CHAPITRE III
Sofia et moi arrivons en face du bar en question après une bonne demi-heure passée à nous préparer. Habituellement on aurait pris le triple du temps, mais là on ne voulait pas faire croire aux garçons qu'on prenait du temps pour se faire belles pour eux. Même si le résultat me plaît assez. Sofia est magnifique. Elle porte une courte robe moulante à rayures noires et blanches qui s'attache autour du coup et qui met parfaitement ses formes en valeur. Et elle s'est à peine maquillée, ce qui est assez surprenant de sa part. De mon côté j'ai opté pour une combi-pantalon avec buste en dentelles. Que je n’aurais jamais mis auparavant. Il y a trois ans je détestais ma poitrine, depuis j'ai appris à vivre avec et je sais l'habiller grâce à Caly. Après tout je crois bien que ces gênes-là me sont toujours venues d'elle et de son corps parfait. Je dois admettre que je suis assez nerveuse et je n'arrête pas de me demander ce que dirait ma tante. « Fonce et amuse-toi ! » sûrement.
Alors d'accord, je vais essayer.
J'échange un dernier regard avec mon amie, et nous voilà parties. L’endroit est assez bien rempli même si quelques tables restent vides. Il y a des personnes de tout âge ici, mais ceux qui ne devraient même pas être dans un bar. Et il me faut un peu de temps avant de repérer enfin les garçons, assis au bar en train de discuter en riant. Zachary étant face à moi, il me voit le premier et s'arrête aussitôt de parler. Et de rire. Il m'observe. Me déshabille du regard comme lui seul sait le faire. Je dois utiliser tout le courage que je puisse avoir en moi, c’est-à-dire très peu, pour ne pas détourner le regard en rougissant et partir loin de lui. J'attrape le bras de Sofia pour prendre un peu du sien, et l’entraîner avec moi jusqu’aux garçons.
Quand Mathéo se retourne enfin, son regard à lui se pose sur ma meilleure amie sans surprise. Elle est trop belle pour ne pas être remarquée. Il se lève dès qu'on arrive à leur niveau pour attrape la main de Sofia et y déposer un baiser. C'est tellement cliché. Et pourtant tellement sexy. Je ne peux pas m'empêcher rire doucement quand je vois ma meilleure amie se mettre à discuter avec lui avec un sourire énorme et beaucoup trop flagrant aux lèvres. Elle a vite fait d'oublier ma présence comme j'aurais dû m'en douter. Heureusement je ne reste pas seule bien longtemps puisque Zachary est là.
- Je crois bien que je viens de perdre ma meilleure amie.
- Et moi le mien, renchérit-il en regardant Mathéo exaspéré.
Son regard se pose à nouveau sur moi, il me regarde de bas en haut en tentant d'être discret. Mais il ne l’est pas du tout et je crois que je vais finir par exploser si je continue de rougir comme je le fais.
- Il ne fallait pas te donner tant de mal pour moi Amyra Salem. Tu sais bien que n'importe quel décolleté me suffit.
Ça y est. Je l’attendais avec impatience celui-là.
Un léger rictus sort de ma bouche quand je vais m'asseoir à côté de lui sur une des chaises hautes pour appeler un barman.
- Alors le revoilà.
- Qui ça ?
- Ton côté insupportable. J'ai presque eu peur qu'il ait disparu quand on s'est vu tout à l'heure.
Je demande une margarita au barman qui attrape une bouteille en m'adressant un regard charmeur que je fais mine de ne pas avoir vu. Avant ça ne me serait jamais arrivé. Caly a raison, j’ai changé. C’est fou comme on devient visible par n’importe quel homme quand on décide d’arrêter de se sentir invisible. Zachary, lui, n'a pas l'air de le remarquer. Il poursuit notre conversation comme si de rien n'était.
- J’admets que j'étais bizarre. Mais pour ma défense, tu m’as pris par surprise, je ne savais pas que tu allais revenir.
- Comment tu aurais pu le savoir ? Ce n’est pas comme si Dorian aurait pu te le dire.
