CHAPITRE XII

Le 25 décembre a été assez mouvementé cette année. A peine réveillée et remise de la soirée de la veille, j'ai dû aller chercher Sofia chez elle. Son oncle Gus avait encore frappé. Et cette fois-ci, il avait fini par faire une victime. La pauvre table basse en verre, n’avait pas supporté la danse qu’avait exercé l’ivrogne sur elle. Et malheureusement pour lui, ce dérapage de trop avait suffi à mettre la famille tout entière de Sofia dans tous ses états. Elle ne m’a pas tout raconté, mais à en croire son ton dans la voiture lorsque je l’ai récupérée, il valait mieux pour moi ne rien savoir. Je sais de quoi son oncle est capable, c’est pourquoi je n’ai même pas pris la peine d’entrer pour saluer tout le monde. Bon sang la mère de Sofia devait être folle de rage, la connaissant elle a dû se retenir de ne pas appeler la police pour faire incarcérer le temps d’une nuit son pauvre frère. Tout ce que je souhaite, c’est que Sébastian ne devienne jamais comme ça !
En tout cas, ma mère était plus qu’heureuse d’avoir une bouche de plus à nourrir lorsque nous sommes arrivées. Sébastian dormait toujours dans le canapé, mon grand-père buvait son café habituel et ma grand-mère commençait déjà à planifier le dîner du nouvel an. D’ailleurs, assister à sa conception, m’aurait presque donné envie d’annuler mon voyage à New-York si Sofia n’avait pas été là pour me parler encore et encore de toutes les activités qu’elle attendait de faire avec impatience. Je n’ai même pas pris la peine d’évoquer le changement de comportement de Sébastian avec elle. J’ai eu ma confirmation lorsque je lui ai raconté l’arrivée imprévue de Zachary hier soir. J’aurais cessé de me méfier d’elle, si elle n’avait pas simplement réagi par un « Vraiment ? », à peine surpris. Elle ne fera jamais de théâtre ça s’est certain ! Mais je lui en suis énormément reconnaissante. Un jour je lui dirai, mais pour l’instant, je préfère la laisser croire que je ne me doute de rien. Après tout, quand on fait une bonne action, elle est toujours plus gratifiante lorsque la personne qui en bénéficie ne sait pas qui est son ange gardien…
C’est en fin d’après-midi, après avoir dit au revoir à ma mère pour quelques jours, et à mes grands-parents pour je ne sais combien de temps, puisqu’ils seront déjà repartis quand je rentrerai, que je décide de faire un tour chez les Collins pour y déposer les cadeaux de Charlie et Dorian. Zachary n'était pas là, j’ai cru comprendre qu’il travaillait ce soir. Le jour de Noël. Ça me fait de la peine pour lui et pour la petite qui aurait sûrement voulu avoir son grand frère près d’elle toute la journée. C’est pourquoi j’ai dû rester une bonne heure là-bas. Charlie m'a épuisée et Dorian m'a sorti tout son stock de blagues. Je me suis sentie comme chez moi. Rien n’avait changé, mis à part l’absence de ma mère dans la grande maison, qui me semblait bien vide. C’était la première fois depuis l’officialisation du divorce que je venais ici, que je voyais Dorian. Je sais que je serai toujours la bienvenue sous ce toit, même si ce n’est qu’en tant qu’invitée. Très peu de beaux-parents peuvent se vanter de garder ce genre de relation avec l’enfant de leur ex-conjoint. Et ça me rend heureuse.
Je suis ensuite rentrée à l'appartement, où Sofia était en train de choisir ses vêtements finaux pour le voyage. Vêtements qu'elle a ensuite commencé à mettre dans sa valise dès le lendemain. Toute la journée. Absolument, toute la journée n’a servi qu’à ça.
J'ai bien sûr dû l'aider à la fermer puisque madame l'avait trop remplie. Et j'ai été obligée de prendre le reste de ses affaires dans ma valise à moi. Je suis soulagée d’avoir du linge à New-York, sinon j'aurais eu le nécessaire pour seulement deux jours. Et jamais, ma meilleure amie ne m’aurait prêté ses nouveaux vêtements. J’ose en tout cas espérer que cet appartement n’avait jamais été aussi bordélique. Des sous-vêtements accrochés jusque sur la télé, le lavabo de la salle de bains rempli de toutes sortes de pinceaux pour fond de teint, blush, poudre, sourcils… J’ai même retrouvé sa carte d’identité dans le réfrigérateur. Je crois que personne ne peut égaler Sofia pour ce qui est de mettre le bazar. Elle m’étonnera toujours. J’espère qu’à son retour au loft, Caly ne retrouvera pas de ceintures en cuir imitation crocodile dans notre congélateur…
Heureusement, que le moment de lâcher prise que j’attendais avec impatience, finit par arriver lorsque je passe les portes de La Partition avec ma meilleure amie qui continue pourtant de parler bagages. Elle ne s’arrête donc jamais ?!
