Chapitre 31: "La mort subite"
ATTENTION: Ce chapitre est... hum comment dire... un peu malsain, alors âmes sensibles évitez le PDV de Natsu ou alors à vos risques et périls. Vous voilà prévenus !
Ce chapitre a été très dur à écrire... Désolée Natsu !
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«La Salamandre... Le Mage Blanc... C'est... c'est un immense honneur !» s'exclama Dobengal les yeux arrondis comme des soucoupes.
Les deux frères se figèrent un instant... un très court instant.
— Une groupie ? interrogea Rakheid un sourire moqueur accroché aux lèvres.
— C'est tout ce qui m'est venu, répondit Natsu en haussant les épaules. Tu m'excuseras, j'avais pas les idées claires.
— Merci pour ton aide, reprit l'ainé en tendant la main à l'autre joueur. Euh...
— Dobengal, je m'appelle Dobengal ! s'écria le jeune homme en la lui serrant vivement, les yeux pétillants de joie. Ce que vous venez de faire : cette chorégraphie... Wahou ! Je suis un grand fan !
— Ouais, merci... ronchonna le rosé en regardant ses pieds.
— Faut que ce bordel reste entre nous, murmura Rakheid contrarié de s'être ainsi laissé voir en spectacle. Natsu n'avait pas besoin de ça. Dis-moi, ils étaient combien à assister à ce bazar ?
Dobengal n'écoutait plus. Il était si heureux, si joyeux. C'étaient eux ! La Salamandre ! Le Mage Blanc ! Il était face à eux, en train de leur parler ! Il avait eu un doute hier soir, quand Natsu avait rattrapé le ballon d'Orga. Un doute ce matin. Au déjeuner, il avait cru devenir fou. Depuis quand croyait-il aux fantômes ? Mais il avait choisi d'y croire, choisi de renoncer à sa couverture, à Orga. Il avait fait ce choix de croire que La Salamandre était ce garçon aux cheveux roses. Natsu Dragnir. Il n'avait commis aucune erreur. La Salamandre était juste sous ses yeux !
Alors, il ne put restreindre sa joie plus longtemps, il se mit à sautiller sur place en leur serrant la main à tous les deux comme un fou qu'il était. Il fixa le bandage avec envie. Le fameux tatouage ! Voilà pourquoi Natsu avait refusé de retirer son T-shirt ! Logique !
— J'étais là... dit-il tout à sa joie. Le soir de la mort subite... J'ai tout vu ! T'étais incroyable !
"J'étais là" associé à "la mort subite"... Ces quelques mots atteignirent Natsu de plein fouet. Ils se mirent à tourbillonner, vite, de plus en plus vite, à tonner, à prendre toute la place dans son crâne.
Aussitôt, ses cheveux se redressèrent au-dessus de sa tête. La mine horrifiée, Natsu marcha sur Dobengal, les yeux exorbités, les muscles tendus, l'aura renversante. Il s'approcha tout près, la rage pulsant au travers des veines :
— N'en parle jamais ! hurla-t-il, les canines luisant de haine. Jamais ! C'est compris ?
Le pauvre Dobengal se tassa sur lui-même face à tant d'adversité. Il acquiesça vivement, le cœur lourd, sans comprendre. Natsu obliqua et rageusement se dirigea dans un coin du gymnase. Rakheid le laissa partir en soupirant.
— Natsu n'en parle jamais... murmura-t-il. Même pas à moi. Il préfère croire que ça n'a jamais existé. Alors que tu lui dises que tu étais là... Un témoin ! Il perd pied. Enfin bref. Merci pour ton aide.
Dobengal écarquilla des yeux. Pourquoi ? La Salamandre avait vaincu, elle avait réussi. Diable, elle était toujours en vie ! C'était un héros !
Rakheid se détourna. Il observa son frère. Natsu s'était assis, il se tenait le crâne. Ses yeux s'étaient voilés, son visage ne laissait plus entrevoir la moindre émotion. Il était déjà emporté par ses souvenirs. Des vieux démons l'y attendaient. A nouveau, le grand frère soupira et vint s'asseoir à ses côtés, désemparé.
