Chapitre 14 : 4 000 000 joyaux
Natsu fusa dans le couloir, il ne regarda rien, ne vérifia pas qu'on l'observait. La pression dans son corps était trop grande. A peine la porte refermée, il s'élança à toute vitesse contre un mur et y fit une succession de saltos. Deux, dix, cinquante saltos. Il ne les comptabilisa pas; tout ce qui lui importait, c'était de les enchaîner.
Peu à peu, il sentit les tensions s'alléger. Petit à petit, il reprit conscience de l'instant présent : les Sélections, les épreuves écrites, le couloir.
Il souffla et s'immobilisa à la recherche de la personne en charge de le surveiller. Un homme mûr, les cheveux grisonnants le couvait du regard à quelques mètres à peine. Ils se firent un rapide signe de tête mais n'échangèrent aucun mot. Natsu n'en était, très honnêtement, pas capable. Il avait besoin d'évacuer toute cette énergie débordante, surtout que dans très peu de temps, il lui faudrait retourner dans cette fournaise.
L'adolescent déboutonna sa chemise et se mit à faire des séries de pompes et de squats. Très vite, une douce chaleur irradia ses muscles et atteignit son cerveau. Un franc sourire se peignit sur son visage: enfin, il se sentait mieux, il était de nouveau lui-même. Il soupira d'aise.
— Eh bien ! Quelle énergie ! Ça me rappelle ma jeunesse ! déclara le surveillant.
— J'avoue, j'ai la pêche ! répondit Natsu légèrement mal à l'aise. Il n'aimait pas se donner en spectacle, enfin sauf sur un terrain de basket, là-bas... il oubliait tout. C'était le bon moment pour m'aérer ! J'en peux plus !
— Par contre, tu aurais dû ôter ta chemise si tu veux mon avis, répondit l'homme en riant très fort. Ça ne va pas sentir la rose avec tous ces sauts de cabri que tu viens de faire !
Natsu s'esclaffa, il approcha son nez de son aisselle, grimaça en meuglant et reboutonna rapidement sa chemise :
— C'est vrai, vous avez raison ! J'y ai pas pensé ! Argh ! Elle est toute froissée maintenant, mon frère va me tuer !
— Par contre, ça va être l'heure d'y retourner, petit, reprit le professeur. Et bravo pour les maths ! C'est moi qui ai préparé ce QCM. Je m'appelle Macao Combolt.
Le jeune Dragnir grimaça :
— La vache ! Vous avez une bonne tête pour un prof de maths, c'est rare ! Il se raidit, écarquilla les yeux, déconfit devant les mots familiers qu'il venait de prononcer. Pardon ! Pardon, vraiment je ne voulais pas dire ça! Mes sincères excuses, ça doit être l'adrénaline ou les endorphines ou... je ne sais pas. Il se gratta le haut du crâne ne sachant plus où se mettre. Je devrais mieux y aller. Moi, c'est Natsu Dragnir, j'ai été enchanté de vous rencontrer Monsieur Macao... euh Monsieur Combolt enfin euh... vraiment désolé !
Le rosé sautilla sur place deux-trois fois en roulant des épaules. Il souffla encore, puis, déjà concentré entra dans la salle d'examen.
Porlyusica ne releva pas la tête et lui tendit aussitôt une feuille, un stylo et un sujet d'examen. Cependant, elle l'observait, elle ne faisait que cela.
Le jeune homme la remercia et retourna s'asseoir. Ce n'est qu'à cet instant qu'il remarqua qu'une dizaine de places était vide. La première épreuve avait fait des ravages parmi les candidats.
Il s'installa, ouvrit le sujet et pesta devant l'intitulé: «La littérature et les œuvres artistiques peuvent-elles nous aider à réfléchir sur notre propre comportement?» (Sujet de brevet de français 2022).
Déjà qu'il avait horreur d'écrire, alors rédiger autour d'un sujet pareil... Qu'allait-il bien pouvoir inventer ?
— Madame ? demanda-t-il.
— Monsieur Dragnir ? répondit la vieille femme curieuse de voir ce qu'il allait encore inventer.
— Je me demandais... Il y a un nombre de pages minimum à écrire ?
— C'est écrit sur votre sujet, mon garçon... deux pages ! ronchonna la surveillante.
— Et si j'écris gros, vous pensez que ça passe ? demanda-t-il l'œil coquin.
La surveillante leva les yeux au ciel.
— Tout est écrit dans votre sujet ! pesta-t-elle. Lisez-le jusqu'au bout, voyons !
À contrecœur, le jeune joueur s'exécuta: «Au final, le texte doit faire deux pages minimum, soit 300 mots environ.»
