Tome 2-ch 28-Elisa
Lorsque nous débarquons et que j'entre dans le terminal, c'est usée, par cette heure de vol où Eden a longuement pleuré. D'ailleurs, j'ai eu de la chance qu'aucun des passagers n'aient rouspété, alors que j'étais déjà bien mal à l'aise.
Je repère directement ma mère, dans le flot de personnes qui attendent leurs proches. Ses cheveux sont comme à chaque fois que je la vois à travers l'écran de mon pc : en bordel.
Elle sautille dans tous les sens, telle une pom-pom-girl quand elle nous aperçoit et ne peut s'empêcher de crier.
—Youhou ! Ma chérie !
Je ne réprime pas mon levé de yeux au ciel, ni mon soupir. Ok, elle est contente de nous voir, mais quand-même, elle nous affiche au beau milieu d'un terminal bondé.
— Hey !
Je la prends dans mes bras, et Eden se retrouve pris en sandwich entre nous deux. Son parfum au patchouli me rappelle le réconfort que c'est de l'avoir auprès de moi, et c'est à cet instant que je me rends compte à quel point elle me manquait. Mais pourquoi est-ce que je ne viens jamais la voir ?
— Oh, comme je suis heureuse que tu ais enfin décidé de venir ! Coucou mon trésor !
Elle tend les bras vers Eden qui me regarde, l'air de me demander qui est cette folle qui hurle et l'étouffe presque, et je ris en le donnant à ma mère.
— Mon dieu, que tu es beau, mon poussin !
— Maman, je dois aller récupérer ma valise.
— Allez, mon ange, s'adresse-t-elle a Eden, on va chercher les bagages. Alors, vous avez fait bon voyage ?
Je lui explique la crise de mon fils, mais la sympathie des autres passagers et du personnel alors qu'elle me raconte que Luis, son « ami » ne sera pas présent aujourd'hui mais bien demain. Je suis quelque peu soulagée, parce que je suis vraiment fatiguée et rien qu'à l'idée de devoir veiller tard, m'épuise.
Une fois mes valises récupérées, nous filons vers le parking et prenons la route de la maison. Toronto m'avait manqué malgré la pluie qui tombe bien. Le lac d'Ontario aussi, et je colle presque mon nez contre la vitre pour le contempler. Je ne sais pas pourquoi je le trouve si magnifique, alors que j'en ai vu d'autres encore.
— Tu aurais dû venir vivre ici, lâche ma mère, ce lac t'a toujours fascinée.
— Ma vie a toujours été à New-York, maman. Et t'as raison, j'adore ce lac immense, mais ce n'est pas un lac qui m'aurait fait changer d'avis.
Elle pouffe et je l'imite. Peu après le décès de mon père, maman a décidé de venir s'installer ici, me vantant sans cesse la réputation de l'université de la ville. Mais il était hors de question que je quitte la NYU pour un monde que je ne connaissais pas.
— Tu m'as manqué, maman.
Ses lèvres s'étirent dans un des sourires les plus fabuleux qu'elle puisse m'offrir. Après mon infidélité, et surtout, après la disparition de Damien, j'ai pris mes distances avec elle, injustement. Parce qu'elle ne cessait de me répéter qu'il ne fallait pas que j'arrête de vivre, et que pour moi, ces conseils n'étaient pas les bons, pas à ce moment-là. Ce n'est que par la suite, que j'ai repris contact, petit à petit, lui promettant ce voyage.
— Toi aussi, Elisa. Faut vraiment que tu viennes plus souvent. Même avec Damien, si tu en as envie.
— J'essaierai, soufflé-je.
—Je sais que je n'ai pas été tendre avec toi quand j'ai appris pour votre liaison extra-conjugale... Mais vous avez un bébé, maintenant, et je te promets de faire un effort s'il venait. Et je suis désolée de ne pas t'avoir plus soutenue quand...
— C'est gentil, la coupé-je, pressée de couper court au sujet Damien.
— Non, ce n'est pas gentil, c'est du respect. Et même si au début, je risque d'être froide ou...
— Maman, stop. S'il te plaît. Damien ne viendra pas, donc déstresse, et puis, je n'ai pas envie de parler de tout ça, pas encore.
— D'accord, dit-elle en levant ses mains.
—Tiens ton volant, mégère.
Elle me tire la langue et repose ses mains sur son volant alors que nous arrivons dans sa rue.