- Sofia !  
Je l’attrape par les épaules, tentée de la secouer dans tous les sens sans interruption jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus prononcer le moindre mot.
- Chérie ta valise est fermée, ton appart est rangé, nos billets sont dans nos sacs, et c’est notre dernière soirée ici avant une semaine entière, alors s’il te plaît est-ce que tu pourrais arrêter de stresser pour tes bottes et tes vestes ?
D’abord surprise, je vois toutes les rides de son visage disparaître en rien de temps. Parce qu’en effet, quand elle commence à se faire trop de soucis à propos de quelque chose, elle se met à vieillir plus rapidement que n’importe quel retraité de ma connaissance. Elle m’adresse un sourire désolé en hochant la tête.
- Excuse-moi. C’est juste que je suis tellement heureuse d’aller à New-York avec toi.
- Oui et je le suis aussi. Mais on ne décolle pas avant demain alors jusque-là, essaies de rester parmi nous. A Shelter Meek.
- D’accord.
Je me sens enfin capable de la lâcher. Je suis convaincue qu’à un moment ou à un autre elle va craquer et reprendre sa folie, je suppose donc que je ferais mieux d’apprécier sa tranquillité passagère.
- Si tu en as déjà marre d’elle, comment tu vas la supporter à New-York ?
Je jette à Sébastian un regard désapprobateur. Mon frère vient à peine d’arriver, qu’il cherche déjà à énerver ma meilleure amie. Leur trêve n’aura été que de courte durée. Même moi je ne suis pas une assez bonne raison pour qu’ils s’apprécient. Et Sofia aurait lancé sans hésiter une seule seconde toutes les remarques les plus cinglantes qu’elle puisse avoir en stock, si quelque chose au loin n’avait pas attiré son attention au même moment.
Je devine, rien qu’à son regard étincelant, que ce quelque chose, est en réalité un quelqu’un, qui est assis au bar derrière moi. Un jour il faudra vraiment qu’elle arrête de se comporter comme une groupie hystérique avec lui.
- Je reviens tout de suite, nous informe-t-elle alors avant de partir vers son « âme-sœur ».
C’est ainsi que je me retrouve seule avec mon frère, condamnée à la regarder roucouler toute la soirée avec le beau Mathéo.
- Elle ne reviendra jamais, dis-je sur un ton désespéré m’étonnant moi-même.
- Dans ce cas il y aura plus de verres pour moi.
- Comment ça ? Je ne crois pas t’avoir dit que je te paierais quoique ce soit.
- Alors pourquoi tu m’as invité dans un bar ?
C’est vrai qu’avec lui il faut toujours une raison à tout. J’aurais dû être plus précise hier quand je lui ai proposé de nous accompagner Sofia et moi. Je me disais que ça lui changerait peut-être les idées de sortir un peu. Je sais qu’il dit ne pas être affecté par cette rupture dont je n’étais même pas au courant. Et je sais que quelqu’un comme Sébastian n’ira jamais chercher du réconfort auprès de sa petite sœur. Mais moi je veux lui en donner. Je veux être présente pour lui dès que possible.
Mais malgré tout, je ne suivrai pas l’exemple de Caly en le laissant noyer son chagrin dans des bouteilles de whisky ou de vodka. Si je n’avais compté que sur ses conseils après Sandro, je serais sûrement au même stade que l’oncle de Sofia aujourd’hui.
- Un de nos amis joue ici ce soir. Et comme c’est la dernière fois avant sept longues journées que j’ai l’occasion de voir mon grand frère chéri…
- Je ne t’ai pas vue pendant une année entière. Je n’en suis pas mort.
- D’accord ! Un verre. Mais pas plus.
Je suis heureuse de le voir rire. Et je le suis encore plus, parce qu’il le fait avec moi. Notre dispute n’est plus qu’un lointain souvenir que je me ferai une joie d’effacer de ma mémoire.
