Chapitre 15 : Le toubib

Très long chapitre... dsl :/   Il me tient à cœur celui-là, j'espère qu'il vous plaira. N'hésitez pas à me dire si y a un truc qui va pas. Merci et bonne lecture!

Un an plus tôt

Sans un regard en arrière, Natsu avait pris son frère sur le dos et était sorti en clopinant hors du hangar. Son appartenance à la ligue clandestine prenait fin cette nuit. Il était en piteux état, il avait mal partout, il avait été roué de coups. Il ne savait même pas comment il réussissait à avancer... mais il le faisait.

Il ne pouvait plus remuer le bras gauche sans une sensation d'un pic à glace s'enfonçant dans ses entrailles. C'est pourquoi il tenait son frère comme un sac à patates sur son épaule droite. Le pauvre ! Ça devait être sacrément inconfortable. Mais, il n'avait pas le choix. Pas question d'attendre que Rakheid se réveille. Ce monde lui avait déjà fait beaucoup trop de mal. Il était temps pour les deux frères de disparaitre.

Rakheid pesait une tonne. Il était toujours évanoui. Fort heureusement, il respirait encore mais pas très fort... Natsu ferma les yeux, il refusait de songer à ce qui pouvait arriver. Il avançait tout droit complètement déséquilibré, il serrait les dents pour restreindre les gémissements que lui causait la douleur. Il craignait que son frère ne les perçoive. Il pouvait à peine marcher. Des filets de larmes s'écoulaient le long de ses joues. Il avançait malgré tout.

Il n'y voyait rien, il puait la sueur et le sang, et une migraine odieuse lui vrillait le crâne. Mais peu importait. C'était le prix à payer. Quelque part, il se sentait soulagé. Ce qui devait être fait l'avait été. On l'avait descendu de son piédestal, il le méritait.

Il arriva au bord d'une route, pas de taxi à l'horizon. Il n'était même pas étonné : ces gens n'avaient aucune parole. Redressant le poids mort de son frère sur son épaule, il continua à marcher. Pour aller où ? Aucune idée.

Hors de question de rentrer à la maison, pas dans cet état. Il valait mieux éviter une énième dispute avec son père, elle finirait mal et, ni Rakheid ni lui n'aurait la force d'encaisser quoi que ce soit.

Aller chez Erick ? Avant, c'est ce qu'il aurait fait, c'était sa deuxième maison. C'était fini. Il venait de trahir la confiance de son meilleur ami. Il comprenait sa colère. Natsu avait choisi son frère. Erick avait tout misé sur le basket et sur leur victoire à la ligue clandestine. Il ne leur restait plus rien, plus aucun joyau. À tous les coups, son ancien pote allait maintenant enchainer les conneries. Allait-il faire soigner ses blessures ? Sûrement pas. Tant pis. Tant pis pour lui.

Natsu pesta. Natsu pleurnicha. Tout était de sa faute. Il avait abandonné son frère, trop alléché par les louanges qu'on lui lançait, trop enivré par les paniers qu'il marquait. Il les avait abandonnés tous les deux : Erick. Rakheid.

Où aller ? Il ne connaissait rien à la ville de Magnolia, et Hargéon était à plus de trois cents kilomètres ! Et...il était fatigué. 

Juste envie de s'accroupir quelque part et de dormir sans jamais avoir à se réveiller. 

Juste envie de renoncer. 

Mais, il y avait Rakheid. Il renifla, presque découragé.

Rakheid !

Il releva le menton, s'essuya tant bien que mal les yeux. Un cri de douleur lui échappa. Il redressa son frère sur son épaule.

«Je trouverai un moyen, lui dit-il tout bas. Tu t'en sortiras. Je te le promets !».

Natsu chancela. Sa respiration déjà bien sifflante devint graillonneuse. Une quinte de toux le fit plier en deux. Tellement mal au crâne ! Il s'accrocha au corps immobile de son frère, son épaule obliqua légèrement, un spasme le tourmenta, des larmes lui inondèrent les yeux. Il ne tiendrait pas longtemps. Il avança encore, plus lentement, tout doucement. Il avança.

