CHAPITRE VIII

Je suis en route vers le bungalow de ma mère avec Sébastian. Aucun de nous ne parle durant la totalité du trajet, parce qu'aucun de nous ne veut aborder le sujet déprimant du jour. Le divorce. Oui, même lui trouve ça déprimant. Lui qui depuis le jour de sa rencontre avec Dorian, n’avait rêvé que d’une seule chose, qu’il disparaisse à tout jamais de sa vie. De nos vies. Alors c’est un silence total et glacial, qui règne dans la voiture, jusqu’au moment où je me gare dans le petit parking de graviers. Mon frère ouvre alors sa portière, prêt à descendre, quand il remarque avec inquiétude que je reste assise droite comme un piquet, ceinture toujours attachée, les mains crispées sur le volant que je refuse pour je ne sais quelle raison de lâcher.
- Tu ne viens pas ?  
Je ne peux pas. Pas encore du moins.
- Je te rejoins.
C’est après une courte hésitation, qu’il finit par me laisser seule. Je dois souffler un bon coup en posant ma tête sur le volant dès qu’il n’est plus dans mon champ de vision, soulagée d’avoir ce court instant de solitude et de répit avant de devoir entrer pour affronter, quoique ce soit qui se trouve derrière cette porte.
Tout en jetant un coup d’œil dans le rétroviseur pour m’entraîner à feindre de sourire, je passe ma main dans mes cheveux en tirant doucement dessus comme pour lâcher mes nerfs sur quelque chose. Je ne supporte pas ça. Je ne supporte pas d'être dans le flou. Ce matin j’ai l’impression que toutes les inquiétudes que je me retenais d’avoir jusqu’à maintenant ont ressurgi comme un ballon de basket en pleine figure. Je voulais me rassurer, croire que tout allait bien se passer. Mais aujourd’hui tout est devenu si…réel.
Par exemple, je sais que ma mère dit vouloir démissionner, mais après ? Elle loue ce bungalow. Elle ne pourra pas y rester éternellement. Et…jusqu’à maintenant elle n’avait jamais vraiment vécu seule sur une aussi longue durée. Je ne la vois pas prendre un appartement, trop petit pour elle. Je ne la vois pas non plus emménager dans une grande maison, toute seule. Elle déteste les grandes villes, mais vivre isolée de tout comme actuellement, la rendrait sûrement folle au bout de quelques mois. Qu’est-ce qu’elle va faire ? Vivre au jour le jour ? Dépenser tout l’argent qu’il lui restera en voyages jusqu’à trouver l’homme qui lui fera oublier son ex-mari et sa solitude ? Oui bien sûr je pourrais lui proposer de venir vivre avec Caly et moi, cela dit, ça serait trop compliqué. Sa relation avec sa sœur est déjà assez tendue, j'ignore si les faire vivre sous le même toit est une bonne idée...
Mais je ne m’inquiète très certainement pour rien. Ma mère est une adulte, elle saura se gérer. Elle saura se débrouiller, et dans le cas contraire…elle ne sera pas non plus abandonnée et livrée à son triste sort. Pour l’instant c’est tout ce que je peux et dois faire, être là pour elle. Prendre de ses nouvelles. Et faire comme si toutes ces interrogations n’existaient pas juste pour aujourd’hui.
Je sors donc enfin de la voiture pour commencer à me diriger vers le bungalow. Et lorsque j'entre enfin dans la petite maisonnette, je n'y trouve personne. Pourtant…je me rends instinctivement dans la cuisine, où je ne suis pas vraiment surprise de trouver ma mère, en tablier, en train de courir dans tous les sens avec une plaque remplie de cookies dans la main droite. La cuisine. C'est son médicament post-divorce. Quand celui avec notre père a été officialisé, elle a passé des semaines et des semaines en cuisine à préparer toutes sortes de pâtisseries, de viennoiseries, ou de repas gastronomiques dignes des plus grands restaurants. Elle n'en sortait presque jamais. J'avais même l'impression qu'elle dormait là-bas pour se réveiller aux aurores et reprendre ses petits plats là où elle les avait arrêtés. A moins qu’elle ne dormait pas du tout. Quand ses amis lui apportaient des paniers de confitures ou de muffins pour la réconforter, ils repartaient avec huit autres paniers différents, pleins à craquer de nourriture.
