Chapitre VIII
Ce simple mot que je viens de prononcer, résonne maintenant dans ma tête comme un écho. Comme si la simple évocation de ce mot avait totalement vidé mon esprit: toutes mes pensées, envolées.
Pourtant je vois cet homme devant moi, cet homme qui m’a élevée ou plutôt qui a mal essayé de m’élever. Cet homme qui ne mérite même pas d’être nommé ainsi puisqu’il n’a pas endossé les responsabilités qui l’accompagnaient. Il était toujours plus absent que notre mère à cause du travail. Je ne crois pas avoir vu une fois ses yeux noirs me regarder avec inquiétude quand j’étais malade. Ses épaules ne m’ont jamais portée comme Zachary porte Charlie. Pourtant je me souviens soudain de ce sourire quand il venait me souhaiter une bonne nuit. De ses mains qui cuisinaient des plats pas toujours réussis mais pleins de bonnes intentions. Et de cette voix qui me faisait rire tous les jours.
— Bonjour Amyra, s’exclame-t-il en souriant.
Alors j’oublie le père qui était absent dans les moments difficiles, et je souris face à celui qui choisissait les moments de joie pour se montrer. Il ouvre ses bras dans lesquels je cours me blottir. Comme lorsque j’étais petite et que je rentrais à la maison après une longue journée d’école. Je me sens retomber en enfance. D’accord il n’a pas assuré comme père, mais il a été un… un bon ami on va dire. Et puis même si j’ai vite été obligée d’apprendre à cuisiner, à m’occuper de toutes les tâches ménagères et à me soigner toute seule lorsque j’étais malade, j’ai survécu à son éducation après tout, je ne pourrai pas lui jeter des pierres éternellement.
— Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
— Je suis venu vous voir ton frère et toi. Vous me manquez tu sais ?
Et revoilà la Amyra méfiante. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour se montrer à nouveau. Il est venu nous voir ? Vraiment ?
Alors il envoie balader Sébastian au téléphone et deux jours après il fait plusieurs heures de vol pour venir nous voir parce qu’on lui manquait ? J’ai du mal à y croire. Non en fait je n’y crois pas du tout.
Je le connais beaucoup trop bien depuis beaucoup trop longtemps pour savoir quand il ment. Il veut quelque chose. Ou alors il a quelque chose de grave à nous dire. Et c’est quand j’étais sur le point de lui poser la question que Sébastian et ma mère qui m’ont sûrement entendu quand j’ouvrais la porte, arrivent derrière moi. Ma mère pose une main sur mon épaule et m’attire vers elle comme pour me protéger d’un homme dangereux. Ça ne m’étonnerait pas qu’elle le considère comme un homme dangereux pour être honnête. Sébastian lui se tient à côté de moi, protégé aussi par la seconde main de notre mère. Il a l’air heureux de voir notre père et en même temps il y a quelque chose dans son regard que je ne reconnais pas.
— Connor, dit enfin ma mère sur un ton sec qui brise le silence gênant qui s’installait.
— Cassandra, répond ce dernier instinctivement sur un ton moins agressif.
Retour du silence gênant… Mais cette fois accompagné d’un duel de regard entre mes parents. Je me tourne vers Sébastian qui a l’air aussi perdu que moi. On sait tous les deux qu’on devrait dire quelque chose mais rien ne sort. On reste figés comme lorsqu’on était petits et qu’on voyait ces deux adultes se disputer devant nous. Ce qui arrivait souvent. Mais nous ne sommes plus des enfants heureusement et il est temps que ça change.
— Et donc tu voulais nous parler papa ? reprends-je sur un ton calme et ouvert à la discussion.
Mes parents sursautent, surpris de m’entendre, comme je m’en doutais. D’entendre que je parvienne à me manifester malgré la tension qui règne entre eux. Mais ma mère a l’air fière, à la différence de mon père qui paraît gêné. Il se gratte la nuque nerveusement et hoche la tête.
— Oui mais ça peut attendre.
Je me disais bien qu’il y avait quelque chose de louche. Ce n’est pas une simple visite de courtoisie, je le sentais dès le début. Il a quelque chose à nous annoncer. Quelque chose qui risque de ne pas nous plaire à mon avis et à en croire mon expérience.