Des phares apparurent derrière lui. Il s'arrêta et fit volte-face, l'esprit sur le qui-vive. Une berline ralentit à sa portée. La fenêtre côté conducteur se baissa. Un visage apparut. Il faisait trop sombre, ses yeux étaient trop boursouflés pour reconnaitre qui que ce soit. Cependant, cette odeur qui s'en dégageait, Natsu la connaissait : le docteur ! 

Il reprit sa route. Il ne devait pas s'arrêter. Qui sait s'il aurait la force de s'éloigner ?

Monte, ordonna l'homme aux cheveux noirs en roulant à ses côtés.

Ne vous donnez... pas cette peine... répondit Natsu avec difficulté. Je vais... continuer à pied.

Je ne te demande pas ton avis, tu montes ! décida le docteur. Sinon, j'appelle les flics ! Tu te débrouilleras avec eux et ils te ramèneront chez toi. Avec la commotion cérébrale que tu as subie, il est hors de question que tu restes sans surveillance. Par contre, je te préviens si le drogué vomit dans ma voiture, je le balance direct par la fenêtre !

Si... y en a un de nous deux... qui est malade en voiture..., c'est moi ! s'esclaffa Natsu malgré la douleur, qui à chaque inspiration, prenait le dessus sur sa détermination.

Le docteur freina d'un coup sec et sortit à toute vitesse de la voiture. Il ouvrit la place passager :

Monte ! répéta-t-il. J'habite tout près. Vous passerez la nuit chez moi, je soignerai ce que je pourrai et j'aviserai si tu dois te rendre à l'hôpital.

Je vais bien, reprit Natsu en essayant de contourner le médecin.

Il n'y arriva pas. Changer de trajectoire le fit trébucher. Le docteur eut à peine le temps de le rattraper. D'une main ferme, il le soutint ; de l'autre, il prit une lampe de poche qu'il alluma à grands feux dans les pupilles du rosé.

Mais oui, très bien, je vois ça ! gronda-t-il. Changement de plan, va t'asseoir devant, ton frère ira sur la banquette arrière. Et, tu as intérêt à ne pas t'arrêter de parler ! Si tu perds connaissance : direction l'hôpital, me fous bien de votre arrangement !

Faites pas ça, supplia d'une tout petite voix Natsu en remettant son frère dans les mains du toubib. Il aura des problèmes si on va à l'hôpital...

Il en a déjà. Il est fichu. Maintenant, monte !

Natsu s'exécuta presque avec soulagement. Ce docteur était détestable, mais au moins il était là. Quelles que soient ses motivations, il prenait les choses en main. Le jeune Dragnir commençait tout juste à prendre conscience des blessures dont il souffrait. Ce n'était pas que de simples bosses et bleus. 

Bordel, il avait tant de mal à réfléchir ! Il n'arrivait même pas à se souvenir : pourquoi il était dans cet état ? On l'avait frappé, frappé et frappé encore, il avait choisi de ne pas combattre, de ne pas jouer. Il avait trahi Erick. Son frère était un drogué. Il avait vidé un sachet de poudre juste sous ses yeux. Quelqu'un avait dit que c'était trop. Que Rakheid frisait l'overdose. Qu'il était même en pleine overdose !

Aïe ! Il avait trop mal au crâne. Il se laissa tomber sur le siège, il ne se souvenait même plus d'avoir ouvert la porte. Lorsque son dos vint toucher l'assise, un cri de douleur sortit tout seul de son diaphragme. Il gémit.

C'est ton épaule, l'informa le docteur. Attache-toi !

Natsu, la bouche ouverte, le regard vitreux, tourna lentement la tête sans comprendre.

Merde ! s'écria le docteur en l'attachant lui-même du mieux qu'il put. Comment tu t'appelles petit ?

Je suis... la... Salamandre, souffla Natsu.

Le docteur frappa violemment sur son volant puis démarra à toute vitesse.