Ma mère habite dans un appartement en plein centre-ville, au deuxième étage d'un immeuble de briques rouges. Autant dire que le calme n'y est pas, entre les bruits du voisinage et ceux de la rue, mais je considère celui-ci comme un chez-moi aussi, dans lequel je me sens à mon aise, et que j'aime beaucoup.
Une fois que nous sommes confortablement installés, je me dirige dans la cuisine, dans laquelle ma mère est occupée à éplucher des légumes, tout en discutant avec Eden qui la regarde, sourcils froncés. Cette scène me fait sourire, fondre aussi. Je ressens un pincement au cœur quand je me dis qu'elle ne le voit jamais, juste parce que je n'aimais pas bouger de New-York. Parce que j'avais peur qu'il revienne et que je ne sois pas présente, surtout. Mais quand je pense que même en étant là le jour de son retour n'a en rien aidé Damien, je le regrette. J'aurais dû venir, venir chercher son réconfort même si elle m'énervait, venir décharger mon trop plein de peine ici. Ma mère, ce bout en train, est parfaite pour me redonner le sourire et la niak qui me manque.
—Tu es dans les nuages ? me demande ma mère.
J'avance dans la pièce et embrasse Eden sur le front.
— Un peu, avoué-je.
Puis, je n'arrive plus à me taire. Penser à Damien est douloureux. Faut que j'en parle. Mettre des mots dessus, m'aiderait peut-être à accepter la réalité.
— Damien et moi, c'est fini.
Ma mère rit et j'arque un sourcil, étonnée de son comportement. Comment peut-elle rire alors que je lui annonce ma rupture ?
— Ça n'a rien de drôle, pesté-je.
— Oh si, Elisa, répond-elle en reprenant son épluchage.
Je croise mes bras, et la fixe en attendant qu'elle développe.
— Même si je n'ai jamais apprécié votre relation, parce qu'il faut bien avouer que c'est mal ce que vous avez fait tous les deux, je sais qu'il ne te lâchera pas comme ça, du jour au lendemain.
—C'est pourtant ce qu'il vient de faire.
— Et il reviendra la queue entre les jambes, chérie ! Tous les hommes sont ainsi. Ils n'aiment pas perdre leur foyer, leur repère, la mère de leur enfant.
— Mais là, c'est complètement différent. Parce que je ne sais même pas s'il nous considère comme son foyer.
J'écoute les théories de ma mère, qui à mon sens, n'ont ni queue ni tête, et mon moral redescend encore. Si je pouvais remonter le temps, je l'empêcherais de partir, juste pour que notre histoire n'en soit pas là, juste pour qu'il ne vive pas tout ce qu'il a subi et que notre relation soit meilleure. En attendant, je dois prendre sur moi, réfléchir, et plus tard, quand je serais prête à le faire, je tournerais la page de notre histoire.
Il est tard lorsque je me plonge dans mes draps. Ma chambre est toujours identique, avec ses guirlandes aux lampes en forme de cœur, avec ses murs rose pâle et mon bureau un peu trop chargé de bibelots. Je ferme les yeux, espérant trouver rapidement le sommeil, mais c'est l'inverse qui se produit. Je suis bien incapable de dormir. Pourtant, je suis morte fatiguée. Que ce soit par le voyage, par l'émotion d'enfin me sentir à la maison, avec ma mère, mais ce sont mes pensées qui fusent dans tous les sens qui m'épuisent le plus.
Damien est devenu une véritable énigme à mes yeux. Il est le tsunami qui a chamboulé ma vie dans son entièreté. Que ce soit mon mariage, mes certitudes, ma stabilité, il a retourné tout de fond en comble et remettre de l'ordre là-dedans m'est compliqué. Il faut que je l'oublie, je le sais... Mais c'est trop récent, encore et puis, comment faire pour l'oublier ? Juste l'espace de quelques secondes ? Impossible.
Il imprègne chacun de mes pores, hante mon esprit.
Je décide de rallumer mon portable, et découvre son message où il me demande si nous sommes bien arrivés.
Sept heures qu'il doit attendre une réponse, et même si ma colère lui répondrait d'aller se faire cuire un œuf, je lui réponds.
Moi : Bien arrivés. Eden va bien.
Damien : Faut qu'on parle...
Ces mots me font grincer des dents. Parce qu'à chaque fois qu'il les emploie, ce n'est pas bon et j'en prends pour mon matricule. Et là, il est deux heures du matin et l'envie de lui servir de punshing-ball n'y est pas.
Moi : On parlera dans ce cas.
Damien : Maintenant...
Moi : Bonne nuit, Damien.