Au début j'étais heureuse de la voir comme ça, je pensais que ça allait et j'étais trop jeune pour ne pas être séduite par tant de bonnes tentations. Mais aujourd'hui, je vois immédiatement sa détresse. Les cernes énormes sous ses yeux roses et gonflés, et ses mains tremblantes quand elle retire ses maniques pour tourner les boutons du four.
Elle ne va pas bien. Et je fais comme si je n'avais rien remarqué. Je ne veux pas qu'elle se sente obligée de se cacher encore plus pour ne pas nous inquiéter. J'affiche un grand sourire sur mes lèvres, comme je m’étais entraînée à le faire dans la voiture, puis je vais rejoindre mon frère assis à la table de la cuisine. Il a l'air aussi préoccupé que moi quant à l'état de notre mère.
- Amyra ma chérie ! s'exclame-t-elle en enfournant une seconde plaque dans le four. Assieds-toi, j'ai fait des cookies aux trois chocolats. Vos préférés.
Non. En fait ce sont les préférés de Dorian. Il en raffole. Sébastian et moi échangeons un même regard pour nous mettre d'accord sur le fait qu'il ne vaut mieux pas préciser ce détail, et j'attrape un des cookies dans l'assiette posée devant moi. Je croque dedans. Comme d'habitude, c'est un pur délice.
- Ils sont délicieux maman.
- Elle a raison, ce sont les meilleurs que j’aie jamais mangé.
- Vous êtes adorables.
Elle saisit ensuite un bol rempli de pâte sur le plan de travail, son fouet, et commence à tout mélanger avec force en se tournant vers nous, un air plus qu’enjoué sur le visage.
- Vous restez manger ce midi j'espère. Je vais vous préparer un bon gratin de pâtes, vous m'en direz des nouvelles.
Évidemment, c'est le plat préféré de Charlie. Elle a vécu pendant sept ans à leurs côtés dont deux ans et demi seule avec eux deux. Ça ne m'étonne pas qu'elle ait pris des habitudes culinaires aussi. Et que ces habitudes ressortent aujourd'hui. Je ne supporte pas de la voir comme ça. Je ne veux plus la voir souffrir. Pas encore. En tout cas pas sans rien faire. Alors cette fois, je me lève pour aller attraper le bol dans ses mains et prendre sa place pour mélanger la mixture.
- Dans ce cas on va t'aider. Ça ira plus vite à trois, non ?
Sébastian se lève à son tour et vient se mettre juste à côté de moi pour lui montrer qu'il est prêt à mettre la main à la pâte lui aussi. Littéralement.
Notre mère paraît surprise pendant quelques secondes, puis durant un très court instant, je crois apercevoir dans son regard de la fierté et de la reconnaissance, mêlés à quelques larmes qu’elle s’empresse de retenir pour de nouveau afficher ce visage joyeux qu’elle déteste sûrement devoir montrer. Elle se tourne vers son fils en souriant.
- Sébastian chéri tu veux bien m'aider à remplir les ramequins ?
Mon frère acquiesce de la tête, et les voilà tous les deux en train de remplir des ramequins de pâte de fondant au chocolat, tandis que je mélange celle des cupcakes, en attendant que les derniers cookies cuisent dans le four. Quand je disais qu'elle exagérait un peu, je n'exagérais absolument pas. Mais ça ne fait rien. Ça prendra le temps qu’il faudra, mais elle ira mieux. Et si en attendant on doit préparer de la ganache ou monter des blancs en neige, on le fera volontiers.

Sébastian et moi sommes ainsi restés toute la journée avec notre mère. Puis notre grand-mère est arrivée, nous avons dîné tous ensemble, et nous avons pu repartir tranquilles une fois la nuit tombée, puisque la « jeune senior », comme elle aime se nommer, nous a assuré qu'elle resterait avec sa fille toute la nuit et toute la journée du lendemain s’il le fallait. D'un côté j'ai légèrement peur pour son diabète. Alors en partant je prends le plus de dessert possible, ce qui fera plaisir à Sofia et à ma mère qui pourra ainsi en préparer de nouveaux.
