CHAPITRE XIV

Je cours à toute vitesse. Je cours sans m’arrêter ou me retourner un seul instant, gardant en visuel l'endroit où se trouve celui qui m'espionnait depuis mon arrivée ici. Il a tenté de se cacher en me voyant approcher, mais après avoir bousculé une bonne dizaine de passants, il ne me faut pas longtemps pour le retrouver au milieu d'une ruelle sombre, dos à moi, un téléphone collé à l'oreille. Et je crois savoir qui est à l'autre bout du fil…
Je savais que c'était lui. Même si je ne parviens pas à voir son visage, il est très facilement reconnaissable. Avec sa carrure de gorille, sa façon surnaturelle de se tenir parfaitement droit constamment, et son costume fait sur mesure, je n’aurais pas pu le rater.
Je devrais contenir ma rage, l’aborder avec calme.
- Marco !  
Mais oui. Au lieu de ça je crie. Je crie de toutes mes forces pour réussir à attirer son attention. Et lorsqu’il se retourne enfin, malgré ses grandes lunettes noires qui cachent toujours ses yeux, je parviens à lire la panique sur son visage.
La première fois que j'ai fait sa rencontre je n'osais pas parler tant j'étais terrifiée par ce grand baraqué. C’est assez ironique qu’aujourd’hui ce soit lui qui s'immobilise devant moi. Juste après avoir raccroché avec précipitation. J’aurais dû m’en douter.
Je fixe avec colère l'homme que je viens de prendre en flagrant délit.
- Vous avez vingt secondes pour me dire ce que vous faîtes ici !
La montagne de muscle ne me regarde même pas. Il reste dressé comme un piqué devant moi et fixe un point à l'horizon comme s'il était un des soldats de la reine d'Angleterre. Cette attitude m'exaspère encore plus, mais au moins il finit par me répondre avant que je lui dise le font de ma pensée.
- Monsieur désire vous voir mademoiselle Salem.
"Monsieur". C’est une plaisanterie ?
- Dans ce cas vous lui direz que de mon côté je préfère garder mes distances avec lui.
- Pardonnez-moi mais Monsieur insiste…
- Je me fiche qu’il insiste !
Qu’est-ce qu’il croit ? Qu’il peut à tout moment m’envoyer un de ses gros bras pour que je monte dans son jet privé et que je lâche tout pour aller en Italie ? Je pensais être totalement débarrassée de lui mais visiblement ce n’est pas le cas. J'aurais dû me douter qu'un jour il réapparaîtrait dans ma vie. Et comme Marco n'a pas l'air de vouloir lâcher l'affaire, mon visage commence à se durcir tandis que je croise mes bras avec autorité. J'ai en quelque sorte été sa "supérieure" pendant quelques mois, il doit bien lui rester quelques réflexes d’obéissance. Même si j’ai toujours détesté que lui et tous les autres domestiques me traitent différemment, je dois bien admettre qu’aujourd’hui je n’ai aucune honte de m’en servir.
- Je ne le répéterai pas une troisième fois. Vous allez rentrer immédiatement, lui rapporter tout ce que je viens de dire, et ne plus jamais déranger ma vie privée de cette façon !
Il s'incline légèrement en signe de respect. Il ne dit jamais bonjour, au revoir, merci, ou je vous en prie.... Il a été formé pour sortir une révérence à n’importe quelle occasion.
- Entendu mademoiselle.
Et il n'attend pas une seconde de plus pour m'obéir. Il me contourne immédiatement pour quitter la ruelle et se fondre dans la foule de New-Yorkais pressés. Toute cette histoire est complètement grotesque. Et je le réalise spécialement au moment où mon regard croise celui de Zachary, se tenant derrière moi depuis je ne sais quand.
Il a assisté à toute la scène ?!
- Un ami à toi je suppose, tente-t-il de plaisanter.
Cette remarque parvient à me détendre quelque peu. Assez pour que je cherche mes mots avec prudence cette fois. Je dois dire au revoir à ma mauvaise humeur. Parce que je lui dois bien une explication…
- Je t'ai déjà parlé de mon ex.
- Le fou des mariages oui. Pourquoi ?
- Il s'appelle Sandro, le corrigé-je en souriant. L’homme que tu viens de voir est un de ses hommes de main. Il en a une bonne dizaine à son service, ils sont chargés de sa protection et doivent obéir à chacun de ses ordres.
