Tome 2- Ch.1 -Damien

Je ne m'étais jamais imaginé être le centre d'une mission aussi intense que celle-ci, encore moins qu'un raid serait là, surentraîné, pour me sauver la peau. Être un Seal n'implique pas être faible. Pourtant, je l'ai été. Bien plus que ça ne l'est permis. J'ai lâché des infos, j'ai ramassé des coups pour au final foutre un pied dans le clan adverse. Et là, je me dis que tout est fini. Je rentre chez moi, différent certes, mais je rentre.

Je ne sais plus vraiment qui je suis, ni quel homme j'ai été par le passé. Damien, l'ancien Damien, me semble loin, comme enfoui dans mes plus profonds souvenirs. Je ne me rappelle plus si j'étais drôle, dur, ou encore cynique. Je revois seulement un pauvre type amoureux d'une femme bien trop belle pour lui, un type dont la confiance suintait de chaque pore, et c'est tout.

Est-ce que c'était ça, mon destin ? En baver un max pour me trouver ?

Je me suis battu pourtant, j'ai lutté tant que j'ai pu pour sauver chacune des parcelles de l'homme que j'ai été. Et j'ai survécu, presque.


Pourquoi est-ce si douloureux de respirer ?

Je ferme les yeux, fort. Mon casque sur les oreilles n'empêche en rien le bruit des hélices qui me fiche la nausée.
C'est fini, mec. Tu rentres chez toi, à la maison. Mes doigts s'agrippent nerveusement à la ceinture bouclée autour de ma taille, quand l'hélicoptère décolle. J'ouvre un œil, un seul. Je regarde ces maisons en ruines devenir plus petites, dans un épais nuage de sable jaune.

C'est fini, Dam. La souffrance, les coups, la faim, la torture. Tout est terminé.

Des gouttes de sueur s'accrochent à mes cils, je les essuie rapidement avant de gratter de mes doigts moites et blessés, les saletés accumulées sous mes ongles.


Nerveux n'est pas un mot assez fort pour caractériser ce que je suis ou ce que je ressens en ce moment alors que mon être est en plein plongeon dans les méandres de la souffrance. J'aurai dû mourir, c'était ça le programme. Mais non... J'ai lutté. Lutté tellement fort que je ne suis plus moi-même.

Est-ce vraiment fini ?
J'en ai tant rêvé... J'ai tant de fois imaginé que les Américains mènent un raid pour nous retrouver. Plus le temps passait, plus j'arrêtais d'espérer. Combien de jours sont passés d'ailleurs ? Je n'en sais rien. Je ne sais plus rien...

Les seuls détails dont je me souvienne, ce sont ces coups qui me pleuvaient sur la gueule, ces lames qui s'enfonçaient dans ma chair jusqu'à ce que mon sang teinte le sable dans lequel je m'écroulais. Ce sont ces noms dont je ne parvenais toujours pas à prononcer, ce sont ces regards apeurés, qui me suppliaient. Ce sont les visages figés de soldats que je connaissais, auxquels j'ai dû fermer les yeux quand ils mourraient en me tenant fermement le bras, jusqu'à ce qu'ils lâchent prise sur leur propre vie.


—Damien ?

La voix de Kyle retentit dans le casque et j'ouvre brusquement les yeux avant d'essuyer mes larmes.

—Tu trembles. Ça va ?

Non, ça ne va pas. Comment est-ce que ça pourrait aller ? Deux jours que je suis libre, deux jours que nous sommes planqués entre deux ruines en attendant qu'on vienne nous récupérer. Le capitaine Franck est rentré en hélico médicalisé comme son état était plus préoccupant que le mien. Moi ? Je suis juste amoché... Bien plus qu'esquinté même, mais cela reste superficiel comparé à lui.

—Ça va, oui.

Je regarde les pointes salies de mes rangers pour éviter les yeux de mes collègues. Je sais qu'ils me scrutent tous, et l'impression d'être une bête de foire m'insupporte.

Quand oublierais-je toute cette merde ? Quand serais-je chez moi ? Quand vais-je la revoir ? Les revoir ?

Cela fait déjà plusieurs heures que je suis ici, dans cet hôpital militaire et qu'on me fait passer un nombre incalculable d'examens. Scanner, radios, palpations, points de sutures, et j'en passe. Ça dure une éternité et je n'ai qu'une envie : qu'on me fiche la paix. L'infirmière rousse est en train de recoudre mes plaies, quand le médecin entre. Encore un autre docteur. Putain... Je crois que c'est le sixième qui défile et j'en ai ma claque.
Elle m'ausculte, palpe mon ventre et me demande de me rassoir pour me foutre sa lampe dans les yeux.

Elle prend des notes, je soupire en scrutant mes cuisses salies de Bétadine.

—Votre date de naissance ?

Je regarde la doctoresse devant moi, en fronçant les sourcils.

—J'ai déjà répondu à cette question, grogné-je en bougeant mon bras des mains de l'infirmière.

Cette dernière rouspète, la première rehausse un fin sourcil.

—Monsieur Burn, j'ai conscience que vous êtes épuisé mais je ne fais que mon travail. Plus vite vous répondrez, plus vite vous pourrez dormir.

Mon torse se gonfle lorsque j'inspire l'air, mon ventre se contracte quand je le souffle.

—Le cinq mai mille neuf cent quatre-vingt-cinq.

Je plisse des yeux quand l'aiguille rentre dans mon épaule, retiens un juron.

—Vous avez parlé d'une attaque navale, monsieur Burn. Êtes-vous capable de me relater les événements de ce jour-là ?