Avant de partir je la serre dans mes bras comme une petite fille le ferait. Je tiens à lui montrer que j'ai toujours besoin d'elle, et qu'elle ne doit donc surtout pas baisser les bras. Je ne voulais pas partir au début, mais je crois que finalement il est préférable que Sébastian et moi ne restions pas dans les parages. Je suis sûre que nous voir lui a fait le plus grand bien, mais je pense aussi qu’elle va avoir besoin de passer les prochains jours seule avec sa propre mère. Puisqu’elle s’empêchera toujours d’être triste devant nous. Et que la tristesse…c’est exactement ce qu’il lui faudra affronter pour aller de l’avant.
Une fois rentrée à l'appartement, ma meilleure amie se jette sans grande surprise sur toute cette bonne nourriture que je viens d'apporter. Manger autant sans faire le moindre sport, et ne pas prendre un gramme, je la déteste.
Nous nous installons dans le canapé pour regarder un film pendant qu'elle se goinfre de tout ce qui lui passe sous la main. Moi je crois que je ne pourrai plus rien avaler pendant des jours. J'ai passé ma journée à manger encore et encore. J’en ai presque des courbatures à la mâchoire.
- Tu sais Amyra, je pense que si ta mère devient nostalgique du travail une fois qu'elle aura démissionné, elle devrait faire de la cuisine son nouveau métier.
C'est vrai que c'est une excellente idée. Elle ferait fureur. Boulangerie, pâtisserie, salon de thé ou restaurant...elle pourrait tout faire. C’est dans ses gènes, et sûrement dans les miens aussi. Mais il ne vaut mieux pas la presser. Pour le moment, je veux juste qu'elle profite de sa vie sans se stresser. Même si pour ça je dois le faire à sa place.
- Ça va Amyra ?
Je me tourne vers mon amie en souriant. J'étais encore perdue dans mes pensées.
- Ouais ça va. Je pensais à demain.
Autant changer de sujet. J'ai passé la journée avec ma mère à m'en faire pour elle, il faut que je me change les idées maintenant. Et quoi de mieux pour changer de conversation avec Sofia, que de parler shopping.
- C'est vrai que je dois finir ma liste de cadeaux, se rappelle cette dernière entre deux bouchées.
Je ne sais pas quand est-ce qu'elle a commencé à être aussi obsédée par les listes, mais elle possède un carnet, qui n'est rempli que de ça. Des listes de vêtements, des listes de cadeaux, des listes de tâches ménagères, des listes de repas...la seule chose normale là-dedans ce sont les listes de courses. Ça au moins tout le monde, ou presque, en fait. Ça m'étonne d'elle, avant elle était toujours du genre à vouloir foncer dans l'inconnu. Aujourd'hui elle prépare minutieusement tout à l'avance. Alors quand elle revient dans le canapé après être allée chercher le carnet en question, je tente de l'interroger à ce sujet qui m’obsède depuis quelques temps maintenant.
- Je voulais te demander, c'est quoi toutes ces listes ? C'est nouveau.
Ma question semble la gêner. Est-ce que je viens de dire quelque chose qu'il ne fallait pas ?
- Ce n'est rien, répond alors simplement mon amie en continuant d'écrire dans son carnet.
Non ce n'est pas rien. Il y a quelque chose qui ne va pas. Et vu l'état dans lequel ma question l’a mise, je devine immédiatement la raison de son mal-être. Une seule chose au monde peut la mettre dans un état pareil. Je ne devrais pas aborder le sujet mais si je ne le fais pas elle ne va rien me dire. Et garder les choses en soi, c’est très mauvais.
- Sofia est-ce que ça aurait un rapport avec Mackensie ?
A l'entente de ce nom, son stylo dérape sur le papier en laissant derrière lui un grand trait noir parfaitement droit.
En plein dans le mille. Toujours tête baissée, elle ne bouge pas durant un assez long moment, après lequel elle se redresse enfin en essayant de ne pas se laisser submerger par ses émotions.
- Comment tu as deviné ?
- Sûrement parce que je te connais ?
Presque amusée par ma réponse, elle referme son carnet et le pose sur la table basse pour l'observer de loin.
- Après son départ, commence-t-elle d’une petite voix, j'ai vite laissé tomber. Je passais mes journées dans ma chambre à pleurer et à regarder nos photos. Enfin ça tu le sais déjà.
Oui je m'en souviens. Et je m'en voulais terriblement de ne pas être là pour elle. Je sentais sa détresse et j’étais incapable de la consoler. Du moins pas en personne.
