six;

Beaucoup plus de soleils, beaucoup plus de couleurs. Un rythme de guitare dans la ville toute entière, beaucoup plus de pluie violacée sur un visage moins diaphane. Et un autre visage juste à côté, qui goûte à la pluie tiède les yeux fermés. 11h12.

Ils sont de l'autre côté de la ville, ils courent sans s'arrêter. Jisung lui a pris la main, Jisung l'entraîne à coup de foulées immenses au cœur de la vie. Et il y a de plus en plus de couleurs, une bonne douzaine de soleils qui se battent en duel pour les éclairer. C'est comme s'il en pleuvait. Jisung a mis une chanson sur une enceinte qu'il tient dans sa deuxième main. Une chanson en boucle, car il met toujours les chansons en boucle. Comme si deux minutes quarante-deux n'étaient jamais suffisantes pour vraiment s'y noyer.

Minho sent ses pieds troués sur le bitume, il les sent plus que jamais. Il sent les grands immeubles en pierre blanche qui le surplombent, qui tournent, qui se croisent dans les rues. Il se dit que, de haut, ça doit être vraiment joli, comme une grande toile d'araignée de zinc et d'ardoise, et toutes ces fumées qui se mêlent. Et puis il y a des centaines de voitures sur la route, des centaines de voitures qui ont leurs vitres ouvertes, qui diffusent d'autres chansons, et ça fait comme une symphonie. Et même s'ils râlent, même s'ils ont en retard, même s'ils ne jettent pas un seul regard à la pierre, même si les chansons ne sont pas forcément très belles, Minho trouve ça magnifique.

Et il y a son cœur, dans ses côtes, qui s'affole. Il bat au rythme de la chanson, son cœur court lui aussi. Il zigzague avec eux entre les passants effarés, leurs grands sacs poudrés s'effondrant sur la chaussée. Ils se font insulter de tous les côtés de la rue et le plus beau dans tout ça, c'est qu'ils n'en ont absolument rien à faire. Parce qu'il y a les Smiths, parce qu'il y a la ville et toutes les couleurs du ciel découpé et inondé qui leur tombe dessus.

Encore une fois, Minho ne voit que le dos de Jisung qui l'entraîne toujours plus long vers l'amont. Vers la grande montagne qui surplombe tout. Et peut-être même que, d'en haut, on peut voir le monde entier. Et peut-être même qu'on peut voir le grand océan. Minho n'a jamais vu la mer et en a toujours rêvé. Il se surprend à l'espérer. Il est revenu lui prendre la main, il est revenu pour l'emmener tout en haut. Et Minho ne voit que son dos, que ce t-shirt rouge complètement trempé.

Ils ne sont pas essoufflés, ou alors ils le sont. Mais ils continuent car ce n'est pas important. Minho se laisse entraîner. Minho admire les ciels, admire les pierres découpés de métal gris foncé. Minho admire cette ville qu'il n'a jamais vu, cette ville où les gens respirent immensément. Il ne peut pas s'empêcher de s'arrêter quelques instants devant cette grande maison à colonnes, ornée d'une grande verrière de vert et d'or. Ça lui évoque quelque chose, un film un peu brumeux qu'il a aimé il y a très longtemps. Un jour, il retrouvera le titre et le montrera à Jisung. Il a envie de montrer des choses à Jisung, lui aussi.

Mais alors il se rend compte que Jisung lui a lâché la main, là, au beau milieu de la rue. Alors il se rend compte que la chanson s'épuise un peu, en échos, à des kilomètres de là. Alors il entend les chansons des voitures qui sont hideuses, alors la grande maison avec les colonnes l'effraie. Il recule, il recule, et c'est comme si il y avait son esprit quelque part qui revenait à la charge. Son esprit terrifié.

Alors il se rend compte de toutes les couleurs, le rose des sacs dans les mains beiges. La pluie sur tout et sur tout le monde. Alors Minho ne pense plus à la mer du tout. Minho se rend compte qu'il ne l'a toujours pas appelé !

Je n'aurais jamais le courage de t'appeler. Je n'aurais jamais le courage de t'appeler. Je ne t'appellerais jamais, je ne te reverrais jamais, comment ne l'avais-je pas réalisé plus tôt ! C'était inutile tout ça, je n'étais qu'un lâche, je n'étais bon qu'à écouter le vinyle de Friday I'm in love toute la journée. Je n'avais jamais eu le courage d'écouter les Smiths.

Plus depuis que j'avais entendu Asleep.

Et même si la réalité avait soudain beaucoup plus d'intérêt, même si elle dévorait le rêve, elle redeviendrait bien vite aussi terne qu'avant, c'était inévitable. Car je ne t'appellerais jamais, et je ne verrais jamais la mer. Je ne savais même pas comment j'aurais pu le faire. Qu'est-ce que j'aurais dit ? « Salut, c'est Minho, tu m'as donné ton numéro, l'autre jour, tu te souviens ? ». C'était nul, c'était complètement nul. Tu ne me l'avais même pas donné, tu l'avais discrètement écrit sur une pochette. Ça n'avait rien à voir.

Peut-être même tu espérais que je ne le voie jamais. Peut-être même tu ne voulais pas du tout que je t'appelle. C'était stupide. Qu'est-ce que je t'aurais dit ?

MAIS TOUT DE MÊME

Ça faisait bien une heure que je tenais cette pochette dans ma main, les yeux fixés au numéro inscrit à l'encre bleue claire, presque effacé déjà. Une heure que j'hésitais à mort. J'ai bien failli la jeter au feu.

Mais quelqu'un écoutait les Smiths très fort dans la rue et j'avais laissé la fenêtre ouverte.

Alors j'ai pris mon téléphone dans ma main qui tremblait atrocement, j'ai composé les chiffres en prenant bien un quart d'heure parce que mes doigts n'arrivaient jamais au bon endroit. J'étais ridicule, pas vrai ?

J'allais appuyer sur le bouton vert, je jure que j'allais le faire.

Mais mon téléphone a sonné à cet instant précis, et le même numéro s'est affiché. J'ai décroché sans respirer.

« Eh Minho, c'est Jisung, ça te dirait de me retrouver au magasin de l'autre fois ? »

Et c'est comme si notre histoire était un jour, un unique jour. C'était le soir déjà, et pourtant, le soleil atteignait doucement le zénith. Le soleil coulait sur moi comme s'il y en avait mille.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top