CHAPITRE IX

Le moment fatidique est donc finalement arrivé. Dans quelques instants, je vais devoir aller dîner Zachary Collins. Et je ne sais toujours pas ce que je suis supposée penser de tout ça ! Bien sûr je suis assez nerveuse de sortir avec lui, parce que même si je fais tout mon possible pour me convaincre du contraire…oui je suis toujours attirée par ce petit con. Mais j'ai aussi très peur de ce qu’il pourrait se passer. Et si seulement mon frère ne s'était pas comporté comme il l’a fait ce matin, je ne serais pas en train de m'inquiéter pour lui. Pour nous. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi agressif avec moi. Et je m’en veux encore tellement de m’être emportée à mon tour quand j’aurais dû me montrer plus compréhensive et…
- Amyra stop ! Sébastian ne va pas gâcher ta soirée !  
Je ne peux pas m’empêcher de sourire à ma meilleure amie qui essaie tant bien que mal de me remonter le moral, puis je me regarde pour une énième fois dans le miroir. J'ai enfilé ma robe rouge, mes talons dorées, attaché mes cheveux en une queue de cheval à la Ariana Grande, et laissé Sofia me faire un maquillage, parfaitement assorti à mes chaussures. Sur ce point, je sais que je peux toujours lui accorder une confiance aveugle, elle n’a fait que s’améliorer au fil des années. J'attrape rapidement une paire de boucles d'oreilles dans ma boîte à bijoux, tout en râlant un peu contre ma « styliste du jour ».
J'hésite encore à sortir comme ça.
- Sofia tu es sûre pour la robe ?
- Évidemment ! Pourquoi ?
- Parce que le rouge c’est beaucoup trop sexy, et que je n'ai pas accepté d'y aller pour le séduire.
- Alors pourquoi tu as accepté ?
Elle se moque de moi là ? C'est à croire qu'elle n'était pas présente ce jour-là. En fait, si elle n'avait pas été présente je pense que je ne serais même pas en train d’en discuter avec elle puisque je n’aurais même pas dit oui à toute cette mascarade !
Face à mon air outré, elle se met à lever les yeux au ciel en posant ses mains sur mes épaules comme si elle était sur le point de me secouer ou de me gifler. L’un comme l’autre ne me surprendrait même pas de sa part.
- Amyra tu vas arrêter de te plaindre maintenant. Tu vas bouger ton joli petit cul, aller retrouver ton prince charmant qui t'attend sûrement déjà, et passer une soirée magique et inoubliable. Sinon je te jure que…
- C’est bon j’y vais !
N’importe quoi tant qu’elle arrête de me crier dessus et de me menacer. Elle n’a fait que ça toute la journée. Tout compte fait, ça me fera peut-être du bien de sortir de cet appartement, loin de ce monstre de romantisme.
Une fois mon sac en main, je me retrouve très vite poussée jusqu’à la porte d’entrée, incapable de faire demi-tour. Je suppose que je n’ai plus vraiment le choix. Ou je sors avec Zachary, ou je passe la soirée dans le couloir, mais en aucun cas je ne pourrai rentrer avant au minimum 23h.
Pourtant une fois sur le palier, je me sens obligée de rectifier un détail qu'elle a mentionné il y a quelques instants.
- Au fait, Zachary n'est pas un prince charmant.
- Ça tu me le confirmeras demain princesse.
Je reçois alors un rapide baiser sur la joue, un simple clin d’œil, et finalement elle me claque la porte au nez sans aucun remords.
Demain. Bien sûr. Elle essaie de me faire croire qu’à mon retour elle ne sera pas en train de m’attendre dans le noir telle une vraie psychopathe, prête à connaître chaque détail de la soirée. Je m’attends au pire. Mais pour assister à ça, il faudrait déjà que je me décide à y aller…
J’essaie donc de prendre mon courage à deux mains pour monter dans l'ascenseur, où mon pouls commence à s'accélérer de dix pulsations de plus par minute à chaque étage descendu.
Il faut que je me calme. Zachary ne doit surtout pas voir que je suis nerveuse. Je ne peux pas lui faire ce plaisir. Et si arrivée en bas je ne parviens pas à le cacher, j’espère juste que lui aussi aura l’air ne serait-ce qu’un tout petit peu déstabilisé. Par ma beauté par exemple.
