Tome 2-Ch 3-Damien
J'inspire longuement, regarde le décor qui s'étend au pied de la tour qu'est l'hôpital par la fenêtre de ce qu'il me sert de chambre. Je suis ici depuis plusieurs jours, je pense une semaine, si pas plus, et je deviens fou à attendre de rentrer. Les heures de visite se terminent et le flot de passants s'amassent sur les divers parkings. Des enfants courent autour de la fontaine tandis que leur maman hurle dans une langue que je ne connais pas, en espérant les faire avancer. Les lampadaires s'éclairent, rendant l'obscurité plus noire qu'elle ne l'était.
Hier soir, j'ai pu enfin appeler ma mère. Elle était au bord de l'infarctus et je lui ai affirmé que mon retour serait pour très bientôt. Je ne peux pas encore rester dans cet hôpital, ni dans ce pays. J'aime la Tunisie, bien sûr, mais pas dans ces conditions, pas en étant enfermé dans cette chambre stérile. Elle a longuement pleuré, m'a répété une cinquantaine de fois à quel point elle m'aimait et à quel point je lui avais fait peur. J'ai ri, j'ai pleuré comme une fiotte aussi.
Puis je lui ai demandé.
Je voulais savoir si Elisa était retournée avec mon frère. Je voulais savoir si un homme, quelque il soit, avait pris ma place.
Elle n'a pas répondu à ma question, mais ce qu'elle m'a dit, m'a chamboulé, m'a retourné et a happé tout le reste de mes pensées :
« Damien, tu es papa d'un petit trésor. Celui d'Elisa. Eden est ton fils ».
Ces quelques mots... M'ont plongé dans le néant.
Je suis père. J'ai un fils. Merde. J'ai besoin de faire une pause rien que d'y repenser. Ma vie prend un tournant radical et je ne sais plus trop où j'en suis.
D'homme à Seals, de Seals à otage, d'otage à prisonnier, et de prisonnier à papa.
Je savais qu'elle était enceinte, je le savais avant de partir. Mais j'avais pensé... Merde qu'est-ce que je m'étais imaginé ?! Qu'elle était avec lui, qu'elle baisait encore et encore avec lui, qu'elle ne pensait plus à moi ni à ce qu'on avait partagé.
Je tourne en rond, dans cette pièce qui pue l'aseptisant. J'ai besoin d'air, j'ai besoin de réfléchir. Sauf que je n'y arrive pas. Mes poumons s'oppressent, l'air se raréfie, mes côtes me sont douloureuses. J'ai l'impression que ma tête va imploser, mais je sors de cette maudite chambre pour me vider l'esprit.
∞
Dehors, l'air est moins lourd et une légère brise me fait frissonner. Je me traine difficilement jusqu'un banc en bois et m'y assieds. La tête enfouie entre les mains, je laisse mes larmes couler. Elisa a eu un enfant. De moi.
Je m'étais tellement dit qu'elle n'allait pas le garder puisqu'à la base, elle ne voulait pas de gosse, je m'étais tellement dit qu'elle allait tourner la page de notre histoire, oublier tout ce que j'ai été comme on en oublie les morts. Parce que j'étais mort pour eux tous. La réalité est celle-là, même si ça me fait mal de l'admettre. Et mon retour maintenant ? Comment va-t-il se passer ? J'étais déjà confus, je ne savais déjà pas comment revenir sans trop parler de ce qu'il s'est passé ici et maintenant... J'ai un bébé.
Un bébé qui s'appelle Eden. Eden, le paradis... Ma mère était enthousiaste quand je lui ai demandé de me parler de lui. Elle m'a dit qu'il avait un peu plus quatre mois, qu'il était beau, qu'il avait une masse de cheveux noirs et que soi-disant, il me ressemblait comme deux gouttes d'eau. J'ai ri, un peu. J'ai tenté de l'imaginer mais c'est difficile. Je prends une longue goulée d'air, parce que j'angoisse de cette vie qui m'attend. C'est retrouver le bonheur tout en fonçant vers l'inconnu. Et je flippe.
—Me semblait bien que cette tête de cul ne m'était pas inconnue.
Je relève subitement la tête et fixe le gaillard, debout à quelques mètres de moi.
Connor.
