treize;
Des incendies immenses et sans couleur. De la fumée sans odeur qui s'élève vers un plafond sans ciel. Des murs qui s'effondrent sans un bruit. Une apocalypse sourde. Et le soleil a disparu, comme pour ne jamais revenir. 19h45.
Minho est dans le centre commercial, et le centre commercial est vide. Minho est dans le cinéma, et le cinéma est vide. Minho est dans la rue, dans des maisons qui ne sont pas la sienne, dans les piscines, dans les parcs, Minho est partout et partout, il n'y a personne. Rien que le silence et le feu, qui dévore tout. Les flammes en noir et blanc sur chaque surface, chaque forme, chaque décor, chaque pensée. Mais Minho, elles ne le brûlent pas. Elles lèchent sa peau, ça ne lui fait rien du tout. Elles le caressent comme un amant, l'embrassent, le serrent dans leurs bras. C'est presque de l'amour. C'est presque de la paix car, enfin, ces couleurs inutiles disparaissent, elles coulent, elles fondent le long des lignes droites. Ne reste que le blanc, le blanc le plus pur, celui de la vie sans bosses, sans problèmes.
Minho est heureux, sans doute. Il n'a pas chaud. Il n'a pas tellement froid non plus. Et il n'y a personne, dans cette toute petite ville. Personne alors Minho est tranquille. Il pourrait faire tout ce qu'il veut mais il ne fait rien. Il n'a besoin de rien, et rien n'a besoin de lui. Rien ni personne. Rien que du vide qui n'a pas besoin d'être comblé. Un ciel qui s'écroule et derrière il n'y a rien, derrière le blanc il n'y a rien que le vide et derrière le vide il n'y a personne. Personne.
Rien que du blanc. Du bonheur, en somme. Du bonheur. C'est plutôt simple. Voilà une fin joyeuse. Et que s'est-il passé ? Pas grand chose, rien ni personne. Voilà qui fut plutôt simple. Simple. Droit. Tranquille.
Alors Minho est heureux, sans doute.
Et Jisung a comme cessé d'exister.
On s'est réveillés dans la rue, l'esprit presque nu. Je ne t'ai pas vu, toi non plus. On ne s'est pas levés, on n'a pas vraiment bougé. Pas esquissé quelque mouvement, danseurs à l'arrêt, on était perdus.
On s'est réveillés dans la rue, mais on avait les yeux fermés. L'esprit caché, déchiré, vaincu. Nos pires travers revenus à la charge pour défigurer l'espoir. Pour noyer la mer dans sa propre vase, les chemins dans leur glaise. Le soleil s'est levé, il paraît. Il n'y avait personne, dans la rue. Seuls deux corps qui ne comprenaient plus.
Je continuais à pleurer, je n'avais plus de larmes. Plus une seule once de sel dans mon corps, tout étalé en couche mince sur mes plaies à vif, rouvertes au scalpel. Il n'y a que des images floues, car il n'y avait plus de réalité.
Comme si notre histoire était un unique jour, le soleil venait de se lever mais il avait déjà disparu. Le début de la nuit, d'une nuit sans trêve, infinie, éternelle.
Dans le brouillard ample, une seule pensée m'est venue. Qu'on avait trouvé l'éternité, là, au bord de la chaussée. Le vide éternel, le non sens éternel. Elle était là, entre nos mains, entre nos bras. Ou plutôt étions-nous enchaînés contre elle, contre le corps froid et sec d'une éternité sans nom.
Je continuais à étouffer. Tu ne faisais pas un bruit, cogné contre un mur sans couleur, la flasque vide à la main, abandonné par ton esprit. Loin, le bel album de the cure. Loin, cette aube où nous nous étions enfuis de la ville, sur nos vélos. Loin, la soirée de Chan où tu m'avais relevé par le poignet.
Loin déjà, le début de la journée.
Pourquoi étions-nous partis si loin ? Mus par quel espoir ? C'était insensé, en réalité. J'ai pensé qu'il vaudrait bien mieux rentrer chez nous. Ne plus jamais nous revoir. Remiser les vélos dans un vieil entrepôt fermé à clef. J'ai pensé mais je n'ai rien dit. Et toi non plus. On n'avait pas dormi. On s'est réveillés au beau milieu du vide.
Il aurait fallu dire plein de choses. Plein de mots. Plein de phrases sans la moindre respiration. Il aurait fallu qu'on s'aime, mais on n'a pas eu le temps. Il aurait fallu qu'on s'aime, très fort, au milieu des champs de jaune et d'émeraude. Il aurait fallu qu'on s'aime en dansant, au milieu de tous les autres, au festival. Il aurait fallu qu'on s'aime, il aurait fallu qu'on le pense, qu'on le dise. Il aurait fallu qu'on soit assez courageux pour ça.
C'était trop tard, pas vrai ?
L'éternité. L'éternité. L'éternité.
C'était sans espoir, la vie sans pitié nous avait laissés sur le côté. Le printemps nous avait oubliés, dans les villes sans odeur. Les oiseaux étaient passés au dessus de nos têtes, n'avaient rien dit.
C'était fini, pas vrai ?
Soudain, une peine plus grande que le ciel, plus large que la nuit.
Dans la ville toute blanche où plus rien ne se passe, une pluie d'un rouge profond vient couler sur la pierre. Elle crie.
J'ai relevé la tête, c'était déjà le soir. Dans un coin de mon crâne, je l'avais oubliée. Mais elle avait soudain fracassé la paroi de mes pensées, très fort, comme un poing américain. Des pointes en métal fichées dans un mur tout blanc, laissant une traînée de sang. Pourpre, bordeaux, presque noire dans la clarté d'un rêve. Ce n'était pas l'espoir, ce n'était pas la vie.
C'était la douleur.
La douleur refoulée sous des couches d'indifférence. Tu l'as réveillée, Han Jisung. Tu l'as réveillée avec ton visage de marbre, tes lèvres scellées, ton regard abaissé sur les pavés. Tu l'as réveillée et tu ne sais pas ce dont elle est capable. Je l'avais endormie, j'y étais parvenu, noyée dans le blanc, noyée dans une vie sans rien, une vie morte et éternellement fade. Tu l'as réveillée, sans pitié. Tu l'as réveillé et elle a tué l'indifférence, elle a tué l'éternité.
La souffrance s'est dessinée dans mes yeux. Je me suis levé, j'ai marché vers ton corps d'un pas lourd. J'ai marché en sachant pertinemment où j'allais, pas plus aveuglé par la peine que par l'amour que par les larmes sèches s'effondrant toujours sur mes joues.
J'ai plié les genoux, saisi ton menton, relevé ta tête.
J'avais mal, mon cœur hurlait, l'entendais-tu ?
J'étais brusquement plongé à nouveau dans toutes les couleurs que j'avais voulu effacer. Le rouge, immense, le violet de mes membres, le vert d'une vaste forêt enfouie au creux de mes poumons.
Tout est de ta faute. Tu as réveillé la douleur, tu as réveillé la colère, la haine, tu as réveillé les sentiments les plus humains, les as fait s'écouler à nouveau dans mes veines palpitantes. As-tu honte, Han Jisung ?
As-tu peur ?
Moi, je suis terrifié.
J'ai relevé ta tête, approché la mienne.
Je crois bien qu'en t'embrassant, j'ai voulu t'étouffer.
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