- Après plusieurs semaines j'ai décidé sur un coup de tête de faire une liste de choses qui parviendraient peut-être à me remonter le moral. Même si je n’avais aucune intention de les faire. Lire un livre, faire du shopping, sortir danser...bref au fil du temps cette liste ne faisait que s’agrandir. Et puis j'ai vu ces cases vides que je refusais de cocher, et j'ai eu l'impression que ce vide, c’est ridicule, mais c'était comme celui que je ressentais à l'intérieur de moi. Alors j'ai commencé à les cocher. Je les cochais une par une, et au fur et à mesure que je réalisais ces choses, j'avais cette sensation bizarre que je reprenais petit à petit goût à la vie. Donc même une fois que mon petit cœur s'est senti mieux, j'ai continué les listes. Un peu comme si je m'en sentais obligée, comme si je leur étais redevable. Elles m'aident à mettre un peu d'ordre dans ma vie.
C'est incroyable. J'ignorais totalement cette histoire. Je trouvais sa nouvelle fascination assez étrange, mais maintenant que je connais le pourquoi du comment, je suis tout simplement fière d'elle. Elle a réussi à se relever toute seule. Et si ces listes lui permettent de se sentir bien alors je n'ai rien à dire à ce sujet. Je m'approche donc de mon amie pour l’entourer de mon amour, comme elle l'a fait hier avec moi pour me réconforter. On a de la chance de s'avoir. Même si j'ai une petite demi-sœ... Même si j’ai Charlie, je crois que Sofia est la sœur que j'ai toujours voulu avoir. Et réciproquement puisqu’en tant que fille unique elle s’est toujours sentie plutôt seule. Je l'adore.

Le lendemain, nous nous rendons toutes les deux au gigantesque centre commercial bondé de monde. Comme à chaque fois à ce moment-là de l’année, la décoration est parfaitement bien installée, le sapin immense trône au centre du grand hall, des centaines de personnes affluent dans tous les sens pour acheter toujours plus, et le meilleur, Mariah Carey résonne toujours dans chaque recoin du bâtiment. On pourrait croire qu’à force les gens en ont marre de cette chanson, moi en tout cas, j’adore l’entendre chaque année. Elle me rend un peu nostalgique.
J'aime tellement la période de Noël. Comme si c’était devenu une tradition, dès que Sofia parvient à me traîner ici, elle m'emmène au grand sapin pour prendre deux grandes boules rouge et verte, deux marqueurs, et m'en donner un de chaque. Habituellement j'aurais dit non. Mais la dernière fois que je l'ai fait, mon vœu s'est réalisé. Alors pourquoi pas cette fois ? Je prends donc les objets en réfléchissant longuement à ce que je vais bien pouvoir souhaiter, pour finalement écrire : "Que ma mère soit heureuse". Et j'accroche la boule sur une des branches du sapin, à côté des dizaines d'autres. Le soir des employés sont chargés de les monter tout en haut du sapin pour faire de la place à celles du lendemain. L’arbre, artificiel évidemment, autrement j’aurais commencé depuis des années à manifester pour changer leurs manières barbares, est presque déjà recouvert. Il ne reste que quelques trous par-ci, par-là. Je trouve ça bien qu'autant de personnes croient à cette légende. Qu'ils croient que leur vœu peut être réalisé. Parfois c'est vrai.
Nous finissons fort heureusement très vite tous nos achats. Je ne sais pas comment c’est possible, mais je suppose que ça fait partie des fameux miracles de Noël. Tous les cadeaux destinés à nos proches ont pu être trouvés, et Sofia a même pu s’acheter des vêtements chauds pour New-York. Parce que la température ici, et la température là-bas, sont totalement différentes. Cela dit je retrouve un peu de la météo de New-York une fois rentrées quand il se met à pleuvoir des cordes. On a eu de justesse le temps d'arriver dans l'immeuble. Et ça dure ainsi tout le reste de l'après-midi, et de la soirée. Ce qui n’est pas pour me déplaire. Regarder et écouter la pluie tomber est une de mes passions. Je trouve ça incroyablement apaisant.
C'est pourquoi le lendemain matin aussi, je m'installe dès mon réveil, devant les grandes fenêtres de l'appartement avec une bonne tasse de café à la main pour admirer le spectacle. Le brouillard recouvre la mer dans son intégralité. Tant et si bien qu’on ne peut même plus apercevoir le trait d’horizon qui la sépare du ciel bien gris et nuageux.