Il m'envoie encore de nombreux messages, mais je me refuse de les lire. Je ne veux pas encore pleurer cette nuit, et j'aimerais vraiment, dormir paisiblement.
∞
Ce matin, quand je me réveille, c'est avec l'envie de profiter de mon séjour ici. Revisiter le Hight Park, sans oublier le lac d'Ontario, évidemment. Je n'ai pas envie de déprimer une seule journée de plus, et encore moins durant ce voyage, et surtout pas à cause de Damien. Il faut que je me ressaisisse, que je sois plus forte. Si je flanche maintenant, ça ne fera qu'empirer, encore.
Après avoir nourri mon fils, et l'avoir embrassé un million de fois durant la tétée, je me lève enfin et me rends dans la cuisine où ma mère prépare le petit-déjeuner.
—Youhou ! Pancakes !
Ma mère éclate de rire en posant l'assiette chargée sur la table et j'en salive quand je prends place sur une chaise.
— Et bien oui, répond-elle enthousiaste. Ton premier petit-déj' ici se devait d'être royal.
Elle pose un baiser sur ma tempe, et embrasse la joue d'Eden qui a l'air aussi alléché que moi par cette odeur divine. De ma fourchette, j'en attrape un et le pose dans mon assiette avant de l'arroser de sirop d'érable. Mon dieu... Ça fait un bail que je n'avais pas mangé ça !
La première bouchée est somptueuse, un véritable régal.
— Auchourd'hui, dis-je la bouche pleine, balade au parc, cha t'dit ?
Ma mère rigole en s'installant face à moi.
— Bien sûr ! Les cerisiers ne sont pas en fleurs mais le parc reste superbe.
—Et cha fleuri quand, ça ?
— En avril, glousse-t-elle.
J'avale ma bouchée, me lève pour nous servir du café.
— Ok, donc on reviendra en avril, juste pour les voir.
— Et pour moi aussi, j'espère.
Je dépose un baiser sur le sommet de sa tête, amusée.
—Non, si je viens, ce sera juste pour les cerisiers.
∞
Après notre copieux petit-déjeuner, nous nous préparons et sortons. Le parc n'est qu'à quelques rues d'ici, et ça tombe bien. Parce que j'ai besoin de marcher, malgré la fraîcheur du temps.
Les touristes s'amassent, les embouteillages s'amoncèlent de plus en plus. Nous discutons des souvenirs que nous avons ici, comme de la fois où nous avions dû courir le plus vite possible, puisqu'un énorme chien nous coursait. Nous avions fini toutes les deux dans un pub dégueulasse où l'odeur d'urine mêlée à celle de la nicotine nous avait fait presque vomir. Mais la peur de sortir et de croiser encore une fois ce chien fou nous avait convaincues de rester dans cet endroit glauque le temps de deux cafés forts chacune. Les rires accompagnent notre balade et je suis même plus qu'heureuse de retrouver ma maman.
Mon téléphone ne cesse de vibrer et quand je vois que c'est Damien, j'hésite à décrocher. Me gâcher la journée avec une énième dispute ? Ou bien profiter, tout simplement ?
Je remets le téléphone dans mon sac, en soupirant. Et merde ? S'il avait un problème ? Ou encore une crise d'angoisse ?
La culpabilité m'assaille, lorsque je pense dans l'état que je l'avais retrouvé devant les bureaux de Burn & Cie.
— Je ne serais pas fâchée si tu lui réponds, déclare ma mère.
Je me retourne vers elle, les sourcils froncés.
— Et qu'est-ce que t'en sais que c'est lui ?
— Ton soupir... Suivi d'un sourire et d'un froncement de sourcils. C'est forcément un homme qui t'appelle.
— N'importe quoi, maman. Et d'ailleurs, depuis quand es-tu cette experte en homme, hein ?
Toutes les deux, nous rions avant qu'elle ne me réponde le plus sérieusement du monde.
— J'ai été mariée durant vingt et un ans. Ça doit être ça, je t'assure que ça sert le mariage.
Papa. J'aimerais tellement qu'il soit encore présent, pour me mieux me conseiller quant à la marche à suivre. Lui saurait me dire ce que je devrais faire. Ma mère, elle, a toujours de drôles de conseils.
— Oui, ça doit être le mariage.
Dans le parc nous admirons les animaux présents, tels les canards, les divers oiseaux colorés. Eden, lui, s'en fout. Il dort dans sa poussette, bien emmitouflés dans ses couvertures toutes douces. Nous déambulons sur les allées bordées d'arbres et de pelouses, puis nous prenons place sur un des bancs en fer forgé autour du lac.
