Partie II - 7
Axel se penche légèrement en avant, pour mettre le vinyle sur le lecteur. Je vois la peau de son ventre sous son pull gris, la ligne de poils blonds autour de son nombril.
Du jazz.
Axel n'écoute que ça. Il se nourrit de jazz, les yeux fermés. Le jazz qui fait des vagues lentes à l'intérieur de mon cœur, comme ses baisers.
Quand il se redresse, il me sourit et puis allonge sa main pour me piquer l'olive au-dessus de ma part de pizza. Je ne dis rien parce que de toute façon je n'aime pas ça.
-Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ?
Je ne peux pas lui dire que j'ai passé des heures à ma fenêtre, à penser à Harry. Je ne peux pas dire ça. Alors je plisse un peu les yeux et je murmure :
-Je t'ai attendu.
Il se met à rire. Ses joues se colorent un peu, parce qu'il a la peau très blanche et que toutes ses émotions s'étalent sur son visage.
-Et toi, le travail ?
-Comme d'habitude.
Il hausse les épaules. Il travaille dans une entreprise qui trie les déchets, s'occupe du développement durable, des choses comme ça. Je ne comprends pas trop. Il en parle toujours vaguement, comme pour me faire comprendre qu'il n'a pas envie de s'attarder là-dessus. Son rêve c'est d'ouvrir un bar à jazz qui ferait aussi librairie. Où tout le monde pourrait venir s'asseoir sur des coussins moelleux, écouter la musique en tournant des pages et boire du thé au riz soufflé.
Axel est un utopiste, c'est ce que j'aime chez lui.
Mais parfois c'est énervant, parfois j'ai envie de le salir et de l'énerver, de lui mettre sous le nez des horreurs pour qu'il comprenne que le monde n'est pas si rose.
C'est juste parfois.
Quatre-vingt-dix-neuf pourcents du temps, je l'aime à en mourir et je n'aspire qu'à être dans ses bras, dans la douceur de sa peau et de son âme.
On mange nos pizzas, bercés par le rythme lent d'It Never Entered My Mind. Et puis Axel va mettre nos assiettes dans l'évier et je l'attends allongé sur notre matelas.
La lumière tombe sur le parquet, remplit les murs blancs de tâches sombres.
Je repense à mes mains que j'avais posé sur un mur blanc, il y a plusieurs années, mes mains dans la peinture bleue. Y sont-elles encore ?
Axel s'allonge près de moi, il pose son visage sur ma poitrine. Il me regarde par en-dessous, je lui souris vaguement.
-Quelque chose ne va pas mon cœur ?
Je soupire un peu. De bonheur. Ou de quelque chose s'en approchant.
-Non, tout va bien. Tu m'embrasses ?
Il se redresse un peu. Sa bouche a le goût de la pizza froide. La mienne aussi je suppose.
On fait l'amour très lentement, en suivant les mouvements de la musique. Nos deux corps imbriqués l'un de l'autre, sa peau la mienne, une odeur de lait, de sel, d'eau moite, de sueur. Sa bouche qui frissonne quand je pose mes lèvres derrière ses genoux, quand j'embrasse la surface légèrement plus ronde de ses veines. Son visage qui se crispe de plaisir lorsque je viens en lui plusieurs fois c'est lent c'est fort tout est sacré lorsqu'il ouvre les yeux, lorsqu'il me dit « encore Louis, encore ». J'halète, il referme les paupières je m'agrippe à ses genoux qui entourent mes hanches au milieu du flou de ma vision il y ces deux mains bleues qui ne cessent de danser je me souviens des mains d'Harry je m'en souviens elles étaient grandes et la peau était si fine que l'on voyait ses veines bleues autour de ses phalanges. Je me mets à trembler de plaisir et Axel m'attire contre lui.
-Mon ange...
J'ai envie de pleurer. Les mains d'Harry disparaissent de mon champ de vision. J'enlace ses épaules de toutes mes forces et je respire profondément son odeur. Je n'arrive plus à bouger. Axel dépose de légers baisers le long de mes tempes et il me dit que ce n'est pas grave, qu'on est tout les deux fatigués par le déménagement. Je me retire lentement. Il me fait un petit sourire amusé quand je regarde son sexe toujours figé, dans l'attente de quelque chose, et puis il hausse les épaules et se relève pour aller aux toilettes.
Je m'enroule dans la couette, le visage vers le mur.
Axel ne va rien me dire. Il est habitué à mes brusques crises de larmes incompréhensibles, ou mes sautes d'humeur étranges. Il sait que dans ces moments là, il faut juste me laisser respirer, que dans quelques minutes je vais revenir vers lui pour m'excuser, et peut-être même qu'on fera l'amour contre le mur de la salle de bain, beaucoup plus brutalement.
Je ferme les paupières.
Les mains d'Harry.
Que j'avais tant envie d'embrasser, à l'époque.
Les mains d'Harry.
Que j'imaginais passer sur mon corps, le découvrir dans ses moindres recoins, le rendre moite et doux.
Les mains d'Harry.
Où sont-elles aujourd'hui ?
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