Malheureusement c’est un plaisir qui ne dure que très peu de temps, puisque ma meilleure amie vient le gâcher en débarquant dans le salon comme un vrai boulet de canon, avec quatre de mes robes à la main. J’ai peur.
- Mais qu'est-ce que tu fais assise sur une chaise à regarder la pluie alors que tu as un rencard ce soir Salem ?
- Un dîner.
- Avec un mec. C'est ce qu'on appelle un rencard. Tu vis dans quel siècle exactement ?
Elle commence à aligner les robes sur le dossier du canapé. On se croirait à un vrai essayage de haute couture. Je me lève donc amusée, pour aller examiner les robes qu'elle a choisi. Je les ai toutes achetées pendant mes voyages. Courtes, longues, colorées, noires, moulantes ou bouffantes. Il y en a de tous les types. Et si Sofia les aime tant ce n’est pas par hasard, puisque trois d’entre elles ont été sélectionnées par ma tante.
Mais elles sont beaucoup trop belles pour un rendez-vous avec Zachary. Surtout celle que me tend Sofia avec excitation.
- Celle-là c'est ma préférée.
Une robe rouge écarlate, courte devant, et longue derrière. Quand j’ai vu le croquis avant de voir le résultat final, je me souviens avoir tout particulièrement aimé la dentelle du buste en motifs floraux, parfaitement assortie au bas de la robe composé uniquement de tulle. Digne des robes de princesse que portent les poupées de Charlie.
- Sofia je ne vais pas porter une robe faite sur mesure par un grand couturier espagnol à un simple dîner.
- Un dîner dans un restaurant chic.
Je lâche un profond soupir en regardant toutes les autres robes posées devant moi, qui me paraissent bien plus simples et adaptées à cette situation.
- Si je comprends bien, tu viens de sortir toutes ces robes, pour au final m'en imposer une que je devrai mettre que je le veuille ou non ? Une que je ne comptais même pas porter.
- Si tu ne voulais pas la porter pourquoi tu l’as emmenée ?
J’aimerais lui répondre que je ne faisais pas assez confiance à Caly pour la laisser au loft. Que si je l’avais laissée là-bas, deux jours après mon départ elle serait apparue sur la couverture d’un des articles de ma tante, avec cette dernière à l’intérieur. On fait exactement la même taille, avec quelques retouches, elle aurait pu l’enfiler sans aucun problème. Et elle voudrait le faire.
Mais je n’ai même pas le temps de lui expliquer tout ça, puisque Sofia me force à prendre cette fichue robe avant que je puisse prononcer le moindre mot.
- Tu mets ça ce soir. Ce n’est pas discutable.
Et elle tourne les talons, pour retourner dans la chambre en énumérant ce qu'il nous reste à préparer pour ce soir.
- Il faut encore qu'on décide de ta coiffure, de comment je vais te maquiller, et...
Sa voix disparaît dans l'autre pièce. J'ai l'impression qu'elle est plus excitée à l'idée que je sorte avec Zachary ce soir que je ne le suis moi-même. Ça me fait plaisir pour elle en tout cas.
Quelqu'un frappe à la porte à ce moment-là. Puisque je suis à côté je me dévoue pour aller l'ouvrir, cette fois sans râler, après avoir posé ma robe à côté des autres. Et à mon grand étonnement je tombe sur un Sébastian trempé de la tête aux pieds, avec une boîte dans la main.
- Je suis passé voir maman. Elle a préparé des chouquettes, elle m'a demandé de t'en apporter.
Il me donne la boîte contenant les précieuses chouquettes puis passe sa main enfin libre dans ses cheveux, jetant de l'eau partout comme un animal qui se secoue pour sécher ses poils. Je l'arrête aussitôt.
- Stop ! Eloigne-moi cette main de tes cheveux, ça va faire de la boue partout après. Et Sofia va devenir folle. Je vais te chercher une serviette.
Je pose la boîte sur le comptoir de la cuisine, pour aller prendre une serviette dans le tiroir de la salle de bains. Mais pendant que je cherche :
- C'est quoi tout ça ? Tu sors ?