— Trois cents mots ! rumina-t-il. Ils veulent ma mort !
— Vous avez une heure ! grommela la vieille femme.
Natsu lui jeta un regard dédaigneux et se mit au travail sans grande motivation. Au bout de cinq minutes, pourtant, il se leva et retourna auprès d'elle.
— J'ai cassé mon stylo, dit-il penaud lui montrant les vestiges de ce qui restait de son malheureux «outil scripteur». Je suis désolé, ça m'a échappé. Vous pourriez m'en donner un autre? Un crayon de papier avec une gomme si possible... ou un stylo effaçable. J'écris vraiment comme un pied. Il marqua une pause. S'il vous plait ? poursuivit-il avec un sourire de trois mille kilomètres.
Porlyusica ne put masquer cette fois le maigre sourire qui s'était dessiné au bout de ses lèvres. Elle lui tendit un crayon, une gomme et ajouta :
— Je ne veux plus vous voir avant que cette composition ne soit terminée. Ni vous voir ni vous entendre, mon garçon. Allez oust !
*****
Rakheid s'était immobilisé, reconnaissant Racer, l'homme de la ligue.
— Mage Blanc ! l'interpela ce dernier. Te voilà. J'en conclus que La Salamandre participe bien aux Sélections !
— Racer... ! répondit l'ainé des Dragnir tendu comme un arc. Je vois que tu es au courant. Sache que je n'ai rien de plus à t'apprendre.
Rakheid colla son casque de musique sur ses oreilles et tenta de poursuivre sa route. Il n'avait aucune envie d'échanger un seul mot avec cet homme. Malheureusement, le dénommé Racer était un rapide, d'une seule enjambée, il se retrouva deux pas devant lui. L'homme au tatouage coupa court à toute idée de retraite. Il fit face, laissa retomber son casque, regarda son interlocuteur dans le blanc des yeux et demanda d'une voix impatiente :
— Qu'est-ce que tu veux, Racer ? Dépêche-toi, j'ai pas une minute à t'accorder !
— Oula, du calme Mage Blanc ! ricana l'homme dont les yeux étaient cachés sous d'opaques lunettes de soleil. Je n'ai que deux questions à te poser, ça ira vite. Et ne t'inquiète pas comme ça ! Rassure-toi ! Je viens en tant qu'ami. -Il leva les mains en guise d'apaisement. Rakheid, lui resta sur ses gardes.- Je suis juste venu pour vous rappeler que si le nom de La Salamandre réapparait, votre dette sera à rembourser au plus vite... Et si j'en crois le dossier de ton frère, il ne va pas tarder à avoir 15 ans...
— Tu peux t'en aller ! s'emporta Rakheid en plissant des yeux, agacé par l'emploi du mot «dossier». Tu ne m'apprends rien. On tiendra les délais : votre argent, vous l'aurez dans les temps.
— Quatre millions de joyaux... C'est une somme colossale pour des gamins comme vous. Maintenant que nous savons qui vous êtes, tu penses bien qu'on a fait notre enquête. -Il marqua une pause se délectant de l'expression horrifiée qui prenait vie sur le visage de son interlocuteur.- La famille Dragnir n'a pas un rond, plutôt des dettes rondelettes... -Il s'esclaffa- Tout un tas de dettes et un papa tyrannique, qui n'est au courant d'aucune de vos frasques. Vous êtes coincés ! Tout cet argent que tu as emprunté pour tes cochonneries... et celui que vous avez dilapidé... Franchement, vous ne réussirez jamais à nous régler.
— On vous remboursera ! grogna Rakheid.
— Je me demande si tu réalises ta chance...rétorqua Racer. Après tout, c'était ta dette ! Pas celle de La Salamandre ! C'était toi le Capitaine ! continua-t-il sans quitter des yeux l'ainé des Dragnir. Ton frère a pris sur lui de tout rembourser. Sans lui, tu aurais été réduit en esclavage et tu serais mort à l'heure qu'il est ! As-tu seulement imaginé la souffrance qu'il a subie ? La violence ? L'humiliation ? Il marqua une pause, baissa ses lunettes au bout de son nez et reprit. Non, évidemment. Tu n'as rien vu !
Rakheid pâlit. La culpabilité, il la subissait jour après jour depuis un an. Se l'entendre dire à voix haute... C'était douloureux. Il baissa la tête, ravalant sa honte. Le blond ricana de plus belle : ça allait être un jeu d'enfant de lui retourner la cervelle à cet abruti !