Fichue ligue clandestine ! Tu m'as l'air d'être une sacrée tête de mule, toi ! Tu ne donneras jamais ton nom, je suppose. Grand bien t'en fasse ! Tu n'es qu'un idiot ! Quel âge tu as ? Treize ? Quatorze ans ?

Treize.

Treize ans ! Tu as encore l'âge que ta mère te chante des berceuses. Comment diable as-tu pu en arriver là ? Si je croise tes parents, je le jure, ils passeront un sale quart d'heure !

Ma mère est morte peu après ma naissance... J'ai une autre mère, c'est une femme bien, expliqua le rosé dans un murmure, l'esprit de plus en plus brumeux.

Et ton père ?

Lui, c'est un sale con ! Ce coup-ci, sa voix claqua comme un fouet.

Le toubib immobilisa la voiture d'un coup sec, lui faisant presque faire un tête à queue.

Je t'interdis de parler de ton père comme ça ! rugit-il. Tu lui dois le respect, même si c'est un sale con !

Il redémarra. Natsu ferma la bouche, dérouté.

Tu es en quelle classe ?

Il refusa de répondre.

Réponds ! Quelle classe ?

Cet homme avait une telle autorité qu'il ne put résister. Il renifla et bien malgré lui répondit :

Je suis en Quatrième... au collège d'Hargéon.

Hargéon, c'est pas la porte à côté ! Hargéon, c'est intéressant. Il se tourna vers Natsu, le fixa un instant en fronçant les sourcils et maugréa. Voilà, on est arrivés. Je m'occupe de ton frère, tu vas pouvoir sortir ? continua-t-il en arrêtant la voiture devant une jolie maison dans un domaine aux résidences identiques.

Natsu soupira, la chaleur de la voiture lui convenait parfaitement. Il prit sur lui et essaya de se détacher. Il échoua, ce fichu pressoir, il ne le voyait même pas. Sa vue était trouble ; perdu, il ne savait déjà plus ce qu'il était en train de chercher. Il fulmina, il avait horreur de ça. Il serra les dents, plissa les yeux et par un effort ultime de concentration amena lentement sa main sur le bouton. La ceinture se détacha. Il se leva lentement, ouvrit la porte et s'affaissa au sol.

Bouge pas ! J'arrive ! cria l'homme avec Rakheid dans les bras.

Natsu cligna des yeux, il se hissa sur ses bras, se releva dans la douleur puis avança à tous petits pas vers le perron.

Tu fais preuve d'une sacrée détermination, petit. Dommage que tu la perdes dans un sport sans avenir.

J'ai... besoin de... dormir, murmura d'une voix à peine audible l'adolescent.

Certainement pas ! Tu dormiras avec ma permission et, vu ton état, elle n'est pas prête de t'être accordée ! grogna le docteur en ouvrant la porte du pied.

Il entra, déposa Rakheid sans manière sur le tapis de l'entrée et ordonna à Natsu de le suivre dans la cuisine.

On va commencer par ton épaule, dit-il.

Non ! s'écria Natsu la rage au ventre. D'abord mon frère !

Cette loque-là, non j'y touche pas ! renâcla le toubib avec mépris. Je touche pas aux junkies !

Alors, Rakheid et moi, on se tire d'ici ! tempêta le jeune Dragnir, faisant déjà demi-tour.

L'adrénaline, la colère ou dieu seul savait quelle force irriguaient à nouveau tous ses muscles. Le docteur fit un pas en arrière sous le choc.

Très bien, tête de mule. Je m'y colle ! Mais, je te préviens, c'est la dernière fois que tu t'opposes à mes ordres ! Serment d'Hippocrate ou pas, la prochaine fois, je te renvoie chez toi avec une fessée et la queue entre les jambes !

Il courut jusqu'à la cuisine et revint avec une mallette remplie de médicaments, de pansements et de seringues.

«Parle-moi de toi, dis-moi n'importe quoi et surtout ne t'arrête pas ! Le temps que je m'occupe de ton frangin, toi tu parleras. Ça m'évitera d'avoir à te surveiller toutes les deux secondes !».

