Tome 2-Ch 15-Damien
Raclure.
Loque humaine.
Connard.
Sale bâtard.
Je frotte frénétiquement mes mains, faisant disparaître le sang sale sur mes phalanges. Manquait plus que cette putain de crise d'angoisse arrive au mauvais moment. Tout ça pour du sang. Beaucoup trop de sang a coulé de ma faute. Aujourd'hui encore...
Quand serais-je moi ? Quand redeviendrai-je ce mec, qui ne craignait rien, ni personne ? Redeviendrai-je normal ? Je suis en train de basculer dans la folie, complètement. Mes pensées se mêlent, se heurtent de plein fouet. Mort. Je voudrais être mort. Pourquoi ai-je tant lutté, si c'est pour devenir dingue ?
C'est le mal que j'ai répandu qui me ronge, ça doit être le destin qui se venge sur ma peau balafrée. Au lieu de m'avoir emmené dans les ténèbres, il fait de ma vie un enfer. Par vengeance. Parce que j'ai tué, parce que j'ai tiré de sang-froid alors qu'ils me suppliaient, m'imploraient du regard.
Mes larmes cèdent, se mêlent à l'eau de la douche que je laisse longuement couler. Revenir en arrière, c'est impossible. Assumer, encore moins.
Lorsqu'une guerre éclate, la perte de civils est incontestable. Mais là, c'est moi qui les ai butés. Juste pour garder la vie sauve.
∞
J'ouvre les yeux et pris de panique, je pense un instant que je suis devenu aveugle. Le noir le plus complet me tient compagnie, et, lorsque je veux porter les mains à mon visage, je me rends compte que c'est pire que d'être devenu aveugle. Je suis en captivité.
Je remue tellement sur ma chaise que celle-ci fini par tomber à la renverse et, ligoté, je ne parviens pas à me relever. Des cris étouffés résonnent dans la pièce, certaines voix ne me sont pas inconnues. Un homme implore le Seigneur, mais j'ai envie de lui dire que Dieu ne pourra rien pour lui, pas ici.
Être un Seals t'apprends à ne jamais rien lâcher, même bâillonné, même blessé, même presque mort. Et je ne lâcherai rien, jamais. Je tente de tirer sur mes liens, en vain : mes mains sont fermement attachées sur les accoudoirs d'une chaise. L'odeur de la toile de jute est insupportable, elle m'empêche de respirer, m'étouffe. J'ai mal au ventre, mais je ne sais pas de quelle blessure il s'agit. Je m'endors, grimaçant, sur le sol.
*****
Ses bras autour de mon cou, je me perds dans ses yeux bleus d'une intensité rare. Je pourrais rester ainsi, à la contempler chaque seconde de ma vie, sans jamais me lasser. Elisa a illuminé ma vie depuis qu'elle y est entrée. Elle a rendu mon quotidien terne en quelque-chose de fou, de délicieux, d'exaltant... Et on va avoir un enfant...
—Je serais là, promis je serais là, lui répété-je.
Je serais présent quand il arrivera, parce qu'elle est mon tout. Alors je l'embrasse, sans plus pouvoir m'arrêter, je lui fais l'amour, sans jamais avoir envie de cesser.
*****
Le grincement d'une porte qui s'ouvre me tire de mes songes vides de réalité. Elle n'est pas là lorsque j'ouvre les yeux. Seul l'obscurité de cette toile me nargue. Des cris sont poussés, des paroles dont je ne connais pas la langue hurlent dans la pièce.
J'ai le souffle coupé quand un coup m'est donné dans les côtes et qu'on redresse ma chaise sans une once de douceur.
D'un coup sec, le scotch tenant la toile m'arrache la peau, et on me l'enlève. Mes paupières se ferment, tant la clarté m'aveugle.
—Grade ?
Je ne réponds pas, ouvre les yeux et toise le bonhomme qui se tient devant moi.
—Ton grade ?
Il jure alors que le silence prend place dans la pièce. Je ne le quitte pas du regard, prêt à me battre avec hargne s'il le faut. Il tourne sur lui-même, irrité de mon mutisme et se pose devant le Capitaine Franck, ligoté devant moi. D'abord surpris de le voir ici, lui aussi, je suis soulagé de ne pas être seul dans ce merdier. Je regarde autour de moi, serre les mâchoires quand je vois des hommes de mon escadron présents, abîmés, blessés, morts.
Je suis dans une sacrée merde...
∞
Le ballon d'eau chaude est vide, je grelotte lorsque le jet d'eau froide m'arrose et, me presse pour sortir de cette maudite douche. Je m'enveloppe dans la serviette qu'Elisa a préparée sur le rebord du lavabo, et regarde d'un œil mauvais le reflet que me renvoie le miroir. Il faut que tout ça change. Que je me débarrasse de ces angoisses, de ces cauchemars. Mais comment ? Comment pourrais-je confier à quelqu'un ces souvenirs et lui pourrir l'esprit ? Je ne sais pas. Je dois faire ce boulot seul, il n'y a pas d'autre choix.