J'arrive au rez-de-chaussée bien plus rapidement que d’habitude. Je dois même me retenir de ne pas hurler sur ce foutu ascenseur qui s’est soudain pris pour Usain Bolt !
Mes jambes tremblent à mesure que je me rapproche de la sortie. La pluie s'est arrêtée en fin d'après-midi. J’ignore si je dois m'en réjouir, elle aurait sûrement pu m’éviter cette soirée.
Et une fois à l’extérieur, je parviens très vite à apercevoir un peu plus loin dans le parking assez bien éclairé, à côté de sa voiture, un Zachary en smoking qui ne cesse de fixer sa montre.
Il a mis un smoking. Non mais je rêve ou quoi ? Zachary Collins a mis un smoking, pour moi ?! Et il est terriblement sexy dedans… Je suis certaine que c'est uniquement pour cette raison qu'il l'a mis. Pour que je me laisse avoir par son charme ravageur. Mais non, je ne me laisserai pas faire. Lui ne m'a toujours pas vue puisqu’il continue de regarder l’heure comme si elle allait avancer plus vite par la seule force de son esprit. C’est quand j’arrive à quelques mètres de lui et que le claquement de mes talons commence à résonner dans l’endroit désert, qu'il finit par lever la tête, en état d’alerte. Et dès que son regard se pose sur moi, dès qu’il se redresse subitement pour réajuster son nœud papillon déjà parfaitement droit, j'ai l'impression…de devenir la plus belle femme de tout l'univers. Je crois bien que c'est une des choses que j’aime le plus chez lui. La façon dont j’arrive à me voir quand il me regarde. C'est dingue mais vrai. Il est doué pour ça, me redonner confiance en moi.
Je passe ma main dans ma frange pour la remettre en place maladroitement, comme je le fais à chaque fois que je suis vraiment gênée, juste avant d’arriver en face de lui. Je me retiens de ne pas l’examiner attentivement dans son costume noir et blanc hyper classe. Je fais tout mon possible pour rester de marbre, même si la seule chose que je voudrais faire là maintenant, c’est lui sauter dessus et le laisser me déshabiller pour me faire l'amour sauvagement sur le siège arrière de sa voiture. Comme je ne peux décemment pas réaliser ce fantasme, je garde le plus de distance possible entre nous, en tentant de montrer le plus d’aisance possible en prononcer les premiers mots.
- Je vois que tu as fait un effort Zachary Collins.
- Et toi tu es magnifique Amyra Salem. Même si je suis flatté, tu n'aurais pas dû te donner tout ce mal pour moi, tu sais que je te trouve sexy dans n’importe quelle tenue.
Et sur ces mots, il m’ouvre la portière de sa voiture en me faisant signe d’y entrer tel un vrai gentleman. Quel…imbécile ! Primo, je ne me suis pas faite belle « pour lui », mais pour moi-même. Comme le dit si bien Caly, pour ne pas être intimidé, il faut bien savoir intimider les autres. Et deuxio, jouer au gentilhomme, ne me fera pas croire une seule seconde, qu’il en est devenu un. Je suis capable d’ouvrir une portière moi-même…
Mais je ne fais aucune de ces remarques. Je me contente d’entrer et de m’asseoir bien sagement.
Le trajet ? Totalement, silencieux.
Je crois que mon cavalier préfère ne pas parler pour éviter de dire quelque chose qui me ferait sauter de la voiture en marche. Et moi je ne veux tout simplement pas lancer la conversation pour éviter qu'il finisse par dire quelque chose qui me ferait sauter de la voiture en marche. C'est donc après un très long voyage, qu'on arrive enfin devant le restaurant. Un très bon restaurant d’ailleurs. Il paraît qu'on y sert les meilleurs plats de la ville. C'est très chic pour quelqu'un qui travaille comme barman un week-end sur deux.
- Zachary tu es sûr que…
- Non, me répond-t-il avant même que je finisse ma phrase. En fait je ne suis sûr de rien ce soir. Mais je tente le tout pour le tout.
Il me sourit avant de sortir de la voiture pour venir m'ouvrir la portière. Encore une fois. Il est vraiment très serviable avec moi ce soir. Alors pourquoi je me méfie autant de lui ?
