Chapitre 2

TW: sexe

- Le patron m' a licencié hier parce que j'ai dû m'absenter sur le chantier pour aller retrouver ta soeur qui voulait que je vienne choisir à la boutique la couleur du tissu pour la décoration. Les ouvriers ont fait un sacré travail en mon absence à ce qu'il paraît, dit-il sur un ton ironique.

- Ada aurait pu m' appeler quand même.

- Tu aurais répondu que tu étais prise à l' hôpital de toute façon.

Il se rassoit près de moi et me prend la main. Ses yeux inquiets rencontrent les miens. Il semble chercher ses mots. Je me rends alors compte combien ma passion pour mon travail m' a éloigné de lui. J'ai pourtant essayé d'être disponible pour lui et ma famille mais à chaque fois, même étant avec eux,mes pensées vaquaient à l' hôpital. Je pensais à comment je vais accoucher une femme et à toute cette joie que me procure cette sensation que de prendre un nouveau-né dans mes bras. Émotive, j'ai l' habitude de rester dormir à l' hôpital s'il arrive qu' une femme perde son bébé pour partager sa tristesse. Mon envie d'être mère a toujours été à son paroxysme mais la peur s'en est toujours mêlée. Je me suis toujours dite que je ne serai jamais capable d' élever ce garçon que Gardy a toujours voulu mais que j' hésite à lui donner. Les enfants demandent du temps et mon travail ne m'en donne pas. De plus, j'ai passé la majeure partie de mon enfance avec des parents qui se disputaient pour finir divorcés à mes 15 ans. Je ne pense pas avoir reçu assez d' amour, d' attention pour en donner en retour. Alors, je me contente juste de partager le bonheur de mes patientes.

- C'est pour ça que j' essaie de réduire les dépenses, chérie.

Cette phrase me sort de mes pensées. Il avait pris tellement de temps à se prononcer enfin.

- Tu n'es pas le seul qui travaille, Gardy, lui dis-je. On me paie bien, tu le sais. Je peux gérer en attendant que tu retrouves un nouveau job. Tu es ingénieur quand même, tu ne pourras pas chômer longtemps.

- On dirait que tu n'as toujours pas compris la réalité du pays dans lequel on vit. Il y a ton père aussi. Quand il saura qu'il va confier sa fille à un homme...

- De un, mon père n' a pas à savoir. De deux, cette question de fierté d' homme, tu la gardes pour toi. On est en 2010 quand même.

Il hoche la tête mais je sais qu'il n'est pas rassuré. Ça doit être du fait que notre société s'attende toujours à ce que ce soit l'homme qui prenne soin de la femme. Mais je pense que si on est mariés, tout devient mutuel. Il n'y a plus besoin de placer un sexe au-dessus de l' autre, de différencier les devoirs de chacun. Le mariage ne veut-il pas que l'on ne devienne qu'un seul être?

Je regarde l' heure à ma montre, cela le fait soupirer. Je sais qu'il pense que je vais encore m' éclipser comme la plupart des fois. Pour lui prouver qu'il a tort, j'enlève la robe que je portais. D'un regard langoureux, il admire mon corps de femme comme s'il le voit pour la première fois. Il se mordille les lèvres, je ne sais pas pourquoi il tarde à me toucher. Comme s'il avait entendu ma dernière pensée, il soulève son t-shirt et l' envoie valser derrière lui. Nos lèvres se connectent aussitôt alors que ses mains se sont déjà accrochées à mes seins qu'il caresse du bout des doigts. Je le renverse sur le lit, prenant ainsi le dessus. Je sens son membre se dresser à mon contact après qu'il s'est défait de son pantalon. J'ai l' impression que mes yeux vont tomber par défaut de tourner dans leurs orbites quand il pénètre mon antre d' amour. Le mouvement de nos bassins s' accordant sous le rythme de nos respirations saccadées, je m'accroche d'une main à sa nuque  quand je sens les spasmes s' emparer de mon corps fébrile. Puis je m' écroule dans ses bras.

