CHAPITRE XVI

Heureusement pour Zachary et Mathéo, que Caly m’a transmis sa recette anti-gueule de bois. Il semblerait que ce soit une recette de famille, créée par mon arrière-grand-mère. N’importe qui trouverait cet héritage familial grotesque. Mais quand on sort d’une soirée bien arrosée, à laquelle on a enchaîné les shots de tequila pour impressionner un milliardaire supposé accorder l’interview de sa vie à sa tante, on ne peut pas nier l’évidence.
Je n’ai absolument aucun regret quant à cette soirée grâce à ce remède miracle. Quand je pense à ce genre de choses impensables que j’ai vécu ces dernières années, je me dis que ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille jusqu’à présent, et que j’en suis plus que fière. Et je m’apprête à transformer ce fleuve agité, en mer en pleine tempête. J’y ai réfléchi toute la journée. Ce soir, quand on sera à Times Square pour voir la boule descendre, je dirai à Zachary ce que je ressens pour lui.
Je m’étais convaincue, que je voulais attendre ce moment précis parce que je voulais…rendre l’acte le plus romantique possible ou je ne sais quoi. Mais à présent, je n’en suis plus si sûre. Je crois surtout que j’ai peur de me lancer. J’ai toujours été nulle pour ça.
Qu’est-ce que je vais lui dire ? Et si je sortais une connerie ? Et si je faisais une erreur ? Et si c’était trop tard ?! Alors oui, à mesure que le moment fatidique approche je sens la panique me gagner de plus en plus. Je n’arrive même pas à manger mon plat préféré lorsque le serveur du restaurant le pose devant moi. J’ai la boule au ventre.
Est-ce que je suis supposée éprouver ça ?
- Tu ne manges pas ? s’inquiète Sofia qui a déjà englouti la moitié de son assiette.  
- Je n’ai pas très faim.
- Si tu t’évanouies dans la foule je te préviens que je t’abandonne sur place.
Il fait déjà nuit noire dehors. Minuit arrive à grands pas. Alors non je n’ai pas faim, et oui je risque très certainement de m’évanouir. Cette plaisanterie de mon amie ne fait que m’affoler davantage.
- Ce sont les meilleurs nems que j’aie jamais mangé ! déclare Mathéo en tentant d’en attraper un autre avec ses baguettes.
Sofia avait raison. Elle savait que ce restaurant lui plairait à la minute où elle y est entrée le premier soir. Elle le connaît déjà si bien. Il mange tellement vite que Zachary se sent obligé de l’avertir en se moquant de lui, comme il le fait toujours.
- Ralentis Mat. Tu manges aussi vite que tu buvais hier soir.
- Tu te fous de moi ? C’est toi qui as insisté pour qu’on aille dans un autre bar après le premier.
- Et j’ai aussi décidé qu’il était temps de rentrer quand tu t’es ramassé sur le trottoir devant des dizaines d’étrangers.
Certains souvenirs leurs sont revenus. Mais j’ignore encore si ceux de notre « conversation » le sont aussi, ou s’il a décidé de les enfouir dans un coin de sa tête. En tout cas Sofia et moi ne nous sommes pas gênées pour leur raconter la partie de leur arrivée. Puisque cette traîtresse tenait à ce que Zachary sache qu’il m’avait « tendrement enlacée ». Un jour elle aura ma mort. Mais je suis soulagée que le comportement de Zachary à mon égard n’est pas changé pour autant. Même si on ne s’est pas vraiment vus de la journée, ou devrais-je dire de l’après-midi. Malgré mon remède miracle, il a quand même fallu un peu plus de repos aux deux fêtards pour être en aussi bonne forme ce soir. Au moins ils ne vont pas s’endormir à Times Square.
- Tu es sûre que tu ne veux rien manger ? m’interroge à son tour Zachary qui fixe mon assiette. Je croyais que c’était ton plat préféré.
Je ne peux que sourire. En effet. C’est bien mon plat préféré, et il le sait parce qu’il a dû y faire attention à Shelter Meek. Quand on allait à mon restaurant chinois préféré, je commandais toujours les fameuses nouilles sautées. J’ai récemment découvert que ce plat que j’adorais autrefois, n’a finalement pas la même saveur qu’ici, et pourtant, je n’arrive pas à en manger une miette.