— Ton frère ne pourra jamais nous rembourser, continua l'envoyé de la ligue l'œil mauvais. Il nous appartient déjà. Jouer dans une ligue officielle n'y changera rien. Tous les sponsors de la Terre n'y changeront rien. Cependant, nous sommes prêts à faire un effort... Après tout... c'est de La Salamandre dont il s'agit !
— Tu n'y es pas, rétorqua l'ainé le cœur battant. C'est moi qui vais vous rembourser.
— Et cet argent, tu vas le trouver où ? se moqua le blond. Cesse ton petit jeu gamin !
— Les joyaux... je les ai déjà presque amassés, mentit Rakheid. Mon frère peut donc apparaitre au grand jour de la manière dont il l'entend.
Racer ricana de plus en plus fort et releva ses lunettes un instant. Des yeux sans pupille se posèrent sur Rakheid, qui fut aussitôt pris d'un long tremblement. Une douleur vive au niveau de son tatouage lui fit froncer les sourcils. Il se passa rapidement la main sur le front. Il était brûlant.
— C'est donc ça ton plan ? continua Racer sans se défaire de son rictus moqueur. Je ne te savais pas mythomane en plus d'être un drogué ! La Salamandre sait-elle que tu mens comme tu respires ?
— Je n'ai rien à ajouter, cracha Rakheid en serrant les poings. Sa colère venait de se réveiller, contrecoup du regard transparent probablement. L'argent sera bientôt sur votre compte.
— Oh Mage Blanc ! J'avais du respect pour toi... mais c'était avant !
Il éclata d'un rire cruel et plaça subrepticement ses mains dans les poches de son blouson. Il fixa l'ainé, s'approcha, s'approcha encore :
— Tu donnes bien le change, je l'admets, continua-t-il en s'approchant toujours plus près. Pourtant, je ne suis pas dupe. Tu ne changeras jamais. -Il était tout proche maintenant, les deux hommes étaient face à face, les yeux noirs, les muscles bandés, les poings prêts à s'abattre.- Chacun sait qu'une addiction au Plzir est incurable. -Sa voix était devenue basse, son ton menaçant. Il farfouilla dans sa poche.- Cesse de faire semblant, je sais exactement qui tu es. Je sais exactement ce que tu veux.
Tout en pesant ses mots, il sortit de sa poche un sachet de poudre blanche. Il le fit tinter nonchalamment juste sous les yeux de Rakheid, puis le huma d'un air joyeux.
— Tu te rappelles du plaisir, de la béatitude, du bien-être que tu goûtais grâce à cette panacée ?
Le jeune homme tatoué se figea, son regard devint animal. On pouvait presque entendre son cœur hurler de désespoir au creux de sa cage thoracique. Il respira à fond, pinça les lèvres sans réussir à s'empêcher de baver d'envie. Racer lança le sachet à la volée. Rakheid s'en saisit d'un geste sec et impitoyable. Il observa le sachet, le fit tourner entre ses doigts, puis l'écrasa dans sa paume.
— Espèce d'enfoiré ! hurla-t-il tout en balançant violemment le sachet dans une bouche d'égout toute proche. C'est donc comme ça que vous pensez vous approprier mon frère ? Vous ne l'atteindrez plus jamais à travers moi !
À peine ces mots prononcés, le jeune homme se métamorphosa. Ses yeux s'injectèrent de sang, des veines parcoururent ses tempes et son tatouage sembla s'illuminer de rouge. Il ramassa son poing en arrière et le projeta, avec toute la vigueur dont il était capable, droit dans le visage de Racer. Celui-ci n'eut pas le temps de le parer, ses lunettes volèrent en éclat, sa pommette s'écrasa violemment sous l'impact. La tête du joueur de la ligue clandestine partit en arrière. Mais il se reprit vite. L'homme laissa retentir un ricanement mauvais et s'élança à son tour à l'attaque.
Plusieurs échanges de coups se succédèrent à une telle vitesse qu'aucun spectateur n'aurait pu savoir qui attaquait ou qui encaissait.
Au bout de cinq minutes de combat acharné, Racer, le blouson déchiré, la pommette enflée et une lèvre fendue, leva les mains en l'air en signe de reddition.
— Tu viens de répondre à ma première question! déclara-t-il en se reculant à bonne distance les mains levées. Ainsi, tu es clean... C'est incroyable ! Je ne connais personne qui ait su se sevrer du Plzir.
Du revers de la main, il essuya le sang qui perlait de sa bouche.
— En plus, tu as retrouvé toute ta puissance, quelle droite tu m'as mise !
— Je suis clean, c'est vrai, répondit Rakheid en reprenant son souffle. Suffisait de demander...