Cette remarque rend la situation assez gênante. Puisque je viens d'évoquer le divorce de nos parents et qu'il l'a bien compris.
- Je pensais qu’eux au moins ils iraient jusqu’au bout, m'avoue Zachary en regardant attentivement son verre.
C'est vrai que chacun n'a pas eu de chance en amour avant de se connaître. Moi aussi j'aurais voulu que ça fonctionne pour eux. Ils le méritaient.
Penser à ça me rend horriblement triste. Je me sens encore responsable de tout ça.
- Mais il faut voir les choses du bon côté, tenté-je de positiver. Toi et moi on ne sera plus obligés de faire semblant de se supporter.
- Ce n’est pas faux.
Le barman dépose mon verre devant moi, et je le cogne dans celui de Zachary en riant avant d'en boire une gorgée, acidulée et amère à la fois, comme je les aime. Je jette un rapide coup d'œil à mon amie derrière moi qui s'est mise en mode séduction. Je le reconnais très bien ce mode. Elle penche légèrement la tête, affiche un fin sourire et enroule une de ses mèches de cheveux autour de son index à plusieurs reprises. Je ne comprends pas comment cette technique peut fonctionner à chaque fois. Au bout d'un moment les garçons devraient se rendre compte qu'elle est un peu bizarre à pencher la tête sans raison et à jouer avec ses cheveux. Mais non. Et je crois bien que je l'admire pour ça. Je me retourne vers Zachary en souriant. Il est temps que j'arrête de me soucier de ma meilleure amie puisque de toute évidence elle va parfaitement bien sans moi.
- Bon alors Zachary Collins, qu'est-ce que tu deviens ?
Il fallait que j’essaie au moins de lancer la conversation.
- Pas grand-chose. L’université ne me plaisait pas. Alors j’ai laissé tomber après ma deuxième année pour me lancer dans une coloc avec Mathéo. Il travaillait déjà dans une salle de sport trois fois par semaines, et moi j'ai commencé à enchaîner les petits boulots pour trouver ce qui me plaisait vraiment. En ce moment je travaille dans un club privé un week-end sur deux. Je suis barman. Et plutôt bien payé.
Waouh. Il se prend en main. Et je dois dire que ce travail lui va assez bien puisque c'est la seule personne au monde que je connais capable de boire sans s'arrêter et sans faire de coma éthylique là où n'importe quelle personne sensée trouverait la mort. Aujourd'hui c'est lui qui fait boire les autres. Ce qui ne change pas non plus d'avant.
- Je vois que tu gères bien ta vie, le félicité-je, je suppose que tu dois crouler sous les pourboires des demoiselles.
- Tu n'as pas idée.
Je m'amuse toujours autant en sa compagnie. Ça fait du bien. Je n’avais pas autant ri avec quelqu’un depuis…depuis lui à vrai dire.
- Et toi alors ? Qu’est-ce que tu deviens ?
Sa question me fait sourire. J'ai toujours du mal à réaliser tout ce que j’ai pu vivre ces trois dernières années. Très peu de personnes parviennent à réaliser leur rêve, et surtout pas à mon âge. J'ai eu de la chance d'avoir Caly. Alors je bois une nouvelle gorgée avant de me lancer avec fierté.
- Je crois que je ne pourrais même pas compter le nombre de pays que j'ai visité. Ils étaient tous magnifiques. Différentes cultures, différents paysages, différentes rencontres...j’ai vécu les trois plus belles années de ma vie. C’est pourquoi je fais des études de journalisme en ligne avec un professeur particulier. Caly me dit tout le temps qu'avec le long stage que je fais avec elle tous les jours je pourrais me trouver un travail en passant un simple coup de fil après avoir obtenu mon diplôme.
Et nous continuons tranquillement comme ça, pendant quelques minutes qui me paraissent filer à une vitesse folle, à parler, boire, et rire, comme deux vieux amis qui se retrouvent après une longue séparation. J’avais oublié à quel point j’aimais discuter avec lui. Ce qui me plaît…plaisait…c’est qu’on peut très vite passer de l’amusement au sérieux avec Zachary.