- Tu es venue ! se réjouit une voix familière derrière moi.
Je me retourne rapidement pour prendre dans mes bras la star de la soirée qui me rend très vite mon étreinte. On en est déjà au stade des câlins. Je remarque ensuite une chose sur son visage que je ne vois pas en général quand on se croise dans l’ascenseur de l’immeuble. Une chose qui me fait sourire.
- Tu n’as pas trop le trac j’espère ?
- Qui ça, moi ? reprend Andrew très peu sincère. Tu viens de m’apprendre ce mot figure-toi.
Je dois sourire pour essayer de le détendre un peu. On voit tout de suite, rien qu’à sa façon de jouer avec ses mains, qu’il n’est pas du tout rassuré à l’idée de monter sur scène.
C’est alors que je pose mon regard sur mon frère, toujours à ma droite, qui…fixe mon nouvel ami avec un sourire assez béat sur les lèvres. Minute. Il est sérieux là ?
Je ne sais pas comment je fais à ce moment-là pour ne pas éclater de rire. Je ne suis pas une sœur si terrible. Mais je m’amuse beaucoup en voyant son air sidéré. Alors c’est à ça que ressemble Sébastian Salem quand il est attiré par quelqu’un ? C’est adorable ! On dirait un petit chiot inoffensif dont on voudrait pincer les joues. Et je dois le dévisager un peu trop longtemps, puisqu’Andrew fini par s’apercevoir de sa présence.
- C’est ton petit-copain ? me demande-t-il avec une curiosité qui me mettrait presque la puce à l’oreille si cette question ne me paraissait pas plus qu’absurde.
- Bien sûr que non ! crié-je presque avec dégoût.
Les yeux de Sébastian se mettent à me lancer des éclairs lorsque l’intonation de ma phrase effraie légèrement le pauvre Andrew qui ne réalise même pas ce qu’il vient de dire. Je dois me rattraper ! Mais pour ma défense, l’idée de sortir avec une personne comme mon grand frère, que je connais depuis assez longtemps pour affirmer qu’il mangeait des vers de terre à même le sol en primaire…non. Ça m’écœure. Je l’adore. Mais ça m’écœure.
- En fait c’est mon frère. Je me suis permise de l’inviter.
Et c’est là que je le vois. Le même sourire béat, apparaît chez Andrew lorsqu’il se tourne vers mon frère en lui tendant sa main.
- Tu as bien fait de venir. Je m’appelle Andrew.
Mais qu’est-ce qui est en train de se passer ?!
- Sébastian, répond mon frère en serrant sa main.
Leurs regards sont si…ils ne se quittent plus des yeux en fait. J’en suis presque gênée, j’ai l’impression d’être de trop dans le tableau. Je n’ai qu’une seule envie, c’est de m’éloigner le plus possible de ces deux-là.
Celui que je suppose être l’organisateur de la soirée, les interrompt finalement comme je n’aurais jamais su le faire, en commençant un discours de bienvenue dans le micro. Andrew lâche alors la main de mon frère, pour nous faire une révérence.
- Je dois rejoindre les autres artistes. Mais j’espère vous revoir après le spectacle.
Son invitation à rester m’a l’air bien plus adressée à celui qui se tient à côté de moi, qu’à ma personne.
- Ouais on est là pour un moment, lui indique ce cher Sébastian qui a déjà oublié que je dois prendre un avion dans quelques heures.
- Génial. Alors à tout à l’heure.
J’aimerais lui souhaiter bon courage. J’aimerais au moins l’encourager un peu en lui disant qu’il va assurer. Que je l’ai déjà entendu jouer et chanter, et que j’avais été impressionnée. Mais je n’arrive pas à le faire, puisque toute son attention à mon égard s’est totalement volatilisée.
Heureusement pour lui qu’il y a une bonne raison à ça.
Et je me tourne vers la raison, dès que notre guitariste est assez loin pour ne pas m’entendre donner un coup dans l’épaule de mon frère qui se met à râler.
- Tu deviens folle ?!
Le revoilà. Il aura suffi qu’Andrew disparaisse pour qu’il retrouve son sale caractère. Mais je ne suis plus dupe. Je ne vais plus jamais le lâcher avec ça. Je viens d’assister à un événement surnaturel.
- C’était quoi ça Sébastian ?
- De quoi tu parles ?