— Natsu... chuchota-t-il.
Flashback « La mort subite » (un an auparavant)
La Salamandre avait pris position au milieu du terrain. On y était. Les choses sérieuses allaient pouvoir commencer. C'était le prix à payer. Il était trop tard pour avoir des regrets.
Son frère serait sauvé. Erick allait survivre. C'était tout ce qui importait. Ce tournoi, Natsu y renonçait. Rakheid avait eu besoin d'une main secourable, et au lieu de ça, son petit frère bien aimé avait préféré s'entrainer pour devenir le meilleur, pour gagner cette fichue coupe de la ligue complètement inutile.
Les deux frères ne partageaient plus rien et cela faisait des mois que ça durait...
Natsu s'était transformé en monstre d'orgueil. Il n'avait rien vu de la souffrance de Rakheid, rien vu des abîmes qui l'emportaient.
Alors, il était là, seul, au milieu du terrain.
Il venait d'assommer Cobra devant toutes les sangsues de la ligue. Ce que son ami avait proposé, le jeune Dragnir en était écœuré. Vendre son œil ! A quoi avait-il pensé ? Alors, furieux, sans hésiter, Natsu l'avait assommé, il n'avait même pas pris le temps d'en discuter.
Il avait clamé haut et fort qu'il renonçait, que son équipe était dissoute. Il avait refusé de prendre des remplaçants. Hors de question d'enchainer son frère et son ami à cette ligue de merde qui n'écoutait rien.
Cobra ! Mage Blanc ! Eux, ils seraient libres !
Les trois jeunes d'Hargéon avaient tout perdu, enfin ils n'avaient rien gagné. Leurs gains, ils ne pourraient pas y toucher bien qu'ils les aient déjà dépensés. La dette était énorme, et elle lui appartenait... Natsu pouvait remercier ce stupide tatouage d'avoir plus de poids que la parole de son Capitaine.
Mage Blanc ! Cobra ! Ils étaient libres, vivants. Quoi de plus important ?
L'adolescent venait d'abandonner son frère au milieu de détritus et de ses propres excréments. Tout ça pour se placer là, sous les regards d'une foule en colère... en colère contre lui, car il leur refusait le spectacle pour lequel ils avaient payé. Il leur en proposait un autre. Celui qu'on appelait : «La mort subite». Ce n'était pas son choix, il ne comptait pas mourir. Il allait tenir, après tout il était la Salamandre, n'est-ce pas ?
Il n'avait jamais pris le temps de lire les petites lignes du contrat qu'il avait signé quand il s'était inscrit. Évidemment ! Pour quoi faire? Lui, il était trop heureux que personne ne se rende compte de sa supercherie. Il n'avait pas l'âge... Mais il voulait jouer, alors... il avait menti ! Il avait fabriqué de faux papiers, il était doué quand il le décidait. Personne n'avait rien vu. Personne n'avait voulu voir. Ils avaient été engagés et les petites lignes étaient passées à la trappe. De toute façon, il était le meilleur, non ?
Il avait cru que les petites lignes ne le concerneraient pas, qu'une parole de sa part suffirait et que son frère, son ami et lui pourraient rentrer à la maison bien au chaud au bon soin de papa-maman. Quelle ironie, vous ne trouvez pas ?
Grossière erreur ! La vie n'était en rien un conte de fée. La loi valait pour tout le monde, même pour un abruti qui se prenait pour le roi du monde.
Misère ! La Salamandre allait souffrir ce soir ! Natsu en tremblait à l'avance. Ce que les organisateurs lui avaient dit...
«La mort subite»
Leurs mots tournaient en boucle dans sa tête.
«La mort subite» : Encaisser les coups que chacun peut donner. Ne pas tomber. Ne jamais riposter. Encaisser. Encaisser encore jusqu'à ce que la foule se lasse, si seulement la foule se lasse ! Une foule se lasse-t-elle de la souffrance ?