Mais malheureusement aussi très vite du normal au gênant, comme lorsque la question fatidique que je craignais ne finisse par tomber. Celle que j'espérais ne pas entendre avant un bon moment. Ou jamais.
- Et tu as un copain sinon ?
Sandro. Encore quelqu'un que je tente d'oublier désespérément. Et depuis seulement deux mois. Alors je m'empare de mon second verre et le bois d'une traite en grimaçant légèrement quand je le repose. Je sens ma tête se mettre à tourner après tant d’alcool bu d’un seul coup. Zachary me regarde surpris et amusé.
- Sujet sensible ?
- Assez oui.
De toute façon il faudra bien que je lui en parle, je suis ici pour un bon moment ça sera impossible de le lui cacher. Et je trouve ça assez drôle qu’il cherche à se renseigner à ce sujet.
Je prends donc mon courage à deux mains pour lui répondre enfin. Quand je dis mon courage…je parle plutôt de la margarita qui coule à flots dans mes veines.
- En fait j’en ai eu un. Un italien.
Je vois Zachary sourire de cette précision que je me surprends toujours à apporter quand je parle de Sandro, mais je n'y fais pas plus attention.
- C'était un riche héritier, Caly devait faire un article sur son père. Et comme j’accompagne ma tante partout, j'ai fini par le rencontrer. Je suis restée avec lui en Italie pendant au moins un mois, et ensuite on a eu une relation à distance. Qui ne nous dérangeait pas plus que ça. Parfois on se voyait mais lui aussi était très pris par ses obligations. On a été ensemble pendant cinq mois en tout.
Je m'arrête de parler, perdue dans mes pensées. Je repense à notre relation. Elle n'a duré que quelques mois pourtant c'était la plus longue que j'aie connu, et sûrement aussi la plus romantique. Oui bien sûr, celle que j’avais avec Zachary l’était aussi, mais…c’était différent. Avec lui c’était un romantisme interdit comme Roméo et Juliette. On aimait devoir se cacher autant qu’on détestait ça. On aimait cette attirance dangereuse qui nous donnait sans cesse envie de nous sauter dessus dès que les gens avaient le dos tourné.
Avec Sandro je ne me cachais jamais, bien au contraire, j’aimais que le monde entier voie notre bonheur. Et puis les dîners aux chandelles, les ballades au bord du lac, les bals costumés…c’était vraiment une histoire digne des plus beaux contes de fées. Et j'étais tellement heureuse avec lui. Grâce à lui je m’étais sentie importante pour un garçon pour la première fois depuis que Zachary m’avait brisé le cœur. Et finalement…
- Qu'est-ce qu'il a fait pour tout gâcher ?
Je relève la tête vers Zachary en clignant des yeux comme pour reprendre mes esprits et revenir dans mon corps. Quitter mes souvenirs. Sa question me surprend je dois l'admettre.
- Comment tu sais que c'est lui qui a tout gâché ?
- Je le sais parce que toi, Amyra Salem, tu es beaucoup trop parfaite pour faire du mal à quelqu'un que tu aimes.
J'aime ce qu'il dit et en même temps ça me terrifie. Ça veut dire que je suis une trop bonne personne et que je suis destinée à être celle qui souffrira à chacune de mes histoires d’amour. Pourtant la raison de notre séparation me gêne assez, je n'ose pas lui dire. Je n’ose même pas croiser son regard.
- Je suis sûre que tu vas te moquer.
- Je te promets que non.
- Et je ne te fais pas confiance.
- Je dois encore me mettre à genoux pour que tu me crois ?
- Non ! le réprimandé-je aussitôt en riant. Non pas cette fois ça ira.
Maintenant je sais qu'il faut toujours le prendre au sérieux à ce sujet. Alors je n'ai pas le choix. Je vais devoir lui dire. Je n’aime tellement pas aborder le sujet…
Je m'éclaircis la gorge en levant les yeux au ciel.
- Il m'a demandé en mariage.