- De ce truc entre toi et le voisin de ma meilleure amie qui m’a donné envie de rentrer immédiatement à New-York pour m’éloigner le plus possible de vous deux.
Non mais je rêve ! Et maintenant il rougit ?! Il rougit !
C’est un des meilleurs moments de ma vie !
- Je n’aurai pas cette discussion avec toi Amyra.
- On est déjà en train de l’avoir.
- Tu te comportes comme une enfant.
- Pas du tout. Mais si tu insistes…
Je me mets à chantonner en sautillant devant lui « Sébastian aime Andrew », jusqu’à ce qu’il décide d’enrouler son bras autour de mon cou pour plaquer sa main sur ma bouche en souriant, afin de pouvoir me traîner jusqu’au bar en me faisant taire pour de bon. Oui je me moque, mais en réalité…je suis simplement heureuse. Andrew est quelqu’un de bien. Je ne le connais pas depuis longtemps, mais je sais qu’il serait parfait pour briser un peu la carapace de mon frère. Je ne réalise toujours pas ce qu’il vient de se passer. Waouh !
Sofia vient nous rejoindre au moment où Sébastian entame son premier verre, l’air légèrement ailleurs. Ou absorbé par celui qui fera très bientôt son arrivée sur scène. Ce que ma meilleure amie remarque plus vite que je ne l’aurais pensé. Je devrais arrêter de la sous-estimer, elle saurait repérer le regard de l’amour même à des milliers de kilomètres.
- Pourquoi est-ce que Sébastian a l’air d’avoir croisé l’amour de sa vie ?
- Je t’emmerde Sofia, répond du tac au tac mon grand frère qui n’a de toute évidence pas perdu l’usage de ses oreilles. Je vais me rapprocher de la scène, tu viens Amyra ?
- Je te rejoins.
Je le regarde s’éloigner sans même m’attendre ou insister. Je l’observe attentivement, s’asseoir à une table, et attendre patiemment.
C’est le regard interrogateur de Sofia qui me ramène à la réalité lorsque je tourne finalement la tête vers elle.
Elle veut sa dose de potins.
C’est une vraie commère celle-là.
Mais…moi aussi !
- Il semblerait que Sébastian et Andrew se soient tapés dans l’œil.
Je paierais cher pour pouvoir filmer la tête que fait mon amie à l’entente de cette phrase. Un mélange de surprise, d’incompréhension, et d’excitation.
- Je savais qu’Andrew était gay ! s’écrie-t-elle en attrapant mon verre.
- Non tu n’en savais rien.
- Non c’est vrai je n’en savais rien.
Je devrais reprendre mon verre de ses mains. Mais le temps que je réagisse, elle en a déjà bu la moitié. Il est hors de question qu’elle boive trop ce soir. Si elle le fait, qui va devoir la tenir pour rentrer quand elle sera trop soule pour marcher ? Et qui devra supporter sa gueule de bois dans l’avion demain ? Non je ferais définitivement mieux de la surveiller ce soir.
- En fait je pensais qu’il te draguait toi, poursuit mon amie une fois rassasiée.
- Quoi ? Bien sûr que non.
Je n’arrive pas à croire qu’elle ait pu penser un seul instant qu’Andrew était intéressé par moi. Il se comportait avec moi comme un simple ami, et je le lui rendais bien. De nos jours, un homme et une femme ne peuvent pas bien s’entendre sans pour autant chercher à coucher ensemble aux yeux du reste du monde. Et j’aurais dénigré cette idée reçue, si Sofia ne s’était pas soudain mise à faire une moue dégoûtée.
- Ça va ? lui demandé-je inquiète.
- Je crois que j’ai bu un peu trop vite.
Et avant même que je puisse lui faire la leçon, mon amie s’empresse de courir vers les toilettes en se tenant la bouche. Non mais je vous jure…
Et c’est bien évidemment au moment où elle passe la porte des toilettes, que Mathéo surgit à côté de moi avec deux bières dans les mains.
- Où est Sofia ?
Allée vomir.
- Elle est allée se remettre du rouge à lèvres.
Je me déteste pour avoir employé cette excuse stupide, qui sonnerait un peu trop antiféministe, si Sofia ne passait pas réellement son temps à faire en sorte que son rouge à lèvres soit parfait. Je jette un coup d’œil aux verres que pose alors Mathéo à côté de moi. Un pour Sofia, que malgré tout elle finira par boire. Pour quelqu’un qui a un exemple parfait d’alcoolisme assez élevé à portée de main, je trouve qu’elle ne sait vraiment pas reconnaître ses limites. Mais qui serais-je pour la juger quand je commande un second verre pour remplacer celui qu’elle m’a à moitié volé.