Nous passons ensemble la grande porte du restaurant, pour que Zachary annonce à la femme de l’accueil qu’il a réservé au nom de Collins. Et je ne devrais pas être surprise lorsqu’après vérification, cette même femme nous adresse son plus beau sourire en disant d’une voix calme et chaleureuse :
- Monsieur et Madame Collins, je vous souhaite la bienvenue. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire à votre table.
D'ordinaire ça m'aurait amusé. D’ordinaire, ou sûrement avec n’importe quel autre nom. Mais il y a encore quelques jours, c'était ma mère « Madame Collins ». Je me demande ce qu'elle penserait en me voyant ici avec Zachary. Et ce que penserait Dorian.
Non en fait je préfère ne pas me mettre à imaginer ce genre de choses.
Aussitôt installés à notre table dressée avec les plus grands soins, je m’empare du menu qu’on me tend pour me plonger dedans, et par la même occasion me cacher derrière. C'est le comportement d'une gamine je sais. Mais autour de moi je ne vois que des couples partout. Qui se tiennent la main, qui rient ensemble, qui s'embrassent...je trouve ça affreusement inconfortable.
- Tu comptes te cacher derrière ce menu toute la soirée ?
Il est très perspicace. Ou alors c’est moi qui ne suis pas suffisamment discrète. Après une légère grimace d’auto-agacement, je me décide à poser le menu sur la table et à m’éclaircir la voix comme pour me donner le courage de prendre la parole.
- Je doute qu’on puisse avoir de très bons sujets de conversation toi et moi.
- Pourquoi ?
Je…
Je ne voulais pas en arriver là, mais puisqu’il le faut, puisqu’il ne me laisse pas d’autre choix, je vais devoir sortir ma première arme de la soirée pour essayer de lui faire perdre tout intérêt en moi.
- Soyons honnêtes Zachary. Toi et moi c'était une simple histoire de sexe, il n’y avait rien de bien sérieux entre nous.
- C’est vraiment ce que tu crois ?
Il n'a même pas l'air vexé. Bien au contraire cette conversation a l'air de le divertir. Quel imbécile !
Bien sûr que ce n’est pas ce que je crois ! Je n’ai jamais, ne serait-ce qu’une seule petite seconde, pensé que c’était le cas. Mais je ne dois pas lâcher l’affaire. Il finira par se désintéresser de moi à la fin de cette soirée ! Je vais y arriver.
- D'accord, repris-je en haussant les épaules. Dans ce cas, cite-moi au moins cinq choses sur moi que peu de gens connaissent.
- Très bien.
Il pose son menu à son tour en souriant. Il me montre qu'il accepte de relever le défi avec plaisir, ce que je ne parviens pas à croire puisque je ne suis même pas sûre qu'il puisse le faire. Mais j'écoute attentivement ses réponses.
- Je sais que même quand tu étais déjà au lycée, tu aimais te lever plus tôt pour regarder les dessins-animés du matin en buvant ton café noir habituel.
Les dessins-animés et le café. Un de mes points faibles. Encore d’actualités d’ailleurs. Mais ce n’est qu’un coup de chance. Il a très bien pu me voir faire une ou deux fois, bien qu’il ne se réveillait jamais avant d’être officiellement en retard.
- Je sais aussi que tu détestes les chats uniquement parce que l'un d'eux t'a abandonnée quand tu étais petite.
Saleté de chat errant. Je lui avais offert un foyer, de la nourriture, et de l'amour. Et il s'est lâchement enfui le jour de l'anniversaire de Sébastian. Depuis je ne ressens que de la haine envers ces bêtes de poils.
- Je sais que dès que tu vois un couple de vieilles personnes marcher dans la rue tu ne peux pas t'empêcher d'avoir envie de pleurer.
Qui n'est pas ému devant un amour aussi sincère ? Il a survécu au temps, il est toujours bien présent après des années de vie commune. Quand je pense que certaines personnes se rencontrent dans leur jeunesse et finissent par vieillir à deux, oui ça me donne envie de pleurer. Je suis peut-être la seule dans ce cas-là.
Mais comment il peut savoir ça ? Je suis plus que certaine que je ne lui en ai jamais parlé.
- Il y a aussi le fait que tu n'aimes pas la plupart des films et des romans d’amour que tu trouves beaucoup trop clichés, alors que tu pourrais passer des journées entières à regarder en boucle The Holiday.