Après deux ou trois secondes de blocage, il se met à pouffer de rire en mettant sa main devant sa bouche pour faire passer ça pour de la toux. Mais quand je commence à le fusiller du regard, il explose de rire sans pouvoir s'arrêter. Certains clients le dévisagent comme s'il venait de monter sur le comptoir pour faire un strip-tease. Évidemment ça me fait sourire. Il ne sait toujours pas tenir ses promesses de toute évidence. Mathéo se tourne vers nous après quelques secondes, accompagné de ma meilleure amie.
- Zach on ne s’entend plus parler, tu pourrais aller t'étouffer ailleurs ?
Zachary se calme alors en se levant de sa chaise, et en sortant son porte-monnaie.
- Bonne idée.
Il sort quelques billets qu'il jette sur le comptoir. Dedans il y a assez pour payer ses verres et les miens. Puis il se tourne vers moi pour me tendre son bras.
- Tu viens avec moi ?
- Je...
Je regarde mon amie en hésitant. On voulait passer la soirée ensemble mais visiblement si je reste je vais devenir la cinquième roue du carrosse. Elle a l'air de bien s'amuser avec Mathéo. Alors je me lève à mon tour sans réfléchir plus longtemps et j'attrape le bras de Zachary en souriant à Sofia.
- On vous laisse, annonce Zachary à nos amis. Profitez bien de la soirée.
Et il n'attend pas une seconde de plus pour se diriger vers la sortie. Une fois dehors on est vite pris de plein fouet par le vent frais du soir. Mes bretelles ne se résument qu'à deux fils dont la seule utilité est de m'empêcher d'être les seins à l'air devant tout le monde. Ce qui est déjà bien je l'admets, mais pas très efficace contre le froid. Je fais pourtant semblant de ne rien sentir et je marche la tête haute aux côtés de Zachary dans la rue.
Même si en passant devant des inconnus assis sur un banc de l’autre côté de la rue, je retire automatiquement ma main de son bras. Je me sens bête de l'avoir fait quand il le remarque et se met à sourire.
- Désolée. C'est...l'habitude j'imagine.
Pendant quelques temps on a dû se cacher du reste du monde en évitant tout contact physique en public. J'ai toujours l'impression que si des gens nous voyaient ensemble ils se mettraient à nous juger, même si ces personnes ne nous connaissaient pas. C'est ridicule. Surtout qu'aujourd'hui on n'a plus rien à cacher. Pour la énième fois depuis le début de la soirée je change de sujet.
- Tu n'étais pas obligé de payer mes verres tu sais ?
- J'en avais envie. Excuse-moi d'être un gentleman.
Je me mets à rire en lui donnant un coup de coude. Mais comme je le pensais, il n'en a pas fini avec moi.
- Bon alors si je comprends bien, toi et ce riche italien vous vous êtes séparés parce qu'il t'a demandé en mariage. Tu es plutôt radicale.
Et il le sait mieux que personne puisque quelques jours seulement après notre séparation je faisais déjà mes cartons et je montais dans un avion pour m’éloigner le plus possible de lui. En même temps je ne lui ai pas tout dit.
- Ce n'est pas vraiment pour ça que je l'ai quitté. En fait j'avais...dit oui.
Il s'arrête de marcher pour me regarder en fronçant les sourcils et en croisant les bras, prêt à me sermonner.
- Tu veux dire que tu t'es fiancée ? Tu es au courant que tu n'as que 20 ans ?
- On n’allait pas se marier avant plusieurs mois ! Et ce n'est pas le sujet !
Je le pousse gênée pour qu'il continue d'avancer. On arrive devant l'entrée du parc municipale, parfaitement bien éclairé par la lumière des réverbères bien que totalement désert à cette heure-ci. Alors on y entre tandis que je prie pour qu'il ne voit pas que mon visage est devenu tout rouge.
- Je pensais que c'était le bon pour moi et j'admets m'être un peu emballée. Le fait est que le lendemain j'ai surpris une conversation entre lui et son père. Il m'a demandé en mariage uniquement pour que je reste en Italie avec lui parce que son père estimait que je pourrais faire bonne image devant les médias.