Au début j'étais très impressionnée par tout ça. Les gardes du corps, le grand manoir, l'argent qui coulait à flot... J’avais l'impression d'être une vraie princesse. Comme celles qu’adore tant Charlie. Mais je ne voyais pas le mauvais côté de toute cette richesse.
Cette famille a beaucoup trop tendance à considérer les autres comme leur propriété. Ils croient qu'avec du champagne et des pierres précieuses on peut acheter n'importe qui. Ils ont réussi à m'avoir oui, pendant un certain temps, mais je suis très vite revenue à la réalité.
- Apparemment Sandro veut me voir. Mais il aurait dû se douter que me faire suivre n'était pas la bonne manière de reprendre contact avec moi.
Je suis folle de rage contre lui. Après des semaines et des semaines de silence radio, il envoie un de ses sbires pour m'espionner ? C'est vraiment n'importe quoi !
- Amyra tu mérites beaucoup mieux que lui, dit alors Zachary avec conviction. J’espère que tu le sais.
Je trouve ça plutôt amusant. Quand j'ai rencontré Sandro, j'avais toujours le cœur en mille morceaux à cause de Zachary. Et le bel italien plein de charme m'avait alors dit la même chose. "Tu mérites beaucoup mieux que lui". Je l'avais cru. Et je croyais aussi qu'il était ce "mieux" que je méritais tant. Mais ce n'était pas le cas. Et aujourd'hui, les rôles sont inversés. Je suis furieuse contre Sandro, alors que j’ai pardonné à Zachary ce qu’il m’a fait. Je ne sais pas quand exactement, mais je sais que je n’éprouve plus aucune rancœur envers lui. Et je veux qu’il le sache, parce que je suis heureuse qu’il soit là. Si je m’étais retrouvée seule dans cette ruelle, sans témoin, j’aurais sûrement piqué une crise contre le monde entier après cette confrontation des plus désagréables.
- Tu es quelqu'un de bien Zachary Collins. Et si tu me fais répéter ça je te jure que je te fous mon pied au cul.
Il rit doucement en me tendant son bras.
- J'espère que c'est une promesse Amyra Salem.
Je dois forcément sourire face à l’absurdité de sa réponse. Je le connais assez bien maintenant pour voir venir ce genre de choses, pourtant il arrive parfois encore à me surprendre. Nous reprenons finalement notre route vers le loft. Pour de vrai cette fois.
Et nous arrivons sur place, sans qu’aucun nouvel « espion italien » ne vienne nous barrer le chemin, remarquant rapidement que les tourtereaux ne sont toujours pas rentrés.
J’espère vraiment qu'ils ne se sont pas perdus. En attendant je suis bien trop fatiguée pour cuisiner quoique ce soit.
- On commande des pizzas ?
- A condition que je t’invite.
Je n'ai même pas envie de protester quand je croise son regard et que je lis facilement : Laisse tomber, essayer de me faire changer d'avis ne serait qu'une perte de temps pour nous deux.
Je le connais ce regard. Je l’ai appris avec lui. Alors je ne dis rien, et me contente d’attraper le menu de la meilleure pizzeria du coin, posé comme à son habitude à côté de la télé.
Ça me fait bizarre que Zachary soit ici. Je repense à toutes ces journées passées à tourner en rond dans ce loft, à essayer de l'oublier, de le détester, de lui pardonner. L’un des trois aura au moins été une réussite. Même si je ne sais toujours pas vraiment quoi dire ou faire en sa présence. Bien qu’en repensant à tout ça, la question que je lui pose après avoir commandé les pizzas me vient comme naturellement. Comme si elle était restée dans un coin de ma tête durant tout ce temps, attendant impatiemment d’avoir sa réponse.
- Tu crois que si nos parents n’avaient jamais été mariés, et qu’on était restés de parfaits inconnus toute notre vie…on se serait vraiment remarqués ?