Après avoir enfilé mes habits, je sors de la salle de bains, et me fige quand mes yeux se posent sur elle. Elisa est adossée contre le mur du petit couloir, les bras croisés sur son ventre. Elle ne me regarde pas, fixe le cadre et sa peinture devant elle mais, je sais que si elle est là, c'est qu'elle attendait que j'aie fini. L'idée qu'elle m'ait entendu sangloter me dérange, m'énerve même. Ce n'est pas l'image que je voudrais qu'elle se fasse de moi mais que puis-je y faire, à cet instant ?
—Je n'ai pas été le voir, dit-elle platement. Il t'a menti.
Mon cœur s'affole sous ses mots.
—Il savait.
—Il ne sait rien, Damien. Je l'ai croisé ce matin, et je lui ai simplement dit que c'était compliqué. Mais jamais, je ne serais allée le voir lui.
Je suis soulagé, mais quelque part irrité qu'elle lui parle. Et puis, c'est ainsi maintenant ? Ils sont devenus bons amis et se confient leur peine de cœur ? N'importe quoi.
—Alors, soufflé-je en passant devant elle pour rejoindre le salon, c'est comme ça maintenant ? Tu le croises, vous vous parlez comme si de rien était, en ayant fait table rase du passé ? Vous êtes devenus les meilleurs amis du monde ?
Elisa me suit et je ramasse en grimaçant mon tee-shirt aux taches de sang séché.
—Les choses ont changées. Nous ne sommes pas amis, non. Je l'ai croisé ce matin ! Damien, ne...
—Stop, ordonné-je. Arrête. Je ne veux pas entendre parler de ce con, que tu lui trouves des excuses débiles et...
—Moi ?! Trouver des excuses à ton frère ? Je n'excuse en rien les messages qu'il t'a faits ! Ne crois pas ça ! Je lui ai parlé ce matin et que... Mais merde ! Tu me refoules et là, tu me fais une crise de jalousie ?
Elle rit, je serre des dents.
—Oui, suis-je obligé d'admettre, je suis jaloux ! Je n'ai pas dit que je te refoulais.
—Tu ne l'as pas dit tel quel, non, quoique... Mais tu le fais royalement bien !
Elle tourne en rond dans le salon minuscule, se passant les mains dans les cheveux et faisant claquer un élastique autour de son poignet. Elle me fout hors de moi. Comment n'est-elle pas foutue de comprendre que je ne veux pas qu'elle lui cause ? Il est la source de nos emmerdes depuis le début, il essaiera de la récupérer à chaque fois, il tentera de me faire payer cette relation que j'ai avec elle. À croire qu'elle est devenue aveugle.
—C'est bon. Reste avec ce pauvre type qui t'aura fait souffrir, qui t'aura frappée pour une infidélité et qui ne t'aura jamais considérée. Mais ne compte plus sur moi.
J'enfile le tee-shirt sous son regard outré.
J'y vais fort avec elle, mais parce qu'il faut qu'elle comprenne qu'elle ne doit pas retourner avec ce mec. Avec n'importe quel autre, mais pas lui.
—Tu n'es qu'un imbécile, Damien, chuchote-t-elle. Parce que le seul pauvre type qui ne me considère pas en cet instant, c'est toi. Quand est-ce que tu n'as pas compris que je t'ai toujours voulu toi ? Quand est-ce que tu n'as pas entendu qu'entre lui et moi, c'était fini ? Où est le Damien que j'ai aimé ?
Mon corps se crispe un peu plus, et je ferme les yeux pour éviter son regard douloureux.
—Je ne sais pas où il est... Probablement mort... Là-bas.
—Non, siffle-t-elle emplie de colère. Non ! Tu le penses, mais je sais que c'est faux ! Tu es mal, j'en conviens mais putain Dam ! Et moi ? Et moi ?! Un an à t'attendre ! Un an à pleurer chaque fichue journée ! À rêver d'une seule seconde avec toi ! Pourquoi tu...
Elle craque. Ses cris deviennent messes-basses, ses mots, silence.
Je me laisse choir dans le fauteuil, impuissant face à ses larmes qu'elle ne contrôle plus. Je voudrais la prendre dans mes bras, lui dire à quel point je l'aime mais je ne peux pas. Parce que si je cède à elle et à l'amour que je ressens, je vais l'entraîner avec moi dans les abysses des ténèbres.
Je relève le visage lorsqu'elle s'assied dans le fauteuil face au mien.
—Dam... Je... Je peux te poser une question ? Une seule ?
Je hoche la tête, incapable de parler alors qu'elle essuie ses yeux de ses poings.
— Est-ce que tu ressens autre chose pour moi que du dégoût ?
Sa question m'énerve, parce qu'elle n'a donc pas saisi à quel point je l'aime, ni à quel point mon besoin de la protéger de moi m'est nécessaire.
—Je n'ai jamais ressenti de dégoût pour toi, murmuré-je. Et je suis désolé si tu as cru ça.
—Alors pourquoi ?
Je fronce les sourcils, tandis qu'elle insiste.
—Je sais, j'avais dit une seule question mais... J'ai besoin de comprendre.