—J'étais sur le pont quand une bombe a explosé. Je me rappelle d'être tombé à l'eau, puis je me suis réveillé...
Les poings liés, les pieds attachés, cagoulé, dans le noir.

—Je ne me souviens que de m'être réveillé. De toute façon, vous savez tous ça, non ?

Elle griffonne sur son bloc-notes, ne prenant pas attention à mon ton énervé et redresse ses lunettes à l'aide de son index. Elle fixe ses pupilles marrons aux miennes.

—Vous allez passer la nuit ici, en observation.
Je n'ai pas le temps de répondre quoi que ce soit qu'elle s'en va déjà, me laissant seul avec l'infirmière rousse qui recoud mes blessures.

—Vous allez vite vous remettre, dit-elle en souriant.

—Mouais.
Physiquement, oui. Je le sais ça, ce ne sont que des blessures plus ou moins superficielles, puisque les autres ont eu le temps d'être soignées. La pire reste celle de ma jambe, après m'être pris de vilains éclats de grenades dedans il y a plusieurs mois. Mais émotionnellement, le travail risque d'être fastidieux.

—Vous allez vous reposer, rencontrer d'autres médecins et je pense que d'ici une semaine, vous serez rentré chez vous.

—Je ne veux voir personne de vos équipes, sifflé-je. Je ne veux pas me reposer ici. Je souhaite simplement rentrer chez moi, auprès de mes proches.
— Si vous êtes moins bougon, ça passera vite, vous verrez.
Je ferme les yeux, décidé à ne plus répondre. Ça ne sert à rien de toute façon puisqu'ils ne m'écoutent pas. L'infirmière ramasse son matériel, le jette dans la petite poubelle sous l'évier et se frotte les mains avec du gel antiseptique.

—Mon collègue va venir vous chercher et vous emmener dans votre chambre.

Imperceptiblement, je hoche la tête. Il me faut un téléphone. Vite. Je dois contacter ma mère. Elle doit être folle d'inquiétude. Mon corps se couvre de frissons et je me lève difficilement pour m'empresser de les chasser. Je ne dois plus penser. Je ne dois plus penser à tout ça, à toutes ces merdes, ces violences, ces...

—Commandant Burn ?

Je sursaute quand l'infirmier entre, pour m'amener jusqu'à ma chambre.

Des murs blancs, des tentures bleues, des fauteuils bleus, des draps blancs. Ma chambre est froide, sans vie si ce n'est la mienne. Je suis semi-allongé dans mon lit, le plateau repas devant moi. La nourriture est abondante dessus, l'odeur divine. Les haricots débordent presque de l'assiette, les pommes de terre baignent dans la sauce du rôti. Il y a cinq jours encore, j'aurai tué pour avoir ça dans mon assiette. Aujourd'hui, cette vue d'abondance me coupe l'appétit.
Je n'ai eu de nouvelles de personne, ni de ma mère, ni de Connor, ni d'elle...

Si ça se peut, Connor est mort. Combien de fois cette idée n'a pas germé dans mon esprit. Je ne sais pas quelle a été la suite de l'attaque sur l'OPS, comme je ne sais rien de ce qu'il est arrivé au reste de l'escadron qui n'a pas été pris en otage. Mais je ne peux pas imaginer mon ami mort. Connor est une force de la nature, un ours, la joie de vivre incarnée et sans lui... Merde, sans lui, je n'aurais jamais eu le cran de me lancer dans la Navy Seal, dans rien même. Il faut que je lui parle, que je lui demande s'il va bien. En Libye, tout me paraissait loin, vague. J'étais persuadé que je ne reviendrais pas, j'étais certain qu'il fallait que j'oublie le passé pour mieux accepter le futur qui m'attendait. Et là, après des mois et des mois à pleurer une vie qui ne m'appartenait plus, des personnes que je ne reverrais plus, je reviens. Tout ça en est perturbant, révoltant. J'en suis perdu.
Je suis seul, donc je n'arrive pas encore à me dire que tout est réel, mais j'ai hâte de me réveiller de ce cauchemar.

Les heures passent lentement, douloureusement depuis ces deux jours enfermé ici. Mes yeux restent grands ouverts dans l'obscurité. Je ne peux pas dormir. Quand la fatigue me prend, que je ferme les yeux, mon corps s'apaise, mon esprit repart. Je revois tout, absolument chaque goutte de sang versée, chaque arme pointée sur moi, chaque civil tomber sous le poids des balles. Tout. Et je me réveille en sursaut, hurlant et suant. Je ne dors plus. C'est plus simple à gérer, tellement plus aisé que de revoir ça.
Lorsque les infirmières entrent pour prendre les constantes et vérifier la perfusion, je feinte le sommeil avant de refixer le plafond dès qu'elles sortent.
Est-ce qu'elle pense encore à moi ? Je ne suis que son passé dorénavant. Elle est jeune, belle et intelligente. Elle ne supportait pas la solitude que mon frère lui offrait, et moi, je lui ai infligée en pire. Quel homme ne lui tournerait pas autour ? Est-ce que je lui en veux ? Non.

Bon nombre de femmes de soldats morts au combat se consolent dans les bras d'autres, rapidement même. C'est humain, le réconfort. Mais dans ce cas, je veux au moins la tenir une dernière fois dans mes bras. Parce que sans même le savoir, elle a été ma force, ma volonté à m'en tirer vivant, tant mes pensées lui étaient dédiées. Alors même si ce n'est pas avec moi qu'elle sera, je veux qu'elle sache à quel point elle a été celle. 

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