Il ne répond pas tout de suite. Il se met à réfléchir, comme s’il craignait de donner une mauvaise réponse. Alors qu’il n’y a pas vraiment de mauvaise réponse. Je veux simplement connaître son avis. Je me dis que je suis tombée amoureuse de Zachary en apprenant à le connaître réellement. Si je n’avais pas été forcée de vivre sous le même toit que lui pendant des années…je ne me serais sûrement pas intéressée à son existence. Si je l’avais rencontré au lycée, je l’aurais très certainement détesté. Sans aucune réelle attirance derrière ça. Je n’aurais vu que son côté arrogant, dragueur, manipulateur. Je l’aurais jugé à la manière dont il se permettait de traiter les autres filles comme si elles étaient sa propriété, et qu’il avait le droit de s’en débarrasser à tout moment. Ce qui ne les dérangeaient pas, elles auraient fait n’importe quoi pour gagner son attention ne serait que cinq petites minutes.
Et si je n’étais pas entrée dans sa vie comme un boulet de canon, soyons honnêtes, je ne crois pas qu’il m’aurait vu lui non plus. J’étais tellement timide, tellement perfectionniste que je ne savais même pas que je pouvais faire autre chose de mon temps libre que travailler. Heureusement que j’ai fini par faire la connaissance de Sofia, sinon je serais encore le nez plongé dans mes bouquins. Craignant comme la peste le monde extérieur.
- Tu veux dire que ce qui nous a poussé dans les bras l’un de l’autre, conclut Zachary en allant s’asseoir dans le canapé, c’est le fait de ne pas en avoir eu le droit ?
- Non !
Comment dire…
- Enfin si.
Je ne sais pas ce que ça veut dire ! Sinon je ne lui poserais pas la question.
- C’est ce que toi tu penses ?
Je me tiens toujours debout, face à lui, bras croisés, l’air soucieux, comme si notre discussion était d’importance capitale pour le monde entier.
Alors que lui…continue d’agir tout à fait normalement. J’ai l’impression qu’il n’en a rien à faire de tout ça. Qu’il ne se pose aucune question. Qu’il veut juste se contenter de…foncer tête baissée dans l’inconnu.
- Je pense que ce qui est arrivé n’est pas arrivé par hasard. Si on s’est rencontrés de cette façon, c’est qu’on devait se rencontrer quoi qu’il arrive.
Il se lève pour s’approcher de moi et poser sa main sur ma joue avec délicatesse. Ses yeux sont plongés dans les miens, comme s’ils cherchaient à lire chaque émotion qui pourrait traverser mon esprit à ce moment précis.
Je sais lesquelles.
La peur. L’excitation. Le regret. La confiance, mais pas en moi-même.
- Amyra, je sais que rien de ce qu’on a pu vivre jusqu’à présent n’a été très orthodoxe. On s’est rencontrés avant le mariage de nos parents. Et on aujourd’hui on se retrouve après leur divorce. On pourrait écrire un bouquin sur notre vie.
Ark, non. Tout mais pas ça.
- Peut-être pas un bouquin, ajoute-t-il amusé par ma soudaine expression de dégoût. Mais je te dis tout ça pour que tu comprennes qu’aujourd’hui les choses sont totalement différentes. On est libres de s’aimer, de sortir à la vue de tous, de ne pas être jugés. On a le droit d’être ensemble, et pourtant je suis toujours là devant toi. Il n’y a que mes sentiments qui n’ont pas changé.
Bon sang. J’aimerais pouvoir l’écouter avec mon cœur. C’est ce qu’on dit dans ces moments-là je crois. Qu’il faut savoir écouter avec son cœur plutôt qu’avec sa tête.
Mais ma tête, est une vraie tête de mule. Elle refuse de croire que tout peut être si simple.
Et si pour une fois, je décidais de la mettre en sourdine ? De me foutre royalement de son avis ?
- Zachary…
Honnêtement, je ne sais même pas ce qui serait sorti de ma bouche après ça. Et je ne le saurai sûrement jamais, puisque l’arrivée de Sofia et Mathéo met très vite fin à cette conversation. Je n’avais jamais vu ma meilleure amie aussi frustrée, qu’au moment où elle fait irruption dans le loft pour poser son regard sur nous. Eh oui, Zachary et moi sommes toujours au milieu du salon, à même pas deux centimètres l’un de l’autre. Et si la main de Zachary s’est retirée de ma joue en entendant la porte s’ouvrir, elle n’a pas été assez rapide pour échapper à Sofia, qui tient toujours la poignée de la porte, prête à ressortir à tout moment pour nous laisser de nouveau seuls tous les deux.