— Si tu veux nous dire quelque chose dis le maintenant, proteste mon frère en croisant ses bras, l’air agacé.
Il n’a pas digéré ce qui est arrivé le jour de l’anniversaire de
Charlie. Je suis sûre qu’il voudrait être gentil avec notre père mais ce coup de téléphone a fait resurgir toutes les autres déceptions qui précédaient celle-ci. Je crois qu’il n’est pas près de lui pardonner. Et ça Connor Salem semble le remarquer, parce qu’à la tête qu’il fait on devine qu’il est en train de se demander s’il a eu raison de venir. Avec une ex-femme qui le déteste, un fils qui commence à le détester, et une fille qui tente de le détester. Mais il ne se décourage pas.
— Dans ce cas j’aimerais vous parler seuls.
Il plante son regard dans celui de ma mère qui ne bouge pas pour autant.
— Ça va aller les enfants ? nous interroge-t-elle espérant, j’en suis sûre, qu’on lui dise non.
Mais Sébastian et moi hochons la tête et elle est bien obligée de s’en aller à contrecœur. Je comprends son inquiétude, mais ce n’est pas comme si elle nous laissait avec un total inconnu rencontré dans la rue. Il reste notre père. Mon frère referme la porte derrière elle et nous nous tournons vers notre géniteur, les bras croisés et le regard vide de tout sentiment positif à son égard. Ce qui pour ma part n’est pas réellement volontaire.
— Alors ? Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ces milliers de kilomètres ? reprend mon frère en appuyant bien sur les « milliers » qui a toujours été le prétexte de notre père pour ne pas venir nous voir ou nous accueillir chez lui.
Pendant un court moment je suis persuadée qu’il va abandonner et rebrousser chemin. Mais il ne le fait pas. Il prend son courage à deux mains et se met enfin à parler. La phrase qui sort de sa bouche provoque chez nous un réel choc :
— Je vais être papa.
Sur le coup je ne comprends pas. Et puis tout devient clair, sa nouvelle femme est enceinte. Je suis choquée, mais surtout déçue.
Pas du fait qu’il soit parvenu à engrosser une femme, non c’est le fait qu’il nous l’annonce comme si c’était la première fois que ça lui arrivait. Il VA être papa ? Mais bon sang il l’est déjà et il est vraiment nul dans ce rôle. Et je crois qu’il saisit sa gaffe : il se rattrape presque aussitôt.
— Enfin je veux dire : je vais être papa encore une fois.
Bizarrement ça ne change pas grand-chose à ma frustration.
Je n’arrive pas à comprendre ce qui lui est passé par la tête pour recommencer la paternité.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? demande mon frangin qui visiblement n’a lui, pas compris ou ne veut pas comprendre.
— C’est pourtant simple mon très cher frère. On va avoir un petit frère ou une petite sœur.
— En fait, reprend notre père en bégayant presque, ce sont des jumeaux. Donc vous aurez un petit frère et une petite sœur.
Des jumeaux? Mais s’il connaît déjà leurs sexes alors…
— Elle est à combien de mois de grossesse ?
— Sept mois. Mais on ne le savait pas elle a fait un petit déni de grossesse.
Un petit déni de grossesse ? C’est une plaisanterie ? Je regarde Sébastian qui n’a pas l’air de vouloir dire quoi que ce soit, contrairement à moi qui n’ai pas arrêté et qui continue de poser des questions.
— Et vous les vouliez ces enfants ?
— Eh bien… non mais maintenant qu’ils sont là on va improviser.
Et c’est pour ça aussi que je suis venu vous voir. Sébastian tu m’as appelé pour savoir si tu pouvais venir vivre avec nous. À ce moment-là j’étais débordé avec cette nouvelle mais maintenant je pense que c’est effectivement mieux pour vous de venir.
Et là, la rage s’empare de mon corps, je ne contrôle plus rien, j’explose :
— Tu te fiches de nous là ? Franchement tu croyais vraiment que revenir vers nous, comme ça, du jour au lendemain ça allait nous donner envie de venir vivre avec toi ? Sois honnête papa la seule raison pour laquelle tu veux qu’on vienne c’est parce que tu sais que tu as foiré ton travail de père avec tes premiers enfants et tu as envie qu’on vienne t’aider à ne pas faire la même erreur en élevant tes futurs gosses à ta place !