Des sueurs froides envahissent mon être à l'idée de lui expliquer le pourquoi du comment, mais je me dois de le faire. Je noue mes doigts, regarde mes ongles et soupire en recherchant après les bons mots à utiliser.
—Je veux te protéger de moi.
—De toi ? répète-elle incrédule.
—Elisa... J'ai tué... des dizaines de personnes... Je... fais des cauchemars la nuit, je peux devenir violent lors de ceux-ci, sans même m'en rendre compte. Et puis... Et puis ces angoisses... Non, tu n'arriveras pas à gérer un cas dans mon genre... Tu...
Elle rit doucement et je me relève, énervé. Elle se fout de ma gueule en plus !
— Damien, tu vas où ?
—Je te parle sérieusement et...
—Et je ris, oui ! crie-t-elle en se levant à son tour. Parce que tu dis que je ne pourrais jamais gérer tes angoisses et ton cas mais, n'empêche, que c'est moi que tu as appelée aujourd'hui ! C'est moi qui ai lavé le sang sur tes mains et qui t'ai traîné ici !
—Ouais, grogné-je en me dirigeant vers la sortie.
—Tu m'aimes ?
Sa question m'arrête net. Je ne devrais pas y répondre, je le sais. Sauf que ce qu'elle ajoute m'effraie, me tétanise même :
—Si tu pars d'ici sans me répondre, je peux t'assurer que je sortirais de ta vie. Même un « non » me va. Mais je veux que tu cesses de jouer avec moi, avec tes « je t'aime, mais non » ou tes demandes de temps alors que tu me dévores des yeux.
Je lâche la clinche que je tenais, me retourne vers elle. Elisa se tient droite devant moi et ses iris bleues ne cillent en aucun cas. Elle est déterminée, forte, parfaite.
La boule dans ma gorge remonte, mes yeux évitent les siens. Dis-non, me hurle ma conscience.
Dire non, pour la protéger, pour encore mieux l'aimer quand je fermerais les yeux chaque soir, pour imaginer chaque seconde sa peau sous mes doigts, ses lèvres sur les miennes. Dire non pour l'éloigner, pour mieux faire, pour mieux gérer, pour l'épargner de mes souffrances.
—Oui... Je t'aime.
Ses yeux se closent et je voudrais être dans sa tête pour savoir à quoi elle pense.
Je l'aime, c'est indéniable.
—Mais, ajouté-je, je...
Ses yeux s'arrondissent et s'assombrissent de colère.
—Mais quoi ? me coupe-t-elle en haussant la voix. Mais on ne peut pas être ensemble ? Parce que tu flippes ? C'est pathétique, Damien ! Nous sommes à New-York ! Tu n'es plus en Libye et il ne t'arrivera plus rien !
Je m'avance d'un pas, énervé qu'elle ne comprenne pas que c'est bien plus que ça, bien plus que la peur d'être attaqué en pleine rue, beaucoup plus que de simples angoisses pour lesquelles une bonne inspiration suffit à calmer. Non...
—Tu ne comprends décidément pas, hein ?
Ses bras lui tombent le long du corps, et son regard hagard me toise d'une étincelle d'incompréhension.
—Les cauchemars me bouffent. Je m'endors, difficilement pour me réveiller en sueurs, en pleurs, loin, très loin d'ici. Les angoisses sont telles que je ne me reconnais pas, et pendant celles-ci, je ne suis plus moi, comme tu as pu le constater par toi-même. Je ne suis plus l'homme que t'as connu, Elisa. Et même si je suis amoureux de toi, et même si nous sommes parents et...
Sans que je ne m'en rende compte, elle s'est rapprochée de moi et saisis ma main dans la sienne, ce qui me fait taire. Je suis à deux doigts de craquer. Physiquement, mais moralement surtout.
—Arrête, Damien, arrêtes. Tu sais que je serais présente, même quand ça n'ira pas. Alors... Oui, tu veux me protéger de toi, pleure-t-elle, ça je l'ai bien compris, mais je veux être là, je veux t'aider... Ne me laisse pas simplement par peur.
Sa paume se pose sur ma joue, et je baisse les yeux, pour ne pas affronter les siens emplis de tristesse. Je me laisse aller contre sa main chaude et réconfortante, je tente de calmer les pulsations cardiaques trop rapides qu'elle me procure. Elle seule... Elle seule peut me faire ça...
—Ne me repousse pas. Tu nous fais souffrir, tous les deux... Et inutilement.
Puis, elle s'approche encore, appuie sa joue contre mon torse et je ne peux plus. Toutes les barrières que j'ai essayé d'ériger entre elle et moi s'abattent, encore plus lorsqu'elle referme ses bras autour de ma taille et que ses larmes humidifient mon tee-shirt. Comment pourrais-je la tenir encore à l'écart quand sa seule présence m'apaise ? Comment pourrais-je lui dire que je ne veux pas d'elle quand mon cœur bat pour le sien ?
Mes bras se referment autour de ses épaules, et ma joue sur le sommet de sa tête, je cède. Je lui cède en la laissant reprendre la place qu'a toujours été la sienne.
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