Prenant appui sur le banc, je me lève alors qu'il fonce vers moi. Nos corps se heurtent quand nous nous prenons dans les bras.
—Je suis désolé.
Mes larmes ne s'arrêtent plus, les siennes humidifient mon épaule.
—Mais on s'en fout, vieux con !
Et je ris avec lui, le relâchant. Connor attrape mon bras libre et tous deux, nous marchons vers le banc. Mes jambes tremblent tant je suis ému de le revoir, surtout ici.
—Comment vas-tu ? demandé-je la voix rauque.
Il se marre, passe une main dans ses cheveux rasés et secoue la tête, le sourire aux lèvres.
—Tu joues à cache-cache pendant un an, et tu me demandes comment moi, je vais ? On s'en fout de moi !
Je l'imite quand il part dans un grand rire et je réponds :
—Je vais bien. Enfin, j'essaie d'aller bien.
Il me regarde en arquant un de ses épais sourcils sombres, alors je change de sujet.
—Mais qu'est-ce que tu fiches ici ?
Connor me tend son paquet de clopes et j'en prends une, avant de l'allumer. La première taffe me fait tousser et je grogne quand une douleur lancinante surgit dans mes côtes.
—On te rapatrie demain soir, et le capitaine Franck vendredi. Merde, Dam ! Je n'arrive pas à croire que t'es là !
De sa paluche énorme, il tape doucement sur mon épaule.
—Je suis bien là, confirmé-je en souriant.
—Sérieux, reprend-il, comment vas-tu ? J'ai lu le rapport avant de le rendre plus haut, et j'avoue...
Il souffle, je maintiens le mien. Je sais déjà ce qu'il va me dire et je le laisse faire, même si je n'en ai pas envie.
—Otage ? Raconte-moi.
—Otage, oui. Te raconter quoi ? Il n'y a rien à dire à qui ce soit.
J'aspire longuement sur ma cigarette, regarde la fontaine devant nous avant de baisser les yeux sur mon jambe bandée. Que veut -il que je le lui dise ? Que j'ai été battu comme une pauvre merde ? Non, je ne dirai rien.
—Dam...
D'une chiquenaude, il envoie son mégot un peu plus loin sur le béton et reprend :
—Le jour où t'as besoin d'en parler, n'hésite pas, mon frère. On a cru t'avoir perdu et t'es bien là, avec nous.
Je peux entendre toute l'émotion dans sa voix et j'ouvre les yeux en grand pour ne pas chialer. Merde. C'est vraiment en train de se passer tout ça. Ils m'ont vraiment cru mort, et tel un ressuscité de la vie, je débarque. Je baille, fatigué par ces émotions qui me submergent depuis ma libération.
—Allez, on va dormir mec.
Je regarde Connor se lever, me tendre la main. Je lui souris faiblement quand il m'aide à me relever.
∞
Huit heures trente. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. L'infirmière est déjà venue m'aider à entrer dans la douche, m'aider à y ressortir. Elle a déjà changé mes pansements et on m'a apporté mon petit-déjeuner auquel je n'ai pas touché. Je n'ai pas faim. Trop de questions me tordent le ventre, me donne envie de vomir. Je ne suis pas prêt à rentrer même si l'envie y est. Pourtant ce soir, j'embarquerai dans l'avion qui me mènera sur le tarmac du New-Jersey. Connor entre dans la chambre sans frapper, m'arrachant à la contemplation du paysage de Tunis.
—Déjà prêt ?
Vêtu de son uniforme, il a fier allure.
—T'es toujours canonnier ?
Connor sourit malgré sa tête qu'il secoue par la négative.
—Je suis passé instructeur. Tu sais, Dam... Depuis l'attaque de ce 3 septembre, je ne suis plus remonter sur un seul bateau de la Navy.
J'écarquille les yeux, puis fronce les sourcils. Evidemment. Et moi ? Est-ce que j'aurai encore la chance de pouvoir digérer une flotte ? J'en doute. Surtout quand je vais devoir répondre aux diverses questions des experts de l'armée américaine.
—On remontera sur un OPS ensemble, Damien, dit-il en s'asseyant sur mon lit. Mais avant de faire les deux gros malins sur un pont, tu vas devoir te remettre d'aplomb, reprendre tes...