Il n'existait aucune parade pour s'en sortir.
Pour Rakheid...! Pour Erick...! Il tiendrait ! Jusqu'au bout, il tiendrait !
Eux, ils vivraient...
Natsu ne tremblait plus qu'en son for intérieur. A l'extérieur, La Salamandre menait la danse en toisant quiconque osait la regarder. Elle englobait les regards, tous les regards. Elle était prête, elle encaisserait chaque coup, jusqu'au bout, elle encaisserait.
Les trois adversaires du match prévu ce soir se placèrent autour de lui. La Salamandre avait déclaré forfait. A cause d'elle, ils n'auraient ni droit à une victoire, ni à une défaite. Ils étaient furax : pas d'argent, pas de combat, pas de renommée.
Le groupe vint à lui. Natsu laissa tomber ses bras et écarta les mains, preuve qu'il acceptait son sort.
— Tu es sûr ? demanda un homme immense et anguleux. Tu peux encore changer d'avis Salamandre.
— Fais ce pour quoi tu es venu ! clama Natsu le front haut sans sourciller.
L'homme lui envoya une droite.
Pas fort, pas une caresse non plus, pas douloureuse.
— Je préfèrerai me battre contre toi, dit l'homme.
— Je sais... répondit Natsu en lui faisant face.
Une deuxième droite plus forte. Natsu serra les poings. L'envie de répondre le démangeait du bout des doigts. Il ne broncha pas. Un autre joueur, puis un autre vinrent à leur tour. Uppercut en plein estomac.
Argh ! Ça, c'était déjà plus douloureux.
Balayette.
Rencontre avec le bitume, face contre terre. Outch !
Natsu se releva en essuyant le sang qui perlait déjà de sa bouche. Son souffle était court, il regrettait d'avoir dîné. Il tiendrait, c'était tout ce qui comptait.
— Salamandre... tu ne mérites pas ce final. Franchement, oublie tes coéquipiers. Tu vaux tellement mieux.
C'était toujours ce même joueur anguleux, le capitaine de l'équipe adverse sans doute.
— Pourquoi t'obstines-tu ? continua-t-il dépité en enchainant les coups faisant tituber Natsu qui se releva malgré tout. Le tatouage que tu as reçu... c'est le symbole que ton talent dépasse l'entendement ! Tu n'as besoin de personne, ressaisis-toi ! Il ne comprenait pas, vraiment pas. Comment une légende pareille pouvait renoncer à la gloire, à l'argent ?
Crochet du droit. Natsu s'écroula au sol. Le joueur enchaina en le frappant de toutes ses forces : sa tête, son dos, ses jambes... Rien ne fut épargné. Natsu gémit, pendant que ses cheveux se collaient sous un amas de sang. Il chancela plusieurs fois, mais à nouveau il se releva.
— Ils sont ma famille, cracha-t-il en toussant la bouche en sang.
— Les liens... inutile... du gâchis ! grogna le joueur en se détournant. Je laisse ma place, continua-t-il désabusé. Aucun plaisir à frapper quelqu'un qui ne se bat pas, même si c'est La Salamandre... surtout si c'est La Salamandre !
Il disparut. Ses coéquipiers aussi. Natsu s'esclaffa. On lui en avait raconté des tonnes sur cette mort subite ! Finalement, c'était de la rigolade. Encaisser quelques malheureux coups de poing sans se défendre ? Pfffft ! Finger in the nose ! Il releva le front un vaste sourire aux lèvres. Il avait de quoi être fier de lui. C'est alors qu'il les aperçut...
Son sang se glaça dans ses veines.
Merde ! Il ne put empêcher sa bouche de se tordre dans tous les sens.
Double merde ! Son souffle se coupa, son cœur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine et ses oreilles bourdonnèrent comme un avertissement d'effroi.