Un autre de mes points faibles. Mon obsession pour ce film a d’ailleurs poussé Caly à le détester. Elle l’adorait. Presque autant que moi. Mais au bout du dixième visionnage forcé elle est comme devenue folle. Un mélange d’aussi bons acteurs, et une histoire si prenante…comment peut-on y résister ?! Par quelle sorcellerie ?!
Je crois que ce film a même joué un rôle clé dans ma décision de partir vivre avec Caly. J’étais…une jeune femme bouleversée qui voulait simplement monter dans un avion après avoir découvert que son petit-ami l’avait trompée, pour s’éloigner le plus possible de sa vie actuelle. J’aurais pu être Cameron Diaz. Et Caly ma Kate Winslet en quelque sorte.
Non sérieusement, comment il peut savoir autant de choses sur moi ? Il ne m’a jamais vu en train de regarder ce film ! Et ça je peux l’assurer !
- Et je sais aussi Amyra Salem, que malgré tout ce que tu pourras me dire pour me faire croire le contraire, tu es aussi convaincue que moi que nous deux, c'était bien plus que du sexe.
Cette dernière phrase me fait sourire. L'entendre de sa bouche me rassure. Si moi je ne l’ai jamais envisagé, pendant trois ans j’ai essayé de me convaincre que c’était tout ce que représentait cette relation à laquelle je m’accrochais beaucoup trop, pour Zachary. Je cherchais un moyen de l’oublier, en trouvant de nouvelles raisons de le détester. Je dois admettre qu'il vient de me rassurer au moins un tout petit peu, et que je suis moins tendue que je ne l'étais au début de la soirée. Je pensais que ça se passerait mal, visiblement, et ça me coûte de l’admettre, j’avais tort.
Un serveur vient remplir nos coupes de champagne à ce moment-là. J'avais dit pas d'alcool. Mais je suppose que refuser, serait faire offense au serveur qui ne fait que son travail. Je déteste être une cliente insatisfaite. Et puis après ce que Zachary vient de dire, je pense qu'il mérite bien que je fasse une petite exception. Alors une fois le serveur parti, je prends ma coupe pour la lever en souriant.
- Tu as gagné Zachary Collins. Tu me connais mieux que je ne le pensais.
Il me sourit également, avant de lever son verre à son tour et de dire avec enthousiasme :
- Comment ne pas connaître mon sujet de discussion préféré ?
J’aimerais alors ne pas rire en buvant une gorgée en même temps que lui. Mais je le fais, sans même m’en cacher. Et ce moment, qui devrait m’être agréable, ne fait que me raviver quelques souvenirs. Des souvenirs de la nuit de notre premier baiser. De ce jeu stupide auquel on avait joué. « Je n’ai jamais ». En fait, je crois que toute notre histoire, de son commencement à sa fin, n’a été qu’un jeu gigantesque. Qui nous a apporté autant de bonheur que d’ennuis. Je ne doute pas des sentiments de Zachary à mon égard, ou au moins de ceux qu'il avait à l'époque. Je sais qu'il s'en veut beaucoup de m'avoir fait du mal. Mais je ne peux pas le laisser s'en sortir aussi facilement. Et je ne peux pas nous laisser reproduire les mêmes erreurs. Je repose donc mon verre après en avoir bu une bonne partie inconsciemment, et je reprends un air sérieux en fixant les quelques bulles qui remontent vers la surface du liquide doré.
- Finalement on était juste des ados ridicules qui jouaient à être des adultes.
Il me lance un regard interrogateur auquel je réponds rapidement sans même avoir à réfléchir.
- Quand on était ensemble, on agissait comme si on gérait absolument tout. Comme si on savait parfaitement ce qu’on faisait et qu’on était responsables. Mais…maintenant qu'on est supposés l’être pour de vrai, je me rends compte que je n’aurais jamais dû vouloir grandir aussi vite.
Je baisse la tête vers mon menu en repensant à cette période de ma vie où tout était si simple. Mes parents étaient mariés, mon frère était le plus gentil du monde, j'avais pleins d'amis à l'école, et surtout, je me fichais totalement des garçons donc aucun d'eux ne pouvait me tromper ou me demander en mariage.