Et le fait que Zachary me prouve pour une énième fois qu’il est parfait ne m’aide pas réellement à avoir de l’appétit. Mais je ne dis rien à ce sujet et me contente d’hausser les épaules comme si c’était normal.
- On a mangé tard aujourd’hui, c’est sûrement pour ça.
Ce qui est certain, c’est que je vais emporter cette assiette chez moi pour ne pas gaspiller cette merveille, et pouvoir profiter de toutes ces saveurs quand je n’aurai plus la nausée à force de m’inquiéter.
- Bon et sinon, reprend Sofia. C’est quoi vos bonnes réso…
Elle a cessé de parler au moment où ses yeux se sont posés sur quelque chose derrière moi. Je crois déceler chez elle de la stupéfaction, de la panique, de l’incompréhension…de la peur ? Et tout se décuple au moment où elle se rend compte que je la fixe depuis quelques secondes, attendant impatiemment de connaître la cause de son agitation.
Elle ouvre la bouche. La referme. L’ouvre à nouveau.
- Amyra je crois que…
Elle est à deux doigts de l’hyperventilation. Qu’est-ce qui lui prend ?! Je me décide à me retourner, puisqu’elle n’a pas l’air de pouvoir prononcer le moindre mot. Et je la sens me gagner moi aussi, cette agitation. Lorsque je vois au loin, devant la vitrine… Sandro ?!
Il est là, et il esquisse un large sourire quand mon regard croise le sien, avant de marcher vers la porte du restaurant. Non. Non pas ça ! Je me lève de ma chaise à une vitesse folle, manquant de la faire tomber, et faisant grincer le parquet sous son poids.
Je ne peux pas croire qu’il soit là. Je ne pouvais pas ne pas le reconnaître. Si je l’avais simplement aperçu dans la rue, ce manteau bleu saphir, offert par sa mère le jour de nos fiançailles, m’aurait immédiatement mise sur la piste. Je vais le rejoindre à l’entrée en me précipitant, sous le regard de ma meilleure amie, de Mathéo, et de celui que je priais pour qu’il ne rencontre jamais Sandro. Beaucoup de clients me regardent également foncer vers le nouveau venu comme s’il était l’arrivée d’un marathon. Et lorsque je me retrouve face à lui, je perds mes moyens. Face à ses beaux yeux noisette qui m’ont si souvent admirée, ses boucles brunes, légèrement décoiffées par le bonnet qu’il vient de retirer…et ce sourire parfait, que sa mâchoire carrée de mannequin italien ne fait que mettre en valeur. Je ne l’avais pas revu depuis mon départ. Depuis ma découverte de son manque de sincérité.
Oui Amyra. Souviens-toi de ça. Souviens-toi à quel point tu as souffert quand tu as appris que sa demande en mariage était une simple manœuvre pour lui !
- Amyra.
J’avais presque oublié son léger accent. Il a dû apprendre à parler sept langues différentes, veillant minutieusement à apprendre l’accent qui allait avec chacune d’elle pour ne pas paraître ridicule. C’est surtout sa famille qui voulait ça. Son père…
- Tu m’as manqué.
Waouh. Alors il commence direct avec ça ? Je pensais qu’il s’excuserait d’abord de la façon dont il a tenté de me manipuler, ou de la façon dont il m’a fait suivre pendant je ne sais même pas combien de temps par un de ses sbires. Non, il essaie tout de suite de m’avoir avec son cinéma. Je dois rester forte et ferme.
- J’ai dit à Marco que je ne voulais plus te voir.
Il ne paraît pas surpris par mon ton glacial. Il doit comprendre que je souhaite tout de même garder une certaine distance.
- Il m’a transmis le message en effet.
- Et pourtant tu es là. Après trois mois de silence.
- Je pensais que tu avais besoin d’espace pour réfléchir.
Bah voyons ! Je savais qu’il retenterait sa chance. Je ne me doutais simplement pas qu’il ferait lui-même le déplacement. Très bien, je vais pouvoir lui dire les choses en face de cette manière. Lui dire que je sais tout de son plan grotesque. Que je lui en veux plus que tout. Qu’il n’est qu’un simple manipulateur, et en menteur que je ne veux plus jamais…
- J’étais soulagé d’apprendre que tu nous avais entendus mon père et moi le jour de ton départ, parce que je ne voulais pas t’épouser pour de mauvaises raisons. Ce qui était le cas à l’époque, mais plus aujourd’hui.