Natsu s'exécuta sans rechigner. Il parla de tout : de son frère surtout, de sa petite amie Yukino aussi, des vidéos qui lui avaient apportées le succès, de la violence de son père, du basket, mais pas un mot sur la ligue clandestine.

Tout le temps où le médecin s'affaira autour des constantes de son ainé, le jeune garçon parla sans jamais quitter des yeux le corps recroquevillé sur le tapis.

Voilà, il est sorti d'affaire ! souffla le docteur au bout d'un moment. Il n'est pas passé loin. Je lui ai fait un lavage d'estomac, ça l'aidera. C'est la première fois qu'il fait une overdose ?

Je... je crois, répondit penaud Natsu.

Tu viens de l'apprendre ? Tu ne savais pas qu'il se droguait, je me trompe ?

En effet... soupira l'adolescent en baissant les yeux.

Je suis désolé de te le dire, petit, mais la drogue que ton frère prend, rend addict tout de suite. Il ne s'en sortira pas. Il fera overdose sur overdose et il en mourra. Je sais de quoi je parle, crois-moi ! Viens maintenant, suis-moi. Je vais réduire la luxation que t'as à l'épaule.

Natsu le suivit sans rien dire. Il regarda son frère allongé en PLS avec les mots du docteur en tête, mais il était trop confus pour les comprendre.

«Allonge-toi, je vais essayer de la remettre en place par rotation externe. J'espère que ça marchera. Je te préviens ça va être douloureux. Je te proposerais bien un sédatif, mais avec ta commotion cérébrale, c'est inenvisageable.».

Docile, Natsu s'allongea sur la table médicale. Son cœur battait à tout rompre. Il avait une de ces trouilles ! Il abhorrait les hôpitaux et les médecins. C'était long, toujours douloureux. Souffrir sans challenge, il n'y arrivait pas. Le toubib plia son bras au niveau de son coude et le retint fermement. Il posa son autre main sur la clavicule du rosé qui poussa un bref gémissement.

N'hésite pas à hurler ! dit à voix basse le docteur. Tiens prends ça. Il lui cala une sorte de bâton entre les dents. ça t'évitera de te faire une plaie en plus ! Nom de Dieu ! Quelle tête tu as sous la lumière ! Ils n'y sont vraiment pas allés de main morte, tu as dû sacrément les énerver, gamin !

J'ai... j'ai peur, baragouina l'adolescent d'une voix fluette.

Le docteur sourit :

C'est bien, gamin. C'est cela qui te manque. La peur entraine la survie, faut avoir peur dans nos chiennes de vies, prêt ?

Sans attendre, il fit pivoter lentement le bras du rosé en l'éloignant de son corps. Natsu poussa un hurlement effroyable. Il se plia à l'oblique sous le coup de la douleur. Le docteur recommença encore, l'articulation refusait de retourner à sa place. Natsu s'égosilla de toutes ses forces, les yeux grands ouverts, les pupilles dilatées. La douleur était si intense qu'elle ravagea peu à peu les dernières brides de sa conscience. Il s'évanouit.

Vain de Dieu ! déplora le docteur avec dégoût. Celui qui t'a fait ça voulait vraiment te laisser infirme !

Il profita du malaise de Natsu pour s'asseoir sur lui et avec l'aide d'un de ses genoux exerça une pression telle que dans un craquement, la tête de l'humérus n'eut d'autre choix que de retourner dans sa cavité. Le toubib était en nage, pourtant il ne s'arrêta pas. Il sauta sur ses jambes et fit asseoir le corps sans consistance de Natsu, en le secouant doucement.

«C'est bon, réveille-toi, petit. DEBOUT !».

Natsu cligna des yeux embués par des larmes, la bave aux lèvres.

C'est réduit ! Mais avant de te mettre un bandage, je vais soigner tes coupures. Ça va aller ?

Oui... je...

Je vais chercher ma trousse, tu bouges pas !

Monsieur... hésita Natsu en faisant un effort intense pour organiser ses pensées. Ça vous dérange... si on fait ça là-bas ? Je voudrais rester à côté de mon frère.