Devant lui s'étendait une longue enfilade, une très longue enfilade de regards brillants, avides de le battre, de s'emparer de sa résolution, de l'éclater au sol, jusqu'à ce qu'il réplique... ou jusqu'à ce qu'il ne puisse plus se relever. Figé, il ne put s'empêcher d'essayer de les compter. Des centaines de spectateurs étalés en une dizaine de files indiennes se tenaient autour de lui. Leurs cris et leurs grognements résonnaient en écho contre la façade imposante de la cathédrale.
L'air se bloqua dans ses poumons, ses pupilles rétrécirent, une coulée glaciale serpenta le long de sa colonne vertébrale. Natsu se força à n'avoir aucun mouvement de recul, aucun mouvement laissant présager la peur qui l'enveloppait. Glacé, le cœur serré, il fit face. Une minuscule larme glissa sur sa joue...
Sa propre mort, c'était sa propre mort qui se reflétait dans leurs yeux !
— Rakheid... fut sa seule pensée avant qu'une tornade de coups ne s'abatte sur lui.
C'est ainsi que son calvaire commença. Il dura des heures, ou que des minutes peut-être, Natsu ne le sut jamais. Un à un les spectateurs firent un pas vers lui et le frappèrent une fois, dix fois, mille fois peut-être, peu importait... ça dépendait. La violence des coups alla crescendo mais elle ne fut jamais suffisante pour le faire définitivement sombrer. Les organisateurs voulaient le voir renoncer à ses principes et non pas le voir s'engluer dans l'inconscience. En face, ils avaient encore l'espoir... l'espoir que la Salamandre se rebiffe.
Son regard était de plus en plus noir, ses poings repliés sur eux-mêmes. La Salamandre avait bien du mal à encaisser. Tout le monde le savait, mais elle était têtue... très têtue ! Elle encaissa toujours, se releva chaque fois, le visage en sang, les larmes ruisselant de toutes parts...
Du sang et des larmes. Voilà ce qu'était la mort subite.
Dans la tête de Natsu au bout d'un temps indéterminé (âme sensible s'abstenir...)
Mon corps est en lambeau, un gros hématome géant. Je m'imagine en tête de cul violacé. Je me marre. Ça frappe dans tous les sens. Ils sont cons, je ne ressens rien. Pas une parcelle de mon corps n'a été épargnée, alors ils peuvent continuer. Je ne lâcherai rien.
Je relève ma tête, je rampe jusqu'à m'asseoir et je me lève doucement, tout doucement. Mon corps est raide, distendu mais il m'obéit toujours. Je suis debout, je les observe. Je vois la peur dans leurs yeux. Mon visage a beau être tout boursouflé, gonflé, tordu peut-être, ma rage est vivace, intacte ! Je les hais ! Ce soir, je ne lèverai pas le petit doigt, mais patience... rien n'est gratuit.
Un jour... un jour...
Un coup de pied croisé me fait tomber à genou, je crache du sang. Un connard se précipite et me rentre dedans, je m'étale. Au sol, ils se mettent à dix sur moi. Dix ? Je vois double, je vois triple... Ils sont deux, ils sont cent. Je ne sais pas. Ma vision est bordée de rouge. J'entends des craquements résonner en écho à l'intérieur de moi. J'ai de la chance de ne rien ressentir. Putain, ils peuvent continuer... j'en ai rien à secouer ! La peur n'existe plus. Je me marre tout seul. Mon rire explose comme une volute dans le ciel. Ils me font marrer. Ils ne me font rien. Toujours, je me relèverai !
Une claque de tous les diables me foudroie la joue.
— Arrête ta comédie, hurle le maitre de cérémonie. Tu ne comprends pas qu'on essaie de sauver ta putain de vie ! Renonce. Couche-toi. Bats-toi. Fais quelque chose !
Merde, ce gars veut me faire croire qu'il est gentil. J'essaie de me relever, je crache mes poumons. Un râle fuse. Merde. C'est moi qui fais ce bruit-là. Je suis au-delà de mon corps. Cette tête de cul violacé... c'est moi ! Putain que ça fait mal ! J'essaie encore de me hisser. Je vois ma main... Trois doigts à l'envers. C'est un connard qui a joué avec. Je m'en souviens.