- Désolée, s’excuse-t-elle immédiatement en commençant déjà à pousser Mathéo vers l’extérieur. On vous dérange peut-être. On peut…
- C’est bon Sofia, la rassuré-je en m’éloignant de Zachary. On vous attendait.
La magie de l’instant s’est envolée avec notre solitude. Ça ne sert plus à rien de vouloir la faire revenir. A quoi bon…
Je vais m’asseoir sur l’accoudoir du canapé, tandis que Zachary reste silencieux derrière moi. Il doit être aussi frustré que Sofia qu’on ait été interrompus. Mais je ne peux pas reprocher son retour à celle qui m’a lâchement abandonnée un peu plus tôt pour aller se promener avec son amoureux sans me prévenir. Et je constate sans grande surprise, qu’elle tient entre ses mains le nouveau livre de Josie Woodstone.
- Sofia tu n’avais pas déjà ce livre ?
- J’ai dû le racheter pour pouvoir le faire dédicacer. Mais on n’a jamais trop de livres non ?
Par contre on n’a jamais trop d’argent. Heureusement que Noël c’était vendredi dernier sinon je ne sais pas comment elle aurait pu se permettre d’acheter un second exemplaire en plus de toutes les boutiques qu’elle va très certainement dévaliser dès demain. Sofia à New-York, ça veut forcément dire beaucoup de shopping en perspective. Il semblerait qu’après la séance de dédicaces, les amoureux ont décidé de se promener un peu. Sûrement pour ne pas rentrer trop tôt et nous laisser à Zachary et moi le temps de discuter un peu.
Je n’en veux plus à Sofia d’être partie. Elle est radieuse après sa rencontre avec son idole. J’aurais simplement aimé vivre ce moment avec elle, même si ça ne m’aurait pas autant amusée. J’aime qu’elle soit toujours aussi surexcitée, même des heures après. Mathéo aussi a l’air heureux du moment qu’il vient de passer en sa compagnie. Je me rends compte à présent, que malgré ses apparences de mec sûr de lui, charmeur, et les dizaines de tatouages recouvrant ses bras qui lui donnent un air assez imposant, en réalité il est très réservé. Et c’est ce qu’il fallait à quelqu’un de si énergique que Sofia. Les contraires s’attirent bien dans leur cas.
Les pizzas ne tardent pas à arriver. La livreuse me connaît très bien. Caly et moi sommes des clientes très fidèles de sa pizzeria puisque les talents de cuisinière de ma tante sont loin d’égaler ceux de ma mère. Alors je parle quelques instants avec elle, me renseignant sur son boulot ces temps-ci, lui racontant mon retour à Shelter Meek, et très vite, quand son téléphone sonne pour une nouvelle livraison, elle est contrainte de repartir de toute urgence pour ne pas se faire réprimander. J’ai l’impression d’empêcher tout le monde à New-York de faire son travail à force de discuter de la pluie et du beau temps.
- Tu aurais pu prendre une pizza avec de l’ananas dessus, me réprimande ma meilleure amie lorsque nous nous rendons ensemble dans la cuisine pour prendre des boissons.
- Sofia…non. Juste non.
Je lui ai déjà dit des centaines de fois que ses goûts étaient bien trop étranges pour être partagés par ceux qui l’entourent. Elle ne m’écoute jamais.
- Mathéo aime ça aussi je te signale.
Je manque de faire tomber par terre le verre que je viens de sortir du placard. Je n’arrive pas à croire, que deux personnes, appartenant à cette minorité étrange, aient fini par se trouver. Qui aurait cru que ce serait possible ? Je retrouverais presque foi en l’amour en entendant ce genre de choses.
- Bon raconte, m’interroge enfin ma meilleure amie. Qu’est-ce que j’ai gâché en arrivant ? Et est-ce que je devrais m’en vouloir toute ma vie de l’avoir fait ?
Je le savais. Je savais qu’elle ne tiendrait pas longtemps avant de me le demander. Je me contente d’hausser les épaules en attrapant une bouteille de soda et une bouteille d’eau dans le réfrigérateur, et de dire avec indifférence :
- Tu n’as rien gâché puisqu’il ne s’est rien passé.
- Tu es sûre de ça ?
Non. En fait il s’est passé tellement de choses, entre les cadeaux, la patinoire, Marco et… Marco ! J’ai failli oublier de mentionner ce détail. Après tout Sofia aussi est concernée par toute cette histoire.