— Je vais quand-même lui envoyer un message, pour voir s'il va bien.
— Il va bien, cesse de tracasser et profites de la vue, plutôt.
Je fixe mon regard sur le lac et tente d'absorber le calme qu'il a. J'ai besoin de calme. Surtout de l'être, parce que ces dernières semaines ont été turbulentes et riches en émotions. J'ai besoin de retrouver une certaine sérénité, pour me recentrer sur la personne que je suis, sur celle que j'ai toujours été. Mais mon portable qui vibre depuis une bonne heure dans mon sac, n'est pas du même avis. Alors, et même si ma mère ricane parce qu'elle avait raison, je décroche et m'éloigne, en lui laissant Eden.
— Damien.
Mon ton est sec et froid.
— Tu peux me dire pourquoi tu ne réponds pas ? s'énerve-t-il. Ça fait plus d'une heure que je suis comme un con, à me faire un sang d'encre !
— Oui et ? réponds-je agacée. Je ne suis pas pendue à un fil dès que t'en as besoin.
Je l'entends soupirer longuement et je m'adosse contre un tronc d'arbre, cachée par les branches tombantes d'un saule pleureur.
— Ok, je suis désolé. Je voulais avoir l'adresse de ta mère.
— Pourquoi ? Tu vas nous faire livrer des fleurs ?
Il rit et mon cœur se gonfle encore un peu plus pour lui et ce son que j'aime particulièrement.
— Je suis à l'aéroport de Toronto. Je t'ai dit que j'avais besoin de te parler. Je suis sérieux, Elisa. Faut qu'on discute, tous les deux.
— Quoi ? m'écrié-je. T'es ici ?
— Ouais, souffle-t-il, alors file-moi ton adresse et je viens te rejoindre.
— Je... Euh... Je peux venir te chercher ?
— D'accord. Je t'attends dans le terminal ?
— Très bien. On fait comme ça.
Je suis sur le cul. Enfin, façon de parler. Damien est venu ici. Même Alexandro n'a jamais fait le trajet jusqu'ici. Et lui... C'est Damien quoi...
∞
C'est une heure plus tard que je me gare sur le parking de l'aéroport. Ma mère est restée bien au chaud avec Eden, et d'un côté, ça m'arrange bien. S'il tient tellement à ce que nous discutons, nous serons mieux en étant en tête à tête, sans distraction.
J'entre dans le terminal, le ventre noué de stress. J'avance entre le flot de passagers et m'arrête quand je le repère habillé d'un jean et d'un pull noir, tournant en rond, avec sa valise. Une valise ? Vraiment ? Il est optimiste, lui.
Quand ses yeux émeraudes rencontrent les miens, je fonds.
J'adore ses yeux, j'adore leur couleur si profonde et intense. J'aime encore plus le sourire qu'il m'octroie lorsqu'il se dirige vers moi.
Ses bras se referment autour de moi et je pousse un soupir de bien-être quand ma joue se pose sur son torse. Son parfum m'enivre, sa chaleur me réconforte. J'avais besoin de ça... Tellement besoin... Ses bras sont ma maison, l'unique ; c'est mon réconfort.
— Je suis tellement désolé, chuchote-t-il au creux de mon oreille. Je suis désolé.
Je me retiens de pleurer, et me laisse bercer par ses mots si doux, par sa voix si criante de sincérité.
— Moi aussi, murmuré-je.
Ses mains bien trop larges et rugueuses se posent sur mes joues, son nez frôle le mien avec tendresse. Je n'ai qu'à tendre les lèvres pour toucher les siennes, mais je veux que ce soit lui qui m'embrasse.
— Je t'aime, je t'aime toi et tout ce que t'es, Elisa. Et j'ai besoin de toi dans ma vie pour continuer à avancer. Je te demande pardon...
—Chuuuuttt...
Ses lèvres effleurent les miennes et mon ventre se crispe, mon cœur implose de tous les sentiments que je voulais refouler il y a encore quelques heures. Je l'aime. Je l'aime comme je n'avais encore jamais aimé qui que ce soit, je l'aime chaque jour un peu plus, chaque seconde un peu plus fort. Je l'aime autant qu'il me blesse, autant qu'il me sublime.
J'agrippe sa nuque de mes mains, glisse mes doigts dans ses cheveux sombres tout en pressant ma bouche sur la sienne.
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