Zachary était sur le point de me répondre, avant d’être interrompue une nouvelle fois, par une serveuse qui vient prendre notre commande. Grande, et mince comme un top model, malgré son chignon impeccable, je parviens à distinguer ses racines sombres qui commencent à pointer le bout de leur nez juste en dessous de ses mèches blondes. Elle a les yeux rivés sur Zachary. Ce qui ne m'étonne pas. Si habituellement il est irrésistiblement attirant, ce soir dans ce costume, c’est carrément impossible de ne pas le remarquer. Je devrais être jalouse, mais…bizarrement elle me fait surtout pitié. Alors au lieu de montrer de l'agacement face à celle qui dévisage un Zachary plongé dans son menu, j’attire simplement son attention.
- Excusez-moi ?
Elle se tourne vers moi, gênée, comme si elle venait de se rendre compte que c’était une table de deux. Mais je la rassure très vite d’un simple sourire.
- C’est un sale emmerdeur, déclaré-je avec sincérité et bienveillance envers elle. Ne vous laissez pas avoir par sa belle gueule.
Le regard moqueur qu’elle pose alors sur lui, valait bien toutes les crises de jalousie du monde. Elle a soudain l’air totalement désenvoûtée, et me lance même un regard compatissant une fois les commandes passées.
Zachary se met à rire, uniquement lorsqu’elle est assez loin pour ne pas l’entendre. Je savais que cette situation l'amusait. Même s’il essayait de ne pas le montrer.
- Alors j’ai une belle gueule ? plaisante-t-il enfin.
- J'ai aussi dit que tu étais un sale emmerdeur.
Je me mets à mon tour à rire. En fait nous passons la majeure partie de la soirée à rire. A nous remémorer des souvenirs, de nos disputes, de notre famille, de notre vie sans l'autre, de notre vie avec l'autre. Quelques insultes se faufilent dans la conversation, bien évidemment. Mais aussi quelques regards involontaires, qui veulent pourtant tout dire…
Au final le temps passe terriblement vite, deux heures s'étaient déjà écoulées quand je jette un rapide coup d’œil à sa montre. Je crois que jamais de ma vie, je n'avais autant apprécié un dîner. Sandro m'avait déjà invitée dans des restaurants plus chics que celui-là, mais ce n'était pas pareil. Au fond je n'ai jamais pu tomber amoureuse du bel italien, comme je suis tombée amoureuse de mon demi-frère insupportable. Ils sont beaucoup trop différents. L'un aime faire la fête et s’amuser, l'autre préfère les soirées calmes autour d'un bon verre de vin devant un feu de cheminée. Zachary vit au jour le jour, Sandro a trop de responsabilités pour vivre une seule journée sans l’avoir planifiée des mois à l’avance. Pourtant ce soir, je dois l’admettre, Zachary s'est comporté comme un vrai prince charmant. Je pensais être tombée amoureuse de son côté spontané et passionné. Des traits de caractères que je ne trouvais pas chez Sandro, ce qui me rassurait. Mais je crois bien que tout chez Zachary Collins m'attire. Ça me fait peur. Ça me terrifie même...
Après le restaurant, j’oublie une nouvelle règle en acceptant d’aller marcher quelques instants sur le débarcadère, éclairée tout du long de quelques petites lumières. J'ai toujours aimé cet endroit. Sûrement un de mes préférés ici. Je n'arrive toujours pas à croire que je suis avec Zachary à un rendez-vous en public. Même si maintenant ça ne pose plus aucun problème, je crains toujours le pire. Je crains toujours que des gens nous reconnaissent et se mettent à nous huer… Nous arrivons à la fin de la jetée, où je pose mes chaussures que j'ai dû enlever à mi-chemin pour ne plus souffrir le martyre, et pour ne pas prendre le risque de coincer un talon dans un des nombreux trous. Le bruit que fait la mer quand elle frappe les rochers est vraiment apaisant. Je suis toujours détendue quand je viens ici. Mais le regard de Zachary sur moi me déconcentre dans ma contemplation.
Alors je me tourne vers lui pour le pousser en riant.
- Arrête de me regarder comme ça.
- Pourquoi ?
- Parce que ça me donne l’impression d’être importante à tes yeux !
Quoi ? Non je n’ai pas dit ça quand même…
Je détourne rapidement le regard, plus qu’embarrassée. Je viens vraiment de dire ça ? Qu’est-ce qui m’a pris ?