Dire ça me brise le cœur. Autant qu'au moment où je les ai entendus dans le salon du grand manoir familial. Son père le félicitait. J'étais tellement dégoûtée à ce moment-là que tout ce que j'ai pu faire, c'est monter dans ma chambre faire mes valises. J’ai fui une déception amoureuse pour la seconde fois de ma vie ce jour-là. Je crois qu'au fond j'en ai plus voulu à Sandro ce qu'il m'a fait, que j'en ai voulu à Zachary sa trahison. Après tout Zachary est un vrai imbécile et on n'avait pas été ensemble pendant très longtemps. En tout cas pas assez pour qu'il me mente à plusieurs reprises en me disant qu'il m'aimait. Il ne m’a jamais dit ces trois mots sacrés lui au moins parce qu’il savait qu’il serait incapable de les assumer. Et il n'a pas utilisé le mariage pour me manipuler.
- Et s'il t'avait demandé de l'épouser sans arrière-pensée ? m'interroge soudain très sérieusement Zachary. Tu serais allée jusqu'au bout ?
Honnêtement je ne me suis pas posé la question. Je ne voulais pas y penser, j'étais tellement obsédée par la colère et la tristesse que je n'ai même pas cherché à m’imaginer une fin heureuse. Celle que j’ai eu ne l’est pas, alors c’est la seule que j’aie besoin de connaître.
- Je ne sais pas. En fait je sais que ça peut paraître bizarre mais je voudrais vraiment me marier un jour.
- Pourquoi ça serait bizarre ?
- Parce que j'ai grandi en voyant un mariage s'effondrer devant mes yeux. Et que le second mariage de ma mère que je pensais réussi n'est en fait pas si parfait que ça non plus. Je devrais...je ne sais pas, être traumatisée ou dégoutée des mariages.
C'est une chose qui m'avait toujours étonnée. Malgré toute la souffrance qu'a enduré ma mère, je reste accrochée à l'idée qu'un jour j'aurai un grand mariage blanc. Je porterais une longue robe bouffante avec une traîne de plusieurs mètres de longs, j'inviterais tous mes amis et ma famille, je prêterais serment devant eux d'aimer un homme qui m'aimerait autant, et je mettrais le feu à la piste de danse lors de la réception avec Sofia. Ça serait génial. Pourtant maintenant que j'y pense je ne crois pas que ça aurait été possible de faire tout ça avec Sandro. Et puis avec lui ce mariage aurait été médiatisé. Un vrai cauchemar.
- Ce que tu dis est absolument ridicule Amyra.
D’accord… Qu'est-ce qu'il en sait ? Comment est-ce qu'il peut l'affirmer sans avoir le moindre doute ? Et puis comment ça se fait qu'il ait une opinion sur le mariage lui ?
Toutes ces questions n'ont pas le temps de sortir de ma bouche qu’il y répond déjà tout seul.
- Si tu veux tout savoir moi aussi je voudrais me marier plus tard, m'avoue-t-il sans que je m'y attende.
- Toi ? Le grand dur à cuire qui ne s'attache pas et qui laisse les filles lui courir après ?
- Certaines personnes ne sont pas ce qu’elles prétendent être.
Et c'est le cas de le dire. Je n'aurais jamais cru ça possible venant de lui. Je pensais qu'il était du genre à éviter le sujet à tout prix et à finir célibataire sur son lit de mort parce qu'il aurait refusé à toutes ses conquêtes de se marier avec elles.
- Moi aussi je me suis dit la même chose que toi, poursuit-il en regardant le parc d'un air plutôt effacé. Si mon père a fini par se faire abandonner par sa femme après plusieurs années de mariage alors pourquoi ça fonctionnerait pour moi ? En quoi je suis si différent de lui ? C'est peut-être dans nos gènes après tout.
C'est exactement ce que je me disais. Au point où ça me fait presque peur de l'entendre en parler avec une telle précision. Et d'un côté ça me rassure. Je ne suis pas la seule à avoir autant d'interrogations. Ça ne devrait pourtant pas me surprendre, Zachary a toujours su me comprendre de ce côté-là.
- On n'est pas nos parents Amyra. On est capables de faire nos propres choix sans qu'ils ne nous conduisent à une fin tragique. On a le droit d'être heureux.