***

La sonnerie de mon téléphone me retire de mon sommeil profond. Je sursaute aussitôt alors que Gardy se redresse pour le prendre sur la commode , gardant son bras gauche autour de mon cou.

- C'est ton alarme, dit-il d'une voix endormie en me montrant l' écran.

- 7h15! m' affolé-je en me retirant de son étreinte.

- Chérie...

- N'essaie pas de me retenir, le devancé-je en enfilant ma robe. Je suis de garde cette nuit. J'aurais dû déjà être à l' hôpital.

- Reste encore 30 minutes et je t' y emmène, me propose-t-il sachant que j'ai laissé ma voiture, depuis la semaine dernière à Ada, qui l' avait réclamé pour les préparatifs du mariage.

- Ne t' inquiète pas, je prends juste un taxi. Tu passeras me prendre demain matin pour me ramener chez ma mère.

Il sourit malgré la déception qui vient voiler son visage.

- Tu m' as manqué, m' avoue-t-il en se redressant complètement sur le lit alors que son corps est enroulé dans les draps.

Je lui fais un sourire en guise d' excuse de n' avoir pas été trop présente pour lui ces derniers jours. Sa demande en mariage, au lieu de nous rapprocher un peu plus, m' a tellement stressé qu'à chaque fois qu'il me demandait de venir dormir chez lui, je pretextais que je devais rester à l' hôpital. Il ne s'en est pas plaint pour autant, Gardy a toujours été cet homme taciturne qui préfère cacher ses sentiments. C'est pourquoi son aveu me blesse le coeur. C' aurait été tellement plus simple si on ne tentait pas de rendre plus formelle notre relation!

Me rendant compte que je restais sur place q le regarder, je me dirige vers son placard pour prendre une blouse que je laisse chez lui d' habitude. A chaque fois que je vois cet uniforme, j'ai toujours l' impression qu'être obstétricienne remplace petit à petit mon envie d'être mère.

Et merde!

- On ne s'est pas protégés, m' exclamé-je en lui faisant face.

Il pouffe de rire. Mon visage reste impassible pourtant. Le remarquant, il reprend son sérieux.

- Dans seulement quelques jours, tu seras ma femme. Ne me dis pas que tu vas vouloir qu'on le fasse ainsi toute notre vie.

Je ne trouve rien à répliquer. Ma langue est comme nouée d'un coup. Je n'ai jamais eu le courage de lui avouer que j' ai peur d'enfanter. Après toutes ces années, il est normal qu'il s'inquiète à ce sujet.

- Je... je dois m' en aller, balbutié-je, embarrassée sur le point de partir.

Je me cogne contre la porte, n' ayant pas fait attention à si elle était fermée ou pas. Je tourne la serrure et au moment où j' allais disparaître, sa voix m' interpelle.

- On l' appelera Gardy Fils Jean Philippe. Si c'est une fille, ce sera à toi de choisir...

Je lui ferme la porte au nez. J' entends son éclat de rire qui finit par m' arracher un sourire. Il sait que je déteste ce nom. Pourquoi inclure "Fils" dans le prénom d'un enfant? Est-ce une étiquette pour faire éloge du père?

Certains parents doivent avoir perdu la boule, soupiré-je en descendant ces marches interminables.

