Tome 2-Ch 14-Elisa

La sonnerie de mon portable m'annonce qu'un message vient d'y arriver. Je me précipite dessus, jetant à rien l'agenda que j'étais en train de remplir, en espérant que ce soit Damien qui me donne des nouvelles. Même un « coucou, ça va ? » me ferait plaisir. Mon sourire s'agrandit quand je vois son nom affiché sur l'écran. Si Mélanie n'était pas de l'autre côté de la paroi vitrée, en pleine lecture d'un manuscrit, j'exécuterais une danse de la joie, tant je suis heureuse qu'il ne puisse s'empêcher de me contacter. Le cœur battant la chamade, je clique sur la petite enveloppe et lis ce message bien trop sérieux.

Damien : Besoin de toi. Tout de suite.

Son texto est accompagné d'une adresse, qui se situe à deux pas d'ici et je sens qu'il se passe quelque-chose d'assez grave. Ce n'est pas d'Eden dont il s'agit, sinon c'est moi que la crèche aurait appelée. Je prends mon sac, y enfonce mon portable et tape sur la porte du bureau de Mélanie.

—Oui ? dit-elle en redressant la tête.

—Je dois y aller... C'est urgent.

Elle hausse ses sourcils mais je ne la laisse pas répondre, et file rejoindre Damien, le ventre noué de tracas. Merde. Qu'est-ce qu'il lui arrive pour qu'il fasse appel à moi, à la place de Connor ? Le stress monte de plus en plus en moi, et j'ai peur. Peur pour lui, peur de ce qu'il va encore me dire aussi, ou me reprocher. Je presse le pas, m'accrochant à l'anse de mon sac pour ne pas flancher sur mes jambes. Rapidement, j'arrive à l'adresse indiquée, et mes sourcils se froncent de surprise quand je le vois, assis sur le bord du trottoir. Il tremble, il se maintient la tête des deux mains et là, je suis dorénavant certaine qu'il va mal.

—Damien ?

Ses yeux fous rencontrent les miens lorsque je m'agenouille devant lui. Une voiture klaxonne, mais je n'en ai que faire. Du sang coule de ses mains et a teinté son tee-shirt blanc.

—Je suis désolé, murmure-t-il, je suis désolé, je...

La panique dans sa voix est perceptible et ses paupières se ferment.

—Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandé-je en tentant de garder mon calme, malgré la dangerosité de notre position.

—Le sang... Merde le sang... Je l'ai peut-être tué... Tu crois que je l'ai tué ?

—Damien, murmuré-je, je ne sais même pas de qui tu parles.
Je pose mon sac à côté de lui, en tire un paquet de lingettes pour le change et frotte doucement ses doigts tandis qu'il continue de marmonner des mots que je ne comprends pas vraiment.

—Voilà, voilà, regarde, dis-je en essayant de le rassurer. Regarde, tu n'as presque rien.

Ses phalanges sont légèrement entrouvertes, éventuelle preuve qu'il s'est bagarré.

—Qu'est-ce qu'il s'est passé ? répété-je.

Ses yeux voilés de larmes me fixent alors qu'il ferme la bouche. Ok. Il n'a pas envie de me le dire.

—Bon, t'as pas envie de me parler de ça, mais on devrait bouger avant que je ne me fasse écraser par une voiture. D'accord ?
Comme il ne prononce rien, je me lève, lui tends une main qu'il saisit faiblement et je le regarde se redresser. Mince. Il y a vraiment beaucoup de sang sur ses vêtements. Qu'est-ce qu'il a fait ? À qui ?

Nous marchons, d'un pas rapide vers le parking souterrain de Burn & Cie. Et là, je comprends.

—Damien ? demandé-je en m'arrêtant de le suivre. C'est ton frère ?

Il m'ignore mais la façon dont ses doigts se resserrent avec force autour des miens me dit que oui, il s'agit d'Alexandro. Mais pourquoi ?

—Damien, tu me fais mal.
Il me lâche et le vide qu'à laisser sa main dans la mienne me donne le cafard.

—Il n'est pas mort, je crois pas, je... J'ai tiré, et j'ai... Mon poing dans sa gueule... Et le sang...

Mes yeux s'écarquillent au fil de ses paroles. Tirer ? Quoi ? Il n'a même pas d'arme ! À moins qu'il ne l'ait balancée quelque part ? Merde, merde, merde. Il se passe une main sur son crâne, jure, pâlit, ferme les paupières avant de hurler.

Il est en plein délire et c'est à moi qu'il a demandé de l'aide. Je ne dois pas flipper, non. Je suis censée l'aider surtout.

—Je suis dangereux, tu vois, je suis mauvais... je tue, je torture, je fais tout péter... Et la femme... Et le bébé... Et toi...Et le bébé... Et ma voiture... Et...

Je saisis mon téléphone, appelle un taxi pour l'emmener loin d'ici. Il tourne en rond tel un lion dans sa cage tandis que son visage crispé se tord de douleur. J'écris à Connor, pour lui expliquer brièvement la situation, pour qu'il se renseigne sur ce que Damien a fait, ou non et j'attends. J'attends ce putain de taxi, plus impatiente que jamais. Je me sens tellement impuissante face à lui et au désarroi qu'il affiche, au beau milieu de ce parking. Il scande tant de mots, de phrases désordonnées qui ne veulent absolument rien dire. Je me demande s'il mélange les souvenirs de sa captivité à sa nouvelle vie. Je retiens mes larmes du mieux que je peux, parce que je souffre tellement de le voir dans cet état, tellement pas lui, tellement perdu.