C’est pas vrai…
- Je t’aime toujours, tesoro.
Et là je crois sentir mon monde tout entier s’écrouler. Pas quand il prononce ces mots. Pas non plus quand il se penche pour poser un genou à terre et sortir un écrin de la poche de son manteau. Je crois mourir de l’intérieur, quand je me retourne, et vois Zachary debout derrière moi, complètement figé. Il fixe la petite boîte que tient Sandro, comme si la scène la plus triste de toute l’histoire du cinéma se déroulait devant ses yeux. Je le vois dans son regard. Mais malheureusement, c’est bien la réalité. Tous ces gens qui se mettent à applaudir dans la salle. Tous ces cris de joie et d’encouragement…ne font que lui briser le cœur davantage. Et je ne peux même pas le retenir quand il décide de faire demi-tour pour passer par la seconde porte, suivi de près par son meilleur ami, et sortir du restaurant, furieux et blessé. Surtout blessé. Ma gorge se serre, comme jamais auparavant. Je me sens mal de lui infliger ça. Alors que je ne voulais même pas le faire ! Je ne comprends pas…
Sandro essaie d’attirer mon attention en m’appelant. Mais je ne veux même pas le regarder. Je demande simplement du regard à Sofia d’aller vérifier si Zachary va bien. Et elle accepte. Sans rien dire, elle part à son tour. Me laissant seule avec Sandro, et une bonne centaine de personnes qui commencent seulement maintenant à se taire. Je les déteste tous. Mais plus encore, je déteste celui qui me met dans une telle position, alors que ce soir devait être une soirée magique pour moi.
Je me retourne finalement vers lui après avoir repris mon calme tant bien que mal.
Son sourire réapparaît alors, quand il ouvre l’écrin pour dévoiler un diamant gigantesque. Le même que celui qu’il avait utilisé pour sa première demande. La bague de sa grand-mère. J’étais si émue la première fois que je l’ai vu. Et c’est certainement pour cette raison que je n’avais pas osé dire non. Mais maintenant…tout ce que je vois c’est un simple caillou. Qui ne signifie plus rien pour moi. Un caillou qui vient de faire fuir le seul homme avec qui je voudrais construire quelque chose.
J’essaie de ne pas crier quand je reprends la parole.
- Je suis désolée. Je ne me marierai pas avec toi.
Toutes les voix qui s’étaient élevées dans le restaurant, se taisent immédiatement. Je n’aime pas être écoutée lors d’une conversation aussi sérieuse, mais Sandro ne me laisse pas le choix. Il aura voulu ça, il aura été prévenu.
- Mais je… Pourquoi ? réussit-il à articuler en refermant la petite boîte avec tristesse.
Au fond il me fait de la peine. Je comprends qu’il m’aime. Pas parce que je considère être une personne incroyable, et parfaite qui mérite tous les hommes du monde. Mais parce que justement, je suis tout le contraire. Je n’ai pas grandi dans un manoir, entourée de domestiques, mes parents n’ont jamais été heureux ensemble, je suis maladroite, curieuse, je n’aime pas le caviar, et je suis heureuse avec n’importe quel vin bon marché. J’ai des amis sincères. Et je suis incapable de prendre des décisions quand il s’agit de ma vie amoureuse.
Je suis la première personne qu’il rencontre qui est totalement inconnue à son monde. Il aime que je ne ressemble pas à sa famille. Mais…
- Je ne t’aime pas Sandro.
Je sais que c’est difficile à entendre pour lui, parce qu’au fond c’est difficile à dire pour moi.
Mais c’est la vérité.
Il se relève après avoir réalisé les mots que je viens de prononcer, pour ranger le bijou dans sa poche, en bégayant.
- Je croyais… Je croyais que tu…
- Je croyais aussi que je t’aimais. Mais en réalité j’aimais simplement notre histoire. C’était un conte de fée auquel je ne pensais pas avoir droit.