Il cligna des yeux, une douleur lancinante sur son côté droit du visage. Il allait hériter d'un bel œil au beurre noir. Mais c'était un moindre mal. Racer était connu dans la profession pour ratatiner toutes les mâchoires qui croisaient sa route.
Toute cette mise en scène était donc un test. Rakheid aurait dû s'en douter. Cet homme était malin: il ne croyait aux réponses qu'on lui donnait qu'avec des preuves formelles à l'appui. Pas étonnant qu'il soit recruteur de la ligue clandestine.
— Voilà ce que je te propose Mage : c'est ta dette, ça l'a toujours été. Rejoins-nous ! Tu es un combattant impitoyable, ta violence n'a pas d'égale.
Ce fut au tour de Dragnir de pouffer de rire.
— Et ainsi, vous seriez sûr que mon frère me rejoindra dès qu'il aura l'âge ? Vous n'avez rien trouvé d'autre, sérieux ?
À nouveau, la colère s'étoffa en lui, plus dure, plus violente. Se servir de lui pour appâter son frère, ça le mettait hors de lui. Le vent monta, glissa au travers de ses cheveux, il fronça les sourcils, serra les poings. Racer écarquilla les yeux et recula aussitôt d'un pas.
— Du calme Mage ! reprit le blond d'une voix monotone en reculant encore. En contrepartie de ton transfert chez nous, on s'engage à laisser ton frère tranquille. Ligue officielle ou clandestine, il jouera là où le vent le mènera. Il prit une grande inspiration, plongea son regard perçant dans celui de l'ainé des Dragnir. Pour une fois, je te parle de toi, Mage Blanc. Caché dans l'ombre de ton génie de frère, personne n'a pris en considération ta puissance. Moi, je l'ai toujours vue. Rappelle-toi, c'est toi que je voulais, c'est toi que je suis venu voir au début. Il sourit. Il était fier de lui. Tu pourrais ainsi effacer l'ardoise qui te pèse tant et ne plus être le débiteur de ton petit frère. Souviens-toi ! Le jour de ton overdose, c'est lui qui t'a sauvé. Tu serais mort si tu avais joué. Il a déclaré forfait au détriment de sa propre vie juste pour t'épargner. Il se redressa, fixa un moment l'horizon, les yeux dans le vague en hochant la tête. Treize ans, il avait. La mort subite, il l'a endurée... Pour toi ! Pour te protéger ! Et ils l'ont massacré !
Il frappa le sol avec son pied. Cette mort subite avait été un tel gâchis, elle le mettait encore hors de lui.
— Vos victoires allaient vous apporter plus d'un million de joyaux chacun, reprit-il d'une voix suave. Mais vous en aviez déjà dépensé une bonne partie... vous le saviez pourtant, rien n'était officiel. Vous vous êtes enchainés tout seul à la clandestine ! Au final, ton frère, ce jour-là, pour te sauver toi, s'est engagé à devenir l'objet de la ligue. Il le sera. Il le sait. C'est inévitable.
— Je ne joue plus au basket, hésita Rakheid le souffle court, la honte flamboyant en lui.
— Tu es intelligent Rakheid Dragnir. Je te laisse y réfléchir. Si tu ne signes pas, ton frère sera à nous. Si tu es avec nous, peut-être auras-tu une chance de le sauver... Sur un terrain, c'est indéniable, ton frère brille, c'est un génie ! T'es-tu déjà demandé ce qui lui arrivera lorsqu'il nous sera enchainé ?
Il marqua une pause, remonta ses lunettes cassées sur le haut de son crâne et souda son regard à celui du grand frère. Cette fois, ses iris étaient gris, légèrement volatiles, comme s'il s'y trouvait un épais brouillard.
— Selon moi, il risque de perdre cette détermination sans faille qui crée toute sa force, poursuivit-il très calme, presque désolé. S'il la perd, imagine ce qu'il deviendra... Un génie sans magie. Il ne sera plus rien, il n'aura plus goût à rien. Et toi, Mage, tu en seras l'unique responsable ! J'en viens donc à ma deuxième question. Rakheid Dragnir... Es-tu prêt à te sacrifier pour ton petit frère ?
Tel un cyclone, les mots de Racer ravagèrent toutes les croyances de Rakheid. Et si... et si... et si Racer avait raison. Un génie sans magie. Un Natsu privé de liberté, privé de son feu...
Perdu dans un tourbillon de pensées et de souvenirs, le plus âgé des frères Dragnir sentit sa vue se troubler et une marée de souvenirs vint s'abattre sur son âme.
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