Connor : Bagarre avec son frère. Je monte dans les bureaux pour voir ce qu'il s'est passé. Il va bien ?

Moi : Non... Mais je suis là.

Je suis là, oui. Mais arriverais-je à le calmer alors que je me sens déjà inutile ?

Dans le taxi qui nous mène jusqu'à chez moi, Damien ne prononce pas un mot. Son regard est rivé sur la vitre, ses jambes tellement serrées qu'il est impossible qu'on se frôle. Je cale mes mains entre mes cuisses, mal à l'aise. Comment est-ce que Connor fait pour avoir une telle aisance avec Damien ? Lui, il sait le faire parler d'un seul regard. Moi ? J'ai l'air d'une crétine, pas à sa place. Damien est grimpé dans le taxi sans émettre un seul son, et depuis, il semble retranché dans ses pensées, pleure en silence. Regrette-t-il de m'avoir appelée, moi ?
Arrête de penser à ta gueule, me hurle ma conscience.

Elle n'a pas tort, je me sens égoïste de penser à moi dans pareille situation, mais je ne peux pas empêcher mon cœur de l'aimer, il n'y a rien à faire. Je l'aime lui, dans son entièreté, avec les souvenirs qu'il m'a laissés, avec les peines aussi et, ce nouveau Damien que je découvre attise ma tendresse pour lui, même si pour le moment, il n'en veut pas. De la patience... Encore et encore... Connor avait raison : c'est bien le stress post-traumatique qui l'accable et face à ça, je dois me montrer forte, pour lui prouver que je peux être là pour lui, quand il en a besoin.

Je tends le billet de vingt dollars au chauffeur qui vient de s'arrêter devant l'immeuble où je réside. Damien sort, toujours silencieux et je l'imite.

—Je voulais rentrer chez moi, râle-t-il.

Sa remarque me pique plus qu'elle ne le devrait, et c'est d'un ton bourru que je réponds :

—TU m'as appelée, TU me suis, Damien.

Il secoue la tête, exaspéré.

—Tu fais tout de travers, t'es pas croyable.

Connard.

Je garde ce juron pour moi et ouvre la porte. Je n'y arriverai jamais. Après avoir tenu la porte l'espace d'une ou deux minutes, un soupir de soulagement m'échappe quand il se décide à entrer. Je m'écarte pour le faire passer devant moi dans les escaliers, ce qu'il fait d'une lenteur exagérée.

—Je suis fatigué...

—Bien, réponds-je, tu vas te doucher, te coucher et dormir.

—Ce n'est même pas chez moi, et...

—Arrête.

Il grogne et je le pousse pour ouvrir la porte de mon appartement.

Damien entre chez moi, et je vais dans la salle de bains, préparer ce dont il aura besoin. Serviettes, savon, pansements, bétadine... Je craque.
C'est tellement dur. Je ne pensais pas que ce serait ainsi, tout, mais pas comme ça. Pourquoi est-ce que tout ceci n'est pas plus simple ? Pourquoi me rejette-t-il tandis que je n'attends qu'un geste d'amour ? Pourquoi suis-je encore là, à espérer qu'il me regarde comme avant, comme si j'étais l'unique ? Mes larmes s'écrasent dans le lavabo sur lequel je suis penchée. Ma gorge me semble nouée et c'est difficilement que je calme cette crise de pleurs silencieux. Je ne veux pas qu'il voie que je suis blessée par ses réactions, je ne veux pas qu'il sache à quel point je souffre de l'avoir retrouvé différent. Je ne veux pas qu'il me voie pleurer...

Je me rince le visage, me remaquille à l'identique. Mes yeux sont rouges, gonflés, mais comme il ne me regarde pas, ça devrait passer inaperçu.

Lorsque je sors de la salle de bains, je le retrouve, torse nu dans le fauteuil, une peluche d'Eden en mains. Je croise les bras sur ma poitrine, reste dans l'embrasure de la porte pour ne pas le déranger dans ses pensées. Mais il devine ma présence puisqu'il prend la parole :

—Je me demandais pourquoi tu ne l'avais pas amené aujourd'hui...

Je suis ébahie par ce qu'il vient de dire.

—Je pensais que ta mère te l'aurait dit.

—Ben non.

—C'est pour ça que t'as été voir ton frère ?

Je le provoque en évoquant cette rencontre hasardeuse, et c'est fait exprès.

—Rien à voir, grimace-t-il.

—Pourquoi alors ?

Damien se lève, dépose la peluche dans le parc d'Eden et passe à côté de moi avant de se renfermer dans la salle de bains.

Les questions restent sans réponse, pourtant, elles ne cessent de fuser dans mon esprit. Et quand je prends la place qu'il occupait quelques secondes plus tôt, et que j'aperçois son portable sur la table basse, je décide d'y répondre par moi-même, en fouillant, même si c'est mal de le faire. 

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