Je ne sais pas s'il s'en rend compte mais ce qu'il me dit me fait du bien. Venant de quelqu'un d'autre j'aurais refusé de le croire. Mais lui, je lui fais confiance. Je sais qu'il a raison.
Je vais m'asseoir sur une des balançoires du parc en souriant discrètement.
Il va s'asseoir sur l'autre, quand je commence à me balancer malgré les nombreux vertiges provoqués par les margaritas. J’ai l’impression de flotter. Qu’en me balançant assez fort et vite, je pourrais m’envoler.
En parlant de mariages blancs et de tout ce qui va avec je me mets à penser à quelque chose d'assez drôle.
- Tu sais ce que je regrette le plus dans le fait d'être partie il y a trois ans ?
Il secoue la tête de gauche à droite en souriant.
- Le bal de fin d’année. Je n'ai pas pu y assister.
Et encore une fois il se moque de moi en riant aux éclats. Cette fois sans retenue puisqu'il n'y a personne à déranger à part moi dans les environs. Je le pousse donc en faisant partir sa balançoire sur le côté, le faisant presque tomber.
- Arrête de te moquer crétin ! Je te jure que je ne te dirai plus rien, à partir de maintenant je vais rester totalement muette !
- C'est impossible tu aimes beaucoup trop le son de ta voix.
- On croirait entendre Sofia.
Il continue de se balancer en riant comme un vrai gamin. Et à ce moment-là, une pensée me traverse l'esprit. Il m'a posé une question à laquelle je ne voulais pas répondre mais je l'ai quand même fait. Et je ne lui ai pas retourné cette fameuse question alors que je meurs d'envie de connaître la réponse. Juste comme ça. Par curiosité. J'affiche donc un air innocent en prenant mon élan pour ensuite me laisser flotter dans les airs une nouvelle fois.
- Et toi alors ? Tu ne m'as pas dit si tu avais une copine. Ou plusieurs.
- Waouh. Ça fait mal.
Mais il l’a bien mérité et il sait. Sinon il ne le prendrait pas aussi bien. Ça doit même le soulager que je prenne ce sujet à la rigolade aujourd’hui.
- Non personne à l'horizon.
Pas possible. Est-ce que ça se pourrait qu'il dise la vérité ? L’éternel coureur de jupons ? Je m'arrête de me balancer d'un coup, afin de pouvoir le fixer, plus qu’intriguée.
- Comment ça se fait ? Je veux dire...tu es toi.
- Sympa.
- Je ne fais qu'être honnête.
- C'est vrai et je ne peux pas t'en vouloir.
Il m’est parfaitement impossible de lâcher l'affaire aussi facilement. Il me faut le pourquoi du comment puisque moi je lui ai tout dit sur Sandro et moi. J’ai le droit de savoir !
- Et des ex ?
Il sourit en se mettant à regarder le ciel étoilé d’un air songeur.
- Il y a eu une fille. Différente des autres. Je crois bien que je n'avais jamais ressenti ça pour quelqu'un d'autre avant elle.
Je le savais. Un nœud se forme dans mon estomac lorsque je l'entends dire ça. Avant elle. Donc je suis inclue dans les relations sans sentiments. Ça ne devrait pas m’étonner. Pourquoi ça m’étonne ? Pourquoi je me sentais aussi spéciale ? Pourquoi ça me blesse ?
- Mais je lui ai brisé le cœur comme je le fais toujours.
- Et ? tenté-je d'articuler sans montrer de signes de mal-être.
Il soupire en se levant de sa balançoire. Met ses mains dans ses poches et fait quelques pas en me tournant le dos.
- Elle est allée faire le tour du monde avec sa tante et je ne l'ai plus revue pendant trois ans.
Cette réponse me paralyse. Mon cœur a fait un de ces bonds dans ma poitrine que je suis presque tentée de donner un coup dedans pour le remettre en place. Il parlait de moi ? Bien sûr qu'il parlait de moi je suis bête de me poser cette question. Non en fait, je ne sais pas pourquoi ça aurait dû me paraître évident. Comment est-ce qu'il peut oser dire ça ? Comment il peut se permettre de le faire, juste en face de moi ? Je serre les cordes de ma balançoire entre mes mains, à m’en faire mal aux paumes, avant de me lever à mon tour, folle de rage.