— Amyra je sais que je n’ai pas été un père génial pour vous mais je vais changer. Je veux être un meilleur père pour les bébés à venir.
— Pourquoi ? ! (Je crie sans me soucier du voisinage). Hein? ! Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous pour que tu décides de changer miraculeusement pour eux? ! Nous aussi on aurait pu te provoquer ce déclic mais apparemment on n’est pas assez intéressants pour ça !
J’ai voulu vider mon sac pendant des années sans oser le faire.
Mais là c’est la goutte d’eau qui fait déborder la piscine de frustration.
— Amyra…
— J’ai espéré toute ma vie que tu deviennes le père que je voulais avoir! Alors dis-moi pourquoi je mérite moins que ces fœtus de l’avoir ce satané père ? ! Qu’est-ce que je t’ai fait de mal papa ? !
Il ne répond plus. Il n’essaie même plus de répondre. Sébastian fait soudain demi-tour et rentre. Je suppose que certaines choses que j’ai dites ont dû le blesser lui aussi. Et ça ne fait que m’énerver encore plus. On passait un bon moment en famille et notre père a tout gâché. Alors je le regarde une dernière fois en serrant les dents et les poings et je fais comme Sébastian en claquant pour ma part la porte derrière moi. En évitant les regards de ceux qui étaient restés dans le salon, je cours m’enfermer dans ma chambre. Beaucoup trop de rancœur est sortie d’un seul coup. Je sens mon cœur battre à mille à l’heure, mes poings qui refusent de se détendre, mon visage qui se crispe et des maux de tête incessants qui me torturent. Ma douleur d’enfance qui était enfouie en moi me fait l’effet d’un boulet de canon. Toute cette colère je dois la diriger vers autre chose. Et cette autre chose en l’occurrence c’est mon bureau, vers lequel je me dirige pour renverser tout ce qui s’y trouve. Et puis je vois une photo de vacances sur mon étagère, une photo de mon père, de mon frère et de moi. C’était peu de temps après le divorce quand nous avions encore un peu d’intérêt pour lui. Il nous avait invités pendant les vacances d’été. Ce fut la dernière fois d’ailleurs. Cette photo… je la déchire en mille morceaux. Et je laisse les larmes couler. Je pleure.
Je ne pleure jamais. Je suis toujours celle qui garde le sourire. Même quand je me suis cassé le bras en apprenant à faire du vélo avec ma mère. Même quand j’ai appris que mes parents allaient divorcer et que j’ai dû choisir avec qui vivre. Aujourd’hui je ne regrette absolument pas mon choix, après tout mon père avait beau dire le contraire, en père marié il craignait alors ça aurait été pire en père célibataire.
Mais aujourd’hui il va de nouveau être un père marié. D’un côté j’envie ces deux bébés, il a l’air de vraiment vouloir changer et ils auront énormément de chance s’il y parvient. Mais d’un autre côté, s’il commet les mêmes erreurs qu’avec Sébastian et moi je plains ces jumeaux. Des jumeaux. Je vais être grande sœur. Même si Charlie n’est pas du même sang que moi je la considérais comme telle et ça me suffisait. Mon père n’est pas prêt ça crève les yeux. J’entends quelqu’un frapper à la porte. Je n’ai pas envie d’ouvrir, mais je me rends compte que j’ai encore moins envie d’être seule. Alors je me lève avec quand même beaucoup de paresse et je me retrouve nez à nez avec Zachary. Celui que je ne m’attendais pas à voir. J’aurais plus pensé à Sébastian, ou à ma mère. Mais jamais à l’emmerdeur de service que je suis pourtant heureuse de voir même si je ne veux pas l’admettre. Et comme je ne veux ni l’admettre ni le montrer, je fais tout pour qu’il pense le contraire.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
Mon ton est calme pourtant je fais de mon mieux pour être méprisante.
— Je viens te kidnapper Amyra Salem, sauf si tu décides de me suivre de ton plein gré ce qui serait beaucoup moins drôle je l’admets.