Et tout serait parfait au final, si Mathéo n’était pas toujours à côté de moi, totalement muet. Attention, je ne suis pas en train de le lui reprocher. Moi non plus je ne sais pas quoi dire. Il sort avec ma meilleure amie, et j’ai une histoire compliquée avec le sien. Mais tous les deux on n’a pas vraiment de sujets de conversation. On ne se connaît pas. C’est peut-être dû au fait que Zachary n’ait jamais voulu nous présenter ses amis à l’époque du lycée. Pourtant comme je le pensais, Mathéo n’a rien à se reprocher niveau comportement. Surtout si Sofia veut de lui, les mauvais garçons ne l’ont jamais réellement attiré. Pas comme moi malheureusement.
- Je voulais te remercier de nous inviter à New-York, dit enfin ce dernier comme si le silence qui régnait le gênait autant que moi. C’est vraiment sympa.
Je suis soulagée qu’il ait trouvé quelque chose à dire. Bien que ce sujet soit assez mince, il fera sûrement l’affaire.
- Je t’en prie ce n’est rien. J’ai beaucoup de place chez moi et ça fait plaisir à Sofia. Alors ça me fait plaisir à moi aussi.
Un ange passe…
Non. Ce sujet ne fait pas du tout l’affaire.
Pourtant celui que je choisis ensuite pour combler le blanc ne me semble pas non plus adapté. Mais ça je ne m’en rends compte qu’une fois la connerie dite. Comme toujours !
- Zachary n’est pas avec toi ?
Amyra... Par quelle logique, as-tu pu croire que parler de lui avec son meilleur ami serait une bonne idée ?!
- Non il travaillait ce soir, me répond pourtant très naturellement Mathéo. Il ne te l’a pas dit ? Il était supposé travailler le week-end prochain mais comme il voulait partir à New-York il a dû s’arranger avec son patron pour tout décaler à ce week-end.
Alors…c’est pour ça que vendredi il n’était pas chez son père. Et que ce soir il ne peut même pas sortir avec son ami. Je me sens bête maintenant de lui avoir proposé aussi tard. Je n’aurais pas dû le faire, il ne se serait pas donné tout ce mal. Quel…adorable crétin !
Je choisis d’aller rejoindre mon frère quand j’aperçois Sofia sortir des toilettes du coin de l’œil, et Andrew monter sur scène non pas avec sa guitare ordinaire, mais avec une guitare électrique assez brillante pour aveugler quiconque s’approcherait trop de la scène.
J’admets que n’importe quelle autre excuse pour ne pas rester une seconde de plus seule avec Mathéo aurait été bonne à prendre à cet instant. Il est gentil mais…il parvient à me faire culpabiliser sans même essayer !
Après sa démonstration de l’autre soir, je ne suis pas étonnée de voir Andrew, accompagné cette fois-ci d’un batteur, d’un bassiste et d’un claviériste tous aussi doués que lui, mettre le feu à la scène comme jamais. Assise à côté de mon frère je l’écoute interpréter à la perfection l’un de mes titres préférés de Bon Jovi. Ça me rappelle de bons souvenirs. Comme Caly et moi, en nuisettes, hurlant « It’s My Life ! » en sautant sur le canapé, des bouteilles de vins à la main, prêtes à recevoir cinquante plaintes du voisinage tout entier le lendemain. Ça va me faire bizarre d’être à New-York sans elle demain. Mais pour l’heure, je profite d’être ici. Avec mon frère, et l’incroyable Andrew dont le talent ne cessera jamais de m’étonner.
C’est après une bonne heure seulement, après avoir remercié les autres musiciens et ses amis venus l’applaudir, que ce dernier vient à notre table, en sueurs. Chanter du Bon Jovi, c’est comme faire une séance complète à la salle de sport. C’est pourquoi je ne lésine pas sur les applaudissements. Et Sébastian non plus…
- Je n’ai entendu que vous, nous remercie Andrew en riant.
Je vois bien que tout le stress de tout à l’heure a complètement quitté son corps. Et ça me fait plaisir, je le préfère comme ça.
- Je vous offre un verre ?