Comment rendre étrange un rendez-vous qui l’est déjà bien assez ? En étant trop honnête sur ce qu’on ressent alors qu’on a passé toute la soirée à tenter de le cacher. Quelle conne !
- Et si c'était le cas ? me questionne alors Zachary avec un sérieux déconcertant.
Je ne le regarde toujours pas. Je continue de fixer un point à l’horizon, incapable de croiser son regard. Ne l’écoute pas.
Ne. L’écoute. Pas.
- Je ne te croirais pas.
Parce que ce n’est qu’un beau parleur.
Un beau parleur qui soudain attrape mon poignet pour me retourner vers lui en posant son autre main sur ma taille afin de m'empêcher de perdre l'équilibre face à la rapidité de son geste.
Les yeux dans les yeux, collés l'un à l'autre, j'ai presque l'impression d'entendre des violons se mettre à jouer à côté de nous. J'ai envie de l'embrasser. Encore une fois. Une seule fois.
Pourtant je me retiens.
Et alors que je pensais que lui allait le faire, il prend à la place la parole.
- Amyra je sais que je me suis souvent comporté comme le pire des crétins avec toi. Je sais que je ne mérite pas que tu me pardonnes ce que je t'ai fait. Et je sais que je ne dois sûrement plus t'inspirer la même confiance qu'avant. Mais je veux que tu saches qu'il y a trois ans, j'étais un imbécile qui avait peur d'être tombé amoureux d'une fille beaucoup trop bien pour lui.
Trop bien pour lui. De quel droit il a pu décider lui-même que j'étais trop bien pour lui ? Je crois bien que j'avais aussi mon mot à dire dans cette histoire. Mais apparemment, aujourd'hui encore je n'ai rien à dire, puisqu'il finit de parler sans me laisser en placer une. Et ce qu'il dit...
- Mais ce soir je sais une chose. J’aime une fille drôle, séduisante, passionnante, sincère, et qui sait mieux que personne comment me rendre dingue.
Est-ce qu'il vient de dire qu'il...
J'ai bien entendu ou ce sont les vagues qui font un bruit monstre ?
Peut-être que j'ai des hallucinations ?
Qu'est-ce qu'ils ont mis dans mon plat ?
J’ai bu trop de champagne ?
Je manque de sommeil peut-être…
- Je t'aime Amyra, répète alors très clairement Zachary en se moquant de mon air ahuri comme il sait si bien le faire.
Alors j'avais parfaitement bien compris la première fois. Il m'a dit les trois mots que jamais, je n'aurais cru entendre sortir de sa bouche un jour. Il m'aime.
Et je devrais être heureuse d'entendre ça, mais je suis au contraire totalement paniquée. Mon cœur bat à cent à l'heure, ma bouche s'ouvre et se ferme sans arrêt et mes jambes commencent à se transformer en spaghettis.
Sandro me l'avait déjà dit. Pourtant ça ne m'avait pas fait le même effet. Je sais que je devrais lui répondre. Que je devrais lui dire à mon tour ces trois mots.
Mais je n'y arrive pas. Je ne peux…tout simplement pas. Je pensais être devenue spontanée, je pensais que j’avais arrêté de trop réfléchir. Mais quand je suis face à Zachary, mes pensées deviennent un vrai champ de bataille entre mon cœur et ma raison.
Alors je m’éloigne de lui en baissant la tête, puis je lui souris du mieux que je peux.
- Zachary ça me touche beaucoup. Et je crois que...que je ressens la même chose pour toi, mais je suis aussi terrifiée à l'idée que ce soit le cas. L'amour et moi on ne s'entend pas très bien, parce que je n’ai toujours fait que me précipiter. Alors...j'aimerais que tu me laisses du temps.
Bien que de toute évidence très déçu, son sourire réapparaît rapidement. Accompagné de ce regard. Ce regard plein d'admiration qu’il me réserve.
- On fera comme tu veux Amyra. Je t'ai déjà attendu trois ans après tout.
Je suis rassurée d'entendre cette réponse. Ç’aurait été trop simple si je lui avais tout de suite dit ce qu’il voulait entendre. Et ça n’aurait pas été aussi sincère que je voudrais que ça le soit. Je prends sa main droite pour la serrer. Elle est légèrement aussi moite que les miennes. Dire toutes ces choses, ça n’a pas dû être simple pour lui.