Le toubib soupira.

On peut le faire dans le salon. Oui, c'est possible. Ne touche à rien, ne salis rien, et par pitié, ne bouge pas ton bras ! Prends ça ! Il lui lança une serviette. Si je vois une goutte de sang sur mon canapé, tu le récureras toute ta vie !

Natsu se releva avec lenteur et s'assit à la verticale. Du moins, il essaya. À peine le dos droit, il fut pris d'une violente nausée. Ses yeux se révulsèrent. Il tint bon. Il ne tomba pas, enfin il ne retomba pas grâce à la main du toubib, qui l'avait maintenu.

Quel jour on est ? demanda l'homme les sourcils froncés.

J'en... ai aucune idée, répondit l'adolescent les yeux dans le vague.

Quelle année ?

Je... je ne sais pas...

Hôpital ! rugit le docteur. Je ne peux plus rien faire pour toi !

J'ai... j'ai aucune mémoire avec les nombres, s'écria Natsu la peur au ventre. C'est mon état normal ! Je vais bien !

Foutaises, cracha le docteur.

Je suis juste fatigué. Je vais bien, je vous le jure. Regardez ! Je peux même vous dire qu'on se trouve dans la banlieue Est de Magnolia, la cathédrale est... Il prit une longue inspiration. Par-là ! Il pointa un doigt vers sa droite. Hargéon, c'est plus au sud, environ... trois cents kilomètres ! Vous voyez, je vais bien, c'est juste... que je ne retiens pas les choses comme la plupart des gens !

Mouais, maugréa le médecin tout de même impressionné.

Il l'aida à atteindre le salon. Ils passèrent devant Rakheid qui n'avait toujours pas bougé.

Vous êtes sûr... qu'il va bien ? osa demander Natsu blanc comme un linge.

Autant qu'il peut, oui, il va bien. Assieds-toi ici ! On va commencer par désinfecter tout ça. Déshabille-toi ! Je vais chercher ce qu'il faut. Attends. Non ! Ne bouge pas ! Ton épaule, tu ne la bouges pas. Je vais prendre des ciseaux, je vais découper ton T-shirt, tes vêtements sont fichus de toute façon.

Natsu ne broncha pas. Il resta planté en fixant le corps de son frère, la peur au ventre. Le médecin désinfecta chaque égratignure, fit quelques points de suture, mais le garçon s'en moquait. Il ne pensait qu'à son frère.

Vous faites erreur, dit-il au bout d'un moment. Mon frère s'en sortira.

Crois-le si ça te fait plaisir, gamin. Tu te trompes, mais après tout, pense ce que tu veux. Bon, tu as au moins deux côtes cassées. Aucun déplacement. Dans ton malheur, tu t'en sors bien.

Il a fait une erreur, reprit Natsu en essayant de ne pas pleurer. Il s'en sortira. On commet tous des erreurs.

Il y a des erreurs qu'on ne peut pas rectifier... ronchonna le toubib à voix basse. Montre-moi tes mains ! ordonna-t-il se maudissant de devoir éteindre l'espoir qui fleurissait encore dans les yeux du gamin. Faut que je voie l'état de tes doigts, je crois me rappeler, que certains étaient dans un sale état.

Natsu obéissant leva les deux mains en l'air. Le toubib hurla :

Idiot ! Combien de fois vais-je te dire de ne pas bouger ton bras !!!

Je... désolé, murmura Natsu d'une voix lasse. Mon bras va bien. Je ressens plus aucune douleur, c'est réparé, vous avez réussi.

Ça ne me rassure pas ! Tes tendons sont complètement distendus ! Ils vont céder si tu ne gardes pas le bras en écharpe pendant au moins quatre semaines. Je reviens, je vais chercher des bandages. On va faire ça avant de s'occuper de tes mains.

Il se leva. Natsu en fit de même.

Toi, tu restes ici ! s'écria le docteur furieux.

Je veux juste voir mon frère, il bouge pas, ça m'inquiète, implora Natsu.

L'hôte de maison leva les yeux au ciel.