C’est la conversation que j’avais cherché à éviter en fuyant l’Italie. Il fallait bien qu’un jour ou l’autre on l’ait de toute manière.
- Je n’ai découvert que très récemment ce qu’aimer signifie réellement à vrai dire.
Je sens les larmes me monter aux yeux. Je sais que je serai incapable de les retenir. Je suis triste de devoir lui briser le cœur, je suis triste d’avoir brisé celui de Zachary, et plus que tout, je suis triste de ne réaliser que maintenant à quel point j’avais tort depuis le début. A propos d’absolument tout !
Je n’aurais pas dû m’en aller en découvrant la vérité sur Sandro et son père. J’aurais dû rester, m’expliquer avec lui, et lui dire au revoir pour de bon. Il ne serait jamais revenu, pensant avoir encore sa chance. Et je n’aurais jamais dû laisser Zachary attendre aussi longtemps. J’ai été si injuste avec lui. Quand qu’il m’a dit qu’il m’aimait, j’aurais dû lui répondre immédiatement.
Aujourd’hui je dois prendre mes responsabilités et assumer mes choix.
- Sandro je suis désolée. J’espère que tu pourras me pardonner, mais je ne suis pas faite pour toi parce que je suis déjà faite pour quelqu’un d’autre.
Il est déçu, ça se voit. Même s’il essaie de le cacher. Dans sa famille, montrer ses émotions n’est pas permis. Comment j’ai pu croire un seul instant que je pourrais un jour en faire partie ?! Je m’approche de lui pour poser ma main sur sa joue et le regarder droit dans les yeux avec compassion.
- Tu es un homme incroyable. Tu as tellement plus à donner qu’un simple héritage. Je suis certaine que très bientôt, quelqu’un le verra.
- Quelqu’un d’autre que toi ?
Il me sourit. Tristement. Mais il me sourit tout de même. Ce n’est pas facile pour moi non plus de lui dire au revoir. Les cinq mois qu’on a passé ensemble ont été surréalistes. Je ne les oublierai jamais.
- Au moins tout est clair à présent, dit-il finalement en essuyant une larme qui roulait le long de ma joue. Je devais en être sûr. J’espère simplement que tu as fait le bon choix et que celui que tu aimes sauras te rendre heureuse.
Puis sur ces mots, il commence à s’éloigner à reculons, toujours en me fixant, espérant sûrement jusqu’au bout que je change d’avis. Mais il est temps pour moi de le laisser partir. Je le regarde donc sortir, pour monter dans sa limousine d’un kilomètre de long, me lancer un dernier regard par la fenêtre, un dernier signe de la main que je lui rends volontiers, avant que son chauffeur ne démarre, et que le véhicule commence à s’éloigner à travers la vitrine du restaurant. C’était la bonne chose à faire. La seule chose à faire.
Ce que les clients curieux qui continuent de me regarder n’ont pas l’air de penser. Ils ne cherchent même pas à être discrets !
- Vous n’avez jamais vu quelqu’un refuser une demande en mariage ?! crié-je soudain au milieu d’une nouvelle crise de larmes. Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ?!
- Je crois que ça va comme ça Amyra, me stoppe une voix masculine familière tandis que des mains viennent se poser sur mes épaules pour m’éloigner des spectateurs.
Je me fais traîner jusqu’aux cuisines par Liang, le fils des propriétaires qui travaille ici comme serveur pendant les vacances. Il a mon âge, et a toujours vécu ici, ce qui fait qu’il n’a pas du tout d’accent chinois quand il parle. On s’est très vite bien entendus lui et moi.
Mon sauveur me tend un mouchoir que je prends immédiatement pour essuyer mes joues. Je me sens stupide maintenant de m’être emportée de cette façon.
- Je suis désolée. Je vais m’excuser auprès des clients je ne veux pas qu’ils pensent du mal de votre restaurant…
- Arrête ce n’est pas important, m’assure Liang en souriant. Tu vas bien ?
- Pas vraiment…
Je vais m’asseoir sur une chaise posée dans le coin de la pièce, entourée de plusieurs cuisiniers qui continuent de s’activer aux fourneaux comme si je n’étais pas là.
- Je crois que tout est fichu. Un de mes ex me déteste parce que je ne l’aime pas. Et un autre parce que je n’ai pas eu le cran et le temps de lui dire que je l’aime.