J’aurais accepté, si Sofia n’était pas apparue dans mon dos en riant pour aller sauter au cou d’Andrew.
- Tu as été incroyable ! J’étais…j’y étais totalement !
D’accord. Elle est bourrée.
Mathéo vient à son tour pour échanger une poignée de mains avec le rouquin qui est toujours prisonnier de ma meilleure amie.
- C’était énorme. Bravo à toi.
- Merci. Je te prête ma guitare si tu veux.
Je sens comme de la gêne émaner de Mathéo à ce moment-là. Pourquoi il serait gêné ? Je croyais qu’il jouait lui aussi.
- Non merci ça va. Je ne joue plus c’est fini pour moi.
Je ne comprends pas tout ce qu’il se passe. Mais ce que je sais, c’est qu’il est temps pour Sofia d’aller se coucher.
- Bon je pense qu’on devrait rentrer, déclaré-je en sautant de ma chaise pour aller arracher une Sofia à moitié endormie des bras du pauvre Andrew. On prendra ce verre une autre fois.
Je suis assez étonnée de constater que Mathéo n’a pas montré le moindre signe de jalousie. Il est très compréhensif. Ou alors il sait qu’Andrew est gay. Dans tous les cas, je me tourne vers lui en tentant tant bien que mal de soutenir la belle au bois dormant.
- Tu m’aides ?
- Ouais bien sûr.
Une fois les bras libres, mon regard se pose sur mon frère qui n’a pas bougé de sa chaise. Je ne m’en veux plus de le laisser ici et de partir demain. Et il répond à la question que j’allais lui posais avant même que j’ouvre la bouche pour le faire.
- Je vais rester encore un peu moi. On se revoit dans une semaine.
Je dois me retenir de ne pas trop sourire. Parce que sinon je le vois venir, il va me dire que je lui ai fait honte en montrant trop de joie. Ce n’est pas ma faute si je suis heureuse pour lui ! C’est mon frère, j’ai le droit de me réjouir de son bonheur non ?!
Je le prends tout de même dans mes bras, en m’assurant de bien chuchoter à son oreille :
- Passe une bonne soirée surtout.
Et je pars, sous son regard accusateur qui à mon avis ne fera pas long feu. Je me demande bien comment ça va se passer entre eux. Je me fais peut-être des films pour rien. Ils ne s’entendront peut-être pas. Ou alors ils s’entendront mais ça ne fonctionnera tout simplement pas. Non je m’avance trop. C’est la vie amoureuse de Sébastian, je vais éviter de m’en mêler davantage avant de tout gâcher.
Mais si ça fonctionne…je m’assurerai que tous les invités à leur mariage sachent qui est à l’origine de leur histoire !

Le lendemain, j’ignore comment Sofia peut être aussi réveillée vu l’état dans lequel elle était la veille, mais elle court dans tous les sens avec excitation comme une petite fille ! Je suppose que moi j'ai tellement pris l'avion ces trois dernières années que je me sens habituée à tout ça maintenant. Alors je la laisse être heureuse et je l'observe amusée, jusqu'à ce qu'on monte dans l'avion. Où je dors durant la totalité du trajet, complètement épuisée pour ma part !
Une fois arrivées à New-York, j'ai l'impression de retrouver mon chez-moi. Ce qui est assez déstabilisant puisque j'ai eu la même impression en retournant à Shelter Meek. Pourtant ces deux endroits sont entièrement différents. Ici il fait terriblement froid, les gens nous remarquent à peine comme si on n'existait pas, et tout va beaucoup plus vite. Le temps est comme accéléré. Sofia et moi prenons un taxi, qui permet à mon amie de poursuivre son émerveillement. Elle prend des photos de chaque building, de chaque magasin, de chaque restaurant, de chaque passant, discute avec le chauffeur des lieux touristiques, et complète ses listes au fur et à mesure. Ça me fait plaisir de la voir comme ça. Depuis le temps que j'attends de l'emmener ici, de lui faire découvrir cet endroit fascinant que je découvre encore moi-même chaque jour.
Quand on arrive enfin au loft, j'ai à peine le temps de payer le chauffeur que Sofia est déjà en train de m'attendre à l'entrée. Maintenant c'est clair, j'ai trouvé pire que Charlie. Ce que je pensais être totalement impossible. Et une fois à l'intérieur, je la laisse visiter l'endroit toute seule pendant que je m'écroule dans le canapé. Mon magnifique canapé blanc et moelleux qui m'avait tant manqué. Je suis quand même contente d'être de retour. J'aime beaucoup l'appartement de Sofia, mais on y est beaucoup trop à l'étroit. Le salon du loft est deux fois plus grand que toutes les pièces réunies de son appartement. Et je ne vais plus être obligée de dormir sur un matelas par terre.