Ton frère est réveillé, bougonna-t-il. Il nous écoute. Il a trop honte pour le dire. Vas-y... je reviens ! Je ramène aussi un sédatif. Avec le traitement que je lui ai donné, il ne va pas tarder à être en manque. Aucune envie d'avoir un animal enragé dans mon salon !

À tout petits pas, Natsu se déplaça non sans mal vers l'entrée et s'approcha en claudiquant de son frère. Il hésita, il ne savait pas comment l'approcher. En général, il fonçait tête baissée. Mais, le docteur avait dit que Rakheid était réveillé, qu'il les écoutait. Cela ne ressemblait pas à son ainé de ne rien dire, surtout qu'il avait bien dû entendre que Natsu s'inquiétait pour lui.

«Rakheid ?» souffla-t-il sans oser s'approcher davantage.

Pas de réponse.

Rakheid ? reprit-il plus fort, en avançant d'un pas. Ça va ? Le toubib a dit que tu étais réveillé.

Toujours rien. Le grand frère était couché, ramassé en boule sur le vieux tapis. Il ne bougeait pas. Sa tête était dans l'ombre, cachée sous un amas de cheveux gras et emmêlés.

«Rak...heid ?»

La voix de Natsu se brisa en même temps que son cœur se déchirait dans sa cage thoracique. De grosses larmes lui piquaient les yeux, il n'osait pas les verser, il n'osait plus bouger. Son grand frère ressemblait à une toute petite chose, frêle et sans vie. Il était étendu sur le côté. Il était sale, il ne bougeait pas. Il respirait à peine.

Natsu se frotta les yeux en reniflant. Pourquoi restait-il muet ? Pourquoi Rakheid n'était-il pas en train de veiller sur lui, comme à son habitude ? Pourquoi faire le mort ?

Dans la tête du cadet, un sombre doute était en train de s'épaissir et de le ronger de l'intérieur. Et si... et si le toubib avait raison ?

Il jura haut et fort. C'était hors de question, son frère allait s'en sortir ! Ce n'était pas un choix ! Natsu rugit. C'était Rakheid, son héros depuis tout petit ! Il n'avait pas le droit de douter de lui !

Rakheid !!! s'écria-t-il en se laissant tomber sur les genoux à ses côtés.

Il posa maladroitement sa main droite sur la tête de son frère en retenant un sanglot.

«Je suis là, mon frère. On va y arriver... On va remonter... Toi et moi...!».

Il ferma les yeux. Il supplia la Terre et implora les Dieux, quels qu'ils soient. Il ressentit comme un picotement au bout de ses doigts, une sorte de chaleur incandescente. Il ne dura qu'une seconde mais fut suffisant pour qu'un long spasme irradie le corps de Rakheid, à la manière d'une vague atteignant la plage un jour de tempête. Elle partit de loin, prit peu à peu de la puissance et secoua Rakheid dans un cruel cri de désespoir. L'ainé fut incapable de cacher le flot de larmes qu'il déversait depuis de longues minutes déjà.

Tous les doutes de Natsu s'envolèrent, il prit son frère dans ses bras et le serra de toutes ses forces.

Je suis là, je suis là, Rak. Ne t'inquiète pas ! Tout va bien. Ça va passer !

Le jeune homme aux cheveux clairs repoussa mollement son frère. Il s'assit face à lui en tremblant sans oser le regarder. Il cligna des yeux. Son front le brûlait, c'était comme si son tatouage s'était enflammé. Natsu le fixait les yeux brillants. L'ainé baissa la tête : il avait échoué à protéger son frère.

Des centaines de larmes se mirent à dévaler la pente de ses joues. Rakheid laissa son corps s'aplatir à nouveau contre le sol. Il ne pouvait pas affronter la déception de son petit frère, il ne pouvait pas, c'était trop dur.

Natsu, dit-il d'une voix d'outre-tombe entremêlée de sanglots, je suis désolé... J'ai complètement merdé.

C'est moi ! s'écria frénétiquement son cadet en le soutenant comme il pouvait. Je t'ai laissé seul, tu as dû tout gérer. T'avais pas le choix !