Je suis vraiment pathétique.
- Ne t’en fais pas pour moi Liang. Je sais que c’est une grosse soirée pour vous, tu devrais retourner travailler. Je vais juste…attendre de ne plus pleurer comme une idiote et partir par la porte de derrière.
Il hoche la tête avec compassion. Et pendant un instant, je suis convaincue qu’il va m’obéir et s’en aller. A la place il se tourne vers un de ses collègues pour prononcer quelques mots en chinois que je ne comprends pas une seule seconde, et je vois alors simplement l’homme interpellé, acquiescer, et partir pour disparaître derrière une porte.
Mon ami se retourne ensuite pour se pencher afin de se mettre à mon niveau.
- Tu devrais le rattraper. Pas l’italien, celui que tu aimes.
- Tu crois que c’est aussi simple ? Il vient de voir un autre homme me faire une demande en mariage.
- Mais tu as refusé. Et ça il ne l’a pas vu n’est-ce pas ?
Ce n’est pas faux…
Je pourrais me lever de cette chaise, et traverser la rue en courant pour le rejoindre et lui dire que rien de ce qu’il a vu n’a d’importance parce que je ne veux que lui.
Je devrais… Non ! Je vais le faire ! Je vais arrêter de me cacher parce que dire la vérité à Sandro, a finalement été un énorme soulagement pour moi. C’était un coup de pied au cul dont j’avais besoin !
- Tu sais quoi ? Tu as raison.
Je me lève d’un bond en souriant et en séchant mes dernières larmes. Le collègue de Liang revient à cet instant avec un verre à shot rempli d’un liquide verdâtre étrange qui ne m’inspire absolument aucune confiance. Liang le prend en le remerciant, pour me le tendre avec confiance.
- Bois ça. Ça va te donner du courage.
- Tu en es sûr ?
On dirait un sirop pour la toux dans lequel on aurait lavé des pinceaux de peinture marron pour lui donner un teint plus foncé et inquiétant.
- Je ne veux pas être méchante mais…
- Je te dis de boire !
- D’accord !
Bon sang qu’est-ce qu’il faut pas faire…
Je prends le verre, sans plus réfléchir, et avale l’entièreté de ce qu’il contenait d’une traite. Le liquide glisse dans ma gorge pour en brûler chaque parcelle, puis c’est mon corps tout entier qui prend feu. Je me mets à tousser violemment en grimaçant. Et ce goût…j’ai l’impression que je viens d’avaler un mélange d’absolument chaque alcool pouvant exister dans ce monde. Pendant un moment, je crois bien que je vais vomir. J’en suis même persuadée. Mais très vite le goût désagréable commence à s’estomper, en laissant derrière lui le feu qui s’est emparé de tout mon être. Les flammes montent jusqu’à mon cerveau qui se met à partir dans tous les sens.
- Maintenant fonce Amyra !
Liang me pousse jusqu’à la porte du fond pour que je sorte sans passer par les clients de tout à l’heure. Il me chasse presque quand il me met dehors, en me rassurant quant au fait que tout ce qu’on a consommé sera mis sur ma note et qu’il mettra mon plat de côté pour moi. Il est génial. Je me suis vraiment fait de supers amis ici. Je lui souris, le remercie de tout cœur, et me voilà partie.
J’ignore ce qu’il y avait dans ce verre, mais je suis plus motivée que jamais. Au diable le romantisme, je vais dire à Zachary ce que je ressens maintenant, ou jamais ! Du moins c’est ce que je comptais faire, jusqu’à ce qu’en entrant dans le loft, je constate la présence de Sofia, mais pas celle des deux autres. Elle tourne en rond dans le salon en se rongeant les ongles jusqu’à ce que son regard se pose sur moi avec soulagement. C’est uniquement quand elle se jette sur moi pour me dire que Zachary est parti que je comprends l’urgence de la situation.
- Comment ça ? Où est-ce qu’il est allé ?
- A l’aéroport. Il était vraiment déboussolé par ce qu’il a vu au restaurant. Il n’a même pas pris la peine de m’écouter, il est monté dans un taxi et a demandé à Mathéo de le rejoindre avec les valises une fois qu’elles seraient rangées.