Me kidnapper ? De quoi il parle ? Face à mon air surpris, il enchaîne :
— Donc pour faire court je sais ce que c’est d’être abandonné par quelqu’un de sa famille. Qui plus est par un de ses parents. Alors je me suis dit que tu voudrais peut-être parler.
Parler ? Il a un sérieux, incroyable. Il n’est pas en train de me faire une blague stupide. Il est sincère, je le sens. Je ne sais pas quoi faire. Oui j’aimerais parler avec quelqu’un de tout ça, avec quelqu’un comme Zachary qui « pourrait » me comprendre. Nos histoires ne sont pas exactement les mêmes mais elles ont des points en commun.
Mais il s’agit de Zachary Collins et je n’ai aucune confiance en lui. Bah! Après tout, je n’ai rien à perdre et si je comprends bien son histoire de kidnapping, il propose de sortir et j’en ai besoin. Alors j’accepte sans penser davantage aux conséquences désastreuses que ça pourrait avoir.
— D’accord.
— D’accord ?
— D’accord.
Il a l’air aussi surpris par mon accord que moi par sa question. Ce qui me fait sourire. Je marche à côté de Zachary jusqu’à sa voiture, une Jeep noire que j’aimerais bien avoir à la place de l’épave qu’est devenue la mienne grâce au super boulot de mon frère ivrogne irresponsable. Bon je ne vais pas à nouveau me mettre en colère en pensant à ce petit incident, je dois déjà gérer le fait que Zachary
Collins soit sympa avec moi. On commence à rouler, dans un grand silence. Aucun de nous ne parle. Aucun ne sait quoi dire. Ce qui est étonnant puisque c’est lui qui m’a traînée jusqu’ici, et qu’on trouve toujours un truc à se balancer à la figure habituellement. Je me demande bien où on va. Et je continue de me le demander pendant plusieurs kilomètres avant que le suspens ne devienne trop difficile à supporter.
— Bon tu comptes me dire où on va Zachary ou pas ?
— Je commençais justement à croire que tu ne poserais jamais la question. Mais tu es beaucoup trop curieuse pour ça.
Moi qui me plaignais du silence, j’aimerais pourtant bien qu’il revienne. Son ton arrogant suffit pour me rappeler que je n’ai absolument pas envie de lui parler, mais je suis beaucoup trop têtue pour lui laisser le dernier mot et lui donner raison en me taisant.
— Je te signale que c’est toi qui es venu me chercher. Dans ma chambre.
— Tu as accepté.
— Tu ne m’as pas vraiment laissé le choix.
Je le regarde sourire avant de soupirer et de me retourner vers le paysage qui se met à changer. On quitte la ville là. Pourquoi est-ce qu’on quitte la ville ? Où est-ce qu’on va ?
— Je t’emmène loin de tous ces tarés si tu veux vraiment le savoir.
Et on a encore une bonne heure de route mais si tu veux faire demi-tour tu n’as qu’à me le demander.
J’aimerais le faire. J’aimerais lui dire qu’il est la dernière personne avec qui je voudrais m’enfuir comme ça. Parce que c’est ce qu’on fait. Mais je n’y arrive pas, je suis comme bloquée par la part de moi qui pense à mon rêve d’évasion, lequel est en train de se réaliser.
C’est vrai après tout, monter dans une voiture, rouler pendant un long moment pour partir loin, sans prévenir personne… c’est ce que j’ai toujours voulu et le fait que Zachary soit la personne qui me permette de le faire, c’est vraiment trop étrange. Je m’attendais à tout sauf à ça. On roule donc, encore, et encore. Jusqu’à atteindre une sorte de désert. Il y a une longue route mais rien devant ni derrière, aucun signe de vie ou de civilisation. Et c’est là qu’il s’arrête. Sur une route déserte, éloignée de tout, avec pour seule vue quelques montagnes de pierres. Je me tourne vers lui surprise quand il se gare.
— Tu comptes me tuer et enterrer mon corps ici ?
— Si seulement.