Bien sûr que j'ai eu le choix ! gronda Rakheid d'une voix morne, en se redressant, les pleurs en sourdine. J'ai décidé tout seul de prendre de la drogue. Personne ne m'a forcé !

C'est faux ! rugit Natsu, refusant d'y croire. Ils t'ont forcé. Ils t'y ont poussé... Tout ça à cause de moi ! Mais, je suis là maintenant ! Je vais t'aider ! Ensemble, on y arrivera !

Tu ne comprends pas, Natsu. C'est fini. Je suis fini. J'ai tout foutu en l'air !

Son petit frère devait à tout prix comprendre. Il devait arrêter d'espérer. Rakheid était fichu !

Mais non... geignit Natsu.

L'ainé pour la première fois posa son regard dans celui de son cadet. Il se mit à nu. Natsu devait se rendre compte des dégâts. Fichu il l'était !

Regarde-moi... Regarde ! Je tremble déjà. Le toubib a raison : dans très peu de temps, je ne serai plus moi-même !

Je suis là ! pleurnicha le rosé. Tu peux compter sur moi. Je t'empêcherai de replonger !

Tu comprends rien !!! s'emporta l'ainé. Je ne peux pas résister, Nat. Je tuerai quiconque m'empêchera d'avoir ma dose. Je ne peux plus m'en passer ! Je ne suis pas assez fort, tu comprends ?

Il s'était mis à crier mais d'une petite voix suppliante et désespérée. Il pleurait à chaudes larmes tout en se recroquevillant de nouveau sur son tapis. Rakheid connaissait ses limites : il avait déjà essayé d'arrêter, il n'avait pas pu, il était trop faible, trop lâche. Il en voulait toujours plus.

Natsu se recula horrifié. Son visage prit une teinte blanchâtre, ses yeux se plissèrent de noir.

Tu oses abandonner ? demanda-t-il d'une voix blanche.

Quoi ? hésita l'ainé.

Tu pars déjà perdant ? s'écria Natsu froidement, debout, surplombant son frère.

Je... non, souffla Rakheid.

Tu ne comptes pas te battre pour t'en sortir ?

Le rosé vociférait maintenant. La rage déformait son visage autant que ses blessures. Rakheid baissa les yeux, pleura encore, puis inspira à fond.

Je... je ne sais pas... je ne sais plus... Nat ! Je suis paumé. J'ai peur, tellement peur ! Je suis désolé, tellement DESOLE ! Jamais je n'aurais dû... j'aurais dû te demander de l'aide. J'ai pas réussi... C'est mon rôle de t'aider !

Les yeux en pleurs, le corps en sanglot, Rakheid releva la tête. Les deux frères se fixèrent, l'un par terre, petite chose écrasée au sol, l'autre debout, droit et confiant malgré le tas de coupures, de gonflements et de bleus qui étaient disséminés sur son corps.

Laisse le passé où il est, déclara le plus jeune. Peu importe nos choix, peu importe nos erreurs, le futur s'étend devant nous. Les obstacles, toi et moi, on a toujours su les dépasser. Les frères Dragnir ne renoncent jamais ! Tu as chuté ces derniers temps, et alors ?
Cette addiction de merde, tu vas passer outre, parce que tu es un Dragnir, parce que nous, on est comme ça : on tombe, on s'écroule mais on continue d'avancer. Le destin est cruel ? On en a rien à foutre ! On avance, un point c'est tout.
Rakheid, promets-moi une chose ! A partir de maintenant, tu te tournes vers le futur. La ligue clandestine, la drogue... c'est du passé !

Rakheid s'était petit à petit redressé. Il était désormais presque assis. Ses yeux étaient toujours plongés dans ceux de son frère. Il n'y lisait aucune déception, aucune trace de colère ou de jugement. Pour Natsu, le fait qu'il soit tombé dans la drogue n'était qu'un obstacle de plus à surmonter, ni plus ni moins.

Faire table rase du passé ? s'enquit l'homme au tatouage dans un soupir.