«Je te couperai bien les doigts, il a dit, des doigts de la Salamandre, ça doit valoir de l'or...». Il a dit un truc comme ça... Songer à vendre des doigts, il y va fort ! Fichu capitalisme ! Je souris. Je pense à ça maintenant. Je m'esclaffe. Mon ventre se serre. Je crache. Je tousse. Quelque chose craque à l'intérieur de moi. Bizarre la vie !
Je réunis mes pauvres membres en-dessous de moi-même et en titubant me revoilà debout. Une grimace prend place sur une moitié de mon visage. Je ricane.
— Je ... veux...
Merde. Je sais déjà plus ce que je voulais dire. Je réfléchis. J'essaie. Mon cerveau est paresseux. Pourquoi je suis là au fait ?
Un coup à l'arrière du genou, me fait plier en deux. Un claquement s'abat à un endroit de moi, sur moi... Je ne sais pas, je ne sais plus. Soudain, on m'attrape par le cou.
De l'air !
J'écarquille les yeux. Je ne ris plus du tout.
De l'air !!!
Je hurle, je me débats ! Putain, donnez-moi de l'air ! Des ombres ricanent autour de moi. On me lâche, je tombe. Je suffoque mais je respire. Bonheur !
— Il ne tiendra plus longtemps, s'esclaffe une voix.
— Il est presque mûr... rétorque une autre tout en sautillant autour de moi.
— Il est à moi ! s'écrie une ombre.
On me redresse, on me porte. Je ne tiens plus debout, je l'avoue. Quelque part, à un moment, j'ai perdu la connexion avec mes jambes. J'ai eu une absence. Peut-être... En fait, je ne sais pas.
Où suis-je ? Sur un terrain de basket... comme d'habitude en fait !
Que fais-je ? Je rigole tout seul. Je me fais tabasser sans broncher, comme une tête de cul violacé.
Pourquoi ? Bah... j'en sais rien. Euh...
Rakheid ! Rakheid !
Rien que son nom dans ma tête me fait tenir. Pour lui, je peux tout endurer : la douleur, ces mains qui me cognent, qui me frappent... Je peux tenir. Je vais tenir. Je n'ai peur de rien. Combien de ces mains ont caressé mon tatouage ? Putain, toutes ! Elles l'ont toutes fait. Je les déteste ! Ce tatouage, je le maudis !
Une femme se dresse devant moi. Elle est blonde. Ses lèvres sont fines, cruelles. Elle porte un manteau d'hermine. Elle pue l'alcool et une autre odeur piquante et salée. C'est beurk. Je grimace, j'essaie, je ne suis pas sûr d'y arriver. Je ris, je dois avoir l'air con. Elle se penche vers moi, un sourire malsain aux lèvres.
«La Salamandre, dit-elle en se léchant les lèvres. Enfin, tu es à moi !».
Les hommes autour reculent, ils n'osent pas me regarder. Ils puent la peur à plein nez. Le maitre de cérémonie s'approche de moi. Il se baisse. Je suis au sol couché comme une carpette.
— On ne peut plus t'épargner... tu es sûr de vouloir aller jusqu'au bout ? me demande-t-il très sérieusement.
— Oui.
Ce seul son qui sort de mes lèvres m'arrache un cri. Mes cordes vocales sont effilées à force d'avoir crié. Ma bouche a un goût de fer mêlé à celui de mon sang. Ma respiration siffle comme un train à vapeur. L'arbitre pince les lèvres. Je vois comme une larme sur sa joue, mais j'ai plus toute ma tête, j'en suis conscient.
La femme attrape mon menton et le soulève. Je ne peux plus bouger. Tout mon corps suit son bras. Elle est vachement forte. Elle me tient par le menton. Tous les muscles de mon cou se tendent au maximum. Argh !
— On va jouer tous les deux, dit-elle.