J'ai rêvé du moment où je retrouverais mon lit !
- C'est pas vrai !
Je sursaute en entendant mon amie hurler à l'étage. Pas de repos pour moi aujourd’hui…
Je monte les escaliers à toute vitesse, songeant au pire, pour finalement la trouver dans ma chambre, devant mon dressing. Elle me regarde bouche-bée comme si elle venait de découvrir le trésor enfoui du Titanic. Ce qui me fait évidemment sourire. Je ne voulais pas de tous ces vêtements, mais Caly insiste toujours pour m'en acheter de nouveaux. Parfois elle en achète sans me le dire et va les ranger elle-même dans mon dressing. Je me rends alors compte bien plus tard de leur présence, quand il est déjà trop tard pour les refuser.
- Fais comme chez toi, annoncé-je en riant avant d'aller m'asseoir sur mon lit. Mais ne mets pas le bazar je te rappelle que les garçons arrivent mardi.
Mathéo et Zachary ne pouvaient pas prendre l'avion aujourd'hui. Alors ils nous ont dit qu'ils nous rejoindraient après-demain, le temps de prévoir le nécessaire et de faire les bagages. Sofia était effondrée de ne pas pouvoir passer sa première journée à New-York avec son amoureux. Mais visiblement elle s'en est bien remise.
Il commence déjà à faire nuit. Ce qui s’explique en additionnant le décalage horaire, au retard de deux heures de notre avion à cause d’une escale imprévue ! Et c’est après une bonne demi-heure de visite du loft, que je décide d'emmener Sofia manger dans mon restaurant chinois préféré juste en face. J'y vais tellement souvent que tout le monde là-bas me connaît. J’aime peut-être un peu trop la cuisine chinoise…
- Cette ville est incroyable, déclare mon amie entre deux bouchées. Je comprends maintenant que tu sois aussi épanouie ici.
Sa remarque me fait sourire, puisqu'elle n’est qu’à moitié vraie.
- Ce n'est pas que New-York qui me fait cet effet. J’adore vivre ici, mais c’est surtout le fait de voyager, et d'avoir mon indépendance qui me plaît autant. Je vis avec Caly mais elle me traite comme une adulte, je suis libre de faire ce que je veux sans avoir à me justifier sans arrêt.
- Je vois ce que tu veux dire. Je me sens beaucoup mieux depuis que j'ai quitté ma maison de tarés. Je savais bien qu’un jour mon oncle finirait par casser cette table !
La pauvre. Je ris beaucoup de sa situation, mais c'est vrai que sa famille n'est pas idéale si on recherche le calme. D'un autre côté, elle au moins, elle peut se vanter d'avoir une vraie famille. Pas une famille éparpillée dans les quatre coins du globe. Il lui suffit de faire quelques pas pour aller voir ses parents et quelques minutes en voiture pour voir le reste de sa famille. Moi il me faut plusieurs heures de vol rien que pour voir ma mère, mon père ou mon frère. Et je ne parle même pas de mes grands-parents, ou de mon seul oncle.
Pour me réconforter, je me suis toujours dit que cette distance ne faisait que rendre les retrouvailles plus réjouissantes. Et c’est vrai quand on y réfléchit bien.
A la fin du repas, je crois apercevoir un visage familier que je n’aurais jamais cru revoir un jour à l'extérieur du restaurant. Visage qui disparaît presque aussitôt dans la foule de passants, au moment où il se sent repéré. C’est impossible. Qu’est-ce que ce gorille ferait à New-York ? Ça devait être mon imagination.
J’essaie de mettre ça de côté dans mon esprit pour ne pas affoler mon amie, quand on rentre enfin au loft pour s'installer dans le canapé avec un bon verre de vin et des couvertures. La différence de température est vraiment impressionnante. Surtout pour Sofia qui n'y est pas habituée. Elle est complètement gelée, malgré le chauffage. Mais ça lui passera je le sais. Elle ne remarquera même plus le froid dans deux ou trois jours.
Surtout quand Mathéo sera là pour la réchauffer…

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