- Je t'interdis de faire ça !
Il se tourne vers moi surpris de m'entendre crier.
- De faire quoi ?
Je m'approche de lui pour le pousser avec mon index. Me croyant menaçante sur le moment.
- Je te préviens Zachary Collins ! Tu peux te moquer de moi ! Tu peux me sortir toutes les phrases à la con qui sortiront de ton cerveau d'emmerdeur ! Tu peux même me draguer pour plaisanter si ça te chante ! Mais en aucun cas, je dis bien en aucun cas, tu n'as le droit de parler de ce qu'on a vécu il y a trois ans ! Et surtout pas comme si ça avait été important pour toi parce que si c’était le cas, tu n’aurais pas tout foutu en l’air à l’époque !
Mon cœur bat à une vitesse folle. Je ne m'emporte pas de cette façon très souvent. Mais là je ne pouvais pas le laisser dire des choses pareilles. J’essaie de l’oublier depuis trois ans, et lui il…
Quel con !
Et quelle conne ! Pourquoi j’ai autant bu ?!
Je serre ma mâchoire et mes poings en le regardant droit dans les yeux. Puis soudain, tout en me surprenant moi-même, je lève ma main droite dans les airs, pour prendre de l’élan et l’aplatir avec force sur sa joue. Le bruit de la claque retentit dans tout le parc, et dans mon cerveau embrumé.
Je regrette mon geste au moment où je baisse mon bras et que le calme revient en moi.
Merde on se croirait presque comme à l’époque !
Surtout parce qu’il n’a pas l’air de m’en vouloir. En fait il est très calme. Comme il a toujours su le rester.
- Ça t’a fait du bien ?
J'allais me remettre à crier. Quand, sans que je ne le voie venir, il pose une de ses mains sur ma taille, et une autre sur ma joue, pour m'attirer vers lui et m'embrasser. Ma première réaction aurait dû être de le repousser et de le gifler à nouveau. Mais tout comme il y a trois ans, tout ce que je suis capable de faire, c'est répondre à son baiser. Ses lèvres m'avaient tellement manquées. Leur douceur mélangée à ses caresses qui me pressent contre son corps comme si la situation était urgente. Elle l'est. On ne s'est pas embrassés en trois ans et j'ai l'impression que je retombe dans une addiction que j’essayais de réfréner tant bien que mal. Je suis une droguée qui venait à peine de sortir de désintoxe, incapable de résister à la tentation. Alors je l'embrasse oui. J'embrasse Zachary Collins pendant de longues secondes durant lesquels j'ai la sensation de quitter ce monde. A ce moment précis j'ai à nouveau 17 ans.
Malheureusement les choses redeviennent toutes ce qu’elles étaient quand le baiser se termine. Je réalise ce qu'il vient de se passer tandis que nos souffles rapides, parfumés à la tequila et au whisky se mêlent. Mes lèvres sont comme endormie, mes jambes engourdies. Je dois fermer mes yeux et secouer ma tête afin de me remettre les idées en place et enfin me séparer de lui pour me diriger précipitamment vers la sortie du parc. Mes chaussures à talons qui me ralentissent, m'obligent à m'arrêter pour les enlever. Et permettent à Zachary de me rattraper.
- Amyra…
- Non. Non ne dis rien. Surtout ne dis rien. Je n’aurais pas dû…
Je suis tellement bête. Encore une fois je suis tombée dans son piège. Je pensais avoir grandi, avoir pris de la maturité, mais je dois être bien loin du compte.
- Je veux juste que tu me laisses tranquille.
Et une fois mes deux chaussures en main je reprends ma route en courant, ne sentant même pas le sol glacé sous mes pieds. Cette fois il ne me suit pas. Cette fois il ne me court pas après pour essayer de me calmer. Et j’en suis plus que soulagée parce que s’il l’avait fait…
Je ne l’aurais sûrement pas repoussé.
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