Et là, je croise pour la première fois son regard. C'est celui d'une folle. Ces yeux me promettent torture et outrage. Un long frisson glisse sur mon corps déjà anéanti. Pour la première fois de ma vie, j'ai peur... irrémédiablement peur. Elle me promet l'orgie, elle me promet le pire. Je tremble de tout mon long. Elle éclate de rire. Je lui fais déjà plaisir...
Je suis allongé au sol, toujours comme une carpette, je ne peux plus bouger. J'aimerai, je ne peux pas. La folle est à califourchon sur moi, elle rit à gorge déployée tout en découpant mon T-shirt avec un mini canif, qu'elle m'a longuement fait miroiter. Parfois, elle lèche la lame avec envie. Je ne sens pas grand-chose, je suppose qu'elle a ce geste à chaque fois que la lame entaille ma chair. Je suppose, j'en sais rien, c'est possible. Je suis en plein débat avec moi-même. Je préfère m'échapper plutôt que voir dans quelle panade je suis. Il faut être honnête... Depuis l'arrivée de cette folle, je flippe, je tremble comme une feuille, je ne suis plus si sûr de moi.
La folle claque des doigts et se lève. Des poignes fermes s'emparent de mon corps et me mettent debout. Aussitôt, je m'affale. J'ai perdu la connexion, il me semble l'avoir déjà dit, pensé peut-être... Mes idées s'entremêlent. Je veux m'évader. On me remet debout, on me traine, on m'accroche, la tête, les bras. On me lâche. Je ne retombe pas. Ils m'ont suspendu. J'entends des rires.
Me pendouillant ainsi, ils se sont bien amusés. Me voilà un pantin cloué contre un grillage, les bras en croix. Je comprends l'allusion. Je n'ai plus envie de rire. Je me mure dans le silence.
Je ferme les yeux. Je veux renoncer. J'ai un éclair de lucidité alors que la dingue se colle à moi. C'est dégueulasse. J'ai envie de vomir. Putain, mais même ça je ne peux pas ! Qu'est-ce que j'aimerai lui vomir à la tronche ! Je réfléchis, j'essaie... et là... mon éclair de lucidité me transperce de part en part.
Qu'est-ce que je suis en train de foutre ? J'ai vraiment cru que me faire tabasser jusqu'à en mourir allait les sauver ? Si je meurs, la ligue sera libre de faire tout ce qu'elle voudra d'Erick et de mon frère ! Qui sera là pour les protéger ? Mourir pour les sauver... N'importe quoi ! Mais qu'est-ce qui m'a pris ?
Je serre les poings de toutes mes forces, je contrains mes muscles à se réveiller. Cette pétasse, j'en fais mon affaire, je vais la pulvériser. Debout, je cogne de toutes mes forces ! Elle explose de rire alors que je n'ai bougé... que dans la pensée...!
— C'est tout ce dont tu es capable ? dit-elle en mettant sa main dans mon short.
Je me fige. Elle me dégoute. Je me dégoute. J'ai à peine bougé la main... A aucun moment, je ne me suis levé. Je suis toujours suspendu comme un gibier qu'on s'apprête à dépecer. Merde. J'ai vraiment cru que je lui en avais collé une. J'aurais voulu. Elle est le diable incarné. Je divague, je perds le fil. C'en est trop. Je ne peux plus. Je ne peux pas endurer ça. Ils ont gagné, j'abandonne. Je jouerai... tant pis. J'accepte mon sort. J'accepte d'être incapable d'aider mon frère. Je ne suis qu'une merde inutile.
Je ferme les yeux, je pleure, je sanglote et je hurle... Je mets toute ma rage dans ce hurlement, toute ma rage, ma colère, tout !
« J'ai perdu ! » je hurle.
Mais ce n'est qu'un discret «Mmmmmh» qui sort de mon gosier, si faible, si aigu... C'en est risible. Alors c'est ainsi... c'est ainsi que mon histoire se termine, triste fin quand même. La Salamandre, la légende s'est éteinte sous les morsures et le mini canif d'une folle... alors qu'elle venait d'accepter sa défaite. Pitoyable !