Alors je pose les bouteilles sur le comptoir à côté de moi pour ne pas en lancer une contre le mur en mentionnant cet épisode catastrophique de la journée.
- Sandro veut me voir.
L’expression de mon amie a changé du tout au tout en entendant la nouvelle.
- Il t’a appelée ? Il a lancé un message à la télé pour que tu acceptes de lui parler ?
Je lui ai énormément parlé de lui quand on était ensemble, je lui avais même demandé d’être ma demoiselle d’honneur pour le mariage. Alors oui, elle le connait assez pour savoir de quoi il est capable pour arriver à ses fins. Une fois on s’était disputés lui et moi. Je crois que la distance commençait à nous monter à la tête. Et il a monopolisé tous les panneaux publicitaires de mon quartier pour diffuser un message d’excuse afin de se faire pardonner. J’avais trouvé ça mignon. C’était un geste romantique que personne n’avait jamais fait pour moi. Aujourd’hui…je réalise qu’un énorme geste coûteux, n’est pas forcément plus romantique que de deviner le cadeau parfait pour quelqu’un sans avoir demandé aucune aide. Mais je m’égare !
- Il a envoyé quelqu’un pour me faire suivre. Je ne t’en ai pas parlé hier parce que je ne voulais pas t’inquiéter pour de la simple paranoïa, mais je sentais qu’on nous espionnait depuis notre arrivée.
- Tu te fous de moi ?!
Je n’aurais sûrement pas dû lui annoncer de cette façon. Bien que je préfère le faire en ayant la capacité de lui donner un nom et une raison. Si j’avais simplement partagé mon ressenti avec elle hier, elle aurait paniqué, et aurait même appelé la police, qui finalement n’aurait rien pu faire pour une simple sensation bizarre.
- Sofia le plus important c’est que j’ai pu me débarrasser de lui.
- Non. Le plus important c’est que tu savais qu’on était suivies et tu n’as rien dit !
- Je ne le savais pas ! Aujourd’hui si, c’est pour ça que je t’en parle.
Je sentais déjà la vague de fureur qui allait s’abattre sur moi. Je me préparais d’avance à subir les cris, les reproches, la crise de panique et tout ce qui va avec. Pourtant…rien.
Mon amie garde étonnamment son calme, et se met même à sourire.
- Au moins ce n’était pas un psychopathe qui nous aurait découpées en morceaux à la moindre occasion. Non ?
- Je…suppose qu’on peut s’en réjouir en effet…
Elle me fait peur finalement quand elle ne crie pas. Parce que je ne sais pas si cette période de sérénité va durer ou si la tempête Sofia s’abattra sur moi à un moment ou à un autre. J’ai besoin d’en avoir le cœur net pour réussir à fermer l’œil cette nuit.
- Tu vas bien Sofia ? Tu es étrangement…tranquille.
- Je viens de passer une journée mémorable Amyra. Ce qui signifie que j’aimerais la garder en mémoire de la meilleure des façons. Je ne veux pas me mettre en colère, je ne veux pas être triste, je veux juste continuer sur cette bonne lancée.
Waouh. Elle s’est donc vraiment beaucoup amusée aujourd’hui. Tant mieux, si ça lui permet d’accepter un peu mieux tout ça.
- En tout cas, reprends-je légèrement soulagée, je pense que Sandro a bien compris que je ne voulais plus le revoir.
- Bien. Parce que moi non plus je ne veux jamais le rencontrer celui-là. Je suis Team Zachary.
Comme si ça je ne l’avais pas déjà compris. Comme si elle ne me le répétait pas déjà dix fois par heure. Comme si elle n’avait pas déjà inventé un « nom de ship » pour Zachary et moi. « Zachyra ». Je déteste. Ça ressemble à Shakira, que j’adore, mais je n’ai aucune envie que mon nom, mélangé à celui de Zachary, ressemble au sien. J’aurais préféré… Je ne sais pas moi, Amyry ? Ou Zamyra ?
Non mais qu’est-ce que je dis encore comme connerie ? Je ne veux aucun nom ! C’est ridicule !
- Tu es certaine qu’il a bien compris ?
Mon soudain semble subitement soucieuse quand elle me pose cette question. Et pour ne pas lui mentir…
- En fait non.