Il habite au troisième étage d'un appartement où il a loué deux chambres à coucher. Voulant être indépendant, il a laissé le siège familial pour s' y installer juste après avoir décroché son diplôme. S'il ne m' avait pas rencontré à l' hôpital ce jour où il y était venu avec un ami pour l' accompagner lors de l' accouchement de sa femme, il serait déjà dans un pays étranger à poursuivre ses études. A l' époque, je bouclais avec ma dernière année d'internat et j'ai été l'une des personnes à assister le médecin en chef lors de cet accouchement qui avait connu tellement de complications. On était presque tous à perdre espoir voyant qu' on allait demander au père de choisir sa femme ou son bébé à sauver. La panique avait pris possession de tout mon corps. Je n'avais jamais été confronté à un tel cas, étant encore étudiante. Je remettais déjà en question ma carrière de médecin, je me voyais quitter cet hôpital pour ne plus y revenir. A vouloir nous remplir la tête avec des cours d' anatomie ou de physiologie, les professeurs ne m' avaient pas assez préparé à tout l' impact psychologique qu'une perte de patiente pourrait avoir sur moi. Le médecin en chef s'était aperçu de comment mes doigts tremblaient quand il me demandait de lui passer des outils pour faire la césarienne. Hochant la tête pour que je me calme, j'ai compris que je devais prendre sur moi pour ne pas qu'il me fasse sortir de la salle d' opération. Obtenir mon grade était important pour moi, je devais enfouir l' étudiante paniquée en moi pour faire sortir cette obstétricienne que je m' apprêtais à être. Le cri du bébé avait retenti dans la salle comme pour m'apprendre qu'il ne fallait jamais perdre espoir trop tôt. La mère allait bien aussi. J'ai eu l' honneur de couper le cordon ombilical.  Je me souviens avoir pleuré de joie dans les couloirs et c'était là que Gardy m' avait aperçue.

Depuis, on ne s'était plus lâchés. Quelques mois avaient suffi pour qu'il me présente à ses parents qui ne font aucun effort pour m' apprécier, me tenant responsable de garder leur fils aîné encore en Haïti. Je fais de même la semaine qui suivit. Ma mère était enchantée de le connaître et mon père...disons qu'il était resté muet comme une tombe, serrant juste sa main. Ma relation avec lui n' est pas si étroite que ça, je ne me suis donc pas plainte de son indifférence à l' égard de Gardy. Ce dernier partageait avec moi sa passion pour l' ingénierie tout en soulevant sa préoccupation concernant Haïti. Il trouvait que pour un pays à risque sismique, les constructions étaient trop anarchiques. Rien ne s'est fait dans les normes, suivant les codes de construction. A chaque fois que je me rendais à Pétion-Ville avec lui, il m' incitait à regarder les bidonvilles de Jalousie.

Un séisme de la plus petite des magnitudes sur l' échelle de Ritcher et puis boom, des milliers de morts, m' avait-il dit un jour.

Je n'avais pas à être ingénieure comme lui pour que je prenne conscience du danger que nous courrons tous.

Les séismes ne tuent pas, Lyly mais ces genres de constructions, si, aime-t-il renchérir quand je me plains du Bon Dieu de permettre qu'il puisse exister une telle catastrophe naturelle.

Quand nos conversations n' étaient pas fixées sur nous, elles tournaient autour des failles et des failles et des failles. Bref! J' avoue que parfois je m' inquiète pour lui. Je me suis demandée bien des fois si c'est sa passion ou une phobie qui l'a poussé à me faire simuler pendant une semaine des cas de séismes. Il m' a appris les comportements à adopter avant, pendant et après que cette catastrophe ait survenu. Il m'a dit que prendre les escaliers était la plus folle des idées parce qu'il y était concentrées des forces de...de... de quoi dejà? Il faut être ingénieur pour capter ces termes. Pour le faire taire, soit je l' embrasse ou j'essaie de lui parler de mes accouchements de la journée, chose qui le répugne sans que je ne sache pourquoi.

- Ça fera 60 gourdes.

Si ce n'était la voix de ce chauffeur de taxi, je ne me serais jamais aperçue que j' étais devant l'hôpital. J' ouvre alors la portière en époustouflant ma blouse blanche salie par ce véhicule poussiéreux et je lui tends sa paie. Puis je regarde ce bâtiment dressé devant moi où la plupart des murs peints de graffitis témoignent du mécontentement des citoyens contre le gouvernement actuel.

Je respire un bon coup en pensant à cette nuit quasiment sans sommeil qui m' attend à l' intérieur puis je rentre, décidée. Une future maman doit être en train de m' attendre.

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