A l'entente de cette question, comme si mon corps tout entier se mettait en alerte, j'attrape la première serviette que je trouve et je retourne au pas de course dans le salon pour la jeter sur son visage et me mettre entre lui et les robes comme si ça allait lui faire oublier leur présence.
Stupide Amyra !
- Ouais, tenté-je de me rattraper, je vais faire un tour en boîte avec Sofia.
- Cool.
Il me sourit avec bienveillance, comme heureux que je sorte m’amuser. Il est devenu tellement chaleureux. Et je suis devenue tellement nulle. Je déteste lui mentir. Je devais arrêter de le faire. Avec tout ce qui arrive dans notre famille, je ne peux pas en plus recommencer à lui cacher des choses. S’il apprend que je l’ai fait, ou plutôt, quand il l’apprendra, il sera furieux. Il m’en voudra de l’avoir mis de côté. Il sera déçu…
La culpabilité en moi devient bien trop forte. Je sais que je ne pourrai pas la supporter longtemps. Et nous devons rester souder quoi qu’il arrive. Même si ça veut dire que…
- Je dîne avec Zachary ce soir.
J'ai dit cette phrase tellement vite que moi-même je ne suis pas sûre d'avoir compris. Mais apparemment, mon frère n’a pas besoin que je le répète une seconde fois. Il ouvre de grands yeux, tout en croisant ses bras d'un air sévère. Envolés le sourire et la chaleur. Voilà les sourcils froncés et le regard glacial. Je m’attends au pire. Je dois anticiper du mieux que je peux.
- C'est juste un simple dîner. Entre amis.
- Mais vous n'êtes pas de simples amis, me gronde-t-il avec une colère qui ferait presque trembler les murs. Vous êtes sortis ensembles. Alors qu'il sortait déjà avec une autre fille. Enfin Amyra tu aurais au moins pu me le dire !
- Je viens de le faire !
- Parce que je suis venu déposer ces satanées chouquettes ! Tu m’en aurais parlé sinon ?!
Je n’aime pas qu’il hurle de cette manière. Surtout quand il a raison, je ne lui aurais rien dit. Je n’aurais même pas pensé à le faire jusqu’à notre prochaine rencontre. Et mon silence finit par en dire long. Alors je le brise, épuisée d’avoir à me justifier.
- Je ne l’ai pas fait parce que j’avais peur que tu surréagisses comme tu le fais maintenant ! Comme tu l’as toujours fait ! Grandis un peu et arrête de croire que la Terre entière te veut du mal Sébastian !
Et toutes mes félicitations Amyra. Tu es officiellement allée trop loin.
Mon frère me lance un regard agacé et vexé qui me brise le cœur en mille morceaux, avant de commencer à se diriger vers la porte d’un pas rapide et lourd.
- Surtout ne viens pas me dire que je ne t'avais pas prévenue quand il jouera au con avec toi encore une fois.
Et sur ces mots, il sort de l'appartement en claquant violemment la porte derrière lui. Ce qui nous vaudra sûrement une plainte du voisin. Je ne comprends pas pourquoi il réagit comme ça. Sofia sort enfin de la chambre timidement. Je suppose qu’elle a tout entendu. Du début à la fin.
- C'était quoi ça ?
Je ne sais même pas quoi répondre à cette question. Ce qui vient de se passer...c'est comme si...comme si...
- C’était le vieux Sébastian.
J'avais vraiment besoin de ça maintenant.
Mais je sais que je n’aurais fait qu’empirer les choses en gardant ça secret plus longtemps. Je n’ai plus qu’à espérer qu’il réalise que son comportement était totalement déplacé.
Tout comme je réalise à présent que me crier dessus, c’est sa façon à lui de me dire qu’il se fait du souci pour moi. Et qu’il ne veut pas que je souffre encore par la faute de Zachary.
On finira par se réconcilier, on n’est plus les mêmes qu’avant. Mais…je déteste avoir à revivre une dispute avec lui. Et ça ne fait que me conforter dans l’idée que ce dîner, ce « rencard », est une très mauvaise idée, que je n’aurais jamais dû accepter. Tout ça pour un simple idiot qui ne mérite même pas que je lui donne une seconde chance. Si on peut appeler ça comme ça. J’espère au moins qu’il ne me fera pas perdre mon temps.
A la moindre occasion de fuite, je quitte le restaurant et cette soirée ridicule !

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