Je suis inquiète moi aussi. J’essaie de me rassurer depuis le départ de Marco que c’est le cas. Qu’il va me laisser tranquille à partir de maintenant. Mais je ne peux être certaine de rien avec lui, il est tellement têtu et imprévisible.
- Sandro n’aime pas déclarer forfait sur un refus. Je ne sais pas pourquoi il a décidé de réapparaître maintenant, mais dans sa famille, abandonner n’est pas une option.
- Et ce mec t’a vraiment plu ?
Je souris tristement à cette remarque. Malgré tout, oui, j’ai été amoureuse de lui. Eperdument amoureuse. Aujourd’hui encore je ne peux pas ressentir que de la colère envers lui, il restera à jamais dans mon cœur, c’est le premier homme avec qui j’étais prête à me marier. Avec qui j’ai songé à un futur. Mais…
- C’est de l’histoire ancienne. Je préfère ne plus penser à lui et aller de l’avant.
Elle s’apprêtait à en rajouter une couche, comme elle le fait toujours puisqu’elle ne sait jamais quand s’arrêter lors d’une conversation aussi sérieuse, mais cette fois c’est moi qui dois la stopper, en reprenant l’air le plus calme possible.
- Sofia dois-je te rappeler que nous avons des invités, et que les pizzas risquent de refroidir si les garçons ne les mangent pas avant ?
A vrai dire je ne veux plus vraiment parler de Sandro. A quoi bon remuer le couteau dans la plaie ? S’il comprend que je ne veux plus lui parler et que je ne retournerai pas avec lui tant mieux. Sinon…on verra bien. Je ne peux pas prédire ses actions. Pour l’instant je veux juste profiter de cette soirée avec ma meilleure amie, son copain, et mon ex.
Si ça ce n’est pas une bonne équipe, je ne sais pas ce que c’est !
- Je ne te demande qu’une chose Sofia, dis-je en avançant derrière elle vers le salon.
- Oui quoi ?
Mon amie ne se retourne même pas. C’est pourquoi je peux facilement secouer la bouteille que je tiens fermement entre mes mains, et l’ouvrir après avoir dit les simples mots :
- Ne me laisse plus jamais seule avec Zachary de cette manière.
Un petit cri strident sort de sa bouche au moment où le liquide glacé vient frapper son dos. Je suis surprise qu’elle ne lâche pas un seul instant les verres qu’elle était chargée de porter. Heureusement d’ailleurs, sinon je ne sais pas ce que j’aurais dit à Caly, ce sont ses préférés. Mon amie se retourne uniquement, lorsque le jet sucré perd de son intensité. Ses cheveux, ses vêtements…tout est trempé. Et si sur le moment je me sens fière d’avoir pu prendre ma revanche, et de pouvoir rire sans même me retenir, je trouve avec cette petite plaisanterie, l’opportunité de pouvoir récupérer quelque chose dans ma chambre en l’accompagnant à l’étage pour se sécher, avant de la laisser totalement à Sofia. Mathéo et elle vont y dormir, Zachary aura comme prévu la chambre d’invités, et moi je vais prendre celle de Caly. Tout simplement parce que ma tante me tuerait si je laissais quelqu’un d’autre que moi dormir dans son « repère », et parce qu’il était absolument hors de question que Zachary entre dans le mien. Il y a bien trop de choses là-bas qui pourraient attirer son attention.
Alors tandis que les garçons sont trop occupés à choisir un film à regarder en bas, et que Sofia se dispute avec ses vêtements collants dans la salle de bains, je vais prendre le précieux appareil que je préfère garder avec moi, pour le mettre sur le bureau de Caly à côté du grand lit. Je prends quelques minutes pour admirer le tourne-disque que je n’ai jamais été aussi heureuse de posséder que maintenant. Le tourne-disque de l’antiquaire dont me parlait Zachary aujourd’hui encore. Il ne sait pas que c’est moi qui l’ai. Il ne sait pas qu’il y a quelques mois j’ai contacté le propriétaire de la boutique pour le convaincre de me l’envoyer en échange d’une petite fortune. Il ne sait pas qu’à chaque fois que je l’utilise, je ne peux pas m’empêcher de penser à notre escapade en amoureux.
Peut-être que je lui dirai un jour. En attendant, je préfère que les choses restent comme elles sont. Et j’ai très hâte d’utiliser ce tourne-disque.
Pour écouter mon cadeau de Noël…

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