Partie II - 3


Axel est parti au travail depuis vingt minutes.

Je suis allongé sur notre matelas posé au sol, et je fixe mes mains dans l'ombre de la pièce. J'ai froid, alors je me suis enroulé dans un plaid tout doux, acheté chez Ikea juste avant de partir. Il sent encore le neuf et l'odeur me donne envie de pleurer.

Alex appelle ça de la mélancolie, cette impression d'avoir le ventre étrangement creux et l'estomac qui flotte. Cette impression qu'il pleut à l'intérieur même de mon corps.

Il dit que pour combattre la mélancolie, il faut chanter.

Mais je ne déteste ma voix.

Alors je ferme les yeux.

Immédiatement, je me mets à penser à Harry.

C'est étrange. Il y a cinq ans au moins que j'ai fugué. Si je pensais à lui au début, il y a au moins trois ans que ça ne m'arrivait plus. C'est sûrement d'être dans cette ville, qui fait ressurgir mon souvenir... Je ne sais pas ce qui m'a pris, d'insister pour venir habiter ici. Même si Axel était d'accord, puisque notre appartement est maintenant à 15 minutes seulement de l'entreprise où il travaille. Mais quand même. Il y avait d'autres endroits aux alentours...

Je me retourne sur le matelas, m'installant sur le côté, les jambes repliées contre mon torse. J'essaye de penser à autre chose, mais le visage d'Harry se pose partout sous mes paupières.

J'ai oublié certaines choses, comme la forme de son nez, ou la couleur de sa peau. J'ai oublié si ses cheveux lui tombaient sous les oreilles où s'ils étaient au-dessus. Mais je me souviens de la façon dont il parlait, en me regardant dans les yeux. Je me souviens aussi de ses regards qui étaient aussi beaux que les étoiles. Je me souviens de ses mains qui parfois tenaient les miennes lorsque je pleurais pendant mon sommeil. Je me souviens de son corps anguleux, de la façon qu'il avait d'être triste parfois, d'être triste avec toute son âme, une tristesse implacable et noire.

Je l'ai laissé un matin.

Je l'ai laissé alors qu'il avait passé la nuit précédente dans le sable mouillé.

Je l'ai laissé alors qu'il semblait terrifié par moi, par lui, par le monde entier.

Je l'ai laissé parce que je ne me sentais pas capable de le sauver.

Je l'ai laissé parce que j'ai senti qu'en restant avec lui, c'était la mort qui nous attendait.

Je l'ai laissé alors qu'il avait besoin de moi.

Je me redresse lentement, abandonnant le plaid. Je marche jusqu'à la fenêtre. Je l'ouvre. Au-dessus des toits, j'aperçois la surface grise et mouvante de la mer. Je ferme les yeux. Et je murmure, parce que le poids des mots devenaient trop lourd à porter :

-Tu sais, Harry. Je crois que si j'ai voulu revenir ici, même sans vraiment me l'avouer, c'était pour toi. Pour te retrouver. Pour être sûr que tu as réussi à te sauver de toi-même.

Ma voix se brise. Je recule. J'ai les yeux pleins de larmes immobiles. Je n'arrive pas à prononcer le reste. Je n'arrive pas à dire :

Tu sais Harry, si j'ai aussi mal au cœur depuis que je suis arrivé ici, je crois que c'est parce que je suis certain que tu n'as pas réussi. Que quelque part dans cette mer ou déchiré par l'orage pendant une nuit de tempête, tu es mort.

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