quatre;
Un visage éteint, une peau glacée, gribouillée à la lumière. Deux mains tombées, deux pieds nus immobiles. Un ciel soudain opaque. Un silence crevé. 9h21.
Sur le tableau blanc de ses pensées, Minho a tout effacé. Il ne reviendra pas. Il ne reviendra pas. A-t-il seulement existé ? Minho se demande, se demande, se demande si la vie lui en veut. Il se demande pourquoi elle lui en veut à ce point. Il se demande pourquoi c'est toujours lui qu'on fuit. Il se demande qui sont ces gens qui passent, qui passent, qui passent à côté de lui. Il se demande pourquoi ils ne s'arrêtent jamais. Il se demande qui ne reviendra pas. Il se demande pourquoi il est dehors. Il se demande ce qu'il fait là.
Il n'a rien à faire là. Il faut rentrer. Se terrer. C'est dangereux dehors, dehors il y a les gens, les sentiments humains, les soleils. Dehors il y a des bruits. Minho trouve une feuille dans sa main, et elle est affreusement jaune. Il la jette très loin mais le vent la porte et elle atterrit à ses pieds, alors Minho court très vite et très loin et il trébuche et les autres le poussent et il a mal. Mais il ne sent rien.
Quelques temps plus tard il est assis sur un banc, un banc en fer blanc, dur. Son crâne est entre ses mains, ses joues sont sèches. Ses jambes lourdes, ses pieds blessés. Le ciel est gris, gris foncé. Il n'éclate pas. Il ne sent rien. Il ne se demande plus vraiment quoique ce soit. Il n'est pas dans un parc, il est au bord de la route. C'est un arrêt de bus, mais aucun ne passe et personne n'attend. Plus personne ne veut passer là. Ce banc est perdu très, très loin dans la ville, là où il ne se passe plus rien, là où il ne pleut jamais, là où les oiseaux se sont pendus aux fils électriques.
Là où Minho est certain qu'il n'y aura pas de couleur. Et il n'y en a pas. Dans son crâne, dans ses mains, dans ses yeux. Il n'y a plus rien. Et c'est bien mieux, c'est tellement mieux, n'est-ce pas Minho ? Son esprit lui murmure, lui susurre, lui crie que tout va bien. Car tout va bien. Tout va bien, vraiment. Tout ne pourrait aller mieux.
Alors
Pourquoi ?
Il y a un autre banc de l'autre côté de la route où aucun bus ne passe. Un autre banc en fer blanc, un autre banc dur et sec car ça fait bien longtemps qu'il n'a pas plu. Mais sur l'autre banc, il y a quelqu'un. Quelqu'un qui ne regarde pas ses mains, quelqu'un qui a de grands yeux grand ouverts. Des yeux remplis de couleurs, trop de couleurs, beaucoup trop de couleurs. Alors Minho détourne le regard. Car il a peur. Il a si peur des couleurs. Même les couleurs douces deviennent vives, même les couleurs douces font mal.
If I never loved I never would have cried
Minho se chante à lui même, Minho chante dans sa tête. Minho chante qu'il ne veut pas, qu'il ne veut rien, rien qu'être seul, car tout le reste fait mal. Tout le reste est terrible. Tout le reste c'est tous les autres et leurs couleurs trop fortes et leurs sourires et leurs yeux et puis ça finit toujours mal. Les pleurs les cris la guerre dans le cœur. La pluie infinie, noire. Noire comme la nuit. Minho vient seulement de se réveiller, il ne veut pas y retourner.
Il ne peut plus y retourner.
Mais il est là, sur le banc d'en face. Il est là, il sourit, en tailleur. Il a une guitare dans les mains, il chante la même chanson. La chanson qui dit qu'il ne faut pas aimer, la chanson qui dit que l'amitié est inutile, qu'elle ne cause que de la souffrance, que l'hiver. Il chante cette chanson et ça n'a pas de sens. Son esprit lui dit que ça n'a pas de sens, son esprit lui dit de fermer les yeux. Il faut s'enfoncer un peu plus dans la ville sans nom, où il n'y a plus personne, où il n'y a plus rien.
Alors il se lève, il marche sur le trottoir sans fin vers le soleil pâle, qui n'a plus rien d'orange. Un pied devant l'autre, un pied toujours nu. C'est bientôt fini, n'est-ce pas ?
Mais il est toujours là, de l'autre côté, et il chante, et sa guitare tangue un peu dans ses mains, et son sourire dit que ce n'est pas grave, et il le suit, le long du trottoir gris. Minho n'arrive plus à fermer les yeux.
Alors il s'arrête, et l'autre traverse la route. Minho sait qu'il est revenu, qu'il court, qu'il sourit toujours et que ses yeux sont bien trop grands. Minho sait qu'il est loin d'être gris, qu'il a un t-shirt rouge et un jean bleu. Minho sait qu'il lui a pris la main et l'a emmené jusqu'au croisement. Minho sait qu'il est dangereux.
Mais lui, sait-il seulement tout ce qu'il est ?
Don't talk of love.
Lui, il arrive, avec son grand sourire, sa guitare dangereusement posée sur son épaule. Ça lui donne presque la nausée, Minho, cette guitare si fragile traitée sans douceur. Il peut presque entendre les cordes craquer. Et l'autre sourit, sourit si près de lui. Minho n'a pas la nausée du tout, finalement. Il ne sait plus si il doit courir ou parler, marcher ou rire, pleurer ou ne rien faire du tout.
- Il va falloir que tu traverses.
Et il repart, avec sa guitare, le long du trottoir, le pas sautillant, la voix cristalline.
Il repart, mais la chanson reste.
Peut-être que, plus que jamais, ça vaut la peine d'avancer.
Et c'est comme si notre histoire était un jour, un unique jour. Ce n'était plus la nuit, le jour éclatait en symphonies et pourtant, tu m'as salué au beau milieu de l'après-midi. Je ne sais même pas si tu m'as vraiment vu, à ce moment là. Pourtant mon esprit me souffle que tu étais toujours là.
Tu étais avec Félix, tu marchais de ce pas sautillant qui faisait fuir les oiseaux, une guitare sur ton épaule, sans housse. C'était carrément de la maltraitance. Félix s'est approché dès qu'il m'a vu, assis sur un banc à l'ombre des arbres, au beau milieu de la rue piétonne. J'écoutais Simon and Garfunkel sans vraiment y penser, sans vraiment penser à quoique ce soit. C'était plutôt agréable.
Et puis vous m'avez dit bonjour, demandé comment j'allais. Tu as regardé mon portable et tu m'as dit que tu adorais cette chanson. Ça m'a surpris, elle était beaucoup plus calme que celle de l'autre soirée. Beaucoup plus triste aussi.
Et puis vous êtes repartis, encore une fois.
Tout ça n'avait aucune importance, pas vrai ?
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