Il me sourit et sort de la voiture. Je le vois faire le tour pour aller chercher quelque chose dans le coffre. Peut-être une pelle et un pistolet ? Bon je ne suis pas très rassurée, mais s’il me tue de toute façon ma mère le tuera. Ainsi que son père par la même occasion. Je sors donc à mon tour du véhicule et je l’attends tandis qu’il fouille toujours, et c’est après quelques secondes de recherches qu’il lève enfin dans les airs une bouteille de whisky, identique à celle que j’avais bu à l’anniversaire de Charlie avec Dorian. Zachary a l’air tout fier de lui en agitant la bouteille en signe de triomphe dans les airs alors je le fais redescendre sur Terre.
— Tu es conscient que ton père risque de se rendre compte de la disparition de cette bouteille avant même de se rendre compte de la nôtre ?
— Au risque de te choquer je n’en suis pas à mon premier vol, déclare-t-il en m’adressant un clin d’œil plein de malice. Je ne suis pas un gentil garçon ça t’étonne ?
— À peine.
Il referme le coffre en riant et me donne la bouteille avant d’aller s’allonger d’un simple saut sur le capot de la voiture pour regarder le ciel. La nuit est tombée durant le trajet. Et lorsque je lève la tête je vois enfin les milliards d’étoiles qui créent à elles seules un spectacle incroyable que je n’avais jamais vu. Il n’y a pas un seul petit espace qui ne soit occupé par un point lumineux. Je suppose que c’est dû au manque de lumière. On est coupés du reste du monde ici. En fait j’aime bien cet endroit. Je vais rejoindre Zachary sur le capot qui est assez grand pour nous accueillir tous les deux, mais pas assez pour qu’il n’y ait pas de contact entre nous. Nos bras se touchent et les frissons se remettent à me parcourir. Pourquoi est-ce que je ne peux pas m’empêcher de ressentir ce genre de choses auprès du seul garçon que je ne peux pas avoir ? Ça doit être moi la masochiste tout compte fait, puisque je viens tout de même de monter dans sa voiture et de le suivre jusqu’à un désert. J’en ai assez de ma vie. C’est pourquoi j’ouvre la bouteille avec plaisir, et j’en prends une gorgée rapide. Le liquide brûlant coule dans ma gorge en la chauffant et se répand dans mon corps tout entier. Nous buvons, chacun notre tour.
— Alors tu vas être grande sœur ?
Grande sœur. Je déteste cette expression. Je ne me vois pas du tout porter cette étiquette puisque j’ai toujours été la petite sœur.
— Apparemment.
— Waouh cache ton enthousiasme.
Je souris et lui donne la bouteille en regardant toujours les étoiles.
— C’est juste que je ne me vois pas endosser le rôle de la grande sœur responsable qui doit montrer l’exemple.
— Pourtant tu t’en sors bien avec Charlie.
Je souris en pensant à la petite frimousse que je connais depuis la majorité de sa vie et pour qui j’ai un amour incroyable.
— J’aime vraiment Charlie. Mais ce n’est pas pareil, c’est ma demi-sœur j’aurais pu ne jamais croiser son chemin.
— Et tu crois que je voulais être grand frère moi ? J’ai flippé rien qu’à l’idée de simplement partager ma maison avec une nouvelle venue à l’époque. Aujourd’hui je n’imagine pas ma vie sans elle.
C’est adorable. Il ne parle jamais comme ça. Peut-être que maintenant qu’on est éloignés d’un possible public, il se permet d’ouvrir un peu sa coquille sans se méfier du jugement des autres. Je suppose qu’il a une réputation de mauvais garçon à garder.
— Je comprends ce que tu ressens Amyra. Ma mère n’a jamais été très maternelle avec moi mais elle faisait de son mieux et je l’aimais pour ça. Jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’un enfant de plus c’était trop pour elle et qu’elle nous abandonne tous les trois deux semaines après la naissance de Charlie en laissant les papiers du divorce sur la table à manger et une lettre qui m’était destinée Je connaissais déjà cette histoire. Ou plutôt j’en connaissais une partie, ce que ma mère m’avait raconté. J’ignorais que Zachary avait reçu une lettre.
— Mon père ne sait pas pour la lettre. Je suis le premier à avoir tout découvert et avant de l’appeler j’ai caché ce satané bout de papier.