Je ne pensais qu’il voudrait s’en aller ! Il a dû se sentir tellement humilié…
Mais je ne veux pas qu’il parte !
- Et où est Mathéo ?
- A l’étage.
Génial. Tout n’est pas perdu. Je m’empresse de monter les escaliers, pour aller retrouver le meilleur ami de Zachary dans la chambre d’invités. Il y ferme les deux valises au moment où j’entre dans la pièce. Et il n’a pas l’air heureux de me voir.
- Mathéo tu dois m’écouter…
- Pourquoi ? Tu ne crois pas que tu en as déjà assez fait comme ça ?
Parce qu’il pense que je voulais tout ça ? Que j’avais prévu chaque événement de cette soirée ?
- Je n’ai pas demandé à mon ex de revenir pour me demander en mariage devant Zachary.
- Mais tu ne ressens de toute évidence rien pour lui de toute façon.
- Bien sûr que si !
J’en ai marre ! Cette soirée est un véritable enfer, la dernière chose dont j’ai besoin maintenant, c’est que quelqu’un me fasse la morale alors que je suis déjà bien consciente de toutes les erreurs que j’ai pu commettre et que je suis prête à réparer !
- Je n’ai pas accepté la demande de Sandro justement parce que j’aime déjà Zachary ! Je l’ai toujours aimé !
Son visage se radoucit. Il ne dit plus rien, signe que je suis libre de poursuivre. Que je peux encore le convaincre de m’aider. Je me calme donc, soulagée de ne plus avoir à crier pour m’exprimer. C’est là que tout se joue.
- Ecoute je suis désolée si je n’ai pas été assez courageuse pour m’en rendre compte plus tôt. Je suis désolée si j’ai été assez stupide pour ne pas voir à quel point on est faits l’un pour l’autre. Et plus que tout je suis désolée qu’il ait été blessé par mes actes parce que c’est bien la dernière chose que je voulais. Tu es la troisième personne à qui je raconte tout ça ce soir, je voudrais juste enfin pouvoir le lui dire directement si ce n’est pas trop tard. Et je sais que ce n’est pas trop tard si tu m’aides.
Tête baissée, il va s’asseoir sur le bord du lit pour réfléchir un instant. Je comprends sa réaction. Si quelqu’un se comportait de la même façon que moi avec Sofia, je lui aurais déjà mis mon poing dans la figure. Il veut protéger son ami. Et je ne peux pas lui en vouloir pour ça, alors s’il décide de partir maintenant, et de ne pas me croire… Je respecterai son choix.
Les secondes qui s’écoulent entre mon discours et sa réponse me paraissent durer une éternité. Je reste plantée au milieu de la chambre, à attendre qu’enfin il prenne une décision, quand enfin il se lève, pour m’adresser un sourire énigmatique qui m’inquiète énormément jusqu’à ce qu’il prononce les mots :
- Comment je peux t’aider ?
Je ne saurais décrire le soulagement que je ressens à ce moment-là. Avec lui de mon côté, je ne peux que réussir.
- Dîtes-moi que c’est le moment, s’agite ma meilleure qui est sûrement restée cachée dans le couloir tout du long pour écouter la conversation. Dîtes-moi qu’on en est au moment où le personnage principal court à l’aéroport pour empêcher l’amour de sa vie de monter dans un avion.
- On n’est pas dans un livre Sofia !
- Et alors ?! Tu n’as qu’à faire comme dans la fin de The Holiday !
- Tout ça n’a absolument rien à voir avec la fin de The Holiday !
Elle n’est vraiment pas croyable avec ses rêves de groupie ! Elle croit que tout peut se dérouler comme dans une de ses histoires. Que je vais simplement me précipiter sans réfléchir à l’aéroport pour le rattraper ! Comme dans ses fichus bouquins ! Comme…
Comme Zachary l’a fait. Il y a trois ans, avant le départ que j’avais tant attendu, et qui était supposé changer ma vie à tout jamais, Zachary était venu me voir. Il n’a pas hésité à faire des kilomètres, risquant même de me rater, juste pour s’excuser. Pour que je ne parte pas en le détestant. C’est ridicule. Et pourtant…
- D’accord, finis-je par accepter prête à tout. On va empêcher l’amour de ma vie de monter dans un avion.

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