— Oh ! Mais tu parles encore, petite crevette! Je ne t'entends pas... Attends !
Et là, avec son maudit ridicule couteau en nacre, elle découpe mon écharpe. Diable, je ne savais pas que je l'avais encore. Mon écharpe, ma couverture... Personne n'avait osé me l'enlever. Preuve que quelque part, La Salamandre était encore respectée. Je me marre. C'est fini, y a plus de respect.
Je vais mourir comme une tête de cul violacé.
La folle avec une grande lenteur retire mon écharpe. Elle lit dans mes yeux que c'est l'affront ultime qu'elle peut me faire endurer. Elle s'esclaffe devant mon torse «imberbe et trop fin». Elle maugrée devant : «Cette nouvelle génération qui s'épile !». Il ne reste plus qu'un court pan de mon écharpe sur ma bouche. Elle l'enlève en pressant fortement sa main toujours coincée sous mon short. Et là, ses yeux s'écarquillent. Précipitamment, elle recule, pose une main choquée devant sa bouche et me gifle.
— Comment as-tu osé ? hurle-t-elle.
Je souris alors qu'avec horreur elle frotte ses mains contre son manteau. Elle est dégoûtée, elle est terrassée, elle vient de commettre l'impensable !
— Quel âge as-tu ? s'écrie-t-elle outrée.
— Treize ans... Salope !!!
Cette fois, j'ai réussi à baragouiner trois mots, j'en suis pas peu fier. Elle lève la main sur moi, pour me gifler encore. Une main l'arrête et d'un craquement sec, son détenteur la lui brise. Elle hurle. C'est légitime. Au royaume de Fioré, on ne touche pas aux enfants, pas comme ça. C'est sacré ! Elle tombe. Je ne la vois pas. Elle est à mes pieds. Je lui crache dessus. De mes cils ensanglantés, à travers le voile de sang et de larmes, j'aperçois la ligne de mes bourreaux, tout penauds, les yeux rivés au sol, qui trainent des pieds et qui s'en vont.
Tous... ils abandonnent.
Je suis trop jeune.
La culpabilité les ronge.
Je suis là, à moitié nu, accroché en croix contre un fucking de grillage et eux, ils font comme s'ils n'avaient rien vu, comme si rien n'avait existé. Ils partent... l'air de rien.
J'explose de rire, un rire fou, un rire de démon énervé ! La foule s'est lassée ! Moi j'avais déjà renoncé, je voulais me battre, je voulais m'aplatir, j'étais prêt à mourir et en fait j'ai gagné...! Je crie ma victoire, je hurle ma douleur, je vomis mes tripes. On me détache, je m'écroule par terre. Je peux encore bouger, je me redresse, je peux le faire, j'en suis certain ! Je suis La Salamandre, leur mort subite de merde, je l'ai vaincue. J'entends des cris au loin de cochon qu'on égorge. Je me marre. J'espère que cette pute pourrira en enfer.
Je suis toujours au sol, une carpette inutile. Le maitre de cérémonie s'approche de moi, c'est un homme avec une énorme tignasse de cheveux noirs. J'ai envie de rire, parce que là tout de suite, j'ai l'impression de voir un porc-épic... L'homme me scrute, la tête penchée sur le côté.
— Intéressant, susurre-t-il. La Salamandre... Tu m'interpelles. Quelle lâcheté ! Quel égocentrisme ! Il va vraiment falloir que tu apprennes l'humilité !
Et là, il pose son pied sur mon torse me faisant m'écraser. Il prend ma main et tire comme un dératé. Je m'égosille, je hurle. Jamais connu de douleur aussi grande ! Mon bras !!! Mon bras, il est en train de me l'arracher !
— Comme ça... à chaque fois que ton orgueil prendra le dessus, tu te souviendras de moi ! Comme ça... à tout moment, je te retrouverai. Tu es marqué !
Je n'entends plus rien. A peine ces mots imprimés dans ma cervelle, je m'évanouis d'un coup, d'un seul.
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