quinze;

Minuit

On aurait pu écrire des pages et des pages sur cette histoire. Cette histoire qui était comme un jour. Un seul jour. Et pourtant, de cet instant fragile, ces secondes presque futiles où la mer s'est dessinée devant nos yeux, devant nos esprits calmés, on aurait pu écrire des chansons sans fin, des odes infinies.

On est sortis du cinéma, on se tenait la main. C'était irréel, pas vrai ? Il pleuvait comme si le ciel s'était déchiré. Il pleuvait si fort, il n'y avait plus d'horizon. Plus rien qu'un infini de gris en nuances opaques, du bleu au violet, et du blanc le plus clair au noir le plus agile. Le ciel et la mer, eux aussi, étaient comme une vie.

On s'est assis sur un banc face au grand océan. On s'est assis, et puis, plus rien. L'éternité. L'oubli, aussi. Un grand silence paisible au fond de mon crâne. Et puis tes yeux vides.

Rien ne saurait jamais être parfait.

J'aurais pu te parler de cette ville, dans ma tête, où le ciel est toujours gris. Cette ville étrange coupée en deux par la grande route, immensément large. Et puis la montagne, que tu m'as fait gravir. J'aurais pu t'en parler. J'aurais du t'en parler. Tu n'en savais rien.

Peut-être m'aurais-tu raconté la tienne.

Les grandes murailles, les miradors. La traque incessante, et les cris, et les fleurs mortes. Il n'était peut-être pas trop tard, à ce moment-là, devant la mer. Là où tout commence et tout finit. Peut-être aurais-je du parler. Mais, vois-tu, je croyais encore être celui qu'il fallait sauver.

Assis sur le banc, j'avais ta main dans la mienne, l'esprit noyé sous le soleil. Les cheveux trempés, et les couleurs, partout, dans les yeux. Du blanc le plus clair au noir le plus agile. La vie dangereuse et fragile. Tu avais libéré le courage, la douleur, l'amour. Tu m'avais libéré, Jisung. Alors je t'enchaînais à moi. Ma main, autour de la tienne, qui ne se délierait plus.

Je commençais à comprendre. Ce n'était pas assez.

Ce ne serait jamais assez, de commencer.

Je n'ai compris que bien plus tard, quand tu m'as enfin raconté ta ville. La voix creuse et les yeux toujours vides, la peau diaphane. Ton corps frêle était déposé dans un lit d'hôpital. Il y avait tant que j'aurais du voir, savoir. J'ai voulu garder l'image de celui qui me relève du trottoir, de celui qui danse, seul, de celui qui écrit au bic son numéro sur un vinyle de the cure.

C'était si peu de toi.

Tu m'as promis que tu n'avais jamais été aussi heureux que quand j'avais accepté de te suivre. Jusqu'à la mer. Jusqu'au bout du monde. Mais ça n'aurait jamais suffi, ce n'était pas ma faute, ta vie n'était que folie et regret, en alternance régulière. Grands projets démentiels, fuite du pays, tour du monde. Et puis vide intersidéral, la nuit, froide, sur un trottoir.

On aurait pu écrire des pages sur cette histoire.

Mais le véritable récit commence ici, quand je comprends que tu es aussi foutu que moi, perdu dans ce grand monde comme un tournesol sous la pluie.

Tu m'as dit que tu ne voulais jamais y retourner, là-bas, la ville où tout avait commencé. Tu m'as dit qu'il fallait partir, de l'autre côté de la mer. Sans doute même que je ferais mieux de partir sans toi

Mais j'avais tellement de couleurs dans la tête. Et tellement de folie, aussi.

Cette fois-ci, j'ai refusé.

Je t'attendrais. Aussi longtemps qu'il le faudrait. Et on partirait au bout du monde, de l'autre côté de la mer et de cet horizon brouillé.

On la trouverait, cette foutue éternité.

Je te l'ai juré, ce jour-là, à l'hôpital.

Je pourrais te le jurer mille fois.

Je ne laisserai pas cette histoire finir mal.

Cette histoire, qui était comme un unique jour, connaîtrait une deuxième aube, et puis une troisième et des milliers d'autres. Je t'attendrai autant qu'il le faudra, car tu as enflammé ma ville dans un feu de joie, car tu m'as emmené jusqu'à la mer.

Et Jisung, c'est le plus beau cadeau que tu pouvais me faire.

Ce jour-là, à l'hôpital, tu as souri en serrant ma main. Et puis tu m'as juré de trouver le tunnel sous les murailles, l'angle-mort des miradors, l'éternité.

Je t'ai cru.

Je te crois.

Tous les jours, je reviens te voir. Et tous les jours, je repars seul.

Dans mes yeux des milliers de couleurs.

Même les plus violentes.

Même l'espoir.

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