—Connaitre mon fils ?
—Aussi, oui.
Il sourit et je baisse les yeux sur mes phalanges douloureuses.
—Eden est un gosse incroyable, Dam.
—Elle a quelqu'un ? Enfin... Elle s'est remise avec Alexandro, ou...
Je cherche mes mots, mal à l'aise. Je peux comprendre si elle l'avait fait, mais je n'en serais pas moins blessé.
—T'es con ou bien ?
Je le fixe, les yeux voilés par la tristesse. Je veux qu'il me réponde honnêtement, sans détour.
—Elisa t'attend, mec. Elle ne s'est jamais remise avec ce bouffon qu'est ton frangin, et encore moins avec un autre. Le seul mec qui t'a volé un peu de place dans son cœur, c'est votre fils.
Je ferme les yeux, soulagé. Je me mords la langue pour ne pas laisser échapper mes sanglots. Je dois être en train de rêver ces mots, d'imaginer ce moment.
—Elle m'attend, répété-je.
Connor pose sa main sur mon bras et nos regards se croisent.
—T'as vraiment cru qu'elle allait t'oublier ? Dam... Tu aurais dû voir sa tête quand je lui ai dit qu'on t'avait retrouvé. C'était... Waouh, c'était magique !
Je craque. Il ne m'en fallait pas plus pour que mes barrières ne cèdent. Je craque littéralement en pensant à elle, en train de m'attendre avec notre fils. Mes larmes ne se tarissent plus.
Connor se lève, se penche vers moi et sa main entoure ma nuque.
—Je sais que ça fait beaucoup, Damien, mais on est là pour t'aider à surmonter tout ça, ok ?
J'acquiesce, ne sachant plus parler tant ma gorge est nouée de sanglots.
∞
Depuis quelques minutes déjà, je fixe l'écran du smartphone. Les cinq lettres de son prénom sont affichées et je sais, qu'il me suffirait d'appuyer dessus pour entendre sa voix. J'en ai envie, vraiment. Mais j'ai tellement la trouille que je ne sais pas ce que je parviendrai à lui dire. Alors, je le fais... Simplement pour entendre sa voix, juste pour me remémorer ce son dont je ne me souviens même plus. Ne plus se rappeler des gens qu'on aime est une des choses les plus terribles à vivre.
Je ferme les yeux, alors que le sang pulse dans mes tempes de manière indécente. J'ai l'impression que ma tête va imploser, que mon cœur va sortir de ma poitrine trop serrée.
La tonalité retentit, mes mains deviennent moites de nervosité.
—Connor ?
Sa voix. Je frissonne. Une larme unique coule le long de ma joue, un sourire douloureux se dessine sur mes lèvres.
—Connor ? Allô ?
Ma gorge se noue de sanglots retenus, mes mots se noient au plus profond de moi.
—Conn...
Je l'entends retenir son souffle, et dans un murmure elle finit par dire :
—Damien ?
—Je...
Je voudrais lui dire tant de choses, et je voudrais lui dire à quel point l'entendre prononcer mon nom est quelque-chose d'inespéré pour moi, mais rien ne vient. Chaque mot reste coincé dans ma gorge, chaque idée se cogne encore et encore dans ma tête jusqu'à ce que j'étouffe. Ses cris de joie, ses larmes que je devine dans sa voix sont un réel électrochoc, sont une bouffée d'oxygène.
J'empêche mes sanglots de sortir, parce que j'ai bien trop pleuré, parce que j'ai déjà été beaucoup trop faible.
—Mon dieu, merci, mon dieu.
Elle hurle presque, laissant la joie exploser dans le combiné. Mon cœur se gonfle, mon sang chauffe et avant de vraiment craquer, je raccroche.
C'est trop à gérer. Beaucoup trop à gérer pour l'instant. Je regarde le téléphone, me mords le poing, fort.
Pourquoi les mots ne veulent pas sortir ? Pourquoi je ne lui ai pas dit à quel point je l'aimais et qu'elle me manquait ? Pourquoi je ne lui ai pas demander pour notre fils ? Pourquoi et pourquoi et pourquoi ?
Je regrette. D'avoir raccroché, de n'avoir rien dit, de ne pas avoir pleuré, de l'avoir appelée, d'être parti...
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