Je ne sais pas quoi faire en fait. Je ne sais pas si je dois continuer de l’écouter sans rien dire, si je dois lui poser des questions, si je dois… dire au moins quelque chose, un simple mot ? Je suis perdue. En quatre ans on ne s’est jamais parlé aussi sérieusement sans sarcasme, sans insultes, sans provocations et sans hausser le ton. C’est difficile de savoir comment réagir. Alors j’arrête de réfléchir, et je lui parle comme je parlerais avec Sofia ou avec Mac. En toute confiance, sans craindre de me casser la figure en le faisant.
— Elle t’a donné une raison pour son départ ?
Il fixe les étoiles, il ne me regarde pas une seule seconde pourtant je vois bien que ce sujet le touche. Le voir comme ça, je ne sais pas pourquoi ça me fait de la peine et ça me donne envie de le réconforter.
Je trouve ça bizarre. Mais je ne me précipite pas. J’attends simplement sa réponse.
— Elle a dit qu’elle était incapable de gérer tout ça. La famille, le travail… elle voulait tout fuir. Elle m’a dit qu’elle m’aimait, mais que je serais sûrement mieux sans elle.
Il fait une pause pendant laquelle ma gorge se serre de culpabilité.
C’est de ma faute s’il se sent obligé de me raconter cette histoire douloureuse. Cependant je ne comprends pas pourquoi il se donne tant de mal juste pour moi, après tout il ne m’apprécie pas vraiment, ou bien il s’y prend mal pour me montrer son affection. Il cache même sa tristesse en se tournant vers moi et en se forçant à reprendre son air arrogant pour me rassurer.
— Tu sais j’étais comme toi avant. C’était le bazar dans ma tête. Un jour je détestais ma mère, le suivant je lui trouvais des excuses. Et ça recommençait encore et encore.
Oui c’est exactement ma situation.
— Et maintenant ?
— Maintenant je lui ai pardonné parce que c’est ma mère et que je l’aime. Si elle revenait ici, il lui faudrait du temps pour se racheter mais je ne pourrais jamais la détester totalement.
Il a raison. Je ne peux pas détester mon père. Surtout pas pour une histoire de nouveaux enfants.
— Tu feras une superbe grande sœur Amyra Salem je n’en doute pas. Alors arrête de te tracasser pour ça.
Il me sourit à nouveau, me fait un clin d’œil, puis se retourne vers les constellations. Mais moi je continue de le regarder. Son visage est uniquement éclairé par la lumière de la lune, et par les phares de la voiture qui sont toujours allumés. Je ne l’ai étrangement jamais trouvé aussi irrésistible, et je n’ai pas peur de l’avouer. Je suppose que c’est sa vulnérabilité qui m’attire. Je vois enfin une autre image de lui que celle du gros dur qui se donne de faux airs pour impressionner les filles. Il se tourne vers moi en riant en sentant mon regard posé sur lui.
— Je sais que je suis incroyablement beau mais ce n’est pas une raison pour me fixer comme ça.
Je souris et mon regard se concentre soudain sur ses lèvres. Ses lèvres qui m’attirent tant, je ne peux pas m’empêcher de les regarder avec envie. Et sur un coup de tête, je me redresse, me penche vers lui et je l’embrasse. Je sais que je ne devrais pas. Et pour une fois ce baiser est accompagné du goût amer de la culpabilité. Il n’hésite pas une seconde à répondre à mon baiser et je sens sa main se glisser derrière ma tête pour m’attirer un peu plus vers lui. Je me sens trop bien à ce moment précis pour tout arrêter comme je devrais le faire.
J’en ai assez de trop réfléchir, on est isolés de tout ici, je suis libre de faire ce que je veux. Nous nous séparons seulement quelques instants après et je le regarde en me mordant la lèvre et en souriant. Comme lui.
— Je ne t’ai pas raconté tout ça pour ça tu sais ? dit-il en se redressant légèrement.
Je me mets à rire. Pour une fois qu’il ne fait pas quelque chose pour son propre intérêt.
— Je n’ai pas fait ça non plus parce que tu m’as dit tout ça.
On continue de sourire comme deux enfants et il m’attire à nouveau vers lui pour m’embrasser. Je ne me suis jamais sentie aussi bien, pourtant je suis persuadée que ce simple geste aura d’importantes répercussions. Et la culpabilité devient plus forte que l’envie au bout de quelques secondes.
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