neuf;

Une ville qui éclate, qui s'étend, qui envahit le monde entier. Une ville qui décide de ne plus être qu'une ville. Et quelques rires qui éclaboussent ce joli début d'après-midi. 13H21.

Minho n'est plus juste Minho. Minho saute dans tous les sens, Minho rentre dans les magasins et ressort les mains vides. Et puis il attend, des heures durant, devant des portes fermées. Minho crie et sa voix se casse, quand il répand sur les chaussées, sur les gens bien habillés, tout son espoir. Minho n'est plus juste Minho, on dirait presque qu'il a décidé de faire la révolution.

Et toujours, dans un coin, il y a Jisung. Qui le regarde, accoudé à un bar, adossé à un mur. Il a cette drôle de lueur dans les yeux, celle qui rit, celle d'un enfant qui voit le soleil se lever, après une nuit de plusieurs siècles. Jisung ne dit pas grand chose, dans le fond. Jisung sourit et rit et secoue le crâne. Jisung n'est pas vraiment là, dans le fond. Mais Minho ne voit plus rien. Minho ne fait que sentir cette étrange cloison entre eux.

Mais il ne pose pas les questions.

Il lui jette quelques regards en coin, quelques regards pleins d'interrogations. Mais Jisung ne répond pas, Jisung ne dit pas grand chose, dans le fond. Jisung ne s'étale pas, n'éclabousse pas les autres âmes de son regard impur, de ses pensées controversées. Jisung a traversé la route il y a bien longtemps de cela, et c'est peut-être pour ça, qu'il n'aime plus la ville.

Ils courent côte à côte, ou alors ils marchent très vite, en se tenant le point de côté. Ils respirent très fort, leurs pieds nus ne font pas d'empreinte dans les pavés. Ils vont aller au bout de la ville immense, de la ville qui n'est plus une ville, de la ville qui est le monde. Et peut-être qu'au bout du monde, il y a le grand océan. Et qu'est-ce qu'il y a au bout du grand océan ? Ça, ils ne le savent pas, et ne veulent sans doute pas le savoir. Personne ne veut y penser. Le bout du monde, c'est déjà bien assez.

Minho ne voit plus le dos de Jisung, Minho voit son visage, sur le côté. Minho voit ses yeux gris, dans un certain angle, ses yeux violets. Minho voit son sourire étrange, un peu figé, mais pas moins sincère pour autant. Minho entend la musique de Jisung, c'est presque comme s'il pouvait entrevoir les lumières de sa ville à lui, au fond de ses yeux. Il se demande à quoi elle ressemble, cette ville-là. Y a-t-il les mêmes chemins de pierre, les mêmes façades de pierre blanche, la même montagne au beau milieu, la même grande route à traverser ? Il n'ose pas demander.

Peut-être même qu'il ne veut pas le savoir.

Peut-être qu'en dehors de leurs villes, il y a ce qui compte vraiment.

Et c'est comme si notre histoire était un jour, un unique jour. On a vu l'aube se lever en sortant de la ville, et pourtant, le jour avait déjà commencé à décliner. Il y avait cette lumière douce orangée, cet aigre-doux du jaune au dessus des champs pas encore moissonnés. Cette étrange agressivité de la route. Ce n'était plus la ville. Ce n'était pas la campagne. C'était l'entre deux, et encore le silence entre nous.

On souriait sans arrêt, on pédalait sans arrêt, on tournait la tête pour regarder les oiseaux. Ils chantaient tous, c'était comme une sonate, comme un quatuor à cordes décalé. Et un rythme, naissant dans le creux de nos joues, le rythme de l'aventure. L'euphorie du rêve.

On a pédalé jusqu'à ne plus voir les grands immeubles, jusqu'à ne plus voir le gris. On a pris les petites routes, on a laissé les herbes hautes fouetter nos chevilles. Et puis, quand on s'est arrêtés dans un bosquet, tu as commencé à chanter. Et cette voix, c'était comme des oiseaux qui auraient fait le tour de la terre et ne juraient plus que par la lune. Ça m'a retourné.

« Qu'est-ce qu'on est en train de faire, Minho ? »

Je t'ai observé sans comprendre. Si tu ne savais pas, comment aurais-je pu savoir ? Je n'avais jamais eu cette idée, je n'avais jamais rêvé de rien, je voulais juste voir la mer, voir la vie, respirer la nuit et voir les étoiles. Partir un peu. Mais c'était une vraie question, alors j'ai souri, et j'ai dit avec le plus d'assurance possible :

« Je crois qu'on vit. »

Tes yeux se sont teintés de mauve. Sous le soleil lourd, ça avait une allure d'orage.

« On ne vit pas dans un désert, Minho. On vit avec les autres, pas avec soi-même. L'éternité, c'est les autres.

- Alors on va les retrouver. »

Et puis un vrai sourire.

« Oui sans doute, t'as raison. Dépêchons-nous. »

Et c'est comme ça qu'on s'est retrouvés dans une autre ville, beaucoup plus petite, où les lampadaires restaient éteints à la nuit tombée. On a posé nos vélos contre un mur en briques usées, on est rentrés dans le seul bar ouvert.

Les quelques regards se sont tournés vers nous. Ils nous ont transpercés, nous ont scannés comme des organismes étrangers, et on s'est retrouvés mis à nus en quelques secondes. Et puis ils ont recommencé à faire ce qu'ils faisaient, manger, jouer aux cartes, finir ce fichu verre de pinard.

On s'est assis, on a commandé deux plats du jour. On était complètement intimidés. C'était les autres, mais c'était le désert. Les gens criaient pour se faire entendre, d'un côté de la salle à l'autre. Les gens mangeaient sans se regarder, sans parler, sans s'écouter. Et les joueurs de cartes semblaient être assis à la même table depuis un siècle ou deux, mécaniques et obstinés. De temps à autre, l'un d'entre eux jurait ou laissait éclater sa joie. Ils étaient sourds, aveugles, muets.

C'était impressionnant, dans un sens, ces gens qui ne se lassaient jamais.

J'ai murmuré.

« Alors, c'est ça, l'éternité ? »

Jisung avait un air grave, un air intéressé.

« Non, ça, c'est le désert. L'éternité est venue et est repartie, elle les a perdus. Je ne crois pas qu'ils soient véritablement heureux.

- Est-ce qu'on est véritablement heureux ?

- C'est ça qu'on va chercher à savoir. En tout cas, ça fait longtemps que je n'ai pas eu autant d'espoir. »

On s'est envoyés des sourires immenses, et on a parlé de la ville. On a parlé des autres. De Chan, de Félix, de Changbin qui n'osait pas lui dire qu'il l'aimait depuis deux ans. Mais c'était loin, déjà. On était partis, et c'était étrange. Comme si on n'allait jamais revenir. 

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