Natsu hocha la tête.

Trouve-toi un idéal à atteindre ! reprit-il en écumant de force au travers de tous les pores de sa peau.

Un idéal...? répéta l'ainé.

Rakheid soupira. Ça paraissait si simple. Ça paraissait faisable, à sa portée. Pouvait-il y croire ? Pouvait-il réussir ? Natsu pouvait-il réussir cet exploit ?

Il observa son petit frère. Si jeune... et pourtant si fort déjà. Si fragile aussi. 

Alors ?

Les deux frères se sourirent.

Très bien, répondit Rakheid en s'asseyant en tailleur, le dos posé contre la porte d'entrée.

Il se concentra. Il ferma les yeux. Il inspira. Il prit son temps. Quel était son idéal à atteindre dans la vie ? Que rêvait-il de faire ? Il ouvrit grand les yeux.

Mon idéal... Je rêve de composer des chansons et de les chanter en public, ça a toujours été ça mon rêve !

Le regard du tatoué s'illumina d'une frêle lueur de joie. Le basket n'avait été qu'un passe-temps, jamais une passion. Natsu ne put s'empêcher de sourire béatement.

Un grand frère rock star ! Ahah ! Trop bien !!! Je vais pouvoir me la péter!

Et toi Nat... ? demanda l'ainé les yeux emplis d'espoir.

Je... je n'en ai pas la moindre idée, s'esclaffa Natsu confus en se grattant l'arrière du crâne. J'ai toujours rêvé au basket !

Il plaqua une moue désolée sur son visage.

Tu ne voudrais pas passer pro ? sourit son frère.

Oh non ! Pas pro... enfin je crois pas ! répondit le rosé la mine songeuse. La ligue Professionnelle c'est pour les vieux ! Je suis bien trop con et bien trop jeune ! Non, ce que j'aimerai vraiment, je crois... Il marqua une pause, une longue pause. C'est que la Salamandre n'ait jamais existé...

Mais... pourquoi ? s'exclama Rakheid sans comprendre.

J'aimerai prouver que je suis capable de jouer fair-play ! J'aimerai faire partie d'une équipe, pas parce que je suis le meilleur, mais parce que... ensemble on l'est ! Peu importe le basket au final, Il marqua une courte pause, offrit un sourire gêné à son ainé tout en se grattant toujours l'arrière du crâne.

L'ainé hocha la tête et se cala sans dire un mot contre le mur : le dos droit, les genoux repliés en tailleur. Il ferma les yeux, posa ses mains sur la pointe de ses genoux et se concentra sur sa respiration. Inspiration. Expiration. Concentration.

Natsu le regarda un moment puis, poussant un bâillement gigantesque, se retourna, prêt à se rouler en boule dans le canapé. Il tomba nez à nez sur le toubib, qui dans l'embrasure de la porte les observait d'un œil attendri. Ils se firent un léger hochement de tête, puis retournèrent tous les deux dans le salon.

Le rosé reçut les derniers soins dont il avait besoin: bandages, attelles, points de suture... Il ressemblait presque à une momie. Cette idée le fit rire, mais devant l'humeur désastreuse du toubib, il s'abstint de tout commentaire.

Enfin, au bout d'un temps indéterminé, le docteur poussa un long soupir et alluma la télévision. Rakheid était toujours assis contre la porte en pleine méditation. Ses membres tremblaient, sa respiration était hachée. Il avait du mal à tenir, mais il essayait. S'il avait la même détermination que son cadet, qui sait ? Peut-être qu'il réussirait.

Le docteur voyait au travers de ces deux frères toutes ses idées acquises depuis longtemps s'effriter dans sa tête. Un petit goût d'espoir glissait dans sa bouche. Hargéon... Il soupira et s'assit dans un fauteuil face à celui que tout le monde appelait La Salamandre.

Tu peux dormir, dit-il. Je veille... S'il baisse sa garde, je lui administrerai un calmant...

Natsu ne répondit pas, il dormait déjà, un grand sourire confiant dessiné sur les lèvres.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top