Et puis…je décide de briser cette atmosphère trop romantique, en m'approchant de lui avec un regard rempli de malice pour annoncer doucement :
- Je te fais confiance, tu as toujours su me courir après.
Et avant qu'il puisse me poser la moindre question que je voyais déjà apparaître dans son regard, je me mets à rire, ramasse mes chaussures, et pars en courant.
Je l'entends crier derrière moi et s’élancer à ma poursuite, mais je continue de courir. Je me sens libre. Le vent frais fouettant mon visage, ma robe virevoltant dans les airs et ce paysage incroyable qui défile devant mes yeux à mesure que j'avance à toute vitesse. Même la nuit, cet endroit, cette ville...c'est magnifique.
Alors une fois arrivés devant la porte de l'appartement de Sofia, je dois avouer que je suis un peu déçue que la soirée se termine. J'admets que je ne m'étais pas amusée comme ça depuis très longtemps.
- J'ai passé une très bonne soirée.
- Oui moi aussi.
Je crois bien que dans les films ça serait le moment où on s'embrasse langoureusement juste avant que j'entre chez moi. Mais je ne veux pas me précipiter. Alors je fais un pas en avant oui, mais au lieu de déposer mes lèvres sur les siennes, je les pose sur sa joue. Délicatement et lentement pour faire durer le moment. Après quoi je m'éloigne de lui en riant face à son air médusé, et je glisse ma clé dans la serrure pour ouvrir la porte.
Mais juste avant d'entrer, je me rappelle un détail important, pour lequel Sofia m'aurait tuée si je l'avais oublié. Alors je refais face à Zachary qui attendait que j'entre pour partir.
- J’ai prévu de passer le nouvel an à New-York avec Sofia. Toi et Mathéo…vous êtes les bienvenus si ça vous tente. En sachant que si Mathéo ne vient pas, je ne crois pas que je vivrai assez longtemps pour connaître la nouvelle année.
Il rit doucement comme si je venais de faire une blague digne des plus grands humoristes de cette planète. Depuis que je sais ce qu’il ressent pour moi, je remarque un peu mieux toutes ces petites choses qui me paraissaient banales jusqu’à maintenant.
- On viendra alors, me répond presque trop vite l'imbécile.
- Mais tu...tu ne vérifies pas avant ? Tu ne peux pas accepter comme ça. Je m’y prends un peu tard pour te le proposer alors…
- On viendra Amyra. Merci pour l'invitation.
Il est tellement sûr de lui. J'ai l'impression que pour rien au monde il ne voudrait manquer ce voyage. Il est…adorable.
Et une fois rentrée, totalement hors de sa vue, je me laisse tomber contre la porte, souriant comme une idiote. Quand je suis avec lui je redeviens une simple adolescente amoureuse.
Mais j’ai à peine le temps de me réjouir de cette soirée, qu’une lumière aveuglante vient me sortir de mes pensées. Ce n’est qu’après au moins cinq longues secondes que je parviens à distinguer quelqu’un assis dans le fauteuil, face à moi, dans un pyjama licorne ridicule. Je n’aurais jamais dû lui offrir ce truc, j’espère que Mathéo ne la verra jamais comme ça. Quoique je ne sais pas ce qui lui fait de l’effet après tout…
Je remarque également que la chose qui produit cette forte lumière, n’est autre que la lampe de chevet de Sofia, qu’elle a sûrement posé sur la table basse pour pouvoir me faire le coup de la psychopathe qui attendait dans le noir. Je ne veux même pas savoir depuis combien de temps elle est assise là. Je ne veux même pas connaître une seule des pensées tordues qui ont pu traverser son esprit durant mon absence.
- Alors ? dit-elle en attendant que je réponde à ce simple mot.
Alors…
Ce n’était pas de tout repos c’est sûr.
Tant de choses ont été dites que je ne sais même pas par quoi commencer. Ou même si je devrais divulguer certaines d’entre elles.
Mais…je suppose que le plus important à retenir de ce rendez-vous, la chose qui m’étonne encore, rien qu’en y pensant, la chose que je n’aurais jamais cru possible en passant la porte de cet appartement il y a quelques heures…
- J’y ai survécu.

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