ce qu'elle va ressentir... Ni ce qu'elle a ressenti.
—Hmm...
Je me lève de ma chaise, quand elle grogne dans son semi sommeil.
— Je suis là.
Elle tourne son visage dans ma direction, esquissant une grimace quand je presse le bouton d'appel, sur la télécommande qui pend au-dessus de son lit.
— Hey, pleuré-je. Je suis là, princesse.
Elle tente un sourire mais l'effet de l'anesthésie lui font refermer les yeux.
— T'es là ? demande-t-elle.
Je me penche sur elle, embrasse ses joues, son front, son nez. Putain, elle est revenue. Je suis partagé entre la haine, la tristesse et le soulagement de la revoir parmi nous.
— Tu m'as fait une de ces peurs.
— Pardon, Damien...
— Chut...
Mon front contre le sien, je respire à nouveau. Plus jamais je veux vivre une chose pareille, plus jamais je veux connaître une telle peur.
— Mademoiselle Writ ? Je suis Maryse, votre infirmière.
Je recule, ne lâchant pas la main d'Elisa qui cligne plusieurs fois des paupières pour s'habituer à la luminosité de la pièce. L'infirmière prend sa tension, les constantes et moi, j'observe ma femme, sans rien pouvoir dire, alors